Ortho-epia Gallica Eliots fruits for the French: enterlaced vvith a double nevv inuention, vvhich teacheth to speake truely, speedily and volubly the French-tongue. Pend for the practise, pleasure, and profit of all English gentlemen, who will endeuour by their owne paine, studie, and dilligence, to attaine the naturall accent, the true pronounciation, the swift and glib grace of this noble, famous, and courtly language.
Eliot, John.
Page  66

LE SECOND METHODE DE la vraye & naïfue prononciation Françoise s'ensuit, deduit en vingt chapitres par les plus difficiles lettres & voyelles Françoises, qui sont mises à la marge auec leur valeur Angloise vis à vis les deuis fami∣liers des mestiers fort delecta∣bles à lyre. Le Libraire. Cha. 1.

*ACheptez quelque liure nouueau, mons. voylà les dernieres nouuelles de France.

Quelz liures acheptez vous?

Tenez, regardez si vous sçauriez fournir ce bulletin.

Le Papillon de Belleau: la mousche de Lucian: Ouide de la puce & le noyer, Ronsard en louange de la fourmi, son liure de la Grenouille & Freslon. Phauorin des Febvres quartes.

Combien tous ces gros volumes ensemble?

Ne vous faut il pas auoir des autres liures monsieur?

Monstrez moy la Description des Indes Occidentalles, en Espagnol. Que ie voye la premiere & seconde sepmaine du Bartas en François. Les Oeuures de Pe∣trarque, & les Iournées du Iean Boccace en Italien: les Commentaires du Iulles Cesar en Latin: l'Histoire d'Heliodore en grec: le nouueau Testament en la Sy∣riacque: l'Alchoran des Turcs en l'Arabesque, & le Thalmud des Iuifs en Hebrieu.

Les voulez vous de l'impression de Lyon ou de Paris?

Imprimez à Basle ou à Venise, si voulez. Iem'en vay voir par la cemitiere si ie les peux trouuer.

Il faut que ie les aye necessairement pour mon retour à Page  68 l'Vniuersité.*

Homme de bien quel liure demandez vous?

Il me faut achepter vn certain liure, mais il ne m' en souuient pas du nom.

Est-ce en vers ou en prose? Non non, c'est vne histoire. N'auez vous pas quelque ioly. petit liure pour lyre au coing de la cheminée?

Voylà les sept sages de Grece: & voylà les sept sages maistres de Romme: & voyci les sept Sages de Gotham qui noyerent l'anguille en la mer.

C'est cestuy là mesme que ie cerche.

Il est mignonnement relie en veau, mons.

C'est bien dit frere Tibaut.

Combien, combien, & qu'ayons qu'vn mot.

Ie n'ayme pomt de barguigner: prenez le pour vn sol.

Ma foy ie vous en donneray trois beaux deniers.

Vne maille dauantage, c'est à vous.

Pas vn liard, prenez l'argent si voulez.

Bien bien venez-ça, reuenez vne autre fois: puisque c'est à vous, vous ne l'aurez pas asteure, vous di-ie:

Vous vous mocquez de moy donc: adieu.

Le Marchant du drap de Soye. Chap. 2.

QVe demandez vous monsieur, i'ay icy bon velours broché de Gennes, Satins de Lucques & de Cypres, du Camelot sans ondes, du drap d'or, drap d'argent, du damas para las damas, taffetas d'Espaigne, Fustaynes de Milan, Ostades de Norwich.

Ie voudrois veoir vn bon velours noir.

Voylà vne piece de fort bonne estoffe.

Est-ce de trois poils ou de deux? N'est il pas gommé?

Non ie vous en asseure sur ma foy.

De quel prix est il? de vingt & trois solz la verge.

I'en ay bien que ie vous vendray à dix huict, mais il n'est pas fi bon que cestuy-ci.

Monstrez moy vne piece de satin tanné.

Page  70*Voyla vn satin plein de soye. Que vous en semble?

N'est il pas bon & de belle couleur?

La couleur est fraische & belle: toutesfois i'en ay veu du meilleur satin.

Ie le croy à grand'peine.

Monstrez moy quelque autre couleur plus vifue.

Ie vous en monstreray de toutes couleurs, de toutes sortes & à tous prix que voudriez.

Que demandez vous madamoyselle? Que cerchez vous seigneur, mons. homme de bien? Venez-ça.

Escoutez mon amy, ie vous voudrois dire vn mot à l'aureille: me voulez vous fier le satin d'vn pourpoint, & du velours pour me faire vn haut de chausses?

Que dites vous? parlez plus haut. Ie ne vous entends pas asteure. Me voulez vous faire credit & fier?

Fi-fi, le fier engendre fiebure.

Est donc l'amitie si froide entre nous deux?

L'amour fait beaucoup: & l'argent fait tout.

Adieu, donc, ie me recommende.

L'Orfebvre. Chap. 3.

DE quoy auez vous enuîe belle fille?

Monstrez moy vne saliere dorée: vn goblet ciselé, vne couppe bien garníe.

Voyla de belle argenteríe: de tres-riches vasselles, tres-fines, bien bruníes & tres-belles.

Mamîe vous venderay-ie vne belle bague, vn anneau auec vn diamant enchassé?

Est-il massif?

Il pese vn escu & demy en or.

Combien beau sire?

A peu des parolles huict escus.

Ie m'en garderay tres-bien.

Dites monsieur, combien payeray-ie pour ce pendent d'aureille?

Ce pendent, mamie, il est de pierrerie en vigne bien Page  72 vnie,* à vn mot deux escus.

Vous le surfaictes de beaucoup.

Qu'en offrez vous donc?

Ce que ie vous ay dit.

Nous sommes bien long du marché.

Vne seule Arondelle ne fait pas le printemps: ny le marché vn seul marchant.

I'aymeroye mieux vn pendent noir de Calamite à la mode de France.

Monstrez moy vn quarquant.

Mons. Ie suis Orfebvre, ie ne vends pas des ioyaux.

Pardonnez moy, s'il vous plaist, I'eusse pense que fussiez vn distillateur des meulines.

Ie demande la boutique d'vn Lapidaire.

Allez à l'enseigne de corne du veneur.

Dieu vous gard monsieur de la corne.

Bien venuë madamoiselle de la cornette.

N'auez vous pas quelque belle Topase mise en or?

Non, mais i'ay vne fort belle Turquoise.

Est elle Orientalle?

Ie l'ay recouvré n'agueres au plus outre le pais des Iapanois en l'Asie septentrionalle?

Où, en China?

Ouï, non gueres loing de là en Quinsay ville Imperialle entre les Chinois.

Est il possible? Que ie voye ceste pierre de touche.

Voyla vne belle Esmeraude.

Ce Diamant où a il esté taillé?

Il a les pointes bien exquises & a esté taillé en Caire ou en Canaríe, à Venise ou en Alexandríe.

Combien vendez vous ce collier là?

Pour trois cens escus.

Combien des chainons contient il?

Quelque cinq cens cinquante.

Ne veistes vous iamais de ces petits anneaux à Londres qu'on vend à Venise, dedans le chaton desquels est soubs vn fin Chrystal enchassé vn petit Scorpion de fer mouuant sa queuë fort dextrement?

Page  74*I'ay esté en Italie & en ay veu plusieurs de mesme façon.

Me ferez vous vn de semblable?

Oui: pour dix escus.

Ne faillez donc pas pour demain, quand ie repasseray par icy. à dieu.

Le Peintre. Chap. 5.

DIeu te gard Peintre.

Bien venuz mes gentilz com∣pagnons.

Quelle pourtraicture est cela que tu peignez la? Du sage Aesope.

O quelles leures, & narines de singe il a.

Il est oreillé comme vn Asne.

Que dites-vous de ceste figure?

Ie dy que si c'est Venus, elle n'a pas le visage bien peint. C'est vn Harlequin Italien.

Il est, croyez moy, tresbien contrefaict pour vn sot.

Il n'est pas trop bien pourtrait pour vn sage.

Qu'y a il a dire?

Il est bossu & tortu, & a le nez aqui∣lin.

Page  76 *Les Perses adoroyent ceux qui avoyent le nez aquilin, à cause de Cyrus, lequel ilz disent auoir eu le sien de forme d'un chausse-pied.

Il a les mains fort crochuës & gluëuses.

Il n'est pas toutes-fois larron.

Que sçait-il faire?

Il sçait taire & tenir son secret.

Il est donc plus sage que plusieurs sots.

De quoy a cest homasse la face si rouge & enflambée?

Honte le saisit auec horreur des meschancetez, abomi∣nations & vilainies commises par le monde, ou plu∣stost de veoir les aueugles iuger de couleurs.

Partez vous d'icy, car vous n'achepterez rien, ie voy bien. Allons, allons: vertu Dieu! quels merchants?

Mais nous en voulons achepter, moyennant que tu nous laisses faire le prix à nostre fantasie.

Voy là vn beau marché. Il y a long temps que ie suis embrouïllé de vous.

Ostez vous d'icy, ie vous en prie.

Nous ne faisons point de mal.

Quelle image est cela?

C'est l'image de la vierge MARIE.

Abbaissez moy ce Tableau.

Est-ce pas nostre Seigneur IESV CHRIST?

Qui est icy pourtrait & tiré si vifuement?

C'est Tyberius Caesar Romain de tres-haute memoi.

L'Image est d'vne extremement belle taille.

Lon trouue par escrit Tyberius Caesar auoir eu les noeuds des doigts si fermes que d'vn doigt il perçoit tout outre vne pomme fraische.

Aussi feray-ie bien moy.

Voire d'vne pomme pourríe donc.

Il a la palme de sa main bien large.

As-tu apprins la chiromancie?

Ie l'ay bien ouy nommer. Pourquoy donc?

Tu nous eusses deuiné icy quelque chose Page  78 par les lignes de ses mains.*

Ie suis fort ignorant de tel abus.

Voyez vous ceste Mappe-Monde? Ie la voy bien.

Qu'est-ce, vne mer? Ie n'y voy qu'vn peu d'eaue, qui n'est plus grande que la Thamise.

Ie m'ebaïs que le Roy de France ne fait pas faire vn beau pont pour passer d'vn pais à l'autre.

La mer entre la France & l'Angleterre n'est elle plus large que cela? Ma-foy ie tyreray vne flesche donc aysement du Chasteau de Doure iusques aux arenes blanches de Calais.

Regardez icy la grand mer Oceane.

Est-ce la mer Oceane, Cela? Est celle-cy la terre?

On dit que le Sieur François Draec, le Seigneur Candich, & Magellanes ont esté quasi trois ans à enuironner & circuir la Terre & la Mer, Par may foy, pour gaigner vne bonne pinte du vin claret, en moins d'vne iournée, en vn bel apresdisné, ie les circuiray bien à beau pied sans cheual, asne, mule, nauire, basteau ou fuste.

Tes febures quartaines, tu n'en feras rien.

Regarde icy Couillon! Voy l'Asie. Icy sont Tygris & Euphrates. Voyci Quinzay ville tant renommée entre les Asiatiques: & a douze mille ponts de pierre soubs lesquels les nauires passent à pleines voiles sans abbaisser toutes-fois leurs maz.

