Utopie et colonisation en France dans la première moitié du XVIIIe siècle
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Il existe une contradiction entre l’importance des colonies établies en Atlantique et dans l’Océan Indien par la France et leur représentation dans la culture française, et cela jusque vers 1770.[1] En effet, si les colonies françaises des Antilles ont eu un impact singulier sur l’économie —ainsi que sur la culture du royaume de France—, peu d’écrivains des Lumières ont pris en considération les conditions qui ont rendu possible cette croissance, et en particulier le système esclavagiste comme celui des domestiques engagés.[2] De nombreux auteurs, tels que l’Abbé Prévost ou Alain René Lesage, ont pu mentionner la vie dans les colonies de la Nouvelle-France et des Antilles, mais en propageant peu les aspects les plus sombres de la colonisation. Pourtant, de nombreux travaux, dont ceux de Michel-Rolph Trouillot, ont montré combien la France avait pu participer au commerce des esclaves, en particulier en Martinique.[3] Si on parle abondamment de l’esclavage dans les romans, c’est bien souvent dans le contexte d’un Orient reconstruit au sein duquel l’Européen en est, la plupart du temps, présenté comme la victime : en effet, la rencontre avec les pirates orientaux capturant des esclaves européens constitue un des topoï de l’archétype littéraire qu’est alors le voyage en Méditerranée. Ce transfert vers un Orient menaçant permet de déplacer géographiquement les questions que pose l’esclavage, et ainsi de décrire celui-ci sous un jour éludant, à l’avantage des Européens, la réalité des grandes plantations. Hors de ce cadre oriental, l’esclavage dans le contexte colonial est fort peu évoqué dans les romans ou les nouvelles de la période allant de 1680 à 1760. Dans ce silence littéraire, les romans utopiques constituent une sorte d’exception, au point que le genre de l’utopie peut être considéré, dans ce contexte, comme un cas singulier.
Dès l’apparition des premières utopies françaises, telles que l’Histoire des Sévarambes de Denis Veiras d’Allais ou La République des Philosophes, attribué à Fontenelle, la violence de la colonisation est facilement admise.[4] Se présentant dans le contexte de l’imaginaire littéraire, l’idée d’une colonisation agressive se trouve souvent justifiée dans ces textes par l’idée alors tacitement admise d’une supériorité intellectuelle et morale du vainqueur sur le vaincu. Politiquement, étant donné que cette colonisation est censée apporter un bonheur matériel à tous, même aux plus grossiers des êtres humains, la soumission du primitif par le soi-disant civilisé se trouve commodément innocentée. En effet, l’utopie se définissant comme une société imaginaire présentée comme meilleure que la société de référence, l’accroissement territorial utopique est justifié par l’expansion d’une civilisation meilleure, capable d’apporter le bonheur au plus grand nombre.[5] Pourtant, à partir des Aventures de Télémaque de Fénelon, puis des Lettres persanes de Montesquieu, le discours utopique évolue pour remettre en cause l’idée du colonialisme, et prendre en considération à la fois le bien-fondé de toute expansion nationale et le sort du colonisé. Si des textes littéraires en faveur de la colonisation paraissent tout au long du XVIIIe siècle, un courant utopique se développe en France soit pour contester une politique expansionniste, soit pour dénoncer les abus de l’entreprise coloniale. Afin d’une part de présenter les stratégies développées par le genre utopique pour mettre en question le concept même de la colonisation entre 1700 et 1740, et d’autre part de définir les limites de la critique utopique, il faut tenir compte de l’histoire de ce genre pour mieux comprendre la transformation intellectuelle qui s’est opérée au début du XVIIIe siècle. À terme, et sans jamais adopter une quelconque perspective anticolonialiste, ces écritures utopiques constituent l’espace littéraire de production d’un modèle paradoxal qui est par la suite durablement dominant, à savoir celui d’une colonisation à visage humain.
