Le reveille-matin des Francois, et de leurs voisins. Composé par Eusebe Philadelphe cosmopolite, en forme de dialogues.

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Title
Le reveille-matin des Francois, et de leurs voisins. Composé par Eusebe Philadelphe cosmopolite, en forme de dialogues.
Author
Barnaud, Nicholas, b. 1538 or 9.
Publication
A Edimbourg :: De l'impremerie de Iaques Iames. Auec permission,
1574.
Rights/Permissions

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Subject terms
Huguenots -- France -- Early works to 1800.
France -- History -- Charles IX, 1560-1574.
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"Le reveille-matin des Francois, et de leurs voisins. Composé par Eusebe Philadelphe cosmopolite, en forme de dialogues." In the digital collection Early English Books Online 2. https://name.umdl.umich.edu/A04513.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed May 7, 2025.

Pages

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DIALOGVE SECOND. (Book 2)

Interlocuteurs. (Book 2)

Le Politique l'Historiographe.
Le Politique commence en chantant le Psalme CXXIIII.
Le pol.
Or peut bien dire Israel maintenant, Si le Seigneur pour nous n'eust point esté, Si le Seigneur nostre droict n'eust porté, Quand tout le monde à grand fureur venant Pour nous meurtrir, dessus nous s'est ietté:
L'hi.
Ie suis deceu si ce n'est la voix de celuy que ie desire le plus de voir en ce monde.
Le pol.
Pieça fussions vifs deuorez par eux, Veu la fureur ardente des peruers: Pieça fussions sous les eaux à l'enuers, Et tout ainsi qu'vn flot impetueux, Nous eussent tous abysmez & couuerts.
L'hi.

Ou ie resue, ou c'est lamy sans nulle doute, Mon Dieu où peut-il estre entré? Seroit-ce point en ceste chambre? Hola he, Ouurez vn peu, ie vous prie.

Le pol.

Qui estes-vous, qui ainsi hurtez?

L'hi.

Gens de paix, ouure l'amy.

Le pol.

O Seigneur, C'est l'Historiographe. Est-il possible!

L'hi.

Ce l'est vrayement, mon grand amy.

Le pol.

Que ie t'embrasse, He qu'il y a de temps que ie souhaite d'auoir le bien que ie reçoy!

L'hist.

Il m'auient tout ainsi qu'à ceux qui ont lon guement attendu, apres quelque bien rare chose, qui mal à peine peuuent croire lors qu'ils l'ont

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en leur puissance, que ce soit ce qu'ils de siroyent. Ainsi dy-ie m'auient-il de te voir maintenant icy.

Le pol.

Ie t'asseure mon grand amy, qu'il m'aulent aussi tout de mesme, en t'y voyant.

L'hist.

Si n'est-ce fable, ny fantosme, nous voicy tous deux, Dieu merci.

Le pol.

Dieu soit loué, qui nous a conduits à sau∣ueté, & nous a faict entrerēcontrer lors que nous y pensions le moins. S'il te semble nous en remer cierons ensemble nostre bon Dieu, de tout nostre coeur, & puis apres nous entretiendrons l'vn l'au tre tout à l'aise du succez de nos voyages.

L'hist.

Nous ne pouuons honestement laisser pas∣ser ceste occasion, de remercier bien humblemēt nostre grand Dieu, sans encourir le vice d'ingra∣titude, l'vn des plus desplaisans à Dieu, & moins souffrable entre les hommes. Mais il nous faut tenir la porte close, pour euiter l'inconueniēt qui nous pourroit suruenir, veu le lieu où nous som∣mēs: où le pur seruice & l'inuocation du nom de Dieu (comme en tout le reste de la Papauté) est deffendue.

Le pol.

