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FABLE LX.
LE Renard, et le Bouc ayans grand soif descendirent dedans vn puits pour boire, auquel quand ils eurent bien beu, le Bouc regar∣doit de tous costez le chemin pour sortir hors, Le Renard luy dit, prends courage mon bon Amy! Je vien de m' aduiser d'vne Inuention par le moyen de laquelle nous pourrons tous deux sortir d'icy. C' est qu'il te faut tenir debout, et te leuant droit de tes deux premiers pi∣eds, t' appuyer contre le mur, puis joignant le menton à ta poictrine, tu baisseras vn peu tes cornes, et moy je monteray par le long de tes eschines sur tes cornes, et ainsi m' estant sauuè, Je te mettra dehors par apres, Le Bouc creut ce conseil, et executa de poinct en poinct tout ce que luy dit son compagnon, si bien, que par ce moyen, le Renard sortit; Mais comme il fut dehors, d'aisé qu' il en eust, il se mit à dancer sur le bord du puits, ne se souciant plus de son Compagnon, qui ne se peut vanger autrement, qu' en luy reprochant sa perfidié, et sa la∣cheté, Alors le Renard se mocquant de luy, O pauure Bouc, luy dit il, si tu auois autant de sens dans la teste, que tu as de Barbe au menton, tu ne fusses jamais descendu dans le puits, que tu n' eusses premierement bien pensé aux moyens d'en sortir.
Le Sens MORAL.
CEtte Fable nous demonstre la vanité de ceux qui se jettent impru∣dement dans vne affaire, auant que d'auoir consideré qu' elle en sera l' Issue; Il en arriue de mesme à plusieurs, qui charmez d'vn petit plaisir, se lancent, teste baisseé, dans des difficultes bien estrangeés, et d'ou ils ne sortent quelque fois, sans qu' en sortant du monde; Ainsi, les Auares, pour contestent le Bien d'autruy, auecque peu de droit; et s' attachent indifferement aux grands Procez, aux voyages, et aux quereles sous l'esperance qu' ils ont de quelque succession; Et ainsi les Ambitieux s'obstinent à de pernicieuses entreprises qui n'aboutissent en fin qu' à leur Confusion; Par les Euennemens de ces trompeurs, il bien souuent aduint qu' ils se rendent en partie ridicules, en partie odieux, et en partie miserables; Ridicules, en ce qu'ils aspirent la pluspart du temps à des choses qui sont au dessus leur puissance, Odieux pource qu' or∣dinairement ils bastissent leur Fortune sur la Ruine d'autruy; Et mise∣rables en suite, à cause que ce sont ceux, à qui la soif extraordinaire des Grandeurs fait hazarder la Vie, et perdre l' honneur auec la libertè. Contentons-nous donc du conseil d' Esope qui nous enseigne, que l' homme prudent, auant qu' entrer en son affaire, doit diligemment re∣garder qu' elle en sera l' Issue.