La foy victorieuse du monde dans les justes sermon presche a las savoye dans l'eglise fran ̧coise le dimanche, 10. jour d'Octobre 1669 / par D. Breual ...

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La foy victorieuse du monde dans les justes sermon presche a las savoye dans l'eglise fran ̧coise le dimanche, 10. jour d'Octobre 1669 / par D. Breual ...
Author
Bréval, Monsieur de (François Durant), d. 1707.
Publication
Londres :: Imprimé par T. N. pour Will. Nott ...,
1670.
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Subject terms
Bible. -- N.T. -- Epistles of John, 1st, V, 4 -- Sermons.
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"La foy victorieuse du monde dans les justes sermon presche a las savoye dans l'eglise fran ̧coise le dimanche, 10. jour d'Octobre 1669 / par D. Breual ..." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/A29334.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed May 4, 2024.

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SERMON presché à La SAVOYE, dans l'Eglise Françoise le dimanche, 10. jour d'Octobre 1669. Par D. B.

La PRIERE devant le SERMON.

SEigneur, dont la Majeste couvre les Cieux & les misericordes la terre, nous venons dans vn esprit plein de respect & de confiance te rendre nos devoirs & implorer tes faveurs. Nous te les de∣mandons generalement pour tous les hommes & particulierement pour les Chretiens, Mais sur tout pour Ceux qui t'adorent & qui te servent dans la pureté de ton Evangile. Console & assiste leurs Eglises où elles sont dans l'oppression; conserve & augmente leur eclat & leur tranquillité où elles sont fleurissantes, principalement dans ces Royaumes d'An∣gleterre d'Ecosse & d'Irlande. Verse, O bon Dieu! tes meil∣leures benedictions sur le Roy que tu leur as donné pour les deffendre contre leurs Ennemis. affermy de plus en plus son throne; & puisque tu l'as etably pour estre immediate∣ment sous Toy & sous tan Christ, Chef universel dans tous ses Etats & Defenseur de la foy, eleve sa vertu aussy haut que tu as elevé sa gloire. Beny la Reine son Epouse, Monseigneur le Duc D'York, Madame la Duchesse & toute la maison Royale, les Seigneurs du Conseil, la Noblesse, & tous les Ordres de ce Royaume. Mais repans, O Dieu! ton double Esprit sur ses Pasteurs, les Archevesques, les Evesques, & tous les au∣tres

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Ministres & Dispensateurs de tes Sacremens, de tes My∣steres & de ta parole. Fay qu'ils Soutiennent le pois & la gloire de leur Charge avec autant de Doctrine, de Zele, & de bonne vie qu'Elle en demand.

Tu Vois; Seigneur! le besoin que j'ay de cette grace pour moy même; & puisque tu m'as fait par ta misericorde vn des Predicateurs de ton Evangile, par la mème misericorde fay moy dignement remplir les desseins & la grandeur de mon mi∣nistere. Eclaire mon Esprit, Echauffe mon coeur, purifie mes leures, & donne moy generalement tout ce que tu veux que je donne a ton Peuple. Dispose déja ses sentimens á profi∣ter de mes instructions, & que luy & moy sortions d'icy meil∣leurs que nous n'y sommes entrez. C'est là, O Seigneur! les graces que uous te suplions aujourdhuy de nous faire.

Et puis que le remerciment de tes bienfais passez, n'a ja∣mais manqué d'attirer les autres, nous te remercions, O Dieu! de l'excés infiny de tes bontez pour nous, & generales & par∣ticulieres; mais principalemant de nous avoir rachettez par ton filz, & de nous iustruire encore tous les jours par ses Ex∣emples & ceux de tant de Sains qui l'ont imité. C'est trop peu, Seigneur! des remercimens que nous t'en pouvons faire; nous te l offrons luy méme pour la satisfaction de nos devoirs aussy bien que pour celle de nos pechez; Et comme c'est par Luy que nous te devons toutes choses, ce n'est que par luy que nous voulons, & que nous sçaurions, nous en acquitter, Re∣garde donc, O Seigneur! sur ton Christ, Et cherche en •…•…uy tout ce que tu veux avoir de nous, comme nous cherchons en luy & par luy tout ce que nous voulons avoir de Toy. C'est dans ce sentiment que prosternez a tes piez, nous t'allons dire, ce qu'il nous apprit a te dire luy même.

Notre Pere qui és aux Cicux, ton nom Soit Sanctifié, &c.

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Le TEXTE est De St Jean dans sa 1 Canonique Ch. 5. V. 1.

Car tout ce qui est né de Dieu surmonte le Monde; & cette est la victoire qui a surmonté le Monde, (à scavoir) nôtre Foy.

LA Providence, qui est admirable en toutes choses, l'est sur tout dans l'oeconomie de l'Ecriture, Où même ce qui semble quel∣que fois n'avoir eté mis que par Occasion est d'vne vtilité (neanmoins) & d'vne consequence infinie, ce qui faisoit si bien dire à St. Jean Chrysostome dans son ho∣melie 18. Sur la Genése que l'Ecriture ne dit jamais rien temerairement.

L'Exemple que nous en avons dans ce Texte en est vn temoignage bien authentique, puisque tout le verset ne paroist avoir eté ecrit qu'à l'occasion de celuy qui l'avoit precedé, Où St. Jean ayant dit que Les Commandemens de Dieu ne sont pas griefs, & prevoyant les objections d'vne infinité de gens à qui sans doute ils sont difficiles, il s'est

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trouué comme insensiblement engagé d'en rendre cette rai∣son que tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde, & que cette est la victoire qui a surmonte le monde, notre foy. Vous voyez cependant, chretiens, qu'il n'etoit rien plus ecessaire à nous apprendre que ce qui semble d'abord que nous n'apprenons icy que par hazard.

Ou trouvera-t'on en effect dans l'vn & dans l'autre Testa∣ment plus dinstruction & plus de mysteres que dans ce peu de paroles? Ne faut il pas avoir sans doute reposé (com∣me avoit fait cet Apôtre) sur le sein de Jesus? ne faut-il pas avoir bu (comme parle St. Augustin) dans cette source de la Sagesse, pour comprendre tant de merueilles en si peu dé môs? Je l'ose dire que non seulement & la Loy & les Prophetes, mais que tout l'Evangile méme, tout son Espit, toute sa perfection est dvinement renfermée dans ce Texte; Car si on est nè de Dieu; si on a triomphé du monde, & si le Triomphe s'en est remporté par la foy; que manque-t'il encore à la consummation de la vertu, & à l'accomplissement des desseins de Jesus Christ dans la san∣tification des hommes?

Cette Naissance Divine, ce Triomphe illustre, & cette foy Victorieuse, etant donc (comme il est evident) le dernier effort de la Grace & le plus glorieux ouvrage du S. Esprit dans l'ame d'vn chretien; N'auray-je pas remply dignement aujord'huy la dispensation de mon ministere, si dans vn seul verset de l'Ecriture que je pretens expliquer je vous donne l'eclaircissement de ces trois grans mysteres qui composent toute la Sainteté? vous faisant voir

  • 1o Qui sont ceux qui sont nez de Dieu.
  • 2o Quelle Victoire ils remportent sur le monde.
  • 3o Quelle est cette foy qui leur fait ēporter cette victoire.

Voila ce me semble, chretiens, tout ce que nôtre Texte nous demande d'explication, lorsqu'il nous dit que tout ce qui est né de Dieu surmonte le Monde, & que cette est

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la Victoire qui a surmonté le Monde, notre foy.

Commençons par l'eclaircissement de la premiere partie, & donnez y l'attention, Mes Freres, qu'elle merite, & vous, ô mon Dieu! la benediction que je vous demande!

PRIMIERE PARTIE.

Vne des plus grands questions, qui ait jamais em∣barassè les Philosophes auant la connoissance de l'Evan∣gile, est de sçauoir si quelque chose pouuoit en effect estre née de Dieu par quelque sorte de generation. La plupart & les plus subtils crurent qu'il etoit impossible, premi∣erement (disoient ils) parce que Dieu est Esprit, & que les Espris n'engendrent point, n'ayant pas de puissance propre ni ordonnée à cet usage. Secondement parce qu'il est Dieu, & en cette qualité il doit necessairement estre Seul; ce qui ne seroit plus s'il etoit capable de generation, puis∣qu'un Dieu ne pouroit engendrer qu'vn Dieu, & qu'il in∣troduiroit de la sorte vne multitude contraire à son Essence. D'ou ils concluoient enfin l'mpossibilité que quelque cho∣se fust née (ou engendrée) de Dieu.

