L'artenice

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Title
L'artenice
Author
Racan, Honorat de Bueil, marquis de, 1589-1670.
Publication
[S.l. :: E. Allde,
1626]
Rights/Permissions

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"L'artenice." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/B11831.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 10, 2024.

Pages

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ACTE TROISIESME.

SCENE SECONDE.

SILENE. DAMOCLEE. ARTENICE.

SILENE.
DANS ce bocage épais loin du peuple pofane, C'est où ma fille sert les Autels de Diane, Le bon-heur nous conduit, nous ne pouuions choisir, Vn temps plus à propos selon nostre de sir, Lavoila toute seule au frais de ce boccage: Ma fille, he! qui vous meut à quitter le village Pour venir demeurer ende de si tristes lieux?
ARTENICE.
Pour la haine du monde, & pour l'amour des Cieux.
SILENE.
D'où vous vient cette humeur en l'Auril de vostre âge? Si se sont des effects d'vne amoureuse rage, Nommez-nous en l'autheur?
ARTENICE.
C'est tout ce que ie crains Que de vous declarer celuy dont ie me plains, Parce qu'en l'accusant moy-mesme ie m'accuse.
SILENE.
Cét extreme remords dont vostre ame est confuse, Repare assez le mal que vous tenez caché.

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ARTENICE.
Vostre seule deffense en a fait le peché: Si vos iustes rigeurs, dont ie fus menacée Eussent peut trouuer place en ma raison blessée Mon coeur ne plaindroit pas l'ennuy que ie reçoy, Devoir vn estranger m'auoir manqué de foy.
SIELENE.
Elle en a dit assez nous le pouuons cognoistre, L'excuse qu'elle fait nous fait assezparoistre Que c'est ce beau garçon qui s'êleua chez vous, Lors que son bon destin l'arresta parmy nous.
ARTENICE.
Mon pere c'est luy-mesme: excusez mon enfance: Il est vray ie l'aimois contre vostre deffence, Ceméchant, cét ingrat, cét esprit inconstant.
DAMOCLEE.
Quel suiect auez-vous de vous enplaindre tant?
ARTENICE.
Ne vous enquerez point de cette per fidie, Vous la sçaurez trop tost sans que ie vous la die?
DAMOCLEE.
Quel timide respect vous deffend d'en parler, Est-ce quelque secret, qu'on me doiue celer?
SILENE.
Ma fille dites luy puis qu'il vous le commande.
ARTENICE.
Par où commenceray-je? ô Dieux! que i'apprehende De vous entretenir de ce triste discours, Qui combler a d'ennuy le reste de vos iours.

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DAMOCLEE.
Depeschez vous, ma niepce, en vain on me le cache, Quand ce seroit ma mort il faut que ie le sçache.
ARTENICE.
D'vn autre que de moy le pui siez-vous sçauoir.
DAMOCLEE.
Que de peurs à la fois vous me faites auoir, Que vous m'apprenez bien qu'en vn suiect de plainte Le plus souuent le mal est moindre que la crainte!
ARTENICE.
Le crime qu'Alcidor à fait contre sa foy Vous offense, mon oncle, aussi bien comme moy.
DAMOCLEE.
Est-ce point que ce traistre abusant de ma fille Auec elle eust taché l'honneur de ma famille?
ARTENICE.
Helas i'en ay trop dit.
DAMOCLEE.
Acheuez promptemert, Dites nous en quel lieu, quand ce fut, & comment.
ARTENICE.
Que ie sens de regrets & de douleurs mor telles En faisant le recit de ces tristes nouuelles: Sur la riue de Seine en ces lieux écartez, Que son cours sinueux, borné de trois costez. Est dans vn petit bois vn cabinet champestre, D'où sans se faire voir l'on voidses brebis paistre.

