L'artenice

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Title
L'artenice
Author
Racan, Honorat de Bueil, marquis de, 1589-1670.
Publication
[S.l. :: E. Allde,
1626]
Rights/Permissions

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"L'artenice." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/B11831.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 10, 2024.

Pages

ACTE TROISIESME.

SCENE QVATRIESME

ALCIDOR. CLEANTE. ARTENICE. SILENE.

ALCIDOR.
EN quel lieu m'a conduict la cruauté du sort, Suis-ie en terre ou en l'eau, suis-ie viuant ou mort? Qu'est-ce quitient encor' mon ame prisonniere? D'où proutent à mes yeux cette triste lumiere? Quoy? le Ciel ou l'Enfer ont ils quelque flambeau, Qui trouble le repos en la nuict du tombeau? Que ne suis ie en ces lieux eternellement sombres? Me refuse-t' on place en la troupe des ombres? Veut-on qu'errant tousiours sous la voûte des Cieux I'é prouue en tous endroits la iustice des Dieux? Où que mon pasle esprit vaine terreur du monde Se plaigne incessamment auxriues de cette onde, Où mon coeur au mépris de la diuinité N'aguere idolatroit vne ingrate beauté? N'est-ce pas là le bois, n'est-ce pas là la plaine, Où viuant i' auois soin de mes bestes à laine?

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Ces valons reculez de la flamme du iour, N'est-ce pas où i' allois souspirer mon amour. Aces vieux bastiments de qui l'on void à peine Les ornements du faiste estendus sur l'arene: A ces murs éboulez par la suitte des ans, Ie recognois ces lieux autrefois siplaisans: Quand la belle Artenice honneur de son village, Amenoit son troupeau dans nostre pasturage. Ces aliziers témoings de nos plaisirs passez Ont encore en leurs troncs nos chiffres enlacez: Cette vieille forest d'eternelle durée L'accusera sans fin de sa foy pariurée. Ces vieux chesnes ridez sçauent combien de fois Ses plaintes ont troublé le silence des bois, Lors qu'en la liberté de leur ombre immortelle Elle esoit prendre part au mal que i'ay pour elle. Viuez doncques forests, viuez donques tousicurs Pour estre les té moings de nos chastes amours. Mais que de visions, qui passent & repassent, Que de phantosmes vains en ces riues s' amassent, Sont ce morts ou Demons, qui s' approchent de moy? Tout fait peur à mes yeux! Dieux qu'est-ce que ie voy? Belle ame le miroir des ames les plus belles Anez vous donc quitté vos dépoüilles mortelles? Quels tourmen's douloureux? quels funestes remords? Vous ont fait ennuyer dedans vn si beau corps? Quoy voulez vous encor? ô ma chere infidelle! Trauer ser mon repos en la nuict eternelle?

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Quel destin malheureux vous a conduit icy?
CLEANTE.
Ne vous estonnez point de ce qu'il parle ainsi, La fureur le domine auec tant de puissance Que sa raison malade en perd la cognoissance.
ARTENICE.
Quelque mal que ie vueille à sa déloyauté I' ay pitié de le voir en cette extremité, Le tort qu'il m' auoit fait n'estoit pas vne offence, Qui le d'eust obliger à telle penitance: Il le faut aduoüer ie plains bien son malheur, Mon pere pardonnez à ma iuste douleur! Ie ne la puis nier tant elle est vehemente. O Dieux ie n'en puis plus le mal qui le tourmente M'a troublé tous les sens aussi bien comme à luy.
SIELENE.
Ma fille appaisez▪vous moderez vostre ennuy! Domptez vostre douleur auant qu'elle s' augmente. O Dieux elle se meurt secouroz moy Cleante!
CLEANTE.
Helas! auquel iray-ie ils se meurent tous trois? Tous trois sont étendus sans parole & sans voix.
ALCIDOR.
D'où vient-ie? qu'ay-ie fait? quelle rage aueuglée A depuis si long temps ma raison déreglée? Qui m'a mis en ce lieu? qui sont ceux que ie voy Au long de ce riuage estendus comme moy?

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D'où vient que ce vieillard sans voix & sans halaine Soustient ain si la teste à ma belle inhumaine? O Dieux elle se meurt: tout le monde est en pleurs: Helas! pourquoy destin pour voir tant de malheurs Rendez vous à mes sens l'vsage de la vie?
CLEANTE.
Berger consolz vous l'amour vous y conuie Afin de consoler cette ieune beauté, Qui prend part à l'ennuy qui vous a tourmenté!
ALCIDOR.
O l'heur eux changement! que dites vous Cleante.
CLEANTE.
Vostre mal a causé la douleur violente Qui l'a mise en l'estat où vous l'a pouuez voir.
ALCIDOR.
Qu' amour & la fortune ont sur nous de pouuoir! O coeur de Diamant helas! est-il possible Qu' à la fin la pitié vous ait rendu sensible? Inhumaine beauté que ie benis vos fers, Puis que vous prenez part aux maux que i'ay soufferts. Las! si la voix vous manque ain si que le courage, D'vn seul clin de vos yeux donnez m' en tesmoignage, Afin qu' aunt ma mort ie puisse encore voir Ces astres dont ma vie adoroit le pouuoir, Pour la derniere fois soyez moy fauor able.
ARTENICE.
Est-ce vous mon Berger? est-ce vous miserable?

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Quel desespoir vous rend si sourd au reconfort? Helas! gardez-vous bien d'aduancer vostre mort. Ie mourr ois auec vous nos amoureuses flames, Font dans vn mesme coeur respirer nos deux ames.
ALCIDOR.
N' ayez point cette beaux astres inhumains, Vous tenez pour iamais mon destin en vos mains, Quand mesme la douleur m' auroit l'ame rauie Vous auriez le pouuoir de me rendre la vie.
ARTENICE.
Ne parlons plus de mort mettons fin à nos pleurs: Quelque iour le destin finira nos malheurs.
ALCIDOR.
Tout ce que i'en veux dire est que mon innocence Vienne auant mon trespas à vostre cognoissance.
ARTENICE.
Quand d'infidelité vous seriez entaché Vostre extrme remords absout vostre peché.
ALCIDOR.
Si ie m'estois distrait de vostre obeïssance La mort seule pourroit expier mon offence.
CLEANTE.
Guerissez-vous tous deux pour ioüir des plaisirs Qu'vn he ureux Hymenée appreste à vos desirs.
ALCIDOR.
Si iamais le bon heur accorde à mon enuie De voir d'vn si beau noeud ma franchise asseruie,

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Ie veux quand ie perdray la lumiere du iour Que mon dernier souspir soit vn souspir d'amour: Et que l'effort du temps à qui tout est possible Perde contre ma foy le tiltre d'inuisible.
SILENE.
Ie ne me vis iamais si touché de pitié, Il me faut malgré moy souffrir leur amitié: Sus donc mes chers enfans qu'aux nopces l'on s'appreste Ie veux dés à ce soir en commencer la feste: Pardonnez-moy tous deux si trop iniustement I'ay tousiours trauersé vostre contentement. Allons donc au logis: venez aussi Cleante Voir accomplir l'hymen d'vne amour violente: Venez disner chez moy, vous ne treuuerezpas Ces mets seruis par order au superbes repas, Qui de tant d'artifices ont leur graces pourueuë Qu'il semble n'estre faits que pour paistre la veuë, Mais ce qui se pourr a selon ma pauureté, D'vn coeur libre & sans fard vous sera presenté.
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