Si l’on considère l’histoire de l’utopie avant les années 1700, on remarque que la plupart des textes dits utopiques fondent leur société sur une colonisation violente. L’utopie de cette période, bâtisseuse d’empire, ne semble pas pouvoir s’établir dans la paix. La politique de conquête de Louis XIV, jusque-là victorieuse, apparaît comme le modèle d’une politique expansionniste. Ainsi les Sévarambes de Veiras forment un peuple qui s’étend lentement à partir d’un centre, pour constituer graduellement une nation de plus en plus puissante. C’est le cas aussi des Australiens de Foigny, qui préconisent une politique d’extermination de ce qui n’appartient pas à leur race hermaphrodite.[6] Cette politique les conduit même à massacrer les animaux et à raser montagnes, collines et forêts. Leur empire n’est plus qu’une ville vidée de toute nature.[7] On comprend alors que la guerre constitue une de leurs normes culturelles. Notons, cependant, qu’il ne s’agit pas d’une conquête systématique par soif de puissance, puisqu’il est fermement indiqué que ces utopies ne doivent s’agrandir, selon le modèle de Thomas More, que lorsque leur population atteint un seuil critique et qu’il faut trouver de nouvelles terres pour continuer à prospérer. Mais une fois ce seuil atteint, ces royaumes utopiques n’ont pas d’états d’âme quand il s’agit d’asservir leurs voisins. La raison principale d’une telle attitude n’est jamais présentée explicitement, mais elle reste sous-jacente à toutes leurs entreprises colonisatrices. En bref, la majorité de ces utopies considèrent, dans leur rapport au colonisé, que la supériorité du colonisateur justifie toute agression et assujettissement. En ce sens, les habitants des utopies de Veiras et Foigny, mais aussi de Gilbert et de Fontenelle, définissent leur civilisation comme l’expression la plus avancée de l’évolution humaine et estiment ainsi que l’Autre appartient à une “civilisation-enfant”.[8] Placé dans cette position, le colonisateur devient le parent, l’éducateur et le tuteur d’une population en mal de civilisation. Cette idéologie se fonde sur une humanité double: d’un côté, un groupe humain supérieur, noyau dur de gens parfaits aussi bien de corps que d’esprit, seuls capables d’accéder au vrai bonheur; de l’autre, une sous-humanité d’êtres contrefaits qui, s’ils participent au rêve utopique, se trouvent soit réduits à des rôles de subordonnés, soit relégués dans la périphérie du territoire utopique.[9]
En règle générale dans ces utopies de la fin du XVIIe siècle, le sauvage colonisé se retrouve à occuper des états d’assujettissement variables suivant les cas, à l’instar de la multiplicité des statuts existant alors dans les colonies françaises. Celui que l’on colonise est d’abord considéré comme un prisonnier de guerre, qu’il vaut mieux par la suite réduire en esclavage que tuer, et cela pour des raisons à la fois politiques (l’esclave peut, le cas échéant, devenir un sujet) et économiques (il serait contraire au profit de la nation de se priver de la puissance productrice d’un prisonnier de guerre) : en ce sens, les utopies de la période de la fin du règne de Louis XIV font preuve d’utilité et d’humanité en faisant l’échange de la vie d’un homme contre son travail. La République des philosophes ou l’histoire des Ajaoïens comprend dans sa structure utopique la figure du sauvage colonisé, ici esclave. Ainsi, cette utopie participe à ce débat entre d’une part un impératif humanitaire et un devoir de charité chrétienne envers son prochain, et d’autre part une nécessité économique et une exigence politique de suprématie. Dans ce monde sans argent, le bonheur réside dans une séparation des tâches et dans le respect de l’ordre établi. Les vertus de stabilité et d’ordre, marqueurs d’une supériorité de civilisation, dominent ici le paysage utopique. Dans le cadre d’une société qui privilégie le travail, l’ordre, la stabilité et la productivité, l’homme sauvage ou barbare est plus heureux esclave en utopie que libre dans son pays.[10] Argument esclavagiste classique, l’utopie de cette période considère qu’il est préférable pour le sauvage de vivre dans un État civilisé sous la férule du maître que de mener une vie de crime ou de paresse à laquelle sa nature semble le condamner.[11]
Dans la période 1675-1700, l’utopie proposait un modèle radicalement différent de la France ou de tout autre pays européen. Ce modèle envisageait un idéal communautaire qui permettait de trouver une stabilité politique intérieure grâce à un pouvoir fort, une volonté impérialiste envers l’extérieur et la douce tranquillité d’une économie autarcique. Dans la période suivante, entre 1700 et 1730, les caractéristiques qui donnaient une homogénéité à l’utopie évoluent considérablement. Le discours impérialiste et belliqueux tend à disparaître pour faire place à un discours de plus en plus pacifique. Les guerres de Louis XIV se sont révélées désastreuses pour l’économie du pays, de même que pour la sécurité de l’empire colonial. Le rêve d’une société meilleure passe alors par un repli territorial et paradoxalement, pour certaines utopies, par une expansion des échanges diplomatiques et commerciaux. De plus, durant cette période, l’utopie tente de reconstruire une France nouvelle, débarrassée de sa politique impériale. Pour reconstruire la France, l’accent est donc mis sur la paix et sur le commerce. Ainsi, dans les Aventures de Télémaque, Fénelon envisage une utopie ayant pour cadre la Grèce antique, mais ressemblant étrangement à un royaume de France aspirant à la paix et au bonheur.[12] Ouvrage didactique à l’usage du Duc de Bourgogne et source d’inspiration du modèle utopique à venir, le Télémaque offre un exemple naïf mais plein d’espoir d’une politique chrétienne pacifiste. La guerre étant comprise comme le plus sûr moyen de ruiner un pays, le royaume de Salente offre un modèle anti-impérialiste accompli. En réaction à la politique de gloire de Louis XIV, Fénelon propose de construire une nation, économiquement florissante et socialement ordonnée, qui refuse la guerre pour s’intégrer dans un système d’alliances politiques et d’accords commerciaux. Ce modèle fénelonien profondément marqué par les problèmes que connaît la France à la veille de la guerre de succession d’Espagne, est repris avec enthousiasme par Hervé Pezron de Lesconvel, mais cette fois dans un cadre idéologique ultra-catholique.[13] Dans l’Ile de Naudely, le pouvoir politique tente d’instaurer une monarchie heureuse par la vertu religieuse. L’idéologie de ce texte de Lesconvel se concentre moins sur une supériorité raciale ou militaire que sur une primauté des intérêts commerciaux du royaume, en particulier grâce à la pratique du dumping. Comme pour Fénelon, si une armée subsiste, elle n’existe que dans le but de protéger le territoire national. Il est aussi profondément révélateur que Lesconvel ne propose pas de récit fondateur à son utopie. Il s’agit dans ce texte d’une description d’un pays ressemblant fortement à la France, mais dans lequel les problèmes politiques, économiques et sociaux sont corrigés avec bonheur. Lesconvel, tout comme Fénelon, a effacé de son utopie l’épisode fondateur, pour offrir à son lecteur des solutions aux problèmes contemporains des Français.[14]
