Les œuvres libertines de Cyrano de Bergerae ... / précédées d'une notice biographique par Frédéric Lachèvre.

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LETTRES SATYRIQUES

grandeur qu'a celle de vos membres, et vous estes le plus grand personnage de vostre couvent comme Saint Christophle est le plus grand Saint
de Nostre-Dame. A la verit6, vous estes plus grand qu'eux en fourbes, en
lAchetez, en trahisons, et par vous Dieu s'est trouv6, depuis Judas, plus
d'une fois entre les mains d'un traistre, mais je ne crains point vos conspirations, tandis que nous aurons une R6gente sous qui les Regens comme
vous sont grimaux. Ce n'est pas que vous ne m6ritiez (quand la Fortune
et la Justice seront bien ensemble) que de trois ou quatre milles asnes qui
establent i vostre College, on vous declare le principal. Oily, certes, vous
le m6ritez, car je ne sqache personne a qui le fouet appartienne justement
comme a vous; vous le sgavez manier de si bonne grace, que vous achetez
l'affection des PWres par le supplice de leurs enfans: vous pendez les coeurs
a vos verges et vous vous introduisez dans leur esprit par la porte de
derriere; ce n'est pas que je n'en scache tel qui voudroit pour dix pistoles
vous avoir escorch6; mais si vous me croyez, vous le prendrez au mot
pour l'attraper, car dix pistoles sont plus que ne scauroit valoir la peau
d'une beste a come. Je ne suis pas vostre serviteur.
LETTRE SATIRIQUE CONTRE LE SIEUR DU TAGE (1)
Monsieur, Tant de caresses de la Fortune que j'ay perdiies, en perdant
vostre amitie, m'obligent enfin de me r6concilier avec vous. Je confesse
done que je devois plus soigneusement conserver le fruit de vostre connoissance, car puisque vous faites passer ceux qui vous visitent pour des Barons
et des Marquis, et que vous estes pere de force Comtes qui ne vous sont
point parens, moy, que vous juriez d'aymer, j'aurois possible gaigne6 a ce
jour-la une Principaut6. Quelques-uns bliment cette humeur prodigue,
mais ils ne sgavent pas que ce qui vous engage ia ces magnificences, est
l'amour que vous avez pour la conservation de la Noblesse, et que ne pouvant faire de gentilshommes selon la chair, vous en voulez au moins engendrer spirituellement. Les auteurs de roman b que vous connoissez donnent
bien des Empires a qui souvent n'a pas eu deux arpens de terre; pourquoy
n'useriez-vous pas des mesmes privileges? Ces Messieurs les Escrivains
ne parlent pas mieux que vous, puisque vous parlez tout comme eux, et
qu'i tout moment vous vomissez et Cleopdtre' et Cassandre ", si criies,
qu'on void quasi dans vostre bouche le papier dessous les paroles. Des
a) 1654: multiplication. - b) romanesques. - c) Gassandre et Polexandre (3).
(1) Ms. f. 162'. - Euvrs diverses, 1654: Lettres satyriques, VI. A monsieur
de V..., p. 134. - Cette lettre, au point de rue du style, a ete si completement refaite
par Cyrano que nous ne donnons ici que les principales variantes de l'imprime. -
(2) Cassandre et Cldopdtre sont les titres de deux romans de Gautier de Coste de
La Calprenode. Le premier a paru de 1642 A 1644 en 10 vol. in-8; le second de 1647
A 1658 en 12 vol. in-8; ils ont 6t6 tout deux r6imprim6s. - (3) Sur Polexandre,
roman de Le Roy de Gomberville, voir p. 163, note 2.