Voy l'Afrique! Icy est la montagne de la Lune: vois-tu les palus du Nil? Voycy la mer rouge. Regarde le grand Caire! Deçà est Europe. Ce couppet icy tout blanc sont les mōs Hiperborées. Icy sont les Alpes par où lon va descendre en Italie: Là sont les Appen∣nins: & voicy les Pyrenées par où vous pouuez aller tout fin droit en Espagne.

Voy icy où est la ville de Londres. Voy le clochier S. Pol, Vous ne faites que saller & souiller ma mar∣chandise, & n'achepterez rien, e voy bien.

Page  80*Monstrez moy quelque ioly petit Tableau pour pendre en mon Cabinet.

En voyla vn qui est bien gentil, painct & transsumpt de l'ouurage iadis fait à l'aiguillon par Philomela exposante & representante à sa soeur Progné, comment son beau frere Tereus l'auoit depucellée, & sa langue couppée, à fin que tel crime ne decelast.

C'est vne paincture galante & mirifique.

Elle ne me plaist pas, monstrez moy vne autre.

Voyci au vif painctes les Idées de Platon.

Voyci les Atomes de Epicurus.

Voyla Eccho representée selon son naturel.

Contemplez là la vie & gestes d'Achilles en soixante & dix huict pieces de tapisseries à hautes lisses, longues de quatre larges de trois toises, toute de soye phrygienne, requamée d'or & argent.

Où est le commencement?

La tapisseríe commence aux nopces de Pelëus & Thetis, continuant la natiuité d'Achilles, sa ieunesse descrite par Stace Papinie, ses gestes & faits d'armes celebrez par Homere: sa mort & exeques descrits par Ouide & Quinte Calabrois: finissant en l'apparition de son ombre & sacrifice de Polixene descrit par Euripides.

Combien, combien, ie vous en príe.

Dix mille escus.

C'est trop cher pour moy cela.

Qu'est cecy?

C'est le pourtraict d'vn varlet qui cerche maistre.

Il a le visage painct au vif.

Il est portraict certes en toutes qualitez requises, gestes, maintien, moins, alleures, phisionomíe & affections.

Combien vous donneray-ie pour ce Tableau.

Quatre escus.

Tenez, vous n'aurez plus ne moins: ie vous payeray en monnoye de cinge, ou en beaux escus au Palais,

Page  82*Ostez vous d'icy, marchez vous dis-ie, descendez, vous vous mocquez de moy, ie voy bien.

N'auez vous pas assez iasé & caqueté encore?

Ostez vous d'icy, vous dy-ie.

Adieu, adieu, Peintre adieu.

L'Armurier. Chap. 6.

OV recouvriray-ie vne espée à deux mains?

Que voulez vous tuer quaremeaux?

Ie ne tue personne, sinon que ie me veux mettre sur mes gardes.

Comment, auez vous quelques ennemis secrets?

Ie ne peux marcher entre onze & douze heures de nuict, sans que monsieur le Conestable de nostre garde m'enuoye en vn message à la Contre en la Poullailleríe.

Quoy faire? achepter des poules?

Ma foy pour paier ma rençon.

Ie donne au diable, si ie r'encontre: ie le feray homme de bien.

Monstrez moy vn glaiue tranchant, si vous voulez.

Voyla vne vieille lame, que maints corps a separé de l'ame.

Ce glaiue est certes trop dangereux pour vn homme tout choleré comme moy: car il est trop affilé, empoysonné & tres-aigu.

Il n'a pas bonne garde.

La guaine ne vaut rien.

Combien le voudrez vous vendre?

Pour quatre beaux-escuz.

Vous le surfaictes d beaucoup.

Si vn larron l'auoit desrobbé, si vaut il d'avantage.

Ie voy bien vous ne le voulez pas vendre.

I'ay merois plustost le vendre que donner.

Ie vous en croy bien.

Ie vous asseure quec'est vne lame de Vienne en Daul∣phiné. Monstrez voir, ie gage que c'est vne focile Page  84 de Ferrare,* vn estoc de Tolede, ou vn braguemard d'Escosle ou de Bilbao.

Tu as bien deuiné, va.

Combien ce cimittre Turquesque?

Cinquante escuz.

Asteure sçay-ie bien le prix, vous en demandez cinquante escus, ie vous en donneray cinq.

Bien, c'est à vous donc.

On n'a pas si tost parlé qu'il n'est pris.

Mon amy on prend les hommes à la parolle, & les oiseaux à la pipée.

Pourquoy auez vous achepté ce trenchant?

Pour espouuenter mes ennemis & defendre me amys.

Lon ne doibt mettre le glaiue en la main d'vn enfant, d'vn fol, d'vn yuvrongne, d'vn brigand, ou d'vn villain.

L'Apothicaire. Chap. 7.

A Pothicaire auez vous composé mon breuuage?

Qui vous a ordonné ce Recipe?

C'est monsieur le Docteur.

Quel Docteur?

Voulez vous sauoir? Ne cognoissez vous pas la main?

Non certes.

Albertus Magnus en est l'autheur, ie l'ay transcript de ses oeuures des secrets des damoiselles.

Croyez vous ce grand bourdeur?

Est il si grand menteur?

Il dit qu'il y a vertu és pierres, és herbes, & és parolles.

pour faire les hommes s'enamourer des dames, & les dames des hommes. Non▪ non, c'est vne autre chose que ie veux faire.

Ie veux coniurer vn esprit & veux aller inuisible.

Que ie voye vostre receipte. Liezla.

Prens la langue d'vne grenouille, & du sang d'vn chauuescuris.

Et comment les en faut il vser? Page  86 broyez les en vn mortier ensemble.*

Fait il restraindre ou laischer?

Oy, oy & tresbien chier.

Prenez donc vne Phiole & bouchez la bien.

Qu'est-cela dans cette boite là.

C'est de poyure ou gingembre.

Qu'auez vous dedans ce gran sac?

Ce sont cloux de girofles, noix de muscades, saffron, canelle & amandes.

Quelles fines drogues sont dedans ces boites-là peintes des figurez d'Harpies, liebvres, cheuaux, & cerfs volants? Il y a dedans baume, ambre-gris, amomom, musc, ziuette, pierreríes, & autres drogues precieuses.

N'auez vous pas quelque preseruatif contre le mal? vous m'entendez bien quel.

Appliquez vn emplastre.

Il ne faut point d'autre triacle pour cela.

Ie ne m'oseroye purger, car le temps n'est pas propre.

Auez vous le ventre dur?

Ie suis tousiours quasi constipé du ventre, apportez moy vn clystere demain au matin.

Ie vous entends bien asteure, laissez moy faire.

Adieu iusques à demain-matin.

L'Escuier. Chap. 8.

VOyez vous ce gentil escuier-là? c'est vn voltigeur de Ferrare.

Il est gentilhomme Italien & chevauche mieulx vne garce qu'vn guildin.

Il est monté pourtant sur vn beau roussin, sur vn genet, sus vn cheual bardé.

Que vous en semble de son cheual, n'est ce pas vn gentil coursier?

Ie vous dis mons. que c'est vn cheual Hongre ou Turc.

Saufla vostre c'est vn grand cheual du païs de Frise ou de Dennemarc.

Ie gageray que c'est vn coursier de Naples Page  86 de Mantouë ou de Ferrare.*

Pour vne quarte du vin c'est vn cheual moresque, ou vn genet de Espagne.

Il va merueilleusement bien le trot: agard, agard, il reprend ses ambles. Il est terriblement courageux & haultain.

Il est fort eune Ce n'est encore qu'vn polin. Il est gras & bien pensé. Il est couuert d'vn beau caparasson.

Cela n'aide rien à la bonté du cheual.

Il a des grands & beaux yeulx, & se iouë sans cesse à son mords bauant & escumant.

Il monstre que le mords n'est pas son maistre.

Eh! que son train est doux. Il est bien àdroit à la main. Le voyez vous marcher tantost de trauers, tantost à gauche, tantost à dextre & ne touche qu'vn petit en terre du bout de l'ongle seulement?

O que ce cheual legier fait des beaux saults: il est legier comme vne plume & court de grande vistesse.

O qu'il s'embride bien, comment il fronce le col, portant la teste haulte & l'aureille droicte.

Voyez comme il remuē de fierté & d'ardeur ses sourcilz & maníe ses membres brauement.

Regardez voir comme l'escuïer le fait voltiger en l'air, franchir le fossé, sauter le palis, court tourner en vn cercle, tant à dextre comme à senestre.

Voyci vn traquenard d'Irlandres.

Tu as bien deuiné, va, c'est vn haquené d'Angleterre.

Mais voyez vn peu le lourdault qui le cheuauche.

Il me semble vn guenon sur le dos d'vn ours.

Il ombrage & bronche à chaque pas. Il fera tomber son escuïer tantost, il regimbe, il trotte, galoppe, saulte, court & bondistle pauure rosse est bien maigre, il n'a que les os, il est borgne d'vn oeil, il cloche d'vne iambe, il a toutes les cornes des pieds gastèes.

Page  90*Il seroit fort propre à courir la poste.

Sçaymon mon hoste. Allons, allons.

Le Tailleur. Chap. 9.

DIeu gard Cousturier. Bien venu mons.

Combien d'aulnes de satin me faut il achepter pour me faire vn pourpoint?

Quatre aulnes & vn quarteron, mons.

Et combien de velours pour mes chausses?

Si les voulez faire faire à l'Espagnolle, il vous y faudra trois aulnes & demye.

Combien de drap large m'en faudra il pour me faire vne cappe à la Romanesque ou vne ferrarolle à la mode d'Alle∣maigne?

Il vous en faut auoir guere moins de cinq aulnes & demye, pour y faire vne assez large pour vous auec vn coqueluchon du mesme drap.

Sus, sus prenez la mesure donc.

Dressez vous & n'en bougez pas.

Comment vous aggrée la chaussure Italienne?

La guise Venicienne me plaist tresbien.

Que dites vous à la mode de France?

Ie suyvray la façon d'Angleterre.

Chacun se deguise à sa guise.

Faites la brayette à la Courtisane ou à l'antique.

Ho, laissez faire à Marcantoyne.

Pour quand seront ces habits faits?

Entre-cy & dimanche. Pour Noël, pour Pasques, pour Pentecoste.

Adieu donc. Attendez mons. Ie n'ay pas prins la mesure de vostre bourse encore.

Voylà vn escu pour achepter du passement, de la soye & des boutons. Desrobbez la moitíe: Ie vous en prie.

Monsieur ie suis Cousturier, ie ne suis pas larron.

Page  92*Vous auez deux mestiers en besoing:

Ie n'ay qu'vn mons.

Vous estes vn Tailleur par vostre art, & vn larron par vostre estat, allez.

Qui ne sçait l'art si serre la boutique.

Le Cordoüannier. Chap. 10.

HO Sauatier où estes vous. Que commande vostre seigneurie? Mettez vn taccon à mon soulier.