La Relation du Royaume des Féliciens du marquis de Lassay reprend globalement l’utopie de Lesconvel et y ajoute un discours qui s’inspire de l’épisode des troglodytes de Montesquieu.[15] Au lieu d’avoir une utopie profondément catholique ou chrétienne comme pour Fénelon et Lesconvel, l’utopie de Lassay s’oriente vers le déisme. En ce sens, ce texte cherche à trouver une entente culturelle commune au sein de laquelle le système de gouvernement serait construit sur le principe selon lequel “la vraie gloire d’un roi consiste à rendre les peuples heureux, et à laisser ses voisins en repos” (398). Il n’existe pas de volonté de construire un empire. L’accent est mis encore une fois sur l’économie pour assurer le bonheur et la puissance de ce peuple. Ainsi, le luxe n’est pas défendu puisqu’il permet, grâce à l’accroissement du commerce qu’il provoque, de “faire circuler l’argent” (472) et le commerce est “entièrement libre, sans aucune restriction” (472). Pour cet auteur, une économie libre et un usage libre des richesses représentent les deux seuls et vrais moyens d’aider les pauvres.[16]
Comme on peut le constater, à partir de Fénelon, l’utopie ne cherche plus à conquérir de vastes empires mais à vivre dans une paix gardée. Le modèle prévalent évolue vers celui d’une nation resserrée à l’intérieur de frontières naturelles, économiquement puissante du fait d’un commerce international développé, militairement défensive et sans désir impérialiste. Par contre, il faut noter le désir croissant d’une relation positive avec l’Autre, phénomène nouveau pour l’utopie française. Alors que l’utopie de la génération précédente ne s’inquiétait guère du sort de l’individu ou du colonisé, les auteurs d’utopie de la génération de Fénelon prennent en compte le sort des sujets de leurs pays imaginaires, cette prise de conscience s’expliquant par un désir croissant de liberté.[17] L’utopie de cette période met à l’honneur un sujet heureux et libre plutôt que la seule satisfaction des besoins élémentaires de l’individu (une nourriture suffisante et un logis adéquat). En ce sens, elle cherche à réconcilier la liberté, le bonheur et la moralité grâce à une politique pacifiste, profondément religieuse et impliquée dans le commerce international (ce qui s’oppose à l’esprit utopique d’un rêve d’une société refermée sur elle-même). Dans ce cadre, le discours qui justifiait une double humanité pour disculper une colonisation brutale dans les utopies du dernier quart du XVIIe siècle devient au XVIIIe siècle, dans la construction d’une société meilleure, de moins en moins acceptable.
Le genre utopique a pris très tôt en compte, pour des raisons narratives, la notion de colonisation. Il fallait expliquer le processus historique de construction utopique. Curieusement, cette construction s’est faite dans un premier lieu dans un cadre colonial agressif, qui a disparu par la suite. Les premières utopies prenaient en compte la colonisation dans une relation civilisé/barbare. Cette rencontre avait des possibilités sociales positives. Mais au moment où la colonisation passe de l’emploi de domestiques, de repris de justice ou de prostituées, envoyés outre-mer à un système esclavagiste de mode capitaliste, il est de plus en plus difficile de construire une utopie sur un modèle colonial.[18] En effet, à partir de 1720, les colonies françaises sont de plus en plus offertes en référence, soit comme possibilité pour une utopie future, soit comme lieu utopique concret. Les romans et pièces célèbrent de plus en plus une vie libre et “naturelle”. Jean-Philippe Rameau compose en 1729, Les Indes galantes, qui célèbrent la paix entre les Indiens et les Européens. De même, des Amérindiens sont invités à la cour de Louis XIV et de Louis XV. Le sauvage commence à devenir un objet littéraire ou philosophique.[19] À partir de 1717, le Nouveau Mercure publie en particulier trois relations sur la colonie de la Nouvelle-Orléans et du Pays des Illinois, qui sont décrits comme de véritables pays de Cocagne. Même si on présente comme un lieu idyllique des territoires fort peu accueillants dans le but de convaincre de potentiels investisseurs —en particulier le roi et la cour—, il n’en reste pas moins que ces récits et discours contribuent à l’illusion d’une utopie possible dans les colonies.[20]
Alors que de 1700 à la fin de la Régence, il existe un modèle utopique restreint à des frontières naturelles, à partir des années 1720, l’utopie revient à ses appétits impérialistes. L’attitude envers les colonies évolue de la méfiance pour les contrées lointaines à une exigence économique: comme le souligne Kenneth Banks, les produits qui étaient encore considérés comme un luxe avant 1715 sont devenus en 1730 des produits de première nécessité.[21] Les utopistes de la période 1720-1740 semblent alors alterner entre deux attitudes vis-à-vis les peuples colonisés. Pour certaines utopies —et il s’agit d’un retour à l’idéologie des années 1675-1700—, le colonisé est considéré comme un ennemi insociable et incapable d’être vraiment civilisé, ce qui justifie sa mise sous tutelle. Le comportement du sauvage représentant un frein à la mise en place d’une société meilleure, il doit être soit mis en esclavage soit exterminé. Pour d’autres, le colonisé est perçu comme un “bon sauvage” qui accepte sa dépendance avec allégresse. Il devient alors un matériau de choix pour construire une société meilleure. Étant bon de nature, une bonne éducation ne peut que le conduire sur la voie d’une vie supérieure. C’est dans le texte des Femmes militaires que l’on trouve le meilleur exemple de cette ambivalence entre ces deux positions.[22] Dans ce texte de Rustaing de Saint-Jory, deux peuples s’affrontent avant l’arrivée des Européens: les Ghèbres et les Musulmans. Les Musulmans constituent un peuple irréductible, cruel et irraisonné, oppressant les Ghèbres au naturel doux et conciliant. Les Musulmans, ne faisant pas partie d’une véritable humanité, sont donc exterminés légitimement par les Européens catholiques alors que les Ghèbres sont assimilés à l’utopie.