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Làces ieunes amants vont presque tous les iours Esteindre en liberté le feu de leurs amours, Et desia leurs plai sirs pensent couurir leur crime Sous vn voeu fait entre eux d'vn hym nlegitime; Et pensent que des maux, dont ils sont entachez Ils sont assez absous en les tenant ca〈…〉〈…〉ez: Mais Lucidas & moy consultant les msteres, Que Polistene obserue en ses grottes austeres; Recogneusmes au iour d'vn cristal enchanté, Ce que le bois cachoit dans son obcurité.
DAMOCLEE.
O Dieux que dictes vous?
ARTENICE.
Ie rougis quand i'y pense: Et ma condition ne peut auoir dispense De conter deuant vous leurs profanes plaisirs.
DAMOCLEE.
O desloyal! ô traistre! ôper fide estranger! De qui l'ingratitude & l'amour impudique Font d'vn mal domestique vne honte publique, Est-ce là le loyer du soin que i'eus de toy Lors que tu vins enfant te retirer chez moy?
ARTENICE.
Il monstre bien qu'il est d'vne ingrate nature, De s'attaquer à vous, dont il est creature, D'où peut-il desormais esperer de l'apuy?
SILENE.
Vous auez en sa faute autant de tort que luy:

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Tous les ieunes Bergers viuent sur la commune, Sans respect & sans crainte ils cherchent leur fortun Laisser sa fille seule auec ses ieunes fous C'est mettre vne bredis en la garde des loups. Si vous eussiez eusoin de la tenir subiecte, Elle n'eust iamais fatt la faute qu'elle a faicte.
DAMOCLEE.
Vous dites vray mon frere.
SILENE.
Il n'en faut plus parler.
DAMOCLEE.
Que ie suis miserable.
SILENE.
Il se faut consoler.
DAMOCLEE.
La mort seule à pouuoir de consoler mon ame, Mais il faut que deuant ie me laue du blasme, Donc cette fille infame a mon honneur taché Et que dessus l'Autel expiant son peché Son iuste chastiment à sa faute réponde, Pour la gloire du Ciel & l'exemple du monde.
ARTENICE.
O Dieux qu'il est cruel!
SILENE.
Ma fille il a raison Ce crime tacheroit à iamais sa maison.

Page 56

ARTENICE.
Apres tant d'accidens qu'à toute heure on void naistre, C'est n'auoir point de sens que de ne point cognoistre Que qui vit dans le monde il vit dans le malheur.
SILENE.
Il falloit que mon frere eust part à ma douleur, Il n'auoit comme moy que cette seule fille, Il perd en la per dant l'espoir de sa famille: Et moy si ie vous perds ie perds en mesme temps Le seul bien qui rendoit tous mes desirs contens: vostre bon naturel maintenant vous conuie D'auoir pitié de ceux dont vous tenez la vie. Ce froid & pasle corps victime du tombeau, Verra bien tost ses iours esteindre leur flambeau, Attendez le succez des tristes destinées, Qui détordent de sia le fil de mes années: Helas! ma fille helas! qui me clorra les yeux Mais que mon pasle esprit soit monté dans les Cieux?
ARTENICE.
Ie sçay ce que ie dois à l'amour paternelle: Mais il faut obe ïr à celuy qui m'appelle, Et qui mon premier pere a voulu prendre soing De me tendre les bras & m'aider au besoin.
SILENE.
Les Dieux que vous seruez ence deser austere, N'ostent point les enfans d'entre les bras dupere: Ce n'est point leur conseil, qui vous meut à cecy, Rien que le desespoir ne vous ameine icy.

Page 57

ARTENICE.
Le soing continuel de nostre bon Genie Par des moyens diuers nos volontez manie, Et de quelque façon qu'il nous vienne inspirer Il luy faut obeïr & ne point murmurer, Bien que le desespoir d'vne flame amoureuse Ait conduit ma fortune en cette vic heureuse: Puis qu'ainsi l'Eternel pour mon bien le voulut D'vn desespoir naistra l'espoir de mon salut.
SILENE.
Pensez vous le trouuer en cette triste vie, Plustost que dans le monde où l'âge vous conuie? Estimez vous que ceux qui n'ont fait que pour nous Les plaisirs d'icy bas aussi iuste que doux, Vueillent pour leur seruice en deffendre l'vsage?
ARTENICE.
Croyez-vous que ce lieu solitaire & sauuage En éloignant de nous la crainte & le desir, Eloigne de nos coeurs tout suiect de plaisir. Voyez ces bois épais, voyez cette verdure, Ces promenoirs dressez par le soing de nature, Et ce Temple où les coeurs vrayement deuotieux Destinent leur repos à la gloire des Cieux, Voyez en cét enclos les lieux cù Philotée Fait depuis si long temps sa demeure arrestée, Et vous-mesme aduoüerez exempt de passion Qu'ils n'ont pas moins d'attraits que de deuotion.
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