Il vous constera donc vn denier.

Cordonnier, monstrez moy des souliers à double ou à triple semelle, des mules & des escarpins de marroquin. Que ie voye des bottes.

Mettez vous sur ce banc. A quantes points vous chaussez vous?

Si voulez vn soulier bien propice à vostre iambe prenez cestuy-ci. Que ie l'essaye.

Baille icy vn chausse pied.

Voyla vn soulier, de beau lustre.

Il vous durera quetrop long temps.

It n'y si a beau soulier qui ne deuienne sauatte.

Combien ceur-cx? Demy-escu. Ie ne ne rabattray pas vne pite.

Or dites moy en bonne foy, Cordonnier, ne vous est il onques aduenu, qu'apres auoir si bien tiré les souliers à quelqu'vn, comme a present m'auez, il s'en soit allé sans payer ou prendre son congé autrement?

Nenny certes.

Et s'il vous aduenoit maintenant, que feriez vous?

Par Dieu ie voudrois courir apres. Le dites vous à bon escient? Ma foy, iele dis, & si le penserois ie faire.

Orsus donc, ie le veux experimenter vne fois, voyci l'auant-cours: suyvez moy aussi vistement que Page  94 vous y aymez voz souliers.*

Tenez le larron. Tenez le larron.

Ne m'empeschez pas messires. Ie cours pour vne gageure: pour vn flascon du vin.

Il est eschappé du Cordonnier, mais il n'est pas eschappé du larron.

Pourquoy cela? Il portera le larron auec soy par tout où il s'en yra.

C'est tout vn, si ie le peux attraper, ie luy veux imposer de larrecin.

Le Debteur. Chap. 11.

HOla! hau! Monsieur, passez vous ainsi sans parler?

Ie parle seulement à ceux que ie cognoy.

Ne me cognoissez vous pas?

Ie ne vous vey oncques de ma vie que ie sçache?

A vez vous oublié que vous eustes dernierement marchandise de moy? De vous? Comment auez vous nom?

Ie m'appelle Renard le Loup.

Il y a plus d'vn loup & deux Renards au bois.

Il ne vous en souuient pas? I'ay la memoire fort courte.

Voyez donc vostre cedule.

Ie ne voy goutte sans lunettes. Que ie la voye: attendez, elle me semble escrite en Syriacque.

Ie n'y entends pas vn mot.

Vous me deuez trois cens cinquante escuz: payez moy ou ie vous y feray adiourner.

Sur ma foy vous les aurez demain ou apres.

Le iurement est l'arme propre d'vn menteur.

Page  93*Ie vous promets que si trouuez encore faute en moy de vous payer au double.

Le payeur double me fasche & trouble.

Ne voulez vous pas fier à vn Gentilhomme digne de foy quand il iure sa foy.

La foy sans euure est morte.

Si vous ne voulez pas faire à moy comme ie fay aux autres, faites le pis que vous pouuez, ie ne m'en sonci pas vn ciron.

Faites vous payer d'iceux qui vous doibuent.

Voire! & quand les gents n'ont point d'argent, que leur feray-ie pour en recouurer.

Faites les arrester: ilz en trouueront moyen.

On ne doit pas estre si rigoreur. Nous debuons auoir compassion l'vn de l'autre, selon ce que Dieu nous a commandé.

On a bien presché auiourd'huy à nostre eglise.

O Dieu les hommes Chrestiens se monstrent de vrais

Iuifs, beaucoup pis que les Turcs, Mores, Ara∣biens, Tartres, Payens, Sarasins, Idolatres, sans aucune cognoissance ou crainte Dieu, qui ne sont pas si cruels & barbares en leur espece comme sont ces nacions Chrestiennes qui couppent la gorge les vns aux autres, pour vn Diable d'or & d'argent, qui tire tout le Monde apres de luy.

Vous saultez du coq à l'asne. Me voulez vous payer?

C'est chose royalle que de deuoir.

Il n'est pas bon Chrestien qui ne doibt.

Le Roy de France me doibt aussi bon que dix mil escuz & les Focquers d'Allemagne guere moins.

Tout cela n'est rien à moy.

Ie veux estre payé incontinent.

Attendez vn peu: Dieu m'en garde d'estre si incontinent hors des debtes.

Qui rien ne preste est creature laide & mauuaise: Page  98 Creature du gran vilain diantre d'enfer.*

Quoy! Debtes! O chose rare & antiquaire!

Il n'est pas bon Chrestien qui ne doibt rien.

Deportons nous de ces contes.

Me voulez vous payer ou non?

Donnez moy encore trois mois.

Vous ne faites que mocquer de moy de iour en iour.

Escoutez vn mot à l'aureille. Parlons ensemble.

Le Sergeant. Chap. 12.

IE vous arreste de par la Royne: de par le Roy.

Monsieur le Sergeant (car il est gentilhomme par son office) ie vous prie faites, moy ce faueur de venir auec moy icy pres à la prochaine ruë, iusques à la maison d'vn marchant mien amy, qui demeurera pleige pour moy.

Depeschez donc: baillez moy vn demy-escu de vous.

Tenez, voyla deux solz.

Allons y donc à la tauerne pour boire vne quarte du vin: & nous enuoyerons ce pendant pour vostre amy.

Escoutez monsieur, vostre homme ne vient pas.

Mon amy, il est vray, que ie vous puisse constituer prisonier.

Vous auez prins mon argent pour vne heure.

Ie perds quarente solz en vn autre endroit, i'ay des autres affaires plus vrgens, que voulez vous que ie face? Baillez moy cinq solz & ie vous y meneray par la ville iusques à cinq heures du soir.

Monsieur, ie suis pauure homme chargé de femme & enfans.

C'est tout vn pour cela. Baillez moy encore pour ma peine, autrement vous verrez bien tost Page  100 ce que ie veux faire.*

Mon Dieu que feray-ie?

Ie suis mangé tout vif.

Quelz oiseaux de proie! quelz cor beaux sont ceux-cy?

Quelle rayson ou conscience auez vous de prendre vn escu d'auantage?

Vertu Dieu, demandez vous cela? Allons, allons, allons: par Dieu monsieur vous entrerez en cour pour voir vostre proces: ie ne puis moins faire par mon office & serment.

O vous voyla en Cappadoce asteure: adieu homme de bien adieu. Il faut que chantiez vn peu là parmy les oyseaux Canariens.

Le Chemin. Chap. 13.

BElle fille où est le chemin à la fontaine, à l'eglise, à la riuiere?

Tout droit deuant vous.

Hau paisant, villageois, villageoise, belle femme, monstrez moy le chemin à Romme, ie vous en príe.

Nostre Dame à Romme, monsieur, il est bien loing iusques la. Quant à de moy ie n'y fu iamais, mais pour y aller, il vous faudra passer par plusieurs grandes villes & petits bourgades. Allez vous en d'icy premierement à Paris, & de là demandez le grand chemin à Constantinoble: de là il y a cinq cens bonnes heuës & demye iusques en Hierusalem. Embarquez vous là pour prendre la routte de Venice ou Marseilles, & vous trouuerez compaigníe assez tous les iours pour vous y conduire iusques à Romme.

C'est à mon aduis vn peu le plus loing.

Par où me faut il aller pour le plus court & le plus droict d'icy a Romme?

Passez d'icy à Paris, de Paris à Lyons il n'y a que dix iournées: de là iusques à Turin en Page  102 Piedmont que sept,* de Turin iusques à Florence que douze, & de Florence en Romme que trois.

Le chemin est vn peu fascheux à tenir sans vne guide.

Demandez aux bergiers & bergieres qui trouuerez en cheminant.

Le chemin est il sec, sablonneux, beau & aysé à tenir?

Il est pierreux & plein des dangiers à cause des brigands qui sont aux bois.

C'est vn bon païs qui n'a pas vne lieuë du mauuais chemin.

Fait on bonne iustice en ces quartiers-cy?

Comme en tout autre lieu.

Lon en pend les laronneaux: mais les gros larrons s'en gardent bien.

Mettez moy en mon droit chemin, ie vous en prie.

Voyez vous vne potence là haut? ne l'approchez pas si vous estes sage, passez le pont, suyuez le paué, tenez la champaigne, laissez la montaigne, costoyez la vignoble, trauersez le pres, & vous auez tousiours le grand chemin deuant vous.

Ie doubte bien de m'esgarer. On faille le chemin souuent en allant à Romme.

Mon Dieu, ie suis las & ne puis marcher plus auant.

Retournez en à Londres & montez vous sur le sommet du clochier saint Pol, & de là prenez le premier vol à la Tour de Londres, de là volez au chasteau de Dovre, de là au bastion de Calais en France, de la à la bastille de la grande ville de Paris: de là à la fortresse qui est sur les murailles d'Orleans, de la à la Cittadele de Lyon, de là au grand chasteau de Milan, de là à l'arsenal de Venice, de là à l'amphitheatre de Verone, de là iusques au Theatre de Page  102 〈1 page duplicate〉 Page  104 Pise,* de là au chasteau saint Ange, & vous y serez bien tost en Romme.

Comment voulez vous que ie vole, ie n'ay point des aisles?

Allez y par mer.

Ie me veux doncques embarquer pour le destroit de Gilbraltar, puis apres singlant par la coste de Catalogne, de Maiorque, Minorque, Sardeigne & Corsique, ie prendray port à Ciuità Vecchia, & delà en vn iour ie cheuaucheray vn mulet ou vn asne iusques à Rome.

L'Asney sera donc si tost Romme que vous.

Et moy aussi tost que mon asne.

Allez y doncques tous deux ensemble, ie vous en sou-haïs vn bon voyage.

Le Larron. Chap. 14.

QVi va la? Demeurez la. Ventre Dieu, sang Dieu, çà la bourse, viste, viste, depeschez, rendez vous, descendez, ou ie vous tireray vn boulet au vëntre.

Où est ta gibbeciere?

Vous me deuez trois cens cinquante escus, & m'en paierez asteure.

Il n'y a rien icy. O vertu de ma víe, il faut tuer ce vilain.

Ne me veus tu pas dire, où sont tes escus?

Monsieur, prenez tout ce que i'ay, mais espargnez ma víe.

Qu'est-ce que tu portes en ta bougette?

C'est mon argent, monsieur, sauuez moy la víe & prenez le hardiment.

Ie le vous donne.

Tu as bien d'auantage cousu dans ton pour∣point. N'as tu pas? di vilain, ie te sauueray la víe.

Page  106*Compagnon baillez moy le licol de ta manche.

Ne criez pas villain, car ie vous couperay la gorge.

Mot! mot! Iusques à ce que nous sommes bien loing d'icy.

Il est bien garrotté asteure.

Orça donc! compagnon larron, montons, gaingnons le haut.

O voulons nous aller? En France.

Hastons nous à Doure donc, car si sommes prins, nous serons penduz. Allons.

Le Matalot. Chap. 15.

GEns de bien qui se veut embarquer pour Calais, qu'il se haste: A Calais ho.

Abord ho.

Le vent est il propre?