Pour d’autres utopies comme L’empire de Cantahar, la vision positive du commerce donne à l’utopie des aspects plus tolérants.[23] Ainsi, Cantahar est un pays vivant en paix avec ses voisins, sous l’égide d’un prince bienveillant et attentif au bien-être de son peuple. L’économie de ce pays est essentiellement marchande et soucieuse d’équité. Pour cela, un système de tarifs a été établi pour bloquer les marchandises étrangères et protéger les manufactures d’état. Ce pays entouré de montagnes est gouverné par un monarque absolu contrôlant une puissance militaire imposante. Dans cet empire, les trop grandes fortunes sont jugées négativement. Comme dans les autres utopies de cette époque, le commerce reste un élément privilégié de la bonne gestion économique. L’ennemi est encore et toujours le monde de la finance : la banqueroute de Law est encore présente à l’esprit des auteurs de ces utopies. Alors, frugalité et honnêteté sont les mots d’ordre de cette nation exemplaire. Les idéaux que défendait Lesconvel sont repris ici, à ceci près que la peur de toute colonisation qui habitait les utopies de la période 1700-1720 n’y apparaît plus. À l’origine, toute colonisation est absente, puisque ce peuple est créé à partir de plusieurs clans unis par un fondateur qui leur a apporté la religion et les lois. Par contre, cette utopie accepte l’idée de coloniser d’autres pays mais selon certaines règles. Ainsi, la colonisation ne peut se faire par les prisonniers de droit commun. Au contraire, Cantahar propose de dépêcher les hommes les plus sages et les plus vertueux. L’objectif n’est pas de conquérir par le fer ou par le sang, mais plutôt de créer des liens commerciaux et amicaux avec les peuples qui habitent en dehors des frontières de l’utopie. Ainsi, les habitants de Cantahar qui partent dans les colonies ne s’y établissent pas; ils y restent au plus une dizaine d’années, et reviennent souvent riches grâce au commerce. Cette richesse encourage alors d’autres habitants à partir et à maintenir les comptoirs déjà établis. Le but est de voir l’argent initialement parti vers les colonies, revenir avec les colons qui rentrent chez eux. Cette utopie représente une œuvre charnière entre le refus de toute colonisation qui caractérise les utopies de la période 1700-1720 et le nouvel engouement pour une colonisation pacifique et marchande de la période 1730-1740 (colonisation de comptoirs plutôt que de peuplement).
Au moment même où la France se relance dans son œuvre colonisatrice, l’utopie des années 1730 réadopte donc une perspective impérialiste, mais avec une perception nouvelle de la colonisation. Deux utopies font valoir cette nouvelle tendance colonisatrice, réinterprétation positive dans le cas de Lesage, négative dans le cas de Prévost, de récits de voyage antérieurs.[24] L’œuvre de Mademoiselle Duclos (Lesage) et celle de Bridge (Prévost) illustrent des utopies en devenir, mais qui se fondent toutes les deux sur l’assimilation à la culture européenne d’une population autochtone ou sur la soumission d’un peuple à un groupe d’Européens. L’utopie fondée par Bridge est copiée sur le modèle anglais de la colonisation. En Nouvelle-Angleterre, il n’est guère question d’intégrer les indigènes dans la société coloniale.[25] Comme pour Bridge, dont le sentiment religieux est profond, les premiers colons anglais, soucieux de construire une “nouvelle Jérusalem”, refuse de voir leur société sombrer dans une hétérogénéité religieuse et tendent à refuser l’intégration de nouveaux membres. Ne sachant que faire des Amérindiens, Bridge (à l’instar des Femmes Militaires) considère que, pour coloniser ce pays nouveau, il lui faut exterminer ses ennemis (les Rouintons) puisqu’il ne peut les intégrer facilement à sa colonie, et il lui faut offrir une place subalterne à ses alliés (les Abaquis), attendu que ce peuple lui est nécessaire pour pouvoir s’établir. La guerre constitue alors un moyen pour soumettre une population. Le but ultime est de conquérir un territoire, mais sans véritable désir d’intégrer les Amérindiens dans l’Empire colonial anglais. En ce sens, Prévost critique l’œuvre colonisatrice notamment parce qu’elle s’établit par la violence et constitue une usurpation. Dans ce cas, la colonisation ne se trouve pas innocentée par le bonheur qu’elle est censée apporter. Son héros, à demi anglais, veut construire une société qu’il veut utopique, mais qui est rejetée par ceux qui y vivent. Au lieu de vouloir établir une communauté homogène, son rêve consiste à créer une colonie anglaise ayant pour modèle une structure de castes justifiée par une impossibilité pour les Amérindiens d’accéder à la civilisation telle qu’elle est conçue par Bridge. En ce sens, ce peuple Amérindien est composé d’hommes et de femmes appartenant à une humanité encore dans l’enfance, mais qui ne pourra jamais accéder à un état adulte. Il faut donc accepter, dans l’esprit de Bridge, la domination européenne, afin de pouvoir constituer une utopie. En ce sens, cette utopie se conçoit plutôt comme une dystopie, critique acerbe du système colonial, en particulier du système colonial anglais.