Mais I Evangile nous ayant mieux eclairé par les obscu∣ritez de la foy que les Philosophes ne l'auoient eté par les lumieres de la science, nous connoissons infailliblement que cette naissance (ou generation) n'est pas impossible, & c'est assez du Texte de St. Jean pour nous l'apprendre puis qu'en disant que tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde, il suppose, ou diverses personnes, ou diverses choses qui en sont nées. Mais pour discerner mieux en par∣ticulier de qui cet Apôtre veut parler icy, vous deuez estre auertis que l'Ecriture donne generalement cette illustre loü∣ange d'estre né de Dieu à tout ce qu'il a produit dans quel∣que ressemblance de luy même, et c'est vne doctrine assez conforme à la Philosophie qui nous enseigne que tout ce qui est né D vn Principe en a receu non seulement l'estre mais encore la ressemblance.

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Or comme dieu communique diversement la resemblance de Soy méme aux choses qu'il produit, de la vient que toutes ne possedent pas à méme tître l'honneur d'estre neés de luy.

Vn grand Homme, & des plus sçavans que le monde ait jamais vn dans les matieres & de Philosophie & de Theolo∣gie, remarque subtilement & solidement cinq manieres diffe∣rences donc les choses que Dieu a produites ont quelque res∣semblance avec Luy; car cetté ressemblance (dit-il) peut estre, ou de nature, ou de vestige, ou d'image, ou de grace, ou de gloire, d'ou il conclut que l'avantage d'estre né de Dieu, c'est, à dire d'avoir Dieu pour Pere, convient

  • 1o Au Verbe.
  • 2o Aux creatures purement materieles.
  • 3o Aux creatures Intelligentes & raisonnables.
  • 4o Aux Justes.
  • 5o Aux Bienheureux.

Au Verbe par ressemblance, ou plutost par identité de∣nature.

Aux Creatures purement materieles par quelques vesti∣ges imparfais, ou par quelques marques obscures des Ex∣cellences de Dieu.

Aux Creatures intelligences & raisonnables (c'est à dire les anges & les hommes) par l'intelligence & la raison qui sont des images illustres de celle de Dieu même.

Aux Justes par les rapports de Grace & de Sainteté.

Aux Bienheureux enfin par l'imitation de sa gloire.

Ces ressemblances que toutes ces choses ont avec Dieu, etant comme vous le voyez si differentes, nous font aisement concevoir que Dieu en est bien diversement le Pere, & que l'avantage d'estre né de luy est plus ou moins noble Selon que la ressemblance est plus ou moins par faiet.

Celle qui l'est plus que toutes les autres sans comparaison est la Ressemblance de nature qui ne convient qu'au Verbe, & quine luy convient pas Specifiquemant (comme parlent les Philosophes & les Theologiens) mais individuelement, c'est à dire que le Verbe n'est pas seulemant Semblable à son Pere, comme nous le sommes aux nôtres, ayant vne

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nature pareille a la sienne, (ainsy que le pretendit autrefois l'heresie fameuse d'arius;) Mais ayant la méme nature in∣dividuele que luy: car puisqu'il est impossible qu'il y ait plus d'vn Dieu: il ne sçauroit estre possible que sa nature se multiplie ainsy quand le Pere produit son verbe, il ne luy donne pas une autre nature comme la sienne, mais la méme que la sienne d'ou vient que le titre de filz de Dieu à parler rigoureusement) ne deuroit appartenir qu'à Luy, & ce n'est que par metaphore, &, par vne espece d'usurpation qu'il s'est attribué à d'autres. L'Ecriture le témoigne assez quand elle dit si souvent qu'il est le filz vnique ou vnique∣ment engendré de Dieu: & lorsque par excellence Elle dit aux Romains Chap. 5. v. 32. qu'il est le propre filz de Dieu, & lors encore qu'elle dit aux Hebreux C. 1 que ce n'est qu'au verbe que Dieu rend ce témoignage au 2. des pfaumes, tu es mon filz & je t'ay aujourdhuy engen∣dré, & ce n'est que de luy enfin qu'au pseaume 110. le Pe e veut parler quand il dit selon la version latine je t'ay engen∣dré de mon sein.

Or nous ne trouvons rien ni dans la Theologie ni dans l'Ecriture méme qui puisse estre vne raison de ce grand pri∣velege & de ce tître propre & particulier au verbe que la perfection de ressemblance qu'il a avec son Pere & que les autres choses n'ont pas.

Le St. Esprit méme qui procede du Pere, comme l'Evan∣gile nous l'apprend, & qui n'a que la méme nature que Luy, n'en est pas neanmoins appelle le filz; & l'on ne dit pas ni qu'il en soit né, ni qu'il en soit engendre, parce qu'il n'en procede pas formelement (comme le Theologiens nous l'en∣seignent) par voye de ressemblance, puisqu' aumoins à ce qu'ils disent, & fort raisonnablement (ce me semble) le St. Esprit est le terme de l'amour & non pas de la connoissance; fi bien que procedant de la volonté, & non pas de l'en∣tendement de Dieu, il ne peut avoir vne ressemblance formele avec son Principe; la philosophie méme nous en∣seignant que la ressemblance n'est pas vn effet de la volonté mais de l'entendement; parceque c'est le

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propre de la volunté de se porter à son object, au lieu que l'entendement attire le sien, en luy imprimant sa ressam∣blance; d'ou vient qu'Aristote a dit que l'entendement de∣uient toutes choses, non pas en se changeant en Elles, mais en les changeant au contraire en luy. Et c'est encore pour cela que la production ou le terme de la volonté s'appelle vn poids, vn panchant, vne inclination, ce qui ne signifie nullement ressemblance; mais le terme de l'entendement s'appelle verbe, image; representation. C'est pour quoy l'Ecriture ne donne jamais ces noms de ressemblance au St. Esprit, mais au filz seulement, dont le nom dit St. Jean au 19. de ses reuelations est le verbe de Dieu. Or ce mot de Verbe signifie, ou la pensée, ou la parole: & nous sçauons que la pensée est la representation de l'objet à qui l'en pense, & que la pa ole est l'image de la pensée méme. Si bien que dans l'vn & dans l'autre sens le mot de verbe appliqué au filz dans l'Euangile est vn nom de ressem∣blance. Mais St. Paul voulant s'en expliquer encore plus clairement dit aux Corinth. & au Coloss. que c'est l'Image de Dieu, & aux Hebreux, que c'est la splendeur de sa gloire & la figure de sa substance, comme porte la version Latine, ou de sa Personne, selon l'original Grec.

Ainsy par toutes ces raisons & tant d'authoritez c'est pro∣prement la seconde Personne diuine qui est née de Dieu. Mais ce n'st pas neanmoins d'Elle qu'il est parlé dans nôtre Texte, lorsque St. Jean dit que tout ce qui est né de Dieu surmonte le monde par la foy, Car bien qu'en esset Jesus Ch qui est cette Personne adorable ait Vaincu le monde, ainsy qu'il témoigne luy méme par le même Euangeliste, au 16. ch. de son histoire v. 19. & bien que ce soit aussy en quelque maniere par le moyen de la foy qu'il en ait triomphé, ce ne peut estre pour tant de luy que le Texte veuille par∣ler, puis qu'il est aise de comprendre par ce qui precede, & par ce qui suit que c'est de ceux qui ont la foy que ces paro∣les se doiuent entendre, & cela ne peut conuenir à Jesus Ch., le quel bienque l'Autheur & le Consommateur de la

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foy, comme St. Paul l'appelle au 12. de l'Ep. aux Heb. 2. il ne la pas neanmoins formelement, puis qu'il ne pouuoit auoir la foy de ce qu'il auoit la science, l'experience & la vision.

Lorsque St. Jean parle donc icy de ce qui est né de Dieu, il ne parle que de ceux qui ont vne ressemblance imparfaite auec luy, c'est á dire, Vne autre que celle de nature; mais encore ne parle t'il pas de tous, Car

Io Il est clair que par ce qui est né de Dieu, il n'entend point les choses purement materieles, qui ont auec luy cette ressemblance de vestige. Il est vray que Dieu les ayant pro∣duites, & nous representant, comme Elles font toutes, quel∣ques vnes de ses perfections, dieu en peut estre appellé assez justement le Pere; c'est ansy que Job l'appelle dans ce sens le Pere de la pluye, & dit que c'est luy qui a engendré la rosée. Il en pouuoit dire autant, pour le méme sujet, de tou∣tes les autres creatures quoy que depourueües & d'intelli∣gence & de raison, puis qu'outre que Dieu les a faites, Elles ont encore cet auantage de le representer en quelque façon au sentiment méme de St. Paul qui disoit aux Rom. ch. 1. v. 20. que les choses inuisibles de Dieu, à sçavoir tant sa puissance eternelle que sa diuinité se voyent comme à l'oeil par la creation du monde dans les ouurages qu'il y a pro∣duis. Mais la fin de notre Texte montre euidemment qu'il n'y est point pa lé de ses sortes de Creatures, quoy qu'à quelques egars on puisse dire qu'elles sont nées de Dieu.