Le vent est de la tramontane: nord & nord-oueste.

Combien prenez vous pour homme?

Vn escu solei: vn couple d'escuz pour homme & Cheual.

La nef est elle bien armée: car i'ay peur de ces corsaires de Donkerke.

Ne les craigniez pas: car la nauire est bien equippée d'Artillerie & Munition.

Mettez vous en prouë. Faisons voile de par Dieu: Il fait calme & ne vente grain.

Nous aurons le vent tantost en pouppe, ie voy bien aux nuées.

La marée croist: voyez les ondes saulter.

La mer commence à s'enfler & tumultuer du bas abisme.

Voyez comment ces fortes vagues battent les flans de nostre vaisseau.

Escoutez moy ces terribles bourrasques, Page  108 comment ils sifflent à trauers noz antennes.*

Il fera bien tost orage: la tempeste fait grand bruit.

Le ciel commence à tonner du haut.

Il foudroye, il esclaire, il pleut, il gresle:

Il vaut mieulx caller les voiles & lascher les chables.

Au Tillac ho: au Timon! Ceste vague nous emportera à tous les Diablez.

O Dieu le Seruateur:

O mes amis: O que trois & quatre fois heureux sont ceux qui sont en terre ferme plantans les Febues.

Dieu nous soit propice & nostre Dame de Lorrette.

Bou, bou, bous, bous: paisch, bo-bo-bous:

Be-be-be-bous: ho-ho-ho-zalas-helas!

Dieu nous soit en ayde & la vierge Marie.

Paisch, be-be-bous, bou-bou-bous, bo-bo-bous.

Zalas-zalas, Hu-hu-hu-bou-bou-bous-bous-bous.

O Saint Iaques! Saint Pierre & Saint Christofe!

O Saint Michel, Saint Nicholas, à ceste fois & iamais plus.

O Dieu nous sommes au fonds de la mer asteure.

Ie donne dix-huict cent mille escus de reuenu à qui me mettra en terre.

Prenons icy port: desembarquons nous:

Ie vous donneray tout ce que i'ay au monde pour me mettre en terre.

Voulez vous prendre port au milieu de la mer Oceane?

Quelle horrible tempeste?

Vertu Gris qu'est-ce cy?

Page  110*Prendrons nous sepulture icy entre ces vagues? Ie ne voy ny ciel ny terre.

Il faut que pisse vn peu. Ie pardonne à tout le monde: Ie meurs mes amys.

Adieu à trestous.

La tempeste est finíe. O qu'il fait beau temps derechef.

Vrayement voyci bien esclairé & bien tonné.

Ie croy, que tous les Diables sont deschainez au iourd'huy, ou que Proserpine la bonne Dame est en trauaille d'enfant.

Croyez que tous les cinq cent mille centaine millions des Diables dansent à sonettes.

Tonnez Diables, pettez, rottez, fientez.

Bren pour la vague. Nous sommes au port de Calais, Iettons les anchres.

Canonier, tirez vne piece d'Artilleríe: nous sommes sauuez. Ie m'en voy loger chez mon hostesse aux trois Roys, ou au Dragon verd.

Le Malade. Chap. 16.

DIeu y soit. Dormez vous?

Si ie pouuoye dormir, ie seroye à demy gueri.

Vous souspirez comme vn porceau amoureux d'vne truye.

Ie ne fay que resuer, toussir, cracher, & esternuër.

C'est bon signe, si vous en eschappez.

I'ay aussi la foire chaude & froid flux du ventre.

Quel autre mal auez vous?

I'ay aussi la gratelle, la petite o la grosse verolle qui m'escrolle.

Page  112*Vn mal vient rarement seul.

O que la teste me fait aussi grand mal.

C'est donc le mal de Naples.

O qui me deliurera de mes douleurs?

Attendez i'ay icy vn cemittre qui fera l'office.

Qui ont esté voz medecins?

Les plus experts du monde és Vrines: Car ils m'ont mis de mal sepmaine en mal an, & m'ont changé vn chancre François en vn biscancaro Napolitain.

Vous estes vous fait saigner?

Le Barbier m'a tiré trois onces de sang de la veine capitalle, & le medecin dix de la veine crumenalle, & m'a ordonné vn Recipe Pullos Septem, &c.

Que dist-il de vostre mal?

Ie dit que c'est le mal d'Italie, de France, d'Espaigne, d'Allemaigne & d'Angleterre.

Quel mal est cela?

Le mal Catholic, le mal commun, le gran mal.

Ne sçauez vous pas autre nom?

On l'appelle la verolle en France: Ie ne sçay comment on l'appelle en Angleterre.

Parlez bas, voycy Monsieur le Docteur.

Mon amy ouurez la bourse: ie dy la bouche. Marchez vn peu.

Tout bellement: Sans cholere: prenez pacience: tout ira bien. Prenez ces pillules demain au matin & vous vous porterez bien par la grace de Dieu.

Iaymeroye plustost manger vne merde que de mascher & aualler ces pillules, tant elles sont ameres.

Page  114*Vous auez tort de vous mescontenter de bonnes receiptes & medecines, prens bon courage, adieu.

Adieu mons. le docteur. O que ie suis malade?

Pacience, helas! que ie vous plains bon∣hommeau.

Il n'y a remede asteure.

Courage, courage, vous serez gueri bien tost.

Le mal vient tousiours à cheual & s'en retourne à pied.

Le Drapier. Chap. 4.

MOns. sire, seigneur, homme de bien. Quel drap voulez vous veoir? Demandez vous bonnes sortes des draps. Venes-ça, ie vous y feray à bon marché.

De quelle couleur en demandez vous?

Monstrez moy vn beau escarlat, vne frise gauloise, vn revesche d'Irlandres.

Auez vous vn beau tanné de France? Que ie voye vn verd de Londres. Monstrez moy vn Cramoysi bien fin & large. I'en ay le meilleur de Londres pour vous.

En voyla vn de bonne laise. Regardez le bien à la lmiere. Maniez le. La couleur en est seure.

Elle ne se deschargera point.

Combien vendez vous la verge, l'aulne, la piece entiere, la demy-verge, le drap d'vne robe, le drap d'vn manteau?

En vn mot ie le voudrois vendre dix solz six deniers la verge, quinze solz l'aulne, saize solz huict deniers l'aulne & le demy-quartier.

Bien mesurez cinq aulnes & demye. Faites bonne mesure, ie vous n prie.

Empreud, deux, trois, quatre, cinq, & demye, à bonne mesure.

Que vous plaist il auoir, madamoiselle? vn estamet pour vous faire vn cotillon, ou vn pourpre pour vn deuant de robe? De quelle couleur en voulez vous auoir? du blanc, du noir, Page  116 du gris,* du violet, du verd, de la couleur meslée, de la couleur de rat ou brebis, du iaulne, du bleuf, de l'orengé, de pourpre, cramoisi, bleu celeste, leonat, &c. I'ay de toutes couleurs & à tous prix.

Combien gracieuses & rondes sont les langues de ces ieunes drapiers en Watling-street?

L'Hostelerie. Chap. 17.

DIeu vous gard mon hoste. Bien venu monsieur.

Seray-ie logéicy pour meshuy?

Combien estes vous?

Harry, ma beste, Roncin & moy.

Vous serez bien traicté. Entrez s'il vous plaist, on vous tyrera les bottes & les esperons tantost.

Vallet d'estable, ie te príe, frotte bien mon cheual, & luy baille vn botteau de foin, & vn picotin d'auoyné.

Ie luy penseray bien monsieur: n'en doubtez pas.

Mon hoste, quand souperons nous? I'ay bon appetit.

Quand il vous plairra mosieur, le souper est prest. Or auant lauons les mains.

Sus sus à table messieurs.

N'attendrons nous pas les autres?

Si ferons comme l' Abbé attend ses moynes: asçauoir en mangeant tant qu'il peust.

Messieurs mangez s'il vous plaist. Beuuez à la ronde, Vous n'estes pas ioyeux.

Faites bonne chere de ce que vous auez. C'est iour de ieusne au iurd'huy. C'est la vigile de nostre dame. Voyla des oeufs en l'escaille, au beurre, pochez & frits Il faut que ie mange de la chair, car ie n'ayme point les oeufs, ny le poisson.

Voyla donc vn bon chapponet. C'est vne viande bien friande. Sçaymon, quand l'estomac est▪ en bonne disposition.

Ie suis d'opinion qu'vn chappon rosti vault mieux à manger, qu'vn gigot de mouton crud.

Page  118*Et moy i'aymeroye plustot boire du vin que de l'eau.

Voyla vn chappon gras, vne poule d'Inde, vne oye grasse: vne douzaine d'alouëttes, vn couple des bons & gras lapins, commençez là où voudrez.

Et voyci vne teste de veau.

Que vault vne bonne teste auec vn bon cerueau?

Elle est inestimable: mais la teste sans langue ne feist oncques bonne harangue.

Qui veut manger du poisson? voylà vne bonne lamproye, C'est la proye d'vn roy, & voyci vne trenche de Saumon, qui vault l'auoir de Salomon.

Chair fait chair & poisson fait poisson & le bon vin fait bon vin & vinaigre.

Voyla des grenouilles & des escargotz.

On les en mange bien en France & en Italíe, mais en Angleterre on n'en tient pas conte.

Ho frere Iean, ne mangez vous pas de ce bon poisson?

Pour vous en dire la rayson, il y a telle saison, que le poisson est poison.

Tastez de ceste truite: humez de ce brouëd d'anguilles, cela vous eschauffera les boyaux, & les lauera doucement pour faire bon ventre.

De tous oyseaux ie n'ayme point l'oye ny l'oyson.

De tous poissons i'estime l'anguille poison.

De tous poissons frais fors la tenche, prens l'aisle de la perdrix, ou la cuisse d'vne nonnain.

Ie ayme fort le blanc d'vn chapon. En cela vous ne ressemblez point aux Renards, car des chapons, poules, & pouletz qu'ils prennent, iamais ne mangent ilz le blanc. Pourquoy? pource qu'ilz n'ont point des cruisiniers à les cuire.

Lacquay du vin, versez à moy. A vous mon hoste, à vous mon hostesse, ie vous y feray rayson icy.

Ie croy qu'il gele, il fait si grand foid Leuons nous messires & approchons nous du feu.

Le bon Dieu de Parady,
Soit pour tous ces biens beny.
Page  120

*Le coucher. Chap. 18.

IE me sens vn peu mal dispos apres souper.

L'estomac me fait mal.

Mon hoste ie me veux aller reposer. I'ay grand enuíe de dormir. Le sommeil m'est tombé des-ia dedans mes yeux. Qu'on me monstre ma chambre.

Quand vous voulez, la fille vous y monstrera le chemin. Bon soir mon hoste, bon soir bon-nuict mon hostesse. Dieu vous doint bonne nuict & bon repos à trestous.

Il vous faut monter par icy monsieur. Voicy vostre chambre, voicy vostre lict, voyla les priuez, & voyci vn pot de chambre.

