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FABLE XCVII.
VN Loup affamè et maigre errant vn jour parmy les bois, ren∣contra par hazard vn Chien fort gras et potelè, bien poli et bien peignè. Auquel il parla de la sorte; hè beau chien d'ou viens tu? auquel le Chien repondit, je viens de la maison de mon maistre. Le Loup luy demanda, comment il se pouuoit faire, que luy qui estoit vn animal domestique, et ordinairement enfermè à la maison, fut si gras, et au contraire que luy estoit si maigre, et si affamè, veu qu' il auoit tant de bois et de compagne pour se promener, et pour chercher de quoy se nourir. Le Chien re∣spondit qu' il auoit vn maistre fort bon, et fort indulgent, qui auoit soin tous les jours de luy donner la viande de sa table de sa propre main. Le Loup ayant oüi ces propos demeura tout estonnè, mais l'ayant approchè de plus près, il prit garde que son col estoit tout pelè, et eschè; et le Loup s' informant curi∣eusement d'ou cela pouuoit venir, le Chien luy respondit, que c' estoit seulement des cicatrices, que luy auoit fait le colier dont il estoit attachè, de crainte qu' il ne mordit les estrangers qui l'approchoient. Auquel le Loup dit, je n' enuie pas ta Fortune et ne me plains pas de la mienne; et j' aime mieux joüir de la libertè, et estre comme je suis, que d'estre en ta condition, enchainè et souuent batu.
Le Sens MORALE.
CEtte fable nous apprend qu' vne mediocre fortune est meilleure auec la libertè, que non pas vne plus puissante sans elle. Et qu' on à plus de plaisir dans la vie, selon ce dire du sage Salo∣mon, de viure en paix et en repos dans état mediocre, que de viure auec splendeur et magnificence parmy la discorde et le trouble.