Au contraire, au même moment, Lesage propose la possibilité d’une colonisation utopique pacifique.[26] Il s’agit de construire une société multiculturelle tout en essayant de garder une cohérence nationale spécifiquement française. En ce sens, Lesage est proche de la réalité américaine de son époque.[27] Il s’agit dans ce texte de colonisation puisque l’objectif ultime est d’intégrer au royaume de France la contrée que Mademoiselle Duclos cherche à développer. Cette héroïne de Lesage —à ma connaissance le seul personnage féminin fondateur d’utopie au XVIIIe siècle—, se place du point de vue d’une humanité homogène. Il n’y a pas chez elle de différence entre les hommes, si ce n’est des différences culturelles que le système politique se propose de réduire sans les détruire. Son monde est celui de la liberté et de la tolérance.
Alors que les utopies précédentes voyaient avec appréhension les relations avec l’extérieur, dans le cas de la colonie de Mademoiselle Duclos, la frontière entre la civilisation et les sauvages s’avère exceptionnellement féconde. Les raisons en sont données en filigrane: la bonne volonté, l’importance du commerce, une organisation souple, et surtout, l’absence de racisme ou de xénophobie marquée. Même si le sauvage appartient encore au monde de l’Autre (dans ce texte on se demande si ce n’est pas l’Européen par trop civilisé qui est l’Autre), il appartient pleinement à l’humanité, et peut donc constituer un réel partenaire dans la société utopique ou dans le domaine du commerce. En effet, le commerce permet dans ce cas d’égaliser et de faciliter les relations entre les peuples. Au point que Mademoiselle Duclos, incarnation féminine d’un modèle de l’entrepreneur, peut devenir le chef d’une communauté multiethnique et multiculturelle. Pour elle, femme qui a connu l’ostracisme de l’Europe, les Hurons sont tout à fait capables par leur activité de conquérir la nature et d’établir une société brillante qui leur donnera la liberté de choisir leur bonheur. En ce sens, la communauté duclosienne se montre profondément moderne dans son désir de créer une société —et non pas seulement une communauté— multiculturelle considérant tous les êtres humains égaux, et supprimant ainsi toute notion de hiérarchie des races humaines. Dans son cas, le rêve utopique peut s’accomplir presque spontanément à condition de créer, à la base, les conditions nécessaires: liberté politique et religieuse, égalité entre tous les membres de la nation, gouvernement limité, sécurité, abondance économique grâce à l’agriculture et au commerce.
L’utopie des années 1675-1700 envisageait la colonisation violente d’autres peuples comme une possibilité acceptable de construire une société meilleure. La culture du XVIIe siècle permettait cette colonisation basée sur une humanité double, puisque cette culture reposait sur la notion d’une supériorité de sang de la noblesse. Toute personne de sang noble possédait naturellement des qualités innées qui n’apparaissaient qu’accidentellement pour les autres. Cette distinction de “races” au sein du royaume de France se reproduisait dans les colonies et dans les utopies. L’Indien, l’Africain ou l’Asiatique étaient perçus comme différents de l’Européen par leur aspect mais aussi par leur lignage. Il n’y avait donc rien de choquant à la mise en esclavage ou en tutelle de certains peuples jugés comme inférieurs. Cette distinction intégrée au mode de pensée dominant permettait de justifier l’esclavage, tout comme elle légitimait l’inégalité sociale entre la roture et la noblesse. Pourtant, l’utopie restitue l’histoire d’une transformation dans la culture des élites, en particulier dans cette supériorité du sang et des peuples. Le modèle politique libéral commence à poindre et remet progressivement en question toute supériorité de sang ou d’ordre. Si la relation entre le colonisateur et le colonisé est une relation tendue dans les utopies de la fin du règne de Louis XIV, ces rapports s’améliorent au cours des années 1720-1740, même s’ils restent toujours problématiques. D’un côté, il y a l’utopie de Bridge qui insiste sur la violence entre les Européens et les Amérindiens, violence qui évoque des analyses faites par John Dickinson concernant les contacts franco-indiens.[28] À l’autre extrémité, se trouve l’utopie de Mademoiselle Duclos qui construit une société séduisante basée sur le respect et l’harmonie des cultures. En cela, l’utopie libérale reste équivoque, puisqu’elle accepte ceux qui peuvent s’intégrer sans heurt au système utopique, mais refuse la différence. C’est bien ce que montre l’utopie des Femmes militaires, qui écarte le Musulman, mais accepte le Ghèbre, ou encore l’utopie de Prévost, qui construit une société meilleure avec les Abaquis, mais refuse d’intégrer les Rouintons.