Ridez les courtines. Prestez moy vn couure-chef ou vne coiffe. I'ay vn bonnet de nuict en mon sein.

Voz linceux sont netz.

Regardez, qu'ilz soient bien secs, ie vous prie.

Ie les ay seiché au pres du feu.

Tirez mes chausses▪ Couurez moy de ma robbe.

I'ay peu de couerture. Donnez moy vn autre oreiller, ie ne puis coucher si bas.

Estes vous bien asteure? en voulez vous encore de couuerture? Ne vous plaist il autre chose?

Nenny pour le present. Dormezbien.

Escoutez Gaudinette, baisez moy vne fois mamíe, deuant que vous en allez. Plustost mourir, que baiser vn homme en son lict.

Baisez moy, & ie vous rendray voz braceletz, que ie vous ostay l'autre iour en iouant auec vous.

Ne me parlez plus, ie vous en príe de baiser n'y d'amour, mais rendez moy mes bracelets, car autrement que me diront mon pere & ma mere? Ils se courrouceront à moy.

Non feront, non feront.

Page  122*Si feront, ie vous asseure: mais c'est tout vn▪ ie leur diray qu'vn larron me les a desrobbez.

Escoute ie te prie, Gaudinette dys moy vne chose: lequel de nous deux ayme plus l'autre: ou vous moy, ou moy vous?

Quant est de moy, ie ne vous hays point: car comme Dieu commande i'ayme tout le monde.

Mais à propos n'estes vous pas amoureuse de moy?

Ie vous ay ia dit tant de fois, que vous ne me tenissiez plus telles parolles, si vous m'en parlez encore, ie vous monstreray que ce n'est pas à moy que vous vous deuiez addresser.

Vous estes fort obstinée, ie voy bien.

Rendez moy mes bracelets donc, si vous voulez.

Comment mamíe voz bracelets? Non feray par mon serment: mais ie vous en veux bien donner d'autres: En aymerez vous mieulx vne ceincture de soye? Escoutez, on me sonne. Non fait.

Gaudinette, que faites vous là haut, si longs temps?

Ie viens incontinent ma mere.

Ne me voulez vous pas baiser auant que partir?

C'est pour vne autre fois: lon m'appelle asteure:

Ie seray tancée. Ie ne peux baiser les hommes.

Mon pere sera fasché▪ Ma mere vient. Que voulez vous faire? Laissez moy aller: lon me tuera tantost.

Dieu vous doint bon soir, & bonne santé Monsieur. Bon soir la belle: bonne nuict Gaudinette.

Page  124

*Les Spadacin. Chap. 19.

BOn iour ait vostre Seig. Seigneur Vespasien.

Ma foy les amis se rencontrent plus souuent que montaignes.

Foy de Gentilhomme ie suis bien aise de veoir vostre magnificence en bonne santé.

Que ie vous face vne accollade. He Seigneur Valerien! mon grand amy, mon grand cousin. ça couillon que ie t'estreigne les couillons à force de t'accoller les cuisses. Touchez là.

L'amour passe le gant & l'eau le houseau.

Vous ne tenez plus conte de petits compagnons.

Non, non, ie ne vis sinon auec les Princes & entre les grands Seigneurs.

D'où vient la Seigneuríe vostre?

Ie viens de veoir les dix-sept terres du pais bas.

Vous estes deuenu trop riche.

Bren pour l'argent, ie n'en auray quelque iour que trop: car i'ay vne pierre Philosophalle qui m'attire l'ar∣gent des bourses comme l'aymant attire te fer.

Vous estes malade à ce que ie voy à vostre physiognomíe & i'entends le mal.

Quel de grace? Vous auez vn flux de bourse aussi bien que moy.

Ne vous en souciez pas: i'ay encore six solz & maille qui ne veirent oncq pere ny mere, & ne vous faudront non plus que la verolle en vostre necessité.

Tes males mules, poltron. I'ay plus Page  126 d'argent que tu ne penseras pas.* Car i'ay soissante & trois manieres d'en recouurer tousiours en mon besoing.

La plus honorable & plus commune est en vollant sur le chemin.

Que le Chancre te demange vilain. Dy, n'as tu point d'argent pauure Diable?

Quoy done? La Fortune me veut fauoriser vn iour, d'auoir vne bourse longue d'vn bras, pleine de beaux Augelotz ou des Escuz au soleil.

Vous auez parlé masque. Que veux tu dire à vn homme qui te monstrera dix ou douze bougettes pleines des vieux nobles à la Rose, chichinos & ducats d'Hongrie.

Si tu me les monstres, ie me veux creuer les yeulx.

Agard, agard vilain. Seignes-toy, fais-le signe de la croix à ton nez.

Ie croy que tu as plus des couillons que des escuz.

Car ce sont des iectons ou des escuz au palais que tu tiens là. Mon amy, escoute, tu n'as passetemps aucun en ce monde: ie n'ay plus que le Roy, & si voulois t'allier auec moy nous y ferions Diables.

Non, non! par Sainct Adauras: car tu seras vne fois pendu.

Qui doibt pendre ne sera iamais noyé.

He grosse pecore!

Crains-tu le pendre? Tu seras vne fois enterré, lequel est plus honorable ou l'air ou la terre?

I'aimeroye plustost perir en l'eau entre les arenes dorées de la riuiere de Plata és Indes Occidentales.

Veux-tu venir en Flandres auec moy?

Quoy faire?

Page  128*A battre la strade? Nous y ferons la poudre voler, croyez.

Seigneur Boniface me veux-tu changer vn escu?

Croyez moy ie n'ay pas de la monnoye.

Ie veux des testons ou des quarts d'escus.

Ie ne te changeray pas ny liard ny maille par Dieu.

Prestez moy donc cinq solz à la pareille.

Ie n'ay point d'argent chez moy, vous dis-ie.

Si est-ce pourtant qu'il faut que me prestiez cinq solz pour payer mon ordinaire, vueillez ou non.

Par le sang Bieu ie ne l'ay pas.

Allez vous en, vous estes vn gueux pour tout potage.

Va tu es vilain toy mesme.

Voulez vous dire que ie suis vn vilain.

Il est vilain qui fait de vilennye, ou qui n'a point d'argent à boire auec ses amis, & si vous estes noble monstrez ta gentilesse: payez pinte tant seulement.

Ie ne voy goutte, vous dis-ie.

De quoy vis-tu asteure?

De l'air comme fait l'Esturgeon.

Si ie ne craignois mentir contre mon honneur ie dirois que vous fussiez homme de bien.

Si vous diriez autrement ie vous feroye mentir par la gorge.

Ne me desmentez pas ie vous prie compagnon.

Ne prenez pas en mal part ce que i'ay dit.

Mort de ma víe ne me donnez pas le dementir: car ie vous y donneray vn coup de poignard dans la gorge.

Le dites vous? Il y a belle place icy.

Mets la main à l'espée, ie vous romperay la teste en neuf endroits.

Page  130*cap de saint Arnauld vous passerez par mes mains asteure, çà coquin, çà, boute, boute.

Hau sainct Siobe cap de Gascogne, sus ho hillot de tous les Diable, defendez vous.

Par la chair ie renie: par le sang ie renague, p•• le corps ie renonce ma part de Papimanie, si vous eschappez mes mains asteure, ie vous tueray comme vn Porceau.

Auise que mon verdun ne soit plus long ••e ton espade: ie haïs pis que la mort celuy qui combatte sur l'aduantage des cousteaux.

Sus, sus, boutons, battons nous gaillards & bien au point frottons nostre lard.

Ie ne veux pas combattre, allons plustot boire sur noz espées.

Ie ne m'en soucye pas. Si tu veux battre, battons, si tu veux boire beuuons.

Nous sommes bien arriuez ensemble, vn aueugle meine l'autre.

Il y a dangier que ne tombions tous deux en quelque tauerne.

On nous donneroit à boire donc pour nous en faire sortir.

N'auez vous nulle part credit?

I'en ay tant que le Roy, mais c'est loing d'icy.

Ie croy que c'est plus outre les colomnes d'Hercules, où au royaume de Perse.

En deça vn peu, en Polongne ou en Prussíe.

Ouy, ouï en Cracouíe.

Il y a iusques-là sur mon serment, plus de cinq cens lieuës de France.

Allons y, fust-ce bien si loing comme aux

Indes Oríentales.

Allez y donc tout seul, car ie ne vous tiendray pas compagníe.

Voyci vn drosle, il payera tousiours pinte, chopine, ou quarte, nous droslerons tantost.

Dieu vous saluë seigneur, ie rencontray l'autre Page  132 iour vostre ennemy capital,* & luyfey la figue soubs la cappe brauement: ie luy baillay aussi vn estoc à trauers du bras dextre qui luy passa tout outre so pourpoint iusques au coudé senestre, & le cuy day tuer tout à fait. Ie le fey par Dieu en vostre querelle, & pour l'amour de vous, car autrement entendez, ie ne m'eusse pas hazardé pour cinq cens escuz.

Allons boire, allons boire au soleil en çà la Porte boyteuse.

Madame de ceans qu'on nous tire chopine.

Monsieur, ie boy à vous.

Seigneurà vostre bonne grace. Granmercy mon bon capitaine, ie vous y feray raison icy.

He monsieur mon amy, vous sçauez bien que ie vous ay tousiours aymé & tenu pour vray homme de bien.

Nous sommes par Dieu amis & demeurerons tant que viurons au despit du grand diable d'enfer.

Ie vous iure Styx & Acheron en vostre presence, que voyla vn espée, à propos si vous en auez affaire, elle est bien a vostre gentil commandement, corps & biens tripes & boyaux.

Vous auez certes vne espée bien gentile.

Voyez bien ceste lame, regarde la bien, ie vous iure que c'estoit l'estoc propre du prince de Parme▪ & de son flanc propre il me l'a baillé entre mes mains propres.

Pour quelque seruice que vous l'auiez faict paraduenture.

Or bien vous plaist il me commander quelque chose que ie puisse faire pour vous? car ie m'en vay monsieur.

Vostre seigneuríe se contentera me faire ce plaisir de me prester cent escuz iusques à mon retour de Venice.

Page  134*Par la barbe, que ie porte, si ie les auoye, vous les auriez de bon coeur.

Vostre seigneuríe me preste donc vn cheual.

Ie n'ay, croyez moy, ny mule, ny iument, ny monture, ny page, ny vallet.

O pacience des aueugles! Orçà adieu donc iusques à reuoir.

Ie príe le dieu Mercure auec Dis le pere aux escuz longuement en santé vous conseruer.

Le Braggard. Chap. 20.

SAint George, çà qu'on m'apporte ma lance, mon espée à deux mains, & mon corps de cuyrasse, ie veux estre armé de pied en cap.

Vrayement il y a de la belle besongne taillée icy pour gens de guerre. Asteure qu'il fallust marcher contre ce chien de Thrace, Mahumet Dieu des Turcs & des Arabes, nous en sommes semonduz en France pour donner secours au roy de France contre ces Saracins des Ligueux. O pleust à Dieu que Charles le quint fust en víe.

