Les œuvres libertines de Cyrano de Bergerae ... / précédées d'une notice biographique par Frédéric Lachèvre.

LETTRES DIVERSES

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pitie l'appareil aussitost que la playe estoit faitc, l'inhumaine prend plaisir
a deschirer les blessures que vous m'aviez fermees et a m'en creuser de
nouvelles qu'elle sgait bien ne pouvoir guerir. Peut-estre vous absentezvous de moy pendant mon supplice, comme le Roy s'esloigne des lieux oui
l'on execute les Criminels, afin de n'estre point importune de leur grace!
Helas, A quoy tant de precaution! Vous connoissez trop bien la force de
vos coups pour apprehender que je reschappe. La medecine, qui parle de
toutes les maladies, n'a rien ecrit de la mienne, h cause qu'elle en traite
comme les pouvant guerir, et lamour est un mal incurable. Quelqu'un
moins proche de la mort appuiroit son discours d'hyperboles; il vous
diroit que vous avez pris son coeur, et que le coeur estant la cause de la
vie, il ne peut vivre; i tort et sans cause, un autre protesteroit qu'il se
seroit deja sacrifie pour vous, mais qu'il pensa que c'eust este rendre l'augure de vos victoires trop funeste, s'il vous eut immole une victime ou
l'on n'eut point trouve de cceur; un autre encore auroit exagere sa passion
d'autre sorte, mais moy qui suis prest de partir pour l'examen, je dois
penser A rendre plutost qu'A faire des comptes. Recevez done cet acte de
foy que je fais it l'agonie: premidrement, je ne suis point athdee, puisque je
vous adore. Je crus fermement que Dieu s'estoit incarne aussi-tost qu'on me
dit que vous estiez nee d'une femme; les prieres, les vesux et les respects
que je rends it Saint-Denis tesmoignent assez la veneration queje porte aux
Saints; I'esperance de vostre possession n'a jamais enfle ma nature que je
ne me sois trouve convaincu de la resurrection de la chair. Enfin,pour m'assurer de la Vie Eternelle, j'ordonne a moes heritiers de placer mes os dans
l'Eglise de ma Paroisse, non pas au Cymetiere,'parce que hors de l'Eglise il
n'y a point de salut. Mourant ainsi, je ne puis faire une mauvaise fin quand
mesme je ferois tomber icy mal a propos que je suis, Monsieur, vostre
Serviteur.
Voici le texte de 'imprimne de 1654; nous avons mis en
italique les membres de phrase qui se lisent deja dans le Ms.
de la Bibl. Nat.:
Madame,
Je ne me plains pas settlement du mal que vos beaux yeux ont eu la
bonte de me faire; je me plains encore d'un plus cruel que leur absence
me fait souffrir. Vous laissastes en mon coeur, lors que je pris conge de
vous, une insolente qui, sous pretexte qu'elle se dit vostre idee, se vante
d'avoir sur moy puissance de vie et de mort; encore elle ench6rit tyranni* quement sur vostre empire, et passe A cet excez d'inhumanite de deschirer
les playes que vous aviez fermdes et d'en creuser de nouvelles dans les
vieilles qu'elle sgait ne pouvoir guerir. Mandez-moy, je vous prie, quand
cet Astre, qui semble n'avoir esclipse que pour moy, reviendra dissiper
les nuages de mes inquietudes? N'est-ce pas assez donner d'exercice i
cette constance, a qui vous promettiez le triomphe? Ne m'aviez-vous pas

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