De manière générale, on assiste, dans les années 1730, à un retour à une volonté colonisatrice, porteuse de bonheur et de prospérité, et ce en lien avec la reprise de l’économie française, portée en particulier par les colonies, qui deviennent alors le moteur de la croissance.[29] À la différence des utopies de la période 1675-1700, la colonisation n’est plus vécue comme l’imposition d’une aristocratie occidentale sur un peuple de sauvages, mais comme l’union entre les Européens et les autochtones, alors perçus comme encore enfants, mais capables de devenir adultes grâce à la sage éducation d’un père (ou une mère pour Lesage) fondateur. On rêve alors pour des raisons démographiques (comme pour la Louisiane et le Pays des Illinois), d’une alliance entre l’Européen et le Sauvage. Il semble bien que démographie et économie soient le moteur de ce changement dans les conceptions utopiques. Et ce même si l’utopie du début du XVIIIe siècle hésite entre d’une part une unification, faite par la force si nécessaire, au nom du droit et d’une supériorité culturelle d’un peuple colonisateur; et d’autre part une acceptation des différences et le désir de trouver un terrain culturel commun pour une entente patriotique. Dans ce dernier cas, les différences sont acceptées, quoique l’on cherche à les effacer doucement, comme c’était le cas dans le royaume de France au début du XVIIIe siècle.[30] En cela les utopies participent à la tradition d’Ancien Régime d’une unification tolérante et donc d’une colonisation douce et bienveillante.[31] On pourrait croire que ces auteurs utopiques de la métropole n’ont pas débattu du statut et des modes de conduites dans les colonies —ou alors de façon très succincte—, parce qu’ils méconnaissaient la réalité coloniale. Pourtant, ce silence sur la colonisation française ne résulte pas d’une ignorance ou d’une indifférence mais, selon l’expression de Madeleine Dobie, d’un mécanisme d’évitement (« avoidence mechanism »).[32] La disparition d’une volonté coloniale dans l’utopie française au cours des premières décennies du XVIIIe siècle, puis sa réapparition à partir des années 1730 dans un cadre hors Amérique (ici l’utopie), renforce l’hypothèse de Madeleine Dobie selon laquelle, bien qu’on ne parle pas d’esclavage en France pendant le XVIIIe siècle, l’esclave se trouve partout et son omniprésence est au cœur d’une transformation de la culture française. Il faut attendre 1763 et la perte du Québec, puis surtout la révolution haïtienne, pour que l’on passe du silence au discours.[33] Pour des raisons idéologiques, la Troisième République fait perdurer cette vision du bon colon Français, mais ne peut pas effacer les tensions libérales sous-jacentes à cette vision positive de colonialisme. Le libéralisme français républicain du XIXe siècle a eu cette conséquence paradoxale d’assimiler une population de plus en plus nombreuse grâce à une législation devant laquelle tous était égaux, tout en rejetant tous les individus ou groupes d’individus qui ne rentraient pas dans sa structure humaniste à l’européenne. L’utopie aurait-elle pu lui enseigner une leçon de tolérance?
Madeleine Dobie explique en détail ce vide dans la culture philosophique et littéraire de la France du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, moment où le discours antiesclavagiste et émancipateur devient à la mode. Madeleine Dobie, Trading Places, Colonization and Slavery in Eighteenth-Century Culture (Ithaca and London: Cornell University Press, 2010).
Louis Sala-Molins note en particulier combien l’esclavage colonial, cité presque nonchalamment par Rousseau, Voltaire et Montesquieu, a été relativement peu mentionné au cours du siècle dans la littérature. Louis Sala Molins, Misères des lumières (Paris: Laffont, 1992).
Michel-Rolph Trouillot, Silencing the Past (Boston: Beacon Press, 1997), 17.
Denis Veiras (1635?-1700?) est un protestant ayant vécu en Angleterre puis en France. Son texte, œuvre de réflexion sur l’intolérance religieuse —qui aboutira en France à l’Edit de Fontainebleau—, est publié d’abord en anglais à Londres en 1675, puis en 1677-79 dans une version française totalement remaniée. Denis Veiras, The History of the Sevarambians (Albany: SUNY Press, 2006); Histoire des Sévarambes (Amiens: Ancrage, 1994). La République des Philosophe attribuée à Fontenelle, chercheur et vulgarisateur des sciences nouvelles, est un texte dont l’écriture date sans doute de 1683. Le texte sera publié après la mort de l’auteur en 1768. Bernard le Bouvier de Fontenelle, La République des philosophes ou l’Histoire des Ajaoïens. (Amsterdam: 1768).