IIo Ce n'est pas aussy ni des anges ni des hommes en qualite de creatures Intelligentes & Raisonnables: Car bien que les anges soient les Images de Dieu les moins impar∣faites, (ce qui a donné lieu à vn sçauant homme de les ap∣peller des Miroüers e'clattans de la Divinité,) & qu'ainsy par le droit de cette ressemblance, il n'y ait rien dans la na∣ture qui merite auec plus de justice qu'Eux le titre d'enfans de Dieu, & que luy méme les appelle si souuent de ce glo∣rieux nom par la bouche de Job; cependant il est manifeste que ce n'est nullement d'Eux que fait icy mention St. Jean

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quand il parle de Ceux qui sont nez de Dieu, puisqu'il parle de gens qui sont icy dans le monde, & qui ont à combattre avec luy, & qui en triomphent par la foy; ce qui ne peut (comme vous voyez) s'appliquer aux anges. Il ne parle pas méme des hommes, considerez seulemant en qualité de rai∣sonnables; car bienque la raison les ait rendu d'assez belles Coppies & des Images assez illustres de la Divinité pour meriter que St. Paul ait dit si hautement à leur loilange qu'ils sont l'Image & la Gloire de Dieu, & pour meriter méme que le Prophete Malachie appelle Dieu leur Pere, par le droit general de leur creation, ce n'est pas d'Eux toutefois, en qualité au moins de raisonnables seulement qu'il est parlé dans le Texte que nous expliquons où la vi∣ctoire du Monde se gagne par la Foy, & non point par toute la force ni de la raison ni de l'intelligence.

Il faut donc necessairement que ce sost ou des Justes ou des Bienheureux que l'on Veuïlle icy parler; Cen'est pas des Bienheureux, sans doute, car encore qu'ils ayent cette no∣ble ressemblance de gloire avec Dieu qui les transforme presqu'en luy, comme s'en explique St. Jean au 3 de sa pre∣miere Ep. & qu'ils soient appellez dans l'Ecriture, Enfans de Dieu plus proprement que tout le reste des choses creées, comme il paroist au 20 de St. Luc. où Ils sont expressement appellez Enfans de Dieu, parce qu'ils sont Enfans de la re∣surrection, c'est à dire, heretiers, & actuelement possesseurs de la gloire, si est-ce portant que notre Texte ne parle point d'Eux, n'étant plus aux prises avec le monde, & la claire vision de Dieu leur ayant heureusement ôté la foy.

Il reste donc enfin que ce soit des Justes sur la terre qu'il faille que notre Texte s'entende, c'est a dire de ceux que di∣eu a regenerez, & qui ont avec luy vne ressemblance de grace & de sainteté, puisqu'en effet il n'y a rien dans ce Texte qui ne leur puisse & ne leur doive legitimement estre ap∣pliqué, car.

Io Ils sont nez de Dieu, & je le prouve par trois raisons couvainquantes, la premiere est, qu'il est impossible, qu'ils soi∣ent nez d'vn autre, la 2. est qu'il les traitte avec des Soins de Pere, & la 3e. est qu'ils luy ressemblent.

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Qu'ils ne puissent estre nez d'un autre que de Dieu, l'E∣criture & les Peres, mais principalement tout Saint Paul & tout Saint Augustin le preschent, quand ils disent si souvent que la justification est l'Ouvrage de Dieu. En effet, Chré∣tiens, assemblez toutes les forces & des hommes & des Anges, assemblez tous les Prelâs & tous les Rois, assem∣blez tous les Prestres & tous les Papes, ils ne sçauroient ja∣mais faire un juste, avec tout le pouvoir méme de ces clêz que l'on nous vante tant. Je ne dis rien dont tout bon Phi∣losophe & tout bon Theologien ne doive demeurer d'ac∣cord, puisque c'est dans les Ecoles mémes unc Doctrine commune, que la Creation est un Ouvrage si propre à Dieu, qu'il est impossible à toutes les autres Puissances du Ciel & de la Terre de créer seulement un grain de sable, & que ni Homme ni Ange n'en peut méme obtenir de Dieu l'authorité, jugez du plus au moins, Mes Freres, ce que l'on doit pensér de l'Ouvrage de la justification, qui est bien d'une autre force que la Creation de mille Mondes; puisque la Creation n'est qu'un passage du neant de la nature à l'estre de la nature, & la Justification est un passage du neant de la grace à l'estre de la grace; Or il y a bien plus d'éloigne∣ment sans comparaison entre la grace & son neant, qu'entre la nature & le sien, le passage est donc beaucoup plus diffici∣le, & il faut bien plus de force pour l'un que pour l'autre; aussi a t'on vû qui tout l'Univers ne coûta pour le créer qu'une parole à Dieu, mais il a falu tout son Sang pour justifier seulement les hommes, & il le faut encore tout pour en justifier seulement un scul. Je n'en voy point d'autre raison sinon que la grace est d'une dignité plus haute infiniment que la nature, puisqu'elle est une participation de l'Estre de Dieu, comme Saint Pierre nous l'enseigne, au lieu que la nature n'est qu'un effet de sa puissance. D'où il faut ne∣cessairement conclure, que si la Creation ne peut aparte∣nir qu'à Dieu, il est impossible que la Justification apar∣tienne à d'autres, & en effet qui pouroit donner une par∣ticipation

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de la Nature de Dieu, si ce n'est Dieu méme, & qui sçauroit estre capable d'une production infinie, si ce n'est un Agent infiny, & l'on sçait que tout autre que Dieu ne l'est pas. Donc les Justes sont nez de Dieu, puis∣qu'il n'est pas possible qu'ils naissent d'un autre.

La seconde raison qui vous le doit persuader, Mes Fre∣res, est que Dieu en prend des soins de Pere, car où vit∣on jamais un Pere qui prit autant de soin de ses Enfans que Dieu en prend des Justes? il les éleve, il les nourit, il les protege, il les avance. Toute l'Ecriture ne nous parle presque d'autre chose dans les deux Testamens. Vous y lisez à toute houre ses tendresses & ses bontez pour leur education, de sorte que rien ne manque de tout ce qui peut servir à les bien élever, ni instructions, ni promesses, ni menaces, ni recompenses, ni châtimens, & tout cela pour leur bien, puisqu'il ne pretend par des conduites si differentes que les rendre meilleurs. Manque t'il rien, Mes Freres, à leur nouriture spirituêle? il ne se contente pas d'y employer ses graces & ses vertus, mais il veut s'y em∣ployer luy méme en les nourissant de son Esprit, & de tout ce qu'il est, aussi bien que de tout ce qu'il a dans le Myste∣re de nos Sacremens. Vous ne doutez pas de sa protection à leur égard, puisqu'il nous dit dans l'Ecriture, qu'il les conserve comme la prunelle de ses yeux, qu'il les couvre à l'ombre de ses ailes, qu'il les environne d'une muraille de feu, qu'il veille & de jour & de nuît pour les defendre, qu'il les console dans leurs afflictions, qu'il les soûtient dans leurs prosperitez, pour n'estre ni abbatus par les unes, ni enflez par les autres, bref qu'il les assiste dans tous leurs besoins, & qu'il se declare l'Ennemy de tous leurs Enne∣mis. Que ne fait il pas enfin pour leur avancement? il les fait monter (comme parle le Psalmiste) de vertu en ver∣tu, de connoissance en connoissance, de sainteté en sain∣teté, de gloire en gloire. Nous en avons une admirable expression dans une Epître de l'Apôtre Saint Paul, où il

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fait voir que Dieu a commencé dez l'Eternité l'avancement des Justes, & qu'il le pousse de progrés en progrés, jus∣ques aprés la consommation de tous les siecles; il les a prevûs (dit il) & il les a predestinez, mais en suire de leur Predestination il les a appellez, en suite de leur vo∣cation il les a santifiez, aprés leur santification il les a glorifiez.

Chrétiens, en verité n'est-ce pas là des soins de Pere, & du meilleur de tous les Peres? ce qui faisoit sans doute dire à Tertullien qu'il n'y avoit point de Pere ni si bon, ni si Pere que Dieu. C'est donc une demonstration bien evi∣dente que les Justes sont nez de luy, puisque jamais on ne prend tant de soin pour des Etrangers.

