L'artenice

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Title
L'artenice
Author
Racan, Honorat de Bueil, marquis de, 1589-1670.
Publication
[S.l. :: E. Allde,
1626]
Rights/Permissions

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"L'artenice." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/B11831.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 10, 2024.

Pages

CHANSON DE TISIMANDRE.

DONC apres de tant maux soufferts Il faudra mourir dans les fers, Où les yeux d'vne ingrate ont mon ame asseruie, Ie n'en puis eschapper On ne les peut coupper Qu'on ne couppe auec eux le fillet de ma vie. Heureux si ma longue amitié L'esmouuoit alors à pitié Et que lle eust quelque part en ma douleur profonde:

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Pour le moins en ma mort I'aurois ce recomfort Que ie serois pleuré des plus beaux yeux du monde.
YDALIE.
O Dieux! il vient icy, que luy pourray-ie dire?
TISIMANDRE.
Adorable beaute que tout le monde admire, Voulez vous de ces bois les tenebres chasser, Que le iour seulement n'a iamais sceu perser? Quel miracle de voir en ce lieu triste & sombre Vne Deesse en terre, & le Soleil à l'ombre, Qui vous mene en ces lieux solitaires & doux?
YDALIE.
Rien que le seul desir de mesloigner de vous.
TISIMANDRE.
C'est bien fait de fuir l'abord d'vn miserable.
YDALIE.
Celuy d'vn importun est bien moins agreable.
TISIMANDRE.
Nommez vous mon seruice vne importunité?
YDALIE.
Me voulez-vous aimer contre ma volonté?
TISIMANDRE.
N'auez-vous point pitié d'vn coeur qui s'humilie?
YDALIE.
Si i'ay pitié de vous, c'est de vostre folie:
TISIMANDRE.
Est-ce là le loyer de mon affection?

Page 24

YDALIE.
C'est trop long temps souffrir la persecution: St vous ne me laissez il faut que ie vous laisse.
TISIMANDRE.
O cruauté du sort, qui n'as iamais de cesse! A quelle nuict d'ennuis me dois-ie preparer, Puis que ce beau soleil ne veut plus m'éclairer?
YDALIE.
Que i'ay le coeur ioyeux de ce qu'il m'a quittée, Dieux! qu'il est mal plaisant, que i'en suis tourmentée, Ie ne sçay tantost plus où ie me dois cacher, Tant il est importun à me venir cehrcher; Ce qui me déplaisoit en sa per seuerance, Et ce qui me donnoit autant d'impatience, Est le desir que i'ay d'aller voir auiourd'huy Le Berger Alcidor, que i'ayme mieux que luy: Il le faut aduoüer, bien que ceste belle ame Soit esclaue d'vne autre, & méprise ma flame, Sagrace naturelle est si plaine d'apas, Qu'il faut que ma raison mette les armes bas. I'ay long temps disputé si ie luy deuois dire L'amoureuse douleur dont mon ame souspire: Mais puis que de la sienne il m'importune tant, Ie croy que sans rougir i'en puis bien faire autant.
LE SATYRE.
En fin ie ioüiray de celle que i'adore La voicy que'elle vient plus belle que l'Aurore:

Page 25

I'ay vaincu ces vainqueurs, qui souloient me brauer, Ie vous tiens, ie vous tiens, rien ne vous peut sauuer.
YDALIE.
Quoy? méchant prenez vous les filles de la sorte? A l'aide mes amis, à l'aide ie suis morte?
LE SATYRE.
Vous ne sçauriez mourir d'vne plus douce mort.
TISIMANDRE.
Vilain arrestez-vous, quel furieux transport, Vous a fait profaner le corail de ces leures. Allez bouquin puant faire l'amour aux cheures. Cher obiect de mes voeux, beaux astres inhumains, Comme estes vous tombée en ces barbares mains? Ces roses & ces lis où la beauté se mire Ne sont point destinez à l'amour d'vn Satyre. Le Ciel qui de son oeuure est luy-mesme amoureux Reserue à leur merite vn destin plus heureux: C'est le iuste loyer d'vn seruiteur fidelle, Qui depuis cinq moissons, plein d'amour & de zèle Surmontant la tempeste & les vens ennemis Est demeuré constant en ce qu'il a promis.
YDALIE.
Ie vous entends venir, il ne faut plus vous feindre, Vous parlez de vous-mesme, & me voulez contraindre. D'acc order à vos voeux par obligation Ce que l'on n'a de moy que par affection: Ie ne vous puis aimer quoy que vous puissiez dire, Remettez moy plustost és mains de ce Satyre;

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Quand ie serois contrainte de l'auoir pour espoux I'en aurois moins d'horreur que ie n'aur ois de vous.
TISIMANDRE.
Est-ce là le loyer de vous auoir sauuée De ce monstre hydeux qui vous eust enleuée? O Dieux! elle s'en va sans vouloir m'escouter Mes raisons ny mes pleurs ne sçauroient l'arrester: De qu'elle folle amour est mon ame enflammée? De quel enchantement est ma raison charmée? Que de tant de beautez que la Seine produit Mon coeur ne fasse choix que d'vne qui me fuit? Si ie voulois aimer la Bergere Artenice, Elle satisferoit aux voeux de mon seruice: Ses attraits sont puissans, il n'est coeur de rocher, Qui de sa douce humeur ne se laisse toucher. Ie ne voy que Bergers, qui souspirent pour elle Et tous, excepté moy, latreuuent la plus belle, Mais ie croy que mes yeux sont complices du sort, Qui malgré ma raison a conspiré ma mort. Cette ieune beauté que i'ay tant mesprisée, Ne se refroidit point pour se voir refusée, Et me té moigne assez l'amour qu'elle a pour moy, Par le soin qu'elle prend de m'attirer àsoy: Certes i'en suis honteux, & ne sçay que luy dire Quand son taint quirougit, & son coeur qui souspire, En s'approchant de moy me disent sans parler Le mal que le respect luy contraint de celer:

Page 27

Ie croy que l'a voila toute triste & pensiue, Qui va cueillant des fleurs le long de cetteriue.
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