Je me sers ici de la définition proposée par Lyman Tower Sargent dans Utopia, The Search for the Ideal Society in the Western World (New York: O. U. P., 2000), c’est-à-dire un récit décrivant une société imaginaire (lieu de nulle part) dans laquelle les problèmes de la société de référence sont heureusement corrigés (lieu de bonheur).
La vie de Gabriel de Foigny (1630?-1692?) reste énigmatique: moine défroqué, il s’est converti au protestantisme mais meurt curieusement dans un couvent catholique. Son œuvre est profondément marquée, comme celle de Veiras, par les querelles religieuses et scientifiques de l’époque. Gabriel de Foigny. La Terre australe connue (Paris: S.T.F.M, [1675] 1990).
On trouve la même forme de développement dans l’Histoire de Caléjava (1700) attribuée sans doute faussement par l’abbé dijonnais Papillon à un certain Claude Gilbert (1652-1720), auteur proche des courants libertins. Claude Gilbert, Histoire de Caléjava ou de l’isle des hommes raisonnables, avec le parallèle de leur morale et du christianisme (Exeter: University of Exeter, [1700] 1990). Pour une étude sur l’origine de ce texte, voir l’introduction de l’édition critique établie par Yvan Nerveux, Histoire de Caléjava, ou de l’île des hommes raisonnables (Paris: Champion, 2012).
Comme a pu le montrer et l’a dénoncé pour la civilisation occidentale Claude Levi-Strauss dans Race et histoire (Paris: Folio Gallimard, 1987).
Chez Veiras, cette séparation est graduelle: les êtres les plus parfaits sont au centre et, progressivement, les autres sont répartis à partir de ce centre en fonction de leur niveau de perfection.
Alain Testart définit parfaitement comment l’esclave pouvait être perçu à cette époque: “l’esclave est un dépendant: 1) dont le statut (juridique) est marqué par l’exclusion d’une dimension considérée comme fondamentale par la société. 2) et dont on peut, d’une façon ou d’une autre, tirer profit.” Alain Testart, L’Esclave: la dette et le pouvoir (Paris: Errance, 2001), 25.
Voir à ce sujet Bruno Guigue, Les Raisons de l’esclavage (Paris: L’Harmattan, 2001). Guigue étudie avec précision le système de pensée qui permettait de justifier l’esclavage.
Fénelon (1651-1715) est connu pour son opposition à Louis XIV et à ses guerres d’expansion territoriale. Son manque d’enthousiasme pour une colonisation agressive s’explique facilement dans ce contexte. 1699- François de Salignac de la Mothe-Fénelon, Les Aventures de Télémaque (Paris: Classiques Garnier, 1994).
Cette œuvre est souvent et, à tort, attribuée à Pierre de Lesconvel. Hervé Pezron de Lesconvel (1650- ?) est un petit noble de Bretagne, qui a servi dans un régiment de Marine et a pu voyager notamment en Angleterre. Hervé Pezron de Lesconvel, Relation du voyage du prince de Montbéraud dans l’isle de Naudely. (Première Partie à Cazéres [Paris], Capitale de l’Isle de Naudély: chez P. Fortané, 1703).
Durant la période 1700-1725, le royaume du roi Butrol est peut-être la seule utopie qui ne s’inspire pas de la France de Louis XIV. Tyssot de Patot (1655-1738), né en France mais ayant passé la plupart de sa vie en Hollande, appartient au courant libertin proche des huguenots exilés. Il perd même sa position de professeur pour raison d’impiété. Simon Tyssot de Patot, Voyages et avantures de Jaques Massé (Paris et Oxford: A. Rosenberg, [1710] 1993). En revanche, Tyssot de Patot conserve toutes les autres caractéristiques des utopies de cette période en refusant toute forme d’expansion territoriale. Les raisons d’un tel refus expansionniste s’expliquent aisément: son utopie est un univers clos, entouré d’obstacles infranchissables, qui ne laisse que peu de possibilités de développement hors des frontières naturelles. Dans ce cadre restrictif si distinct de l’exemple français, toute possibilité de colonisation est inconcevable. Tyssot de Patot offre donc une utopie pacifique parce qu’elle demeure coupée du monde.
Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu, Les Lettres persanes, dans Œuvres complètes (Paris: Gallimard, [1721] 1949). Le marquis de Lassay (1652-1738), appelé aussi le « Don Juan du Grand Siècle » appartient lui aussi au courant libertin. Armand-Léon de Madaillan de Lesparre, marquis de Lassay, Relation du royaume des Féliciens, dans Recueil des différentes choses, t. IV (Lausanne: [1727] 1756).
Ce que l’on nomme en français la “théorie de l’écoulement” qui est par la suite au centre de la doctrine économique de Voltaire.
Voir à ce sujet l’analyse d’Orlando Patterson qui démontre comment l’idée de liberté est devenue la pierre angulaire de la civilisation occidentale. Orlando Patterson, Freedom in the Making of Western Culture (London, I.B. Tauris, 1991).
Le système colonial existait comme ont pu le montrer Robert Louis Stein et Olivier Pétré-Grenouilleau (pour la ville de Nantes) sur un mode de production intensif et sur une croissance accélérée des profits. Robert Louis Stein, French Sugar Business in the Eighteenth Century (Baton Rouge: Louisiana State University, 1988); Olivier Pétré-Grenouilleau, L’argent de la traite: Milieu négrier, capitalisme et développement; Un modèle (Paris: Aubier, 1996).