Mais le plus fort & le plus sensible argument pour con∣vainere qu'ils sont en effet nez de Dieu, est qu'ils luy res∣semblent. Car c'est un Doctrine de Jesus Christ, au 8. de Saint Jean, & de Saint Jean luy méme au 3. de sa premiere Canonique, & de Saint Paul au 9. de l'Epître aux Ro∣mains, que l'on est Filz de celuy à qui l'on ressemble, & de qui l'on fait les oeuvres; si les oeuvres d'Abraham, on est Enfant d'Abraham; si les oeuvres de Dieu, on est En∣fant de Dieu; si les oeuvres du Diable, on est Enfant du Diable. Voilà donc le grand Caractere de la filiation des Justes, voilà ce qui en établit principalement les droîs, c'est que leur conduite, leur vie, leurs oeuvres, & tout le reste n'est qu'une imitation continuéle de Dieu. Ils ne veulent plus que ce qu'il veut, n'aiment plus que ce qu'il aime, ne haïssent plus que ce qu'il haït, de sorte que tous les veritables Justes peuvent dire comme Saint Paul, que c'est Dieu qui vit en eux, & non pas eux mémes, que leur vie est abymée en luy, & qu'ils n'ont plus d'autre Es∣prit que le sien. C'est jusque là que Saint Paul a poussé la conformité des Justes avec Dieu, lors qu'il a dit dans le 8. chapitte aux Romains, qu'ils êtoient devenus comme un méme Esprit avec luy, ce qui marque evidemment

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une derniere perfection de ressemblance.

Hè bien, Mes Freres, de tant de raisons ne faut-il pas enfin conclure que les Justes sont nez de Dieu, & qu'ils n'en doivent pas seulemenr estre appellez les Enfans, mais qu'ils le sont en effet, comme le dit Saint Jean dans nôtre Epître? Ce n'est encore neanmoins qu'une des condi∣tions, pourquoy le Texte, que nous en avons pris, leur peut estre justement appliqué, il faut voir,

Secondement, Si les autres conditions necessaires s'y trouvent, c'est à dire, s'ils triomphent du monde, & s'ils en triomphent par la Foy, c'est ce que nous verrons dans les deux Parties qui restent encore à ce Discours. Mais avant que de les commencer, un moment je vous prie de reflexion sur la premiere, car,

Ce n'est pas assez de sçavoir qui sont ceux dont Saint Jean dit icy qu'ils sont nez de Dieu; mais il faut prendre garde si nous en sommes du nombre, & il ne suffit pas que l'adoption, ou méme la regeneration nous en assure, mais il faut chercher jusqu'au centre de nos coeurs, & dans les conduites les plus secretes de nôtre vie, si nous portons l'Image de Dieu, & si nous avons avec luy cette ressem∣blance de sainteté & de grace, qui établit proprement les droîs de nôtre filiation: Car quiconque n'est point sem∣blable à son Pere, en est injustement appellé le Filz. Et ce n'est pas sculement les Philosophes qui veulent que cette ressemblance, & ce rapport entre le terme & son princi∣pe soit indispensablement necessaire à l'essence de leur re∣lation; ce n'est pas non plus les Theologiens Modernes qui introduisent cette necessité; mais les plus anciens Pe∣res mémes n'ont-ils pas été de ce sentiment? jugez en par cette belle & sçavante Expression de Saint Gregoire de Nazianze, qui dit, que le Filz est la definition de son Pere; c'est à dire, que le Filz n'est que comme une expli∣cation de ce qu'est son Pere; & qu'ainsi la ressemblance en∣tre le Pere & le Filz n'est pas moins indispensable qu'entre

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la definition d'une chose & la chose méme definie. Ce qu'un autre Gregoire a exprimé plus clairement, lors qu'il appelle un Filz l'Image de son Pere. Mais pourquoy des raisons & des authoritez, pour vous prouver encore la necessité de cette ressemblance, puisque Jesus Christ méme, Saint Jean & Saint Paul nous en ont assuré, quand ils nous ont dit, que l'on est Enfant de celuy seulement dont ons fait les oeuvres?

C'est donc une verité hors de contestation, que nous ne sommes Enfans de Dieu qu'autant que nous luy ressem∣blons par l'imitation de ses vertus, & par cette confor∣mité de nôtre vie & de nôtre innocence à la sienne. Sur ce principe il est aisé de voir si c'est de Dieu que nous som∣mes nez, & il est impossible de s'y tromper avec une regle si assurée. C'est la méme que nous donnoit encore nôtre Apôtre dans le 2. chap. de sa premiere Canonique, si vous sçavez (disoit-il) que Dieu est juste, sçachez que quiconque fait Justice est né de luy; Mais parce que cette regle eût possible été trop vaste; & qu'il seroit à craindre quelque desespoir, s'il faloit pour estre les Enfans de Dieu, estre semblables à luy dans toutes les excellences de sa sain∣teté, & dans ce grand nombre de vertus que comprend sa Justice, le méme Apôtre dans la méme Epître reduit la ne∣cessité de cette ressemblance a la charité pour le Prochain, Bien aimez (dit-il) aimons-nous les uns les autres; car la charité est de Dieu, Et quiconque aime est né de Dieu.

Ah! que l'on trouveroit peu de gens estre nez de luy, quand il ne faudroit méme que cette ressemblance pour en estre né, puisqu'il y a si peu de gens qui aiment leurs Freres! Aimez vous vos Freres, vous qui les dechirez par vos ca∣lomnies? les aimez-vous, vous qui prenez plaisir à leurs disgraces, & qui faites vôtre tourment de leurs prosperi∣tez? sans mentir, pensez-vous les aimer, vous qui cher∣chez tant d'occasions de leur nuire, & qui suyez toutes celles de les servir? Non, non, ne nous flattons point, &

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confessons ingenûment que nous n'aimons point nos Fre∣res, tandis que nous gardons encore des ressentimens contr'eux, des froideurs, des aigreurs, des envies, des soupçons, des mépris, & une infinité d'autres disposi∣tions & d'autres pensées plus criminêles encore.

Ce n'est donc pas de nous que parle Saint Jean dans nô∣tre Texte, puisque n'aimant pas nos Freres, il est impos∣sible que nous soyons nez de luy, la hainc que nous avons pour eux détruisant, comme elle fait, toute la ressem∣blance que nous pourions avoir d ailleurs avec luy; car quelle ressemblance peut on avoir avec un autre, quand on haït ce qu'il aime; puisque l'amour & la haine étant les deux grâns mobiles qui entraînent le reste de nos passions, il y a necessairement une difference totale entre deux vo∣lontez, dont l'une haït ce que l'autre aime?

Voulez-vous donc estre Enfans de Dieu? Saint Jean vous a dit en deux môs ce qu'il faloit necessairement faire pour cela; aimez vous les uns les autres, car quiconque aime est né de Dieu. Quoy refuserez-vous d'achetter un si grand honneur à si peu de fraiz? considerez quelle gloi∣re c'est d'estre les Enfans d'un tel Pere, & voyez combien aisement vous là pouvez meriter, mais afin de vous en donner plus d'envie, je vay vous montrer quelle victoire illustre emportent sur le monde ceux qui sont nez de Dieu. C'est la deuxiéme partie & de mon Texte & de mon Discours.

SECONDE PARTIE.

Entre une infinité de circonstances qui servent à rendre illustre une victoire, la plus considerable sans doute est la force de l'Ennemy vaincu, d'où un grand Historien a pris occasion de dire, qu'un triomphe étoit d'autant plus illu∣stre que l'étoit celuy dont l'on a triomphé, & Saint Am∣broise dans le méme Esprit disoit, qu'il n'y avoit point de

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victoires gloriouses qu'aprés des combás difficiles, & des resistances opiniâtres. C'est pour cela que l'Ecriture méme nous décrit avec tant de soin les puissantes armées des Pha∣raons, des Holofernes, des Sennacherib, & de tous les autres grans Ennemis d'Israël, car il y a sujet d'en admirer davantage la defaite, & d'adorer avec plus de respect la grandeur de Dieu, qui fut la principale cause de ces victoi∣res. Il n'est pas jusqu'au Geant que surmonta David, dont l'Histoire Sacrée ne nous marque exactement tout ce qui le pouvoit rendre terrible, afin que le triomphe de ce genereux Berger paroisse d'autant plus recommandable, qu'il y avoit plus de difficulté à vaincre un si puissant Ennemy.

Je dois suivre l'exemple que l Ecriture me donne, & vous faire voir quelle est la force de ce monde vaincu dans nôtre Texte par les Enfans de Dieu, afin que de là vous jugiez quelle est la gloire de ce triomphe, & qu'ainsi je vous en donne plus d'envie. Mais il faut sçavoir aupar∣avant de quel monde il est icy parlé, car c'est un terme fort equivôque dans l'Ecriture. Toutes les significations dif∣ferentes où elle s'en sert, peuvent generalement se redui∣re à deux principales, puisque jamais elle ne parle du monde que dans un sens ou Physique ou Moral; c'est à dire, que le monde y est toûjours mis dans une significa∣tion ou naturêle ou mystique.

