Nouvelles études sur l'histoire de la pensée scientifique, par G. Milhaud.

144 ETUDES SUR LA PENSEE SCIENTIFIQUE
raisonnements inegalement demonstratifs, inegalement
logiques, parce que in6galement meles de considerations concretes et par la plus ou moins intelligibles 9
On le comprendra mieux si l'on se reporte aux premiers livres des Elements d'Euclide, et si l'on se rend
compte, en les lisant, des efforts inouis que fait le
geometre pour atteindre a une rigueur ideale. J'ai deja
rappele tout a l'heure le soin pris pour definir la droite
sans faire intervenir aucune comparaison de chemins
plus ou moins longs entre deux points. Ii serait aise
de citer bien d'autres exemples ou le scrupule est aussi
manifeste. Je parlerai d'un seul, parce qu'il nous
ramene le mieux a la question qui nous preoccupe,
a savoir du souci excessif de l'auteur des Elements,
sinon d'eliminer jusqu'a la fin, au moins de reculer
le plus possible, la notion de mouvement, et de tacher
d'en degager le plus longtemps possible toute d6finition et toute demonstration geometrique.
Depuis quelques annees, il y a une tendance assez
marquee a introduire, des le debut de la geometrie,
des exemples pratiques et concrets de deplacements
et de rotations. On peut essayer de justifier cette tendance par le but que l'on veut atteindre dans l'education des intelligences. Mais, en rompant avec la methode
que suivaient, au moins pour les premiers Elements,
les mathematiciens grecs, on ne semble pas toujours
la comprendre suffisamment. Pourquoi done, dit-on
assez souvent, ne trouve-t-on au debut de leur geometrie aucune definition, aucun postulat, aucun axiome,
qui pose franchement le fait du mouvement, quand ils
le supposent en realite sans le dire... Ou bien ils n'ont
pas ose l'avouer, ou bien ils ont prefere pour euxmemes attenuer la difficulte en la cachant et en se
donnant l'illusion d'exclure des donn6es premieres