Les œuvres libertines de Cyrano de Bergerae ... / précédées d'une notice biographique par Frédéric Lachèvre.

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LE GAZETTIER DES-INTERRESSE

l'appuy des plus puissantes maisons de France, et c'est pour cette raison
qu'il a tourn6 ses yeux du cost6 de l'Arsenal, du Chasteau Trompette et
de Richelieu, et qu'il s'est propos6 d'avoir pour gendres des grands Maistres d'artillerie, des Colonels de l'infanterie frangoise et des G6neraux des
Galeres. Ces mariages, qui avoient est6 conceus avec grand Mclat, n'ont
pas est6 pourtant enfantez avec grand succez, et le bruit n'en a pas plus
dur6 que Ia vie de ces animaux du Pont dont un mesme jour, A ce qu'on
dit, voit la mort et la naissance. Pour faciliter un si haut dessein, il avoit
fait mettre des imposts sur toutes les marchandises; il avoit tax6 pour
leur mariage toutes les n6cessitez de la vie, et peu s'en est fallu qu'il n'ait
en un point ressuscit6 Vespasian, qui avoit impose des tributs sur les urines.
On s'est mis souvent en peine de le porter a de meilleurs sentimens;
on luy a repr6sente les miseres et les cris du peuple, mais on l'a tousjours
trouve sourd, comme on l'avoit trouv6 aveugle, et quoy qu'on ayt peu
faire pour le persuader et pour le convaincre par nos souspirs et par nos
larmes, il a tousjours este comme cette Medee de l'ancienne Tragedie qui
voyoit le mal et qui ne pouvoit se deffendre de le suivre. Aussi n'a-t-il
pas este de ses oreilles comme ce Temple des Ionides, dont parle Pausanias,
dans lequel on n'estoit pas plustost entr6 qu'on se sentoit libre de toutes
ses maladies, mais plustost comme de ces portes que les Anciens appelloient maudittes, qui ne recevoient point de choses pures ny sainctes, et
qui ne donnoient passage qu'aux hosties d'execration et a toutes sortes
d'ordures. II ne falloit qu'estre cruel pour meriter son estime; celuy qui
donnoit le plus d'advis avoit aupres de luy le plus de credit, et qui n'estoit
point ennemy du peuple ne pouvoit pretendre a son amiti6. C'est dans la
foule ex6crable de ces Conseillers interressez qu'il a renonc6 ouvertement
a la dignit6 de son ministere et au repos de son Ame, qu'il a fait tant d'orphelins et tant de veufves, qu'il s'est enrichy de nos d6sordres et qu'il a
trahy tous les sentimens de la Religion et de la Nature.
Cet anatheme que Dieu prononce aux r6prouvez fait trembler: ~ Allez,
maudit, au feu 6ternel; mais il doit estre espouvantable a ce mal-heureux quand il en adjouste la cause: Pour ce que j'ay eu faim, et que vous
ne m'avez pas donn6 a manger; que j'ay eu soif, et que vous ne m'avez
point pr6sent6 a boire; que je passois, et que vous ne m'avez point offert
de retraitte; que j'estois nud, et que vous ne m'avez point couvert; que
j'estois malade, et que vous ne m'avez point soulag6; que j'estois prisonnier, et que vous ne m'avez point rendu de visite. O ciel! s'6crie le grand
Evesque d'Hippone, si celuy qui a refus6 du pain est pr6cipit6 dans les flammes kternelles, a quelles cheuttes doivent estre reservez ceux qui d6robent
le pain d'autruy? Si celuy qui n'a point donne des habits a son prochain
est damn6, que peut estre celuy qui s'est enrichy de ses despouilles? Si
celuy qui n'a pas receu les passans doit necessairement p6rir, que doivent
attendre ceux qui usurpent leurs heritages? Si celuy qui n'a point visite
les prisonniers est condamn6 par un arret sans appel, que doivent attendre