Le Monde naturel s'y prend encore en diverses façons, & sur tout j'en remarque trois, la premiere est fort éten∣duë, la seconde l'est moins, & la troisiéme moins encore. Car premierement, L'Ecriture entend quelquefois par ce Monde tout l'Univers, aussi bien les Cieux que la Terre, & tout ce qu'ils contiennent; Vous en avez des exem∣ples dans tous les endrois, où elle en parle comme de l'ouvrage de la Creation. C'est ainsi qu'au 17. des Actes v. 24. Saint Paul, preschant aux Atheniens, fait conné∣tre evidemment qu'il parle du Monde. Secondement, Il

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ne signifie en divers Textes que la Terre seule, comme dans Saint Mathieu chap. 4. où il est dit, que le Tentateur fit voir à Jesus Christ tous les Royaumes du Monde. Troi∣siémement, Il ne signifie quelquefois dans le Nouveau Testament que les Hommes; c'est ainsi qu'il s'explique en divers endrois de l'Evangile & des Epîtres de Saint Paul, & de Saint Jean, comme lors qu'il est dit dans la 2. aux Cor. chap. 5. v. 19. que Dieu étoit dans Christ se reconci∣liant le Monde; Vous voyez bien que le Monde ne signi∣fie là que les Hommes.

A prendre donc physiquement, (c'est à dire, dans un sens naturel) ce mot de Monde dans l'Ecriture, il veut dire toûjours l'une de ces trois choses, ou l'Univers en∣tier, ou la Terre, ou les Hommes.

Mais à le prendre spirituêlement, (c'est à dire, dans un sens ou Moral, ou Mystique) il signifie quelquefois, selon le style de l'Ecriture, ceux qui cherchent seulement les choses de la Terre, sans se mettre en peine d'acque∣rir celles du Ciel; comme au 16. de Saint Jean v. 20. où Je∣sus Christ dit à ses Apôtres, Vous pleurerez, mais le Monde se rejouïra. Il signifie encore dans cette intelli∣gence spirituêle, toutes les maximes corrompuës que les hommes suivent ordinairement dans leur conduite. C'est dans ce sens que Saint Paul disoit aux Galates chap. 6. que le monde luy étoit crucifié, & qu'il étoit crucifié au mon∣de. Et je ne doute point que ce ne soit dans ce sens qu'il faille entendre le Monde dans nôtre Texte, puisqu'au langage de Saint Jean dans toute cette Epître il ne faut se figurer par le Monde qu'un certain Esprit de volupté, d'in∣terest, & d'ambition qui regne parmy les hommes. Il s'en explique assez au 2. chap. v. 16. quand il dit, que tout ce qui est en ce Monde, n'est rien que convoitise de la chair, convoitise des yeux, & superbe de la vie. Et dans nôtre Texte méme il fait assez comprendre que c'est là sa pensée, lors qu'ayant dit au verset precedent, que les Commande∣mens

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de Dieu ne sont pas difficiles, il en donne cette rai∣son, que ceux qui sont nez de Dieu, surmontent le Mon∣de, c'est à dire, les choses qui rendent les Commande∣mens de Dieu difficiles. Et qui sont ces choses là, Chré∣tiens, si ce n'est les maximes corrompuës que nous avons dites, la volupté, l'interest, & l'ambition?

Voilà donc ce que c'est que le Monde, & jugez de là combien doit estre illustre la victoire de ceux qui en triom∣phent: car quelle gloire de vaincre un Ennemy aussi fort & aussi redoutable que celuy-là? Les Cesars & les Ale∣xanders, qui triompherent autrefois du monde materiel, ne sçeurent vaincre ce Monde mystique, puisqu'étant les Maîtres de l'Univers, (comme le dit Saint Augustin) ils étoient encore Esclaves de leurs passions criminêles, & des maximes corrompuës du peché.

Ces maximes en effet, & ces passions dominantes se sont acquis tant d'authorité, & un Empire si absolu sur les hommes, que c'est comme un torrent qui les empor∣te malgré eux, & qui rend inutiles toutes les resistances qu'ils font, sans le secours victorieux de la grace. Com∣bien de gens, helas! qui sont pleins d'esprit, & dans qui la nature semble avoir mis tous les sentimens de la vertu & de l'honneur, se laissent neanmoins corrompre par quel∣qu'une de ces maximes, & de ces passions funestes.

Il y en a bien peu dont la volupté ne se rende Maîtresse, parce que la premiere maxime du monde est d'aimer, & de chercher son plaisir, aux depens mémes de toutes cho∣ses. Cette passion a de charmes dont les plus grans hom∣mes n'ont sçeu presque jamais se defendre: On l'a trop vû dans la chûte de David & de Salomon, qui s'en laisse∣rent vaincre tous deux, sans que toute la sainteté de l'un, & toute la sagesse de l'autre, les en ait pû sauver. L'Exem∣ple de Saint Augustin, & sa Confession propre, nous té∣moigne bien plus sensiblement encore le pouvoir de cette passion. Il avouë qu'aprés toutes ses belles resolutions

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pour bien vivre, un seul mot, que la volupté luy disoit, le rengageoit plus que jamais dans les premiers desordres de sa vie, en effet, la grace fut deux ans à travailler sans cesse, (& fortement) pour le convertir. Il le dit luy méme que ce n'étoit continuêlement que des combás chez luy, & qu'aprés que la grace avoit quelquefois bien avancé l'oeuvrage de sa conversion, la volupté venoit & renversoit tout, son coeur étoit au milieu de ces deux Combattans; la grace l'attiroit d'un côté, la volupté de l'autre; & lors qu'il étoit prés de se rendre à la grace, la volupté le tirant par la rôbe, luy disoit, quoy Augustin, tu quitteras donc, & cecy & cela? peus-tu te resoudre à m'abandonner? peus-tu te resoudre à te passer de moy, & à ne plus vivre parmy mes delices? il n'en faloit pas davantage pour em∣porter le coeur d'Augustin, tout ce que la grace avoit dit, ne faisoit plus d'impression, & quand elle vouloit luy re∣parler encore de se convertir, il la remettoit à une autre fois, parce que la volupté le tenoit si fort esclave, qu'il ne pouvoit ni ne vouloit sortir de ses fers. Ah que cette pas∣sion est donc puissante! qu'elle donne des assaus violens! qu'elle fait des resistances opiniâtres! puisque la grace mé∣me a tant de peine à la surmonter.

Les Tyrans qui persecuterent l'Eglise, sçavoient bien les forces & le pouvoir de la volupté sur le coeur de l'hom∣me, car aprés avoir essayé de corrompre la fidelité des Martyrs par la violence des supplices, ils les tentoient en∣fin par la douceur des plaisirs, & en effet, il arrivoit sou∣vent que ceux qui avoient genereusement resisté à toute la rage & à toute la cruauté des boureaux, succomboient à la tentation des delices. Helas! qu'il s'en trouvoit peu d'assez genereux pour faire, alors ce que nous ne lisons que d'un seul qui pressé par tout ce que la volupté a de ten∣dre, couppa sa langue avec ses dens, & la cracha au nez de la plus belle Dame de Rome qui le sollicitoit, n'ayant que cela de libre pour se defendre d'elle, lié comme il étoit

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dessus un lît tout semé de roses! Ah! qu'il s'en tro uvo it en core peu qui, bien loin de se laisser vaincre aux douces per∣suasions de la volupté, mouroient de douleur d'estre par∣my les plaisirs, comme l'Histoire nous l'écrit d'un autre!

Et il ne se faut pas étonner, Chrétiens, que cette pas∣sion soit un Ennemy si puissant & si redoutable, flattant, comme elle fait, si agreablement nôtre chair, qui est la chose du monde que nous aimons naturêlement davantage.

L'interest & l'ambition, qui sont les deux autres Enne∣mis que le monde nous donne à combattre, n'ont guere moins de force que la volupté pour corrompre l'innocence de nôtre coeur. En effet, où trouve-t'on des gens au∣jourd'huy qui ne soient Esclaves de l'une ou de l'autre de ces deux grandes puissances?

Dans les siecles mémes, qui ont paru les plus innocens, n'a-t'on pas vû que l'interest faisoit une corruption univer∣sêle dans le Monde? Ne fut-ce pas le crime de Saül & de tout Israël, au 15. chap. du premier Livre de Samuël, où l'interest eut plus de force que le Commandement & les Menaces de Dieu, puisque son peuple victorieux des Ama∣lecites, se laissa vaincre par cette infame passion, reservant malgré sa defense, tout ce qu'il y eut de precieuses dé∣pouïlles dans l'Arméc Ennemie defaite? Ne fut-ce pas l'interest qui corrompit un Apôtre dans la maison méme de Jesus Christ, & qui le porta juspu'au sacrilege de vendre & de trahir son bon Maître? Tous les jours cette Passion n'a-t'elle pas encore le méme pouvoir? n'est-ce pas pour elle que tant de monde trahit à toute heure le Filz de Dieu? presque tous les hommes ne preferent-ils pas leur interest à sa gloire, comme Saint Paul s'en plaignoit déja de son tems? ils cherchent tous (disoit il) leur interest, sans se mettre en peine de celuy de Jesus Christ.

