L'artenice

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Title
L'artenice
Author
Racan, Honorat de Bueil, marquis de, 1589-1670.
Publication
[S.l. :: E. Allde,
1626]
Rights/Permissions

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"L'artenice." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/B11831.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 10, 2024.

Pages

SCENE PREMIERE.

ALCIDOR.
QVe ceste nuict est longue, & fascheuse à passer! Que de sortes d'ennuis me viennent trauesser! Depuis qu'vn bel obiect a ma raison blessée Incessamment ie voy des yeux de ma pensée, Cét aimable Soleil autheur de mon amour, Qui fait qu'incessamment ie pense qu'il soit iour. Ie saute à bas du lict, ie cours à la fenestre, I'ouure & hausse la veuë, & ne voy rien parestre, Que l'ombre de la nuict, dont la noire pasleur Peint les champs & les prez d'vne mesme couleur: Et cette obscurité, qui tout le monde enserre, Ouure autant d'yeux au Ciel qu'elle enferme en la terre: Chacun iouït en paix du bien, qu'elle produit, Les coqs ne chantent point, ie n'entens aucun bruit;

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Sinon quelques Zephirs, qui le long de la plaine Vont cajolant tout bas les Nymphes de la Seine. Maint phantosme hideux, couuert de corps sans corps, Visite en liberté la demeure des morts. Les troupeaux, que la faim a chassez des bocages, Apas lents & craintifs entrent dans les gagnages. Les funestes oiseaux, qui ne vont que la nuict, Annoncent aux mortels le malheur qui les suit. Les flambeaux eternels, qui font le tour du monde, Percent à longs rayons le noir cristal de l'onde, Et sont veuz au trauers si luisans & si beaux, Qu'il semble que le Ciel soit dans le fons des eaux. O nuict, dont la longeur semble porter enuie Auseul contentement, que possede ma vie: Retire vn peu tes feux, & permets que le iour Vienne sur l'horison éclairer à son tour: A fin que ces beaux yeux pour qui mon coeur soupire, Sçachent auant ma mort l'excez de mon martyre. Certes c' estoit en vain que j'auois esperé De posseder par toy mon repos desiré: Mes larmes de mon lict ont fait vne riuiere, I'ay tasché maintefois de fermer la paupiere. Mais, helas! ie voy bien qu'en ce mal nompareil, Lamort la fermer a plustost que le sommeil. Tenebreuse Deesse, ingrate à ma priere, Qui te fait si long temps retar der ta carriere? Veux-tu par ta longueur aduancer mon trépas? Mais ie la prie en vain, elle ne m'entend pas,

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Celuy de qui le monde admire les merueilles, La faisant toute d'yeux, ne luy fist point d'oreilles. Et toy, race des Dieux, belle Nymphe du iour, Qui n' es pas insensible aux attraits de l'amour, Agreable lumiere, espoir de tout le monde, Qui te retient si tard dans le sejour de l'onde? Où ton jeune desir demeure languissant Dessous les froids baizers de ton vieil impuissant, Si de ton beau Chasseur le merite & la flame Ont encore pouuoir de captiuer ton ame, Va jouïr en ses bras de ton souuer ain bien, Et soul age ton mal en soulageant le mien.
Depuis le premier iour que ie vis Artenice, Et qu'elle prit engré les voeux de mon seruice, Ie n' ay fait en tous lieux que plainde mon tourment, Sans espoir de trouuer aucun soulagement: Ce recomfort me reste en ma douleur extréme, Que ie sçay qu' elle m' aime autant comme ie l'aime Mais que me sert de voir ses beaux yeux languissans, Témoigner auoir part aux ennuis que ie sens, Si ie ne puis jouïr du bon-heur que i'espere Sans le consentement des parens & du pere, De qui l'auare faim, qui ne peut s' assouuir L'empesche de m' aimer, & moy de la seruir: Ie fay ce que ie puis pour leur estre agreable, Mais rien ner' adoucit leur ame impitoyahle. Tout le soin que j'y prends ne profite de rien, Leur esprit aueuglé n'estime que le bien:

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Et veulent sans raison contraindre cette Belle D'en aimer vn plus riche, & de m'estre infidelle: Déja leur tyrannie afait tout son pouuoir, Afin de m'empescher les moyens de l'a voir: Ils éclairent ses pas en quelque part qu'elle aille, Ils lisent les premiers les lettres qu'on luy baille, Et pensent follement captiuer ses beaux yeux, Qui pourroient captiuer les hommes & les Dieux. Mais l'amour, qui se loge en vn jeune courage, N'est pas de ces oyseaux, que l'on enferme en cage, Elle leur montre bien: car si par la rigeur Ils possedent son corps, ie possede son coeur. Mais le iour n'est pas loing, les ombres s'esclaircissent, Déja d'estonnement les Estoilles pallissent, Et déja les oyseaux joyeux de son retour, Commencent dans les bois à se parler d'amour. Afin de ne point perdre vn temps si fauorable, Ie vay faire sortir mes brebis de l'estable.
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