O que teste martiale! O quel Roland furieux! Ie debvrois esté honestement discipliné és affaires militaires, ayant commandé vingt cinq ans capitaine general entre les Hongres & Polonois, & hasardé ma propre personne en plus de trente sanguineuses batailles.

çà, çà armures de malice, ie dis, de milice.

Le preux soudart ne doibt estre moms armé d'aduis que des armures.

Où ie ne puis preualoir du cuir de Lyon, i'appliqueray la peau de Renard.

Considerez les cas de hasard sagement, iamais il ne les fault pas poursuiure iusques à leur periode: car il conuient a tous cheualiers reuerentement traicter leur bonne fortune sans Page  136 la molester ny gehenner.*

Tousiours deuant que marcher ie delibere de ce qu'est à faire▪ à sin que ie ne ressemble aux Atheniens qui ne consultoyent amais, si non apres le cas faict.

Ie suis sage. Vous l'estes.

Ie suis cheualeureux & preux soudard. Vous l'estes.

Ie suis courageux, vertueux, magnanime.

Vous l'estes.

Ie suis resolu, noble, genereux & magnific.

Vous l'estes.

Ie suis loyal, honorable, bien armé, haut-monté, bien deliberé, hasardeux, audacieux, heroïque, fin, & cauteleux comme le serpent qui tenta Eue.

Vous l'estes.

Ie suis extraict de race noble. Car m'entendez vous bien, il y auoit vn certain Chalbrot, qui engendra Sarabrot, le beau-pere de Nembrot, non pas de celuy qui bastit la tour de Babel, ains d'vn autre de la race de Gallafre, le cousin de Bruslefer, qui fut frere à Maschefain, l'ayeul de Sortibrant de Conymbres, le nepueu d'Atlas, qui auec ses espaules garda le ciel de'tomber: iceluy Atlas estant né & naitif de Marocco en Barbaríe, (vous autres messires l'auez bien cognu) fut cousin germain à Gemmagog qui auec ses deux mains mist, il y a long temps, les deux montaignes de croye aupres de Cantabrige, vniuersité tres-fameuse en Angleterre, afin que les escholiers y allassent quelques fois passer leur temps là, cestuy-ci fut compere à Fierabras, duquel escrit Merlin Coccaïe en son liure de la patrie des Demons, qu'il fut le premier de ce monde qui ioua aux detz auec ses besicles au nez. Dont descendirent apres le grand geant Oromedon, le pere du

Briaire qui auoit cent mains, & Offot le fillieul de Corinée, duquel vous pouuez voir l'image au Palais de Londres, qui m'est parent de loing: Page  138 car de son noble lignage i'en suis descendu.*

I'ay leu de voz ancestres és gestes de quatre fils d'Aymon.

Ne trouuez vous pas qu'ilz ont esté tres-illustres par leurs horribles faits d'armes?

Ilz ont faits de belles prouësses certes contre les Sarrasins.

I'enrage Diables, i'enrage, tenez moy, Diables, tenez moy.

Hau viet-daze grand Diable d'Enfer, esueillez tes endormis Cyclopes: Toy Vulcan qui clopes, auec tes cousins Asteropes, Brontes, Steropes, Polypheme & Pyracmon. Ie vous y mettray en besongne. Ie m'en donne à cent pipes de vieulx Diables, en cas que si ne voulez pas combatre, si ie ne vous y face manger les deux oeufs de Proserpine.

Vrayement Hercules n'est rien à vous, qui estant au berceau tua les deux Serpents: car les dits Serpents estoyent bien petits & fragiles.

Ou est ce tant furieux Hercules? Ie le vouldrois combatre pour vn petit quart d'heure.

Il vous feroit chier vinaigre deuant out le monde.

Où est Hector ce garçon Troyen? I'ay grand enuíe de rompre vne lance contre sa cuyrasse.

Où est Alexandre le grand yuurongne de Grece?

Ie le feray boire d'autant. A gens de guerre ne faut bon vin espargne.

Où est Achilles le Gre Capitaine des Myrmidoniens? i'enuoyeroye son ame quant & quant en Enfer.

Où est ce petit compagnon Vlysses? Il me feroit vn message à I'luton.

Où est ce peureux & chetif couard Iulles Caesar? Ie luy cheuaucheroye à grand coup▪ de picque & de Lance.

Page  140*Vous contez sans vostre hoste.

I'ay grand peur que devant qu'il soit nuict, on vous estrillera à grand coup de Musquette & d'Arquebouse.

Hon! que ie ne suis roy de France pour quatre vingts dix ou cent ans: par Dieu ie vous mettrois en chien courtaut messieurs les fuyarts de Pauíe.

Ie hay plus que poyson vn homme qui fuist quand il faut iouër des cousteaux.

Ie crains la mort non plus qu'vn Papillon, ou la morsure d'vne pulce à l'aureille: & quant a moy ie ne crains pas de combattre à vne armée entiere, si ce n'est de ces mescreants Tartres, Cannibales, Indiens, & Moscouites, qui tirent à tort à trauers, deçà de là, par cy par là, de long de large, dessus dessoubs.

A la verité les prouësses de Camille, Scipion, Pompée, Caesar & Themistocles ne sont pas si grandes que les vostres.

Ie tuë les gens comme Diomedes tuoit les Thraces, & comme Vlyxes ie mets les corps és pieds de mes cheuaux, ainsi que raconte Homere.

Ie suis pourtant d'aduis que si les ennemis se rendent que les y preniez à mercy & rençon. Car clemence est vne vraye vertu royale.

Ho mord boeuf, sang boeuf. Par la vertu mon amy si ie ne boute tout a feu & à sang ie reníe ma víe.

Vous m'effrayez à ainsi iurer.

Tu es vne beste de la montagne.

Ce ne sont que parolles heroiques & couleur de la Rhetorique martiale pour aorner mon langage.

De leur mettre tous à fil d'espée: c'est chose trop cruelle cela.

Ie suis homme martial, que voulez vous? çà, çà, çà, combien sont ces, canailles, racailles?

Page  142*Par la mort d'vn veau ie les estime moins qu'vn Chappon rosti, car:

Ce ne sont que bragards de France,
Hardis à la bouteille & fuyards à la Lance.

Mon amy ie choque si rudement sur les ennemis, que ie les renuerse comme porcs: aux vns quant & quant i'escarbouille la ceruelle, aux autres ie romps les bras, aux autres ie taille les nez, poche les yeux, fends les maschoires, enfonce les dens en gueule, & si aucun se veult sauuer en fuyant, à iceluy ie fay la teste voler en cinq cens quatre vingts & neuf pieces.

Si quelcun crie Saint George: Ie luy mets le pied sur la gorge: S'il crie Saincte Barbe, ie luy arrache la barbe. Si nostre Dame de Lorrette: ie luy taille la teste.

Mettez vous en ordre, les ennemis s'approchent.

Ie suis armé à l'aduantage, la lance au poing, monté comme vn Sainct George.

Voyez le camp des ennemis. Ils sont campez sur vne montaignette. O ce n'est qu'vn microcosme des mousches ou guespes.

Ilz ne sont pas en si grand nombre comme auoit Xerxes, sont ilz?

Il auoit, si croyez à Herodote & Troge Pompée, trente cent mille combattants, & toutes-fois Themistocles à peu des gens les desconfist.

Baste, ie les vous y rendray à rostir ou bouïllir, à fricasser ou mettre en paste. Or escoute le tambour: le camp des ennemis n'est gueres loing.

Les battailles sont rengées: le combat martial commence pesle-mesle.

L'artilleríe commence à foudroyer les murailles.

Voylà vn coup de canon qui a emporté l'auant∣garde au Diable.

L'alarme commence à s'eschauffer. Les trompettes sonnent à la retraicte.

Page  144*L'Infanteríe est toute quasi desfaicte.

Les guidons des cheuaux legiers se retyrent.

Ils prennent carriere vers moy: O que pluye de plomb! O que fumée de foudre & de feu? Ie fuiray par Dieu.

Demosthenes dit que l'homme fuyant combattera derechef. I'ay grande peur d'estre tué & massacré a ce coup.

Qu'est ce fuiart là? Qu'est-ce couard-là?

Courage, courage, pourquoy tremblez vous?

Ie crainds de mourir.

Cà, çà, çà, tuëz, tuez.

O messieurs sauuez moy la víe. I'ay le mot de guet: ie suis de vostres. Ie suis amy.

Qui estes vous? D'où estes vous? Que faites vous icy?

Ie suis le Seigneur Cocodril. Ha! que dis tu?

Messieurs ie suis pauure Diable, ie vous requiers qu'ayes de moy mercy: i'ay encores quelqu'escu pour payer ma bien-uenuë.

Vous estes vn espion, ie vous couperay la gorge.

Ha Mons. mon amy, c'est moy, ie me rends à vous.

Il te sera bien force te rendre vilain, car ensemble tu rendras l'ame à tous les Diables.

Helas! Ie suis cruellement nauré, ie suis mort, tué, massacré. Ie m'en vay reprendre le chemin du premier hospital.

La conclusion du parlement des Babillards.

REposons nous icy vn peu soubs l'ombre de ceste arbre: à la fraischeure.

Ie me veux asseoir sur ceste piece du bois.

Et moy vis à vis de toy Antoyne.

Où te mettras tu Pierre?

Page  146*Moy? ie me mettray sur ceste pierre.

Ostez vous de la: vous m'empeschez de veoir les passants.

Ie voy vne nauire qui faict voile vers nous.

C'est vne Carraque de deux mil tonneaux.

Voyez vous ce petit garçon auec la bannirolle en sa main?

S'il tombe en la mer, il sera noyé.

Non seroit, car il sçait bien nager.

O qu'il glisse par les cordeaux.

Le mast de ce nauire est fort grand & espais.

Ie croy qu'il est creu aux Indes Occidentales.

Comment le sçauez vous? Auez vous esté aux Indes auec les Espagnolz?

Comme si lon ne pouuoit rien sçauoir d'vne region, si on ny a esté? Ie voy bien saint Paul d'icy.

Il y a me semble quelques pigeons sur le sommet du clochier.

Ils sont des hommes, fol & sot garçon, mais ils y semblent à les contempler des corbeaux, ou plustost des moyneaux.

Escoute, on sonne la trompette là dessus, quel sot est cela.

Il sonne vn point de guerre pour les dames de Londres. O que le temps est beau! Il ya a bien du plaisir parmy ces champs verdoyants.

Escoutez moy ceste alouëtte qui chante. O qu'elle monte bien haut iusques aux nuées! Il me souuient asteure du Bartas le Poëte François, qui a composé quatre vers tresexcellents sur son chant:

La gentile Alouëtte auec son tyre-lire
Tirel'yre à l'ire, & tiri-lyrant vire
Vers la voute du Ciel, puis son volvers ce lien
Vire, & desire dire, adieu Dieu, adieu Dieu.

O que la petite chanteresse fait bien trembler sa voix!

