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FABLE XXVI.
LA Greno ille desirant deuenir aussi grosse que le Boeuf, s' enten∣doit, de quoy son fils s' estant apperçeu; Ma Mere, luy dit il, Quittez-toy-la cette entreprise, car il y à nulle comparaison d'vne Grenoüille à vn Boeuf, Elle toutesfois n' en voulut rien croire, et s' enfla derechef plus qu' auparauant. Ce qui fit peur à son fils qui pout ne la perdre, Ma Mere, luy cria t' il derechef, Il est force que tu creues, tu ne surmonteras jamais le boeuf, Or apres que pour la troisiesme fois elle s' estendit, elle creua.
Le Sens MORAL.
CHacun à son don, l'vn est beau, l'autre puissant, l'vn à des amis, l'aure des richesses; Que chacun soit content de ce qu' il y a, Ton Compagnon a la Beaute du Corps, et toy tu as la viuacite d'es∣prit, Parquoy que chacun se conseille soy mesme, qu' il ne soit point enuieux de la pre heminence d'autruy, qu' il ne debate point pour vne chose miserable, ne folle; Ce qui nous auons dit cy dessus de la Grenouille pourroit estre rapporté à vne autre Fable, c' est l'Exemple des Gens du peu, qui se veulent rendre egaux en despence, et en mine à ceux de haute condition, Ces presompteux imitent Icare, en ce qu' ils prennent vn vol trop haut, et voila pourquoy, comme Icare aussi, pour n' auoir que des ailes de Cire qui fondent comme au Soleil aupres de la personne des Grands ou ils tombent dans le precipice, ou ils demeurent au milieu de leur Entreprise, et creuent comme la Gre∣noüille ou de despit, ou d'Impuissance. Cette Grenoüille plaide la Cause des Ambitieux qui ne viuent que pour l'orgueil, ou par le Luxe, et songent tant seulement à faire voir leur Grandeur à tout le monde; Tout ce qui peut dire en faueur de tels personnes que tous jours ils la∣borent en choses extremement foibles, et fort peu considerables.