Les œuvres libertines de Cyrano de Bergerae ... / précédées d'une notice biographique par Frédéric Lachèvre.

166 LETTRES SATYRIQUES
APOTHEOSE D'UN ECCLUSIASTIQUE BOUFFON (1)
Messire Jean, je m'estonne fort que sur la Chaire de v6rite vous
dressiez un Theatre de Charlatan, et que vous fassiez reciter des fables de
Peau d'Asne a Jesus-Christ, dont vous joiiez le personnage en ce monde. A
voir les passe-passe dont vous tabarinez cette Eglise, les dpanouissemens
de rate qui vous font tressaillir, les contes gras que vous ddgobillez, nous
sommes contraints - quelle abomination - de nous ramentevoir les ceremonies qu'ona faisoit a Priape, de qui le Prestre estoit le Maquereau b. Vous
devriez traiter nostre Dieu avec plus de respect, quand vous ne lui seriez
oblige que des soupes renforcees qu'il octroic a vostre cuisine. Ha! Messire
Jean, faites au moins semblant de croire, pour nous en faire accroire! Permettez que nous puissions nous engeoler d et nous crever les yeux [de la
raison] pour ne pas voir que vous estes un impie. ou, puisque vous voulez
ribon ribaine debiter nostre foy e comme une farce, servez-vous, au lieu de
cloches, de tabourins' de Biscaye, mettez gambader une guenon sur vos
espaules; puis, pour achever la momerie en toutes ses mesures, passez la
main dans vostre chemise, vous y trouverez Godenot dans sa gibeciaire.
On ne s'estomaquera point contre vous, puisqu'on ne se choque point de voir
des Bdteleurs. La, vouspourrez calculer g les vertus de vostre Mitridate, vous
debiterez h des chapelets de bausme, des savonetes pour la galle, des pomades odoriferantes, et mesme, si vous avez le talent de suspendre par un bon
mot de gueule l'action visive des nigos ' sur leur pochette, comme deux jours
avant qu'estre elev6 au Ciel faisoit encore le pauvre defunt, je vous donne
parole de la part des Narquois de deux habits bien venans par annee; vous
pourrez aussi tres prudemmenti faire provision d'onguent pour la brAlure,
car les Sorciers de ce pays jurent avoir lu dans vostre Cedule 3 que le terme
a) 1654: qu'au lieu de prescher l'Evangile a vos paroissiens, vous repaissiez
leurs oreilles de cent contes pour rire; que vous ayez l'insolence de reciter des choses
que Trivelin (2) rougiroit sous son masque de prononcer; Que profanant la dignit6
de vostre caractere, vous d6criviez les plus sales plaisirs de la d6bauche, sous ombre
de les reprendre avec des circonstances si particulieres que vous nous faites souvenir
(quelle abomination) des sacrifices qu'autrefois on. - b) Certes, messire Jean. -
c) exercer vostre charge avec moins de scandale, quand vous ne luy auriez aucune
autre obligation que celle de vous avoir appelle6 du fumier ou 'on vous a veu naistre a
l'estat Eccl6siastique; car si vous n'avez pas assez de force pour r6sister A vostre
bouffon d'ascendant, du moins dissimulez; Et quand vostre devoir vous obligera
d'annoncer 1'Evangile pour nous en faire accroire, faites semblant de la croire!
- d) tromper. - e) sentez le fagot; et puisqu'en d6pit du Loup-garou, vous estes
resolu de debiter nos mystbres. - [) ne faites donc pas sonner les cloches pour
appeller le peuple I vostre Sermon, descendez de la Chaire de Veritd, et montez sur
une borne au coin du Carrefour, servez-vous d'un tambourin. - g) Alors, on ne se
scandalisera point que vous divertissiez le Badault, vous pourrez comme un BAteleur
raconter. - h) d6biter. - i) Vous pourrez mesme. - j) m'ont jurd avoir leu dans
la cedule que vous avez donnge (vous sgavez bien a qui).
(1) Ms. f. 131. - Dans les Eguvres diverses, 1654: Lettres satyriques, XI. A
messire Jean, p. 170. - (2) Bouffon de la Comddie italienne qui donnait des representations au theatre de l'Hdtel de Bourgogne. - (3) Antidote, remide contre les
poisons. - (4) Nigaud, sot.