Examinez, Mes Freres, ce qui se fait méme parmy les Chrétiens, & les Chrétiens les plus reformez de l'Egli∣se. Combien faisons-nous voir d'ardeur pour devenir tous

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les jours plus riches, & combien de froideur pour devenir plus sains & plus gens de bien? Allez voir ce qui se passe dans Rome sur le Theatre, & sur le Thrône méme de la sainteté pretenduë, vous connêtres bientôt que la méme passion qui fit vendre autrefois Jesus Christ par Judas, y fait vendre à toute heure le Saint Esprit par les Officiers du Pape, puisqu'ils vendent & les Eveschez, & les Indul∣gences, & la remission des pechez, & l'entrée du Para∣dis, & mil autres graces semblables dont le Saint Esprit doit estre le distributeur, comme il en est le principe. Ce n'est point quelque ressentiment d'un homme changé qui me le fait dire; On a depuis plus de deux ans assez d'experiences, que de tous les convertis je suis peut-estre un des plus moderez; Mais je dis ce qui est à propos de dire, & ce que tout le monde sçait.

Mais quand & la volupté & l'interest n'auroient pas as∣sez de force pour corrompre nôtre innocence, l'ambition toute seule en auroit plus qu'il n'en faut pour cela. Il n'est pas impossible de trouver encore des ames qui ne sont ni voluptueuses, ni interessées, mais je ne sçay oùil s'en peut trouver que l'ambition n'ait point corrompuës. C'est proprement cela que l'on peut & que l'on doit appeller le grand foible de l'homme. Il étoit encore dans l'état de son innocence originêle, & au dessus de tout ce que l'in∣terest & la volupté pouvoient luy donner d'atteintes; ce∣pendant aux premieres attaques de l'ambition il se laisse vaincre sans resistance. Le Diable, qui avoit éprouvé luy méme la force de cette tentation, n'eut garde de jet∣ter d'autre amorce pour seduire des ames aussi belles & aussi innocentes que l'étoient celles d'Adam & de sa Fem∣me. Ce Tentateur étoit trop subtil, pour ne pas connè∣tre que c'étroit l'endroit seul par où il les pouvoit prendre, & assurement s'il y avoit eu qu lque tentation plus forte à leur faire, il n'eût pas manqué de s'en servir dans une oc∣casion pareille, où il yalloit du salut, ou de la perte gene∣rale de tous les hommes.

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On a bien vû encore depuis ce malheureux moment, que rien en effet n'étoit aussi puissant quo l'ambition pour nous faire entreprendre toutes choses contre le respect & l'obcissance quc nous devons à Dieu. Toutes les Hi∣stoires & saintes & profanes en sont pleines d'exemples. Ne fut-ce pas cette passion enragée qui fit revolter Absa∣lon contre son Pere, le meilleur Pere du monde? N'est-ce pas ce qui rendit Athalia, Meurtriere de ses propres Enfans, aprés la mort d'Ochozias son Mary, sans que la tendresse de Mere pût estre capable de luy ôter l'ambi∣tion d'estre souveraine? L'ambition d'une autre Femme ne fut-elle pas aussi cruêle, lors que pour aller prendre possession du Thrône, elle fit passer les chevaux de son carrosse sur le ventre de son Pere qui venoit d'estre massa∣cré? C'en est trop, Mes Freres, pour connêtre le pou∣voir de cette inhumaine passion, puisqu'elle étouffe les plus tendres & les plus fôrs sentimens de la nature méme. Jusque là que Saint Basile a osé l'appeller dans une de ses Lettres, le plus méchant de tous les Diables.

Concluez donc avec moy que le monde (qui selon Saint Jean, & selon nos experiences continuêles, n'est rien autre chose que volupté, interest, & ambition) doit estre sans doute un Ennemy bien puissant & bien invinci∣ble, & que par consequent, si jamais on en remporte la victoire, cette victoire est infiniment glorieuse. Qu'il faut soûtenir de combás avant que de surmonter des Enne∣mis aussi terribles que ceux-là! Et s'il est vray ce que disoit un Philosophe; & Tertull. aprés luy, qu'un homme aux prises avec la méme fortune (comme l'étoit Job dessus son fumier) étoit un spectacle digne des yeux & de l'attention de Dieu, en est-ce un qui le soit moins de voir un homme seul combattre toutes les forces dumonde? de le voir attaqué par tout ce que la volupté a de plus tendre & de plus attirant, sans que la douceur de tous les plaisirs corrompe l'integrite de son coeur, & l'innocence de sa vie?

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Quelle merveille, Chrétiens, de voir un homme soli∣cité par tout ce que l'interest a de tentations plus fortes, par tout l'éclat de l'or & de l'argent, & par tout le plaisir que l'on a d'estre riche, sans que son ame soit abbattuë dans la violence de cet assaut? Quel miracle, quel pro∣dige de voir enfin un homme que l'ambition tente par l'es∣perance de toutes les grandeurs, & qui demeure ferme dans les sentimens de son humilité & de sa modestie, sans se laisser éblouïr par tout le brillant des Thrônes, des Scep∣tres, & des Couronnes, & qui triomphe ainsi du monde avec toute sa gloire? Ah! que les Apôtres & que tous les Justes, qui ont combattu & qui ont triomphé de la sorte, peuvent bien dirc ce qui est écrit dans Saint Paul, qu'ils sont le spectacle de Dieu, des Anges, & des Hommes, spectacle de complaisance à l'égard de Dieu, d'admira∣tion à l'égard des Anges, & d'étonnement à l'égard des Hommes.

O le glorieux triomphe que remportent donc ceux qui sont nez de Dieu, puisqu'ils sont les Vainqueurs d'un mon∣de si difficilc à vaincre! & il ne faut pas douter que ceux qui sont nez de Dieu, n'ayent en effet gagné cette victoi∣re, puisque le monde dont nous parlons, c'est à dire, la volupté, l'interest, & l'ambition, ne peut rien avec tou∣tes ses forces sur des gens qui ont l'honneur de ressembler à Dieu, comme les Enfans ressemblent à leur Pere. Et cette adoption qu'il a fait d'eux, étant une generation spi∣rituêle, il ne faut point douter qu'il ne leur communique son Esprit, puisque c'est selon l'Esprit qu'ils sont ses Enfans, & qu'étant remplis de cet Esprit Divin, il ne leur soit aisé de triompher de tout ce qui est contraire à l'innocence de ses maximes, & à la pureté de ses sentimens.

Voilà ce qui faisoit dire à nôtre Apôtre immediatement avant nôtre Texte, que les Commandemens de Dieu ne sont pas difficiles pour ceux qui sont nez de luy, comme il s'en explique aussi-tôt. Car en verité, quel Commande∣ment

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Dieu fit-il jamais dont l'obeïssance ne soit aisée, à quiconque est devenu Saint en quelque maniere comme luy par cette renaissance mystique, & par cette commu∣nication de son Esprit? Quelle difficulté trouveroit-on à luy obeïr, quand on est Maître & victorieux de tout ce qui empesche qu'on ne luy obeïsse? Nôtre volupté, nôtre in∣terest, nôtre ambition étans comme ils sont les grans ob∣stacles de nôtre fidelité à ses Commandemens, il n'y a point de doute qu'aprés avoir surmonté ces trois puissans Ennemis de la Loy de Dieu, elle n'a plus rien qui ne soit facile; car toute la peine quo l'on trouve ordinairement à faire ce que Dieu veut, c'est que la volupté, l'interest, ou l'ambition nous conscillent, & nous persuadent le con∣traire. Mais quand on a triomphé de ces trois passions (quisont proprement ce que Saint Paul dans la 1. aux Cor. 2.12. appelle l'esprit du monde, & Saint Jean dans nôtre Texte le monde méme) alors quelque chose que Dieu commande, bien loin d'y trouver de la peine, on y sent du plaisir; Et la raison de ce goût & de cette facilité n'est autre que celle que nous disons, comme le témoigne si evidemment nôtre Apôtre, lors qu'aprés avoir dit que les Commandemens de Dieu sont faciles, il en donne incon∣tinent la prouve, car (dit il) tout ce qui est né de Dieu surmonte le mondo, faisant voir par là manifestement qu'il n'y a que le monde (c'est à dire, son Esprit & ses maximes) qui rende nôtre obeïssance malaisée, & que la marque infaillible d'avoir vaincu le monde, est la facilité que l'on trouve à obeïr aux Commandemens de Dieu.

Mais helas! qu'il y a donc bien peu de gens qui ayent vaincu le monde, puisqu'il y en a si peu qui ne trouvent les Commandemens de Dieu difficiles. C'est un joug qui leur parêt insupportable, jusqu'à oser dire méme, qu'ils sont impossibles quelquefois.

Vous n'avez donc pas surmonté le monde, vous qui vous plaignez encore de leur difficulté; qui gemissez soûs

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la pezanteur de ce joug, & qui montrez tant de peine à vous soûmettre aux Ordres & aux Commandemens qu'il vous fait.