Page  148*Où es tu Line tresdoux musicien auec ton luc d'luoire? Où es tu Amphion tresdocte harpeur de la Grece? où es tu Orpheus, auec ton cystre d'argent? où es tu Arion auec ta musicque qui feist dançer les poissons en la mer? Venezça, apprenez icy des leçons nouuelles. Certes ces quatre qui sont celebrez en tous autheurs Grecs & Latins pour auoir esté tresexcellents musiciens n'ont iamais sçeu contrefaire ceste petite musicienne.

Escoutez, voyla bien vn autre oiseau qui chante aseure.

C'est vn merle ou vn Rossignol.

Le Rossignol ne chante que du soir & matin.

Où est il, ie vous prie?

C'est vn Rossignol ie l'entends bien.

Ne le voy tu pas posé sur vn rameau?

O qu'il chante melodieusement: sans se donner relasche: & ne cesse point!

Il ne se faut point esmerueiller s'il chante doucement, veu qu'il est d'Athenes, où les vagues de la mer flottent aussi contre les riuages par mesure.

Pline escrit qu'il chante deuant les hommes plus longuement & plus soigneusement.

Qu'en est la cause? Ie te la deceleray.

Le Coucou & le Rossignol chantent en mesme saison de l'an, asçauoir, au printemps depuis la mi-Auril iusqu'à la fin de May ou enuiron. Ces deux oiseaux vindrent en different de la douceur de leur chant, on cherche vn iuge, & par ce que la dispute estoit du son, l'asne fut trouué fort commode à ceste cognoissance, lequel plus que toutes les autres bestes a les oreilles grandes. L'asne ayant repoussé le Rossignol, duquel il disoit n' entendre la harmoníe, adiugea la victoire au coucou, le Rossignol en appella par deuant l'homme, lequel quand il le voit, incontinent il meine sa cause, & chante diligemment, à fin de faire sa cause bonne pour se venger du tort que l'asne luy avoit fait.

Page  150*I'entends maintenant vne chose digne d'vn poete.

Quoy donc? en attendois tu vne digne de philosophe? Demande la à ces nouueaux maistres és arts de l'vniuersité.

Plusieurs d'eux sont philosophes quant aux robes seulement & non pas de cerueau.

Di donc que ce sont docteurs de Valence auec robes longues & courte science.

Mais escoutez encore nostre Rossignol.

Ie vous raconteray quelque chose du chant de Rossignol traduite d'vn bon autheur.

Qui est l'homme au monde (dit il) tant grossier, lourd stupide ou hebeté, qui ne s'estonne, & qui ne soit raui d'vne incroyable delectation, escoutant la melodie, qui sort du Rossignol, & comme vne voix si hautaine & harmonieuse peut issir d'vn si petit tuyau? Outre qu'il perseuere si obstinément en son chant que la vie luy defaudra aussi tost que la voix: de sorte qu'il semble, qu'il ait esté instruit de quelque maistre à chanter en musique, car il contrefait tantost le bas, tantost le haut, tantost la taille, tantost le dessus, & apres qu'il est bien ennuyé de gringoter il contrefait sa voix, & iugeriez que c'est vn autre oiseau qui ne chante plus que le plain chant: puis tout en vn coup il penetre si haut, qu'il se passionne, se pasme, & demeure quasi extatique par vne infinité de melodieux passages, qui rauissent l'ame iusques au ciel, non seulement des hommes, mais des autres petits oiselets, lesquels il charme & arreste de son chant, & les conuie par sa douceur à l'escouter & tascher à le contrefaire, & luy desrober quelque chose de sa melodie. Et non content de cela vous le verrez instruire ses petits, les prouoquer à semblable harmonie, leur apprenant tantost à obseruer leur tons, a les conduire d'vne mesme haleine, les vns en longueur aspirer, les autres tantost courber les notes entieres, soudain les muër par fainctes, puis les distinguer & couper en minimes crochuës, tantost fait trembler sa voix, Page  152 tantost la transforme en tant de sortes,* qu'il n'y a artifice humaine qui la sçeust contrefaire.

Ie suis quasi raui certes.

Sans doute les hommes ont apprins la Musique des oiseaux.

Democrite a esté auditeur du Rossignol, tesmoing Aristophane en sa comedíe du chant des oiseaux.

I'ay prins vne saulterelle auec vne main, & vne petite grenouille auec l'autre.

Que ie les voye de grace?

Ie les mettray en ton sein Antoyne.

Ne faites pas, ie vous prie.

Pourquoy t'en fuys tu? Vien ça, te di-ie, ie ne te feray point de mal.

Helas, les pouures prisoniers! laissez les aller, laissez les saulter.

Agard, quel beau sault voylà?

Ilz se sont sauuez pauures animaulx dedans l'herbe.

Ce monceau de terre est plein des fourmis.

Ils me piquent les fesses.

Ilz sont entrez par ma brayette. I'ay plus de mille en mes haut-des-chausses.

Les sentez vous piquer en bonne foy?

I'ay arraché les testes de plus d'vne vingtaine.

Ne les tuez pas, laissez les viure.

C'est vne gentile vermine.

Vous auez troublé messires de leur parlement, qui sont assembléz en ce monceau de terre pour les affaires de leur republique. Ilz se sont faschez contre vous. Ilz vous piqueront à bon escient.

Retyrons nous ailleurs en quelque part.

Mettons nous à l'abri dessoubs ceste muraille.

Ostez vous de là mon frere Nathanaël. Pourquoy?

Ne voyez vous pas la grosse Araignée qui pend par vn petit filet?

O le gros vilain! Il est braue chasseur à mousches & papillons.

N'auez vous iamais veuë le combat entre Page  154 L'araignée & la Mousche?*

Non: vous n'auez donc iamais veuë la battaille donnée entre Caesar & Pompée.

Pourquoy, sont ils si braues guerroyeurs?

Beaucoup plus que le Rat & la grenouille és Fables d'Aesope.

Regardez ce diable de Tyran. Combien des mousches à miel, des mouscherons & papillons il a tué.

Regardez les corps morts dedans ses rets.

C'est vne chose merueilleuse de la Nature de cest animal.

Contez nous en quelque chose gentil babillard.

C'est vne chose presque monstreuse en nature de la nature de ces Araignées, de qui les fmmes & filles sont disciples, & ont appins d'elles â filer & à faire leur toyles, & les pescheurs à faire leur rets. Mais elles ont beaucoup meilleure grace & plus grand aduantage en leurs industries: La femme & la fille font les toiles & filetz, & le mary chasse d'autre part pour leur nourriture, & est aux aguetz caché dans quelque trou en la muraille pour attendre & surprendre vne beste pour la faire tomber en ses retz: & encore que son corps ne soit gueres plus gros qu'vn pois, il a toutefois tant de viuacité & industrie qu'il prend quelque fois de grosses mousches & petits lezars en ses retz, & si obserue si bien la saison de chasser qu'il semble estre astrologue: il est au contraire de nous qui attendons le beau temps: mais il chasse quand le temps est nubileux, qui nous est vn presage de pluye selon les deux grands Philosophes Aristote & Pline.

Entends tu les grenouilles croquer?

C'est signe de la sayson temperée, ou de la pluye, o de vent, ou de tourmente, ou de rien.

Voyez vous ce chien là, qui pisse contre la muraille?

Page  156*C'est, comme dit Platon, au second liure de sa Republique la beste du monde plus Philosophe.

Mais veistes vous onques vn chien rencontrant quelque os medullaire: si veu l'auez, vous auez peu noter de quelle deuotion il le guette, de quel soing il le garde: de quelle ferueur il le tient, de quelle police il met ses pieds la dessus, de quelle prudence il l'entamme, de quelle affection il le brise, & de quelle diligence il le succe.

Qui l'a induit à ce faire? Quel est l'espoir de son estude? Quel bien pretend il?

Rien plus qu'vn peu de mouëlle. Vray est que ce peu plus est delicieux que le beaucoup de toutes autres.

La rayson pourquoy? Pour ce que la mouëlle est aliment elabouré à parfection de nature, comme dit Galenus 3. lib. fac. Nat. & 11. de vsu Partium

De toutes les bestes il n'y a pas vne plus sage ny plus subtile que le singe.

O la meschante beste. Il ne fait que s'en mocquer de tout le monde: & montre le cul a tous venans: Il ne garde point la mayson comme vn chien: il ne tyre pas la charruë comme le boeuf: il ne produist ny laict ny laine comme la brebis: il ne porte pas son maistre comme le cheual: il ne porte pas de faix comme l'asne. Ce qu'il faict est tout conchier & desgaster, qui est la caus, pourquoy de tous il reçoit tant des bastonnades & mocque∣ries.

Sçauez vous que m'a dit mon compagnon Maximilien?

Et quoy, ie te prie?

Que Hierosme Pierruche est merueilleusement amouraché d'vne belle fille: & que son frere Page  158 Iean,* cestuyla qui ioüa à la fossette auec nous, fait estat de merchandise, ayant quitté les lettres: c'est, que des cheuaulx il est descendu aux Asnes.

Qu'est ce que i'oy.

Ce Hierosme vous l'auez bien cognu gros & gras, d'vn visage vermeil, en bon point, ioyeux, d'vne face luysante, plaisant, raillard: maintenant il est maigre, descoloré, d'vne pasle couleur & comme meurdrié, foible, hideux, songeard, aymant la solitude, & fuyant la compagníe des hommes: tellement que nul d'iceux qui l'auoit veu auparauant ne le sçauroit recognoistre.

O le pouure & miserable ieune homme! D'où luy vient son mal?

D'amour. D'amour? Dites vous?

Maintenant il est enragé: il est fol: souuentes∣fois il se pourmeine tout seul: mais tousiours sans parler, tousiours ou chantrouillant ou gringotant quelque chose, & escrit des carmes en vulgaire à son amoureuse.

O chetif garçon!

Maintenant vous le verrez feindre vne mer des larmes, vn lac des miseres, redoubler ses cris, accuser le ciel, mauldire à la terre, faire vne anatomíe de son coeur, geler, ardre, adorer, idolatrer, admirer, feindre des paradis, forger des Enfers, faire le Sisiphe, iouër l Tantale, contrefaire le Titíe. Tout quant & quant il exalte en ses vers celle Diane qu'il ayme: ses cheueux ne sont autre que fil d'or, ses sourcils arches & voutes d'Ebene, ses yeulx astres iumeaux, ses regards esclairs, sa bouche coral, ses dents perles d'Orient, son aleine basme, ambre, musc, sa gorge de neige, son col de laict, ses mammelles qu'elle a sur l'estomac montagnes ou pommes d'Alabastre.

Tout le reste du corps n'est plus qu'vne prodigalité & thresoir du ciel & de la nature qu'elle auoit reserué pour cōbler de toute parfection sa maistresse & bien-aimée.

Page  160*Il y a grand dangier qu'il deuiēdra frenetique en la fin.

O que le pauure passionné est bien eclipsé! Tantost vous le verrez tout confit en pleurs & larmes, faire l'air retentir de souspirs, plainctes, murmures, rages, imprecations: l'autrefois s'il a eu quelque bon regard de sa Deesse, vous le verrez gay, esmeraudé & gaillard: les autres fois vous le verrez trauerser, passer & repasser cinq ou six fois le iour par vne ruë, pour espier s'il peut auoir quelque traict d'oeil de celle qu'il ayme mieux.