Voir à ce sujet Michèle Duchet qui a étudié avec attention le discours anthropologique dans les récits de voyages, les lettres d’administrateurs ou les écrits philosophiques. Michèle Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières (Paris: Albin Michel, [1971] 1995). Notons qu’il ne s’agit pas dans les textes utopiques d’un noble sauvage, comme on a pu le l’apercevoir chez Rousseau, mais d’un homme de la nature. Voir à ce sujet Ter Ellingson qui a remis en question le mythe du noble sauvage, invention du XIXe siècle. Ter Ellingson, The Myth of the Noble Savage (Berkeley, CA.: University of California Press, 2001).
Notons que le Canada semble intéresser beaucoup plus les auteurs d’utopies que la Louisiane. En effet, Gilles Havard et Cécile Vidal remarquent que si le Canada français n’a pas connu au début du XVIIIe siècle la publicité enthousiaste dont a bénéficié la Louisiane, le Québec n’aura pas à supporter la perception défavorable dont sera victime sa voisine après la crise financière des Mississippis. De paradis, la Louisiane sera considérée comme une colonie de punition et de déportation. Cette vision du bassin du Mississippi se retrouve dans la littérature avec les exemples les plus célèbres dans l’Histoire du chevalier Desgrieux et de Manon Lescault et plus tard dans René de Chateaubriand. Le Sud de ce qui est aujourd’hui les États-Unis n’inspirera pas, à ma connaissance, d’utopie littéraire, mais sera plutôt considéré comme une terre désolée, davantage faite pour les âmes en peine que pour les créateurs de sociétés meilleures. Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française (Paris: Champs Histoire, 2014), 222.
Kenneth Banks, Chasing Empire across the Sea: Communications and the State in the French Atlantic (Montréal: McGill University Press, 2002), 33.
Rustaing de Saint-Jory (?-1752) est un auteur prolifique proche de Marivaux. Si cette utopie semble défendre, comme le suggère à première vue le titre, les droits des femmes, très vite le ton change pour en faire des êtres à la nature imprévisible et acariâtre. Louis Rustaing de Saint-Jory, Les Femmes militaires (Paris: 1735).
L’utopie de Varennes de Mondasse (?-?) appartient à un courant aristocratique réactionnaire tout en acceptant une idéologie bourgeoise du travail et du profit. Au point de vue religieux, Varennes de Mondasse semble profondément opposé au protestantisme de Luther et Calvin. Varennes de Mondasse, La Découverte de l’empire de Cantahar (Paris: 1730).
1731- Abbé Prévost, Le philosophe Anglois, ou l’histoire de Monsieur de Cleveland (Paris: Didot, 1731); Alain-René Lesage, Aventures du Chevalier de Beauchêne, dans Œuvres de Lesage (Paris: Augustin Renoir, 1821).
Denys Delâge, “L’Histoire des autochtones d’Amérique du Nord: Acquis et tendances” Annales H.S.S. sept-oct 2002 no 5, 1337-1355.
Alain-René Lesage, Les Aventures de Monsieur Robert Chevalier, dit de Beauchêne, capitaine de flibustiers dans la Nouvelle-France (Œuvres de Lesage. Paris: Augustin Renoir, [1732] 1821).
Ce que décrit Lesage est en effet très proche des modes de conduite que les historiens ont pu mettre en évidence en Nouvelle-France. Voir par exemple Havard et Vidal, Histoire de l’Amérique française, 152.
John A. Dickinson, Lucien Abenon, Les Français en Amérique (Lyon: Presses Universitaires de Lyon, 1993).
Dans son étude sur la politique française des années Fleury (1720-1745), Peter Cambell montre comment la France connaît un renouveau économique basé en particulier sur sa colonisation, qui la met en concurrence avec sa rivale d’Outre-Manche. Peter R. Cambell, Power and Politics in Old Régime France 1720-1745 (New York and London: Routledge, 1996).
Voir à ce sujet l’analyse de Joël Cornette qui montre comment l’Etat royal aurait aimé imposer son autorité mais il lui fallait composer avec l’immensité du territoire et les coutumes et droits divers. Joël Cornette (éd.) La monarchie entre Renaissance et Révolution, 1715-1792 (Paris: Sédès, 2001), 13.
Cette légende flatteuse de la colonisation française, surtout pour la Louisiane et l’Illinois, a des racines profondes. Pour les questions franco-indiennes en Nouvelle France, voir l’excellent ouvrage de Gilles Havard, Empire et métissages. Indiens et Français dans le Pays d’en Haut, 1660-1715 (Paris: Septentrion, 2003).
Ainsi, la rencontre positive entre « le noble Sauvage » et le « bon Européen » dans l’Amérique utopique de Lesage illustre à merveille comment on évite de représenter une réalité coloniale qui remettrait en cause la civilisation européenne. Madeleine Dobie, Trading Places, Colonization and Slavery in Eighteenth-Century Culture (Ithaca and London: Cornell University Press, 2010), 6.
Alejandro Gomez, Le Spectre de la révolution noire: L'Impact de la révolution haïtienne dans le monde atlantique, 1790-1886 (Rennes: Presses Universitaires de Rennes, 2013).