Non, non, vous n'avez pas encore triomphé du mon∣de, vous qui estes encore Esclaves de vos plaisirs, de vô∣tre interest, & de vôtre orgueil, puisque c'est en effet cela méme qu'on appelle proprement le monde. Cette illustre victoire n'appartient qu'aux Enfans de Dieu, qu'il a comme transformez en luy par une ressemblance de sain∣teté d'Esprit & de Vie. N'esperez donc point la gloire de ce triomphe, sans estre auparavant entrez dans cette noble alliance avec Dieu: Mais aussi-tost-que vous serez deve∣nus ses Enfans, par un renouvellement de conduite, & par une renaissance de pieté & de grace, soyez assurez de triompher du monde, parce que c'est l'Oracle d'une veri∣té infaillible qui l'a dit, que tout ce qui est né de Dieu, sur∣monte le monde. Et puisque c'est par la Foy qu'on gagne cette victoire, ainsi que le Texte nous le dit, Examinons dans la derniere Partie de ce Discours quelle est cette Foy.

TROISIEME PARTIE.

Il en est à peu prés des combás spirituels comme des au∣tres: Il ne suffit pas dans les combás ordinaires d'estre fort & d'estre vaillant pour vaincre, tout le monde sçait qu'il faut encore avoir des armes & s'en servir. De méme ce n'est pas assez pour vaincre le monde d'estre né de Dieu, il faut prendre des Armes pour s'opposer à la violence de ce redoutable Ennemy, car comme dit Saint Augustin dans les Livres de sa Cité, La victoire de ce monde ne se doit pas attribuer à nos forces, ce n'est point par elles que nous la gagnons. Mais de quelles Armes se faut-il servir? rien sans doute ne peut triompher du monde ni comme cause principale, ni comme instrument de la victoire qui ne soit né de Dieu, puisque Saint Jean n'attribuë cet hon∣neur

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qu'à ce qui en est né. Nos armes doivent donc estrë quelqu'une de ces vertus qu'on appelle Theologales ou Di∣vines, non seulement à cause que Dieu en est le premier objet, mais aussi parce qu'il en est immediatement le princi∣pe, à la difference des autres vertus, que l'on appelle Mo∣rales, quipeuvent naître d'ailleurs.

Ce doit donc estre necessairement ou la Foy, ou l'Es∣perance, ou la Charité qui nous servent d'armes dans ce combat. Mais pourquoy plûtôt la Foy que les deux au∣tres? L'Esperance n'est-elle pas admirablement propre pour ce grand employ, puisque nous promettant les re∣compenses eternêles, il n'y a point de tentations, ni d'ef∣fors qu'elle ne puisse nous faire vaincre? Ou bien au moins pourquoy ne sera-ce pas la Charité qui est la Reine, & la plus noble de toutes les vertus, comme nous en assure l'Apôtre, & dont Saint Augustin a osé dire, qu'elle étoit si parfaite qu'en l'ayant elle seule, on a tout, & qu'en ne l'ayant pas, il est inutile d'avoir tout le reste; ce qu'il avoit appris sans doute de Saint Paul, qui disoit, que le Martyre, ni les choses les plus saintes, ni la Foy elle mé∣me ne sert de rien sans la Charité?

Cependant il en faut croire nôtre Texte, qui dit ouver∣tement, que c'est la Foy par qui l'on triomphe du monde, & Saint Paul en effet dans l'Epitre aux Hebreux s'accorde assez à ce sentiment, lors qu'il dit, que c'est par la Foy que tant de Justes ont fait de si grandes merveilles, & qu'ils ont vaincu les Royaumes, (quels Royaumes, si ce n'est du monde, de la chair, & du Diable?) & qu'ils ont conquis celuy de l'eternité. N'est-ce pas de la Foy dont Nôtre Seigneur luy méme a dit, que rien ne luy étoit im∣possible, & qu'il n'en faloit qu'un peu pour faire des pro∣diges, jusqu'à transporter méme des montagnes.

Mais comme il se trouve bien des Chrétiens qui ont la Foy, & qui cependant sont plûtost les Esclaves du mon∣de que les Maîtres & les Triomphateurs, quelle sorte

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de Foy est donc celle qui doit servir d'instrument à une victoire si glorieuse.

Il semble que nôtre Apôtre dés le verset, qui suit nôtre Texte, ait voulu nous épargner la peine de cette recher∣che, qui est-ce (dit-il) qui surmonte le monde, si ce n'est celuy qui croit que Jesus est le Filz de Dieu? Nean∣moins comme il se trouve unc infinité de gens qui croyent cela, & qui ne laissent pas d'estre plûtost vaincus par le monde, que de le vaincre eux mémes, nous sommes en∣core aussi embarassez que nous étions, & nous avons be∣soin de recourir à la Theologie & à d'autres Textes de l'Ecriture, pour avoir l'éclaircissement d'une aussi grande & aussi importante difficulté que l'est celle-cy.

La Theologie distingue deux sortes de Foy, une morte, & une vivante.

La Foy morte, qu'elle appelle autrement ou imparfaite ou informe, n'est rien que la conviction simple que nous avons d'une verité sur des témoignages divins, sans que pour cela nôtre volonté devienne meilleure par cette con∣viction de nôtre entendement.

Il y en a qui appellent encore cette Foy ou speculative ou historique, parce qu'elle nous fait croire sculement le fait des choses, sans nous porter à d'autres actes dignes de cette creance.

C'etoit de cette Foy que parloit Saint Jacques au 2. chap. de sa Canonique v. 14. lors qu'il disoit, à quoy servira que quelqu'un ait la Foy, & qu'il n'ait pas les oeuvres? La Foy le poura-t'elle sauver? C'est aussi dans ce sens que Saint Paul en parloit dans sa premiere aux Cor. 13.2. Si j'ay assez de Foy (disoit-il) pour transporter des Mon∣tagnes, & que je n'aye pas la Charité, je ne suis rien.

Il y en a qui appellent encore cette Foy la Foy des De∣mons, parce qu'un Apôtre parlant autrefois à quel∣qu'homme qui avoit la Foy sans les oeuvres, Tu crois (di∣soit-il) qu'il y aun Dieu, & tu fais bien de le croire, mais

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les Demons le croient aussi, & c'est la cause de leurs trem∣blemens. Les Demons pour cela n'en sont pas moins Demons, ni moins Méchans.

Cette Foy sterile ne sert de rien, si ce n'est à nous ren∣dre plus coûpables, puisqu'ayant cru ce qu'il faloit croire, nous n'avons point d'excuse de n'avoir pas vêcu comme il faloit vivre. Ce n'est donc pas cette sorte de Foy que nôtre Texte louë si hautement, jusqu'à dire, qu'elle est la victoire qui surmonte le monde. Il faut que ce soit une Foy genereuse & guerriere, & non pas une Foy poltron∣ne, làche, & abbattuë comme l'est celle cy, qui n'a le courage ni de rien entreprendre, ni de rien soûtenir.

L'Ecriture & la Theologie nous parlent d'une autre sor∣te de Foy, entierement opposée. On l'appelle une Foy vivante, parfaite, ou formée, laquelle, outre que d'a∣bord elle convainc l'entendement par l'authorité des veri∣tez revelées, persuade encore la volonté de les approuver par des sentimens conformes à de si saintes connoissances. Elle est, comme Jesus Christ disoit qu'étoit Saint Jean Ba∣ptiste, un flambeau luisant & ardent; luisant, parce qu'el∣le porte les lumieres & les connoissances dans l'esprit; ar∣dent, parce qu'elle porte le feu & la pieté dans le coeur.

C'étoit d'elle que le Prophete Habacuc disoit, que le Juste vivroit dans sa Foy, c'est à dire, à cause de sa Foy, comme l'explique S. Paul aux Romains chap. 1. v. 17. Et le méme Apôtre en parle encore aux Chapitres suivans, & par∣ticulierement au 3. v. 28. où il dit, que c'est la pensée de tous les Chrétiens que l'homme est justifié par la Foy sans les oeu∣vres de la Loy de Moïse▪ Il en dit autant presqu'en mémes pa∣roles au commencement du 5. Chapitre qui suit, & en divers endroîs de la méme Epitre, & dans toutes les autres. Saint Pierre n'en disoit pas moins, lors que, preschant au 9 des Actes, il assuroit les Gentils que Dieu avoit purifie leurs coeurs par la Foy; & dans sa premiere Canonique chap. 1. v. 5. Vous estes conservez (disoit-il) par le moyen de la

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Foy, pour heriter le salut, qui est la recompense de la Foy, comme il le dit incontinent en fuite v. 9. Et c'est as∣surement celle que l'Apôtre Saint Jude dans son Ep. Catho∣lique v. 20. appelle tres sainte; non seulement parce qu'el∣le met la sainteté formêle ans l'ame, mais parce qu'en effet (comme l'expliquent les Theologiens) elle accom∣plit tous les devoirs de la sainteté par une obeïssance entie∣re aux dispositions & aux Commandemens de Dieu. Ce qui donne quelquefois occasion de l'appeller une Foy obeïssante; & c'est de celle-la sans doute que parle nôtre Texte, quand il dit, que la victoire qui surmonte le mon∣de c'est la Foy.

