Les œuvres libertines de Cyrano de Bergerae ... / précédées d'une notice biographique par Frédéric Lachèvre.

LETTRES SATYRIQUES

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CONTRE CHAPELLE, BRIGAND DE PENSEES (1)
Monsieur. Apres avoir eschauffe contre nous cet homme qui n'est que
flegme, n'apprehendons-nous point qu'on nous accuse un de ces jours
d'avoir brusld la riviere? II parlera luy seul autant que tous les livres, s'il
ne meurt desormais au bout de sa memoirea. II n'ouvre jamais la bouche
que nous n'y trouvions un larcin, et lors mesme qu'il ne dit mot, il derobe b
cela aux muets! Nous sommes pourtant de faux braves, et nous partageons
mal c les avantages du combat, nostre esprit ayant trois facultez de l'opposer au sien, qui n'en a qu'une; c'est pourquoy s'il a dans la teste beaucoup
de [ce] vuide, on luy doit pardonner, car comment eut-il pt d la remplir
avec le tiers d'une &me raisonnable; en recompense, il ne la laisse pas en
friche. II s'en sert a piller tons les anciens e, et ces grands Philosophes qui
croyoient s'estre mis par la pauvrete [qu'ils professoient] a couvert [d'imp6ts et] de contributions, luy doivent [par jour], jusqu'au plusmiserable,
chacun une rente de dix pensees, et ce Maltotier de conceptions les taxe
tous aux aisez' selon leurs richesses, et croyez qu'il les met bien ia la raison,
car il les fait bien parler frangois; encore ont-ils souvent le regret de voir
a leurs nez confisquer leurs ceuvres pour n'avoir pas le moyen de payer le
traducteur. II scait bien aussy, le finet s, que la Grece et l'Italie relevant
d'autres Princes que du nostre, on ne le recherchera pas h en France des
larcins qu'il aura faits aux peuples de ces pais-la, et possible mesme qu'il
croit, a cause que les Payens sont nos ennemis, ne pouvoir rien butiner
sur eux qui ne soit pris de bonne guerre 3. A tout le moins devroit-il epargner leurs chetives comparaisons, car c'est marque d'avoir bien de la pente
au vol, de desrober jusques a des guenilles. II ne doit done plus attendre de
a) 1654: cet esprit aquatique murmure continuellement comme les fontaines,
sans que l'on puisse entendre ce qu'il dit. Ha! Monsieur, que cet homme me fait
prdvoir a la fin des siicles une estrange avanture, et c'est que s'il ne meurt an bout
de sa mdmoire, les Trompettes de la Resurrection n'auront pas de silence; cette seule
facultA dans luy ne laisse point de place aux autres; et il est un si grand persecuteur du sens commun qu'il me fait soupgonner que le Jugement universel n'a este
promis que pour en faire avoir aux personnes comme luy, qui n'en ont point eu de
particulier. Et a vous parler ing6nuement, quiconque le fera sortir du monde aura
grand tort, puisqu'il len fera sortir sans raison; mais cependant il parle autant que
tons les Livres, et tous les Livres semblent n'avoir parle que pour luy. - b) et il est
si accoustume a ne mettre au jour son pillage, que mesme quand il ne dit mot, c'est
pour ddrober. - c) avec injustice. - d) puisqu'il n'a pas este possible a la Nature de.
- e) dormir, il la tient sans cesse occupde i depoiiiller quelqu'un. - f) n'en laisse
pas eschaper un qu'il ne taxe aux aisez selon l'estendue de son revenu, ils ont
beau se cacher dans l'obscurit6, il les sgait bien trouver, et. - g) tout entieres quand
ils n'ont pas le moyen de payer leur taxe; mais il continue ces brigandages en surete
car il scait. - h) il ne sera pas recherch6. - i) chez eux. Je croy mesme qu'il pense.
(1) Ms., f. 125.- Dans les XEuvres diverses, 1654. Lettres satyriques, VII (pour IX),
p. 147. Autre (lettre) sur le mesme sujet. (Contre un pilleur -de pensde). - (2) Expedient en matiere de finances dont on usait assez fr6quemment. - (3) Nous donnons
i la suite de cette lettre une addition considerable faite par Cyrano pour l'ddition
originale de 1654 et inserie A cette place,