Que me donnerez vous si ie vous y monstre vnes lettres qu'il escriuist à son amoureuse.

Ie te prie mon mignon, fay moy ce faueur que ie les puisse veoir.

Ie les veux lyre hautement: Escoutez:

Madamoyselle, vostre beauté est tant excellente, tant singuliere, tant celeste, que ie croy que Nature l'a mise en vous comme vn paragon pour nous donner enten∣dre combien elle peust faire, quand elle veut employer toute sa puissance & tout son sçauoir. Ce n'est que miel, ce n'est que succre, ce n'est que manne celeste de tout ce qu'est en vous. C'estoit a vous à qui Paris deuoit adiuger la pomme d'or, non à Venus, non, ny à Iuno, ny à Minerue, car oncques n'y eut tant de magnificence en Iuno, tant de prudence en Minerue, tant d'Elegance en Venus comme y a en vous. O Dieux & Deesses celestes, que heureux sera celuy à qui ferez celle grace de vous accoller, de vous baiser, & de coucher auec vous: Ie ne sçay si ie suis predestiné des Phées: parquoy ie me reccommends à vostre bonne grace & vous baisant bien humblement les blanches maïns, ie vous dis, Adieu sans Adieu.

Il entend desia la Rhetorique courtesane.

Le pouure garçon est aueugle & son bon sens luy default.

Il se remettra vn iour au bon chemin.

Page  162*Ie seray bien ioieux certes pour l'amour de luy.

Ie me retire à la ville. Car nous aùons trop icy demeuré.

Allons à S. Pol pour veoir les Antiquitéz.

Montons là haut vers le choeur.

Qui est ensepuely dans ceste muraille?

C'est Seba Roy des Saxes qui conquesta ce pais d'Angleterre.

Voyla vn beau tombeau certes. Qui est icy entombé?

Iean de Gand duc de Lancastre, & filz du roy Henry le troisieme.

Voyla sa lance & sa targue de corne.

Quel epitaphe est cecy?

Du Sieur Philip Sidney paragon nompareil des lettres & des armes.

Lisons le, ie vous en prie:

Angleterre, Flandres, les Cieulx, & les Arts,
Les Souldarts & le Monde ont fait six parts
Du tres-noble Sidney: car nul ne iugera
Qu'vn petit mont de terre son corps cachera.
Angleterre a son corps, elle le nourrissoit,
Flandres son sang, repandu pour son droit:
Les Arts son renom, le Ciel tient son ame,
Tous preux soldards sa perte, & l'Vniuers sa Fame.

C'est grand' pitíe de la mort de ce ieune gentilhomme.

Il est mort, & c'est trop tard de luy r'appeller des morts.

De qui sont ces armoiries nouuelles?

Du feu milord le grand Chancelier, homme qui meritoit beaucoup, plus que n'en sçaurois dire à present.

Qui est ce noireau-cy?

C'est monsieur Iean Collet qui bastit l'eschole en la cemitíere S. Pol.

Page  164*Certes ceste Eglise est bien longue.

Elle est plus longue de cinq pas que la Nostre Dame de Paris.

Comment le sçauez vous?

Ie les ay mesuré toutes deux, mais ceste-cy n'est pas si large ny bastie si nettement.

Si est-ce que les Anglois les ont bastíes toutes deux.

Allons promeiner vn peu plus bas en l'eglise.

Quel monument est-cecy si ancien?

C'est, comme lon dit, d'Homfrid due de Glocestre qui est icy enterré?

On dit qu'il a coustumierement son lieutenant icy en S. Pol, pour sçauoir s'il y a des nouuelles de France ou d'autres pais estranges.

Il est vray mon amy, & si a il bien son maistre d'Hostel qui inuite les gens qui apportent ces nouuelles pour prendre la peine à disner chez sa grace.

Tient il maison magnificque?

Maison ouuerte depuis cinq heures au matin iusques à les six du soir.

Mais pour les estrangers ie dis.

Pour les estrangers comme pour ses domestiques, & ceux de la ville.

Voyla trois compagnons qui s'endorment en ce coin là sur vne piece du bois. Ie ne sçay s'ilz sont gens a pied ou voyageurs sans cheuaulx.

Ils sont de train du Duc.

Ce sont cheualiers du posteau.

Vous estes vn bailleur de baliuernes en matieres des cinges▪ verds.

Escoutez, si vous auez affaire de respondant ou caution, pour cinq solz ceux-cy vous presteront vn serment fausse pour vous cautionner s'il fust pour dix mil escus.

Vous estes vn vray Iuif, allez.

Et vous estes vn mangeur des serpents.

Page  166*Cognoissez vous cest homme qui promeine là vestu de satin? Il a mangé son bled en herbe.

Il a fait donc de belle saulse verde. Regardez comme il taille de l'historiographe. Il est Alquemiste à sa mine, & a tout multiplié en rien. Il a donc bien souflé, & vit asteure comme le poisson de l'air.

Ie m'esbaïs fort d'vne chose, & c'est, qu'il y a tant de faux-monnoyeurs en ce païs-cy & si peu d'Alquemistes.

Les Alquemistes ne sont pas faux-monnoyeurs.

Non, mais les sophisticateurs des mettaulx sont faux compagnons.

Ie soustiens que les Chimiques sont gens de bien.

Ie ne dy ne bien ne mal d'eux, qu'ilz multiplient tant qu'ilz veuillent.

N'auez vous iamais estudié l'Alquemíe?

Non, car c'est vne vanité.

O la belle science! O la riche receipte, pour faire la pierre philosophale.

Comment la pourroit on faire? Ie veux essayer de la trouuer.

Il faudra souffler fort toutes sortes des mettaulx.

Laissez moy faire doncques, est ce le tout de bien souffler?

Pour vous en dire la verité, ce secret a esté descouuert anciennement & de nostre temps aussi, mais par deux ou trois seulement:

Quos Iupiter aequus amauit.

Comment appellez vous ce secret?

On l'appelle sang humain: l'eauë de vie, le dragon, corbeau, Elixir, le mercure des philosophes: l'eau seiche, l'esprit multipliant, le bois de vie, l'eau viue, la semence de l'or, le remede à toutes langueurs.

Dites moy, ie vous en prie, quelles sont les proprietéz de ceste pierre?

Ceste pierre est de telle vertu que si lon en mesle vne part parmi mille parts, voire dix-mille Page  168 parts de vif argent,* ou d'estaing, de plomb, de fer, de cuiure bien preparé, elles seront incontinent & en vn instant conuerties en or pur, fin & de meilleur alloy qu'aucun or naturel ou fossile.

N'a elle pas d'autres vertus?

Mille: car en moins de rien elle guerira toutes maladies, empesche celles qui veulent venir: allonge la vie, voire en telle sorte que qui vsera de cest or viura plusieurs centaines d'années comme les Patriarches.

Auez vous cognu quelqu'vn quia sçeu ceste receipte la?

L'empereur tient vn homme prisonier à Prage en Boheme, qui l'a sçeu bien faire. Quoy?

Quoy? L'or, la pierre philosophale, l'elixir, la poudre de proiection, le grand oeuure & secret des chimiques.

Pourquoy est il prisonier donc?

A cause qu'il a faict l'or plus pur par art qu'il n'a esté par nature.

C'est grand dommage certes, mais iasons vn peu ie t'en príe, deuant que nous allons plus auant.

Ie suis content.

Voyez vous cest homme-là? il n'est ni trop petit ny trop grand.

Non, car il est de moyenne stature.

Il est bien galand homme de sa personne, & n'a autre faulte sinon qu'il est larron, beuueur, pippeur, ioueur aux detz, ribbleur, si onques en fust à Londres.

Il a les doigts faits à la main comme Minerue ou Arachné, & a crié le theriacle autrefois, & en somme c'est le plus sin maistre-mousche d'Angleterre, & porte tousiours vn pellican en sa pochette, dont il n'y a porte qu'il ne crochetera, Ne le laissez pas approcher aux coffres de vostre pere, si vous estes sage.

Page  170*Il a soixante trois manieres de trouuer tousiours argent: mais il a deux cens quatorze de le de∣spendre.

Retournons asteure au logis: nous irons par Cheapsid & par la Bourse.

Nous regarderons en passant les belles faces.

Fi, à pied: ce sera des-honneur à moy qui suis ieune Academicien.

Voyla vne belle fille qui passe. Elle a la face luysante & Angelique.

Ie ne la veux point contempler: car c'est à mon aduis chose des-honorable pourles ieusnes estudiants de s'amuser apres des filles sottes & ineptes.

Vois-tu ceste Croix?

C'est vn des plus beaux monuments de la Ville de Londres.

C'est vn ornament à la grande, large & la plus belle ruë de la Ville. Elle est toute dorée par dehors.

Ie n'ay iamais veu de semblable.

Elle a cousté plus de dix mille escus le bastir & parement.

C'est beaucoup cela. Ie croy que tu ments asteure.

N'as tu pas veu la Pyramide qui est en la cemitiere de S. Pierre à Rome?

Non: car ie n'y fu iamais.

Moy, i'ay esté là, & si l'ay veu: & ie dy que la croix de la Cheapsid apporte plus de beauté & bien-seance à la Ville de Londres que ne fait point la Pyramide de Iulles Caesar à Romme.

Voyez l'Estendard de la Chepsid tout aupres.

Ie le voy bien: C'est vn Conduit d'eau.

On dit qu'il a demeuré cautionneur & pleige pour plusieurs bons compagnons, Page  172 quand ilz ont eu gueres d'argent en la bourse,* & peu d'amis pour donner pour eux pleige & caution.

Nous nous sommes rendus à la Bourse asteure.

La Bourse fut bastíe l'an 1567 par le Seigneur Thomas Gressam; qui donna aussi des reuenuz à la ville de Londres pour maintenir vn College, & des Regents pour y lire publiquement les sept Arts liberaulx.

Londres donc sera Academíe.

Cela s'entend. Mais Dieu y sçait quand. Regardez les femmes des merchants qui se pourmeinent icy.

Elles sont alaigres & gracieuses certes.

Cognoissez vous pas la pellerine qui passe-là?

Elle est ieune, frisque, elegante, galante, gracieuse par trop enuers ses voysins: vous n'auez iamais veu vne dame plus docte à la main, & a l'aiguille que ceste-cy.

Regardez la belle medaille d'vn coqu qui l'embrasse.

Vrayement on pourra d'oresnauant prendre les lions par les iubes, les cheuaux par les crins: les ours par les nareaux: les beuffles par les museaux: les loups par les queuës: les oyseaux par les pieds: les asnes par les oreilles: les cheures par la barbe: les hommes par les parolles.

Et par où prendrez vous les boeufs & coronards donc?

Par les cornes.

C'est assez iasé, caqueté, & babillé. Allons de çà: allons de là: allons, allons.