Ce n'étoit donc pas assez, Chrétiens, de vous mon∣trer que tout ce qui est né de Dieu triomphe du monde, & que c'est par la Foy qu'il en triomphe: Il faloit necessaire∣ment vous dire encore par quelle sorte de Foy: Car nous ne manquons pas d'Ennemis qui nous accusent de donner à la Foy toute seule, sans l'accompagnement des autres vertus, cette puissance victorieuse. Et il se trouve en ef∣fet parmy nous des ames assez libertines, ou assez mal in∣struites pour se persuader qu'il ne faut que croire pour triompher de tout, & pour estre sauvé; & assurement on les verroit mieux vivre, si elles avoient une autre pensée; car il est impossible de mener une vie si mauvaise, quand on croit veritablement qu'il en faut mener une meilleure pour estre sauvé.

Que nos Ennemis & que nos Libertins ou nos Ignorans apprement donc aujourd'huy ce que nous pensons, & ce qu'il faut effectivement penser de la Foy qui justifie, ou comme parle nôtre Texte qui triomphe du monde.

Le veritable sentiment de toutes les Eglises bien Refor∣mées est que cette Foy n'est pas qu'une Creance nuë & ste∣rile, qui reconnoît & qui confesse seulement la verité de nos mysteres, sans se mettre en peine des prattiques de la pieté que ces mysteres demandent: Mais elles nous en∣seignent

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toutes, que cette Foy est accompagnée de tout ce que l'Evangile nous ordonne de sainteté. Si bien que la Foy selon nôtre Doctrine est incapable de nous justifier, & de vaincre le monde, si la charité n'est avec elle; & c'est en vain que je croy en Jesus Christ, si je ne l'aime, & si je ne fais ce que son Evangile m'ordonne de faire.

Ainsi quand nous disons avec l'Ecriture que la Foy justi∣fie, qu'elle purge les coeurs, qu'elle triomphe du monde, nous ne parlons que d'une Foy amoureuse, patiente, hum∣ble, & sainte de toutes les manieres. C'est de la sorte qu'en parlent tous les Peres, & Saint Jean méme dans nôtre Texte, comme il est aisé de le voir par les versets quile precedent & qui le suivent: Car bien qu'il dise ab∣solument que ceux qui croyent que Jesus est le Fils de Dieu, surmontent le monde, il parle auparavant & aprés de la Charité, & de l'observation des Commandemens de Dieu, comme de choses inseparablement attachées à cette Foy victorieuse.

Voila donc, Chrétiens, quelle est la Foy qui triomphe du monde dans les Justes. C'est ce bouclier impenetra∣ble dont parle Saint Paul, qui repousse tous les coûs des Ennemis qui nous tentent. Un homme armé de cette Foy peut dire avec cot Apôtre que, quelque tentation dont il ait à soûtenir les assaùs, rien ne le separera de l'a∣mour de Jesus Christ, rien ne le debauchera de son devoir, rien ne le rendra l'Esclave du peché. Que le monde vien∣ne avec toutes ses forces, avec toutes les douceurs de la volupté, avec toutes les corruptions de l'interest, avec toutes les pompes de l'ambition, il ne fera que des entre∣prises vaines, & des effors inutiles sur un homme armé d'une Foy & si guerriere & si genereuse. En effet, qui luy peut dire la volupté qui le puisse corrompre? Si elle pro∣met à son corps tout ce qu'elle a & de tendre & de doux, le Juste que fait-il dans ce rude assaut, où il a tous les plai∣sirs à combattre? il oppose sa Foy; Je crois un Dieu (dit-il)

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qui n'a voulu vivre que dans la penitence, lors qu'il a vou∣lu vivre parmy nous, toûjours severe à sa chair, toûjours mortifié dans ses sens, jamais dans les plaisirs, & presque toûjours dans les douleurs, qui ne trouva dans les amer∣tumes de sa mort que du Fiel & du vinaigre pour les adou∣cir. Quoy! je crois cela, & je m'abandonneray cepen∣dant à de voluptez criminêles? Je n'en feray rien. L'in∣terest ne trouve pas moins de fermeté & de resistance; il solicite ce fidele par toutes les persuasions que l'or & l'ar∣gent sont capable de faire dans le monde. Pressé par cet assaut que fait-il? il prend son bouclier ordinaire, il op∣pose sa Foy! Ah! (dit-il) je croi qu'un Dieu s'est fait pauvre pour me faire riche, qu'il n'a rien voulu posseder sur la terre; qu'à sa naissance il n'avoit que de la paille; que durant sa vie il n'avoit pas où reposer sa tête; qu à sa mort il étoit tout nud, & moy pour m'enrichir je feray cet∣te injustice, je consentiray a ce larçin, je me laisseray corrompre par mon interest? je n'en feray rien. L'am∣bition n'aura pas plus d'avantage sur luy quelque violent assaut qu'elle luy donne. Il me semble que je la voy avec son faste & sa pompe venir tenter le coeur de ce Juste, en le flattant de cet éclat & de ces grandeurs, qui ont accoû∣tumé d'en éblouïr tant d'autres. Que sera-t'il dans cette attaque? ce qu'il a fait dans les premiers, il court à ses armes, il court à sa Foy, il l'oppose à cet Ennemy qui le presse: Quoy (dit il) le Dieu que je crois s'est ancanty jusqu'à se faire homme, s'est humilié jusqu'aux derniers abbaissemens, jusqu'à la mort méme, la plus honteuse & la plus infame! Cependant je voudray m'élever aux dé∣pens de sa gloire, je voudray m'aggrandir par des moyens injustes, je voudray pousser ma fortune aussi loin que me l'inspire la vanité? je n'en feray rien, & il ne sera jamais dit que ma vic aura dementy ma Foy. Je croy qu il y a des recompenses eternéles pour couronner ma sidelité, si je ne succombe point à toutes ces tentations que le monde

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me fait; je croy qu'il y a des châtimens eternels pour puni ma lâcheté si j'y succombe; he quoy! aurois-je assez per∣du le sens & l'esprit pour me resoudre à le faire? Non, ou il faut attendre que je ne croye plus tout cela.

C'est ainsi, Mes Freres, que parle la Foy, c'est ainsi qu'elle combat, c'est ainsi qu'elle triomphe quand elle est veritable, quand elle est animée comme elle doit l'estre de l'Esprit de toutes vertus, & l'on connoît par les effets que l'on a cette Foy. On ne l'a pas, Chrétiens, quand on se rend encore si aisement aux premieres solicitations de la volupté, de l'interest, de l'ambition. Ah! comment vòtre Foy, seroit elle victorieuse du monde tandis que vous estes encore les Esclaves des passions, qui sont le monde méme, & tandis que vous gardez les loix & les maximes du monde plus religieusement que celles de Dieu? La Foy victorieuse du monde confesse Jesus Christ par tout, l'aime par tout, le sert & le suit par tout: En verité, en verité, Chrétiens, la vôtre le fait-elle? O que pour peu de retour que châcun fasse sur soy méme, il trou∣vera aisement qu'il n'a point cette Foy, puisque tout est plein chez nous de revoltes, d'ingratitudes, & d'inside∣litez à l'égard de Jesus Christ, que nous crucisions tous les jours, & que nous diffamons, (comme nous le reproche Saint Paul au 6. de l'Ep. aux Heb.) Est ce donc croire en Jesus Christ d'une Foy victorieuse que de croire en luy pour le crucifier, & pour le diffamer par les desordres honteux de nòtre vic? Prenez, prenez, Mes Freres, des conduites plus dignes & de luy & de vous; Vivez confor∣mement à la creance de son Evangile; faites regner son amour & ses volontez sur vòtre coeur aussi bien que ses ve∣ritez dans vôtre esprit; ayez des oeuvres ensin, & une vie pareille à la sainteté de vòtre Foy, & vous aurez alors une Foy victorieuse, & vous seréz du nombre des Justes, dont Saint Jean nous a dit dans tout nôtre Texte, Qu'ils sont nez de Dieu; qu'ils triomphent du monde, & qu'ils en

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triomphent par la Foy. Dieu veuille vous en faire la grace dans cette vie, pour vous couronner de gloire dans l'autre.

Et à ce Grand Dieu, immortel, invisible, adorable, Pere, Filz, & Saint Esprit, qui nous en donne les espe∣rances glorieuses, honneur, benediction, gloire, & magnificence eternêlement; Ainsi soit-il.
FIN.

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