I'espere que bien tost (comme il nous est commandé de Dieu, expedient pour nos miseres & necessaire pour nostre deuoir) il nous sera aussī permis de seruir Dieu par tout ouuertement. A∣pres que sa Maiesté aura fait iustice de la grande Paillarde, qui a corrompu la terre par sa paillar∣dise, & qu'il aura vēgé le sang de ses seruiteurs de la main d'icelle: lors que les Rois de la terre, qui ont paillardé auec elle, & ont vescu en delices,

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pleureront & se lamenterōt à cause d'elle, quand ils verront la fumee de son bruslement: Lors dy∣ie, qu'il n'y aura plus nuls Chananeens en la mai son du Seigneur desarmees. Et que tous ceux qui seront demeurez de reste de routes les natiōs qui auront fait la guerre à l'Eglise de Dieu, adorerōt le Roy le Seigneur des armees. Ainsi que la pre∣dict Zacharie en sa Propherie.

L'hist.

Ie l'espere aussi tout ainsi. Cependant no∣stre deuoir est, de marcher en tout prudemment, & d'attendre en toute patience ce temps là que le Pere a mis en sa puissance.

Bien le pouuons nous prier qu'il abbrege ces iours-là, & qu'il haste la vocation de ses esseus.

Le pol.

Tu dis vray. Or le prions donc à genoux, s'il te plaist de faire les prieres ie te suyuray de tout mon coeur.

L'hi.

Ie le veux bien. Prions,

Seigneur Dieu Pere eternel & tout puissant, Nous tes poures seruiteurs, ayans esté transpor∣tez par ta grace, du Royaume tenebreux, au Roy∣aume de lumiere, & tost apres employez parton Eglise en des charges importantes à ton seruice: Te rendons graces, nous te louons, nous te ma∣gnifions Seigneur, pour les biens infinis (& qui à dire vray, nous sont incomprehensibles) que tu nous distribues iournellemēt de ta liberale & in∣fatigable main, de ce que par ton bras fauorable tu nous as conduits & ramenez nous ayant admi nistré les choses necessaires à nostre voyage, & nous deliurāt des dāgers ausquels nous sommes exposez le plus souuent pour nos pechez. Nous

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te supplions Seigneur, qu'il te plaise ennous par donnant nos fautes, continuer tes benedictiōs & graces sur nous, & sur tes autres enfans & serui∣teurs, comme tu cognois estre expedient pour le bien de ta gloire. Sur tout Pere & Sauueur, fay nous tousiours fermement esperer és promesses du salut eternel qui nous a esté acquis par le sang precieux de ton Fils ton bien-aimé. Et nous fay continuellement dependre de ta prouidence, par laquelle iusqu'aux plus petits d'entre les oyseaux sont nourris & soustentez, & les cheueux de nos testes comptez & gardez, iusques à tant Seigneur, que tu nous retires de ces miseres, pour nous fai∣re iouyr de l'immortalité bien-heureuse, de la∣quelle iouyssent ceux que tu as retirez en paix. Ce pendant Seigneur, nous te supplions de prouuoit en general & en particulier, à toutes lesnecessitez de ton Eglise, de haster le temps de la vocation des tiens, & abbreger les iours de la restauration des choses. Et de nous faire en particulier la gra∣ce que nous puissiōs bien tost estre rendus en sau ueté, à l'Eglise qui nous a enuoyé pour luy pou∣uoir rendre fidelemēt compte de la charge qu'el∣le nous a donnee: fay-le Seigneur, pour l'amour de Iesus Christ ton Fils nostre sauueur. Ainsi soit-il.

Le pol.

Ainsi soit-il. Or il faut que ie te die deuāt que passer outre, que ie me resiouy grandement, & m'esmeruéille quand & quand, considerant la peine que tu as eue, & les dāgers par où tu as pas∣sé en faisant vn si lōg voyage, de l'embon poinct que tu nous en rapportes.

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L'hi.

I'ay eu de la peine vrayement pour la lon∣gueur du chemin, & diuersité de Regions, par où il m'a conuenu passer. Mais la gayeté de coeur, de laquelle i'ay marché, m'a fait trouuer tout le la∣beur facile: Quant aux dangers, tu scay bien que celuy pour lequel ie marchois est bō & fort pour garder ceux qui se retirent en sa garde: aussi m'a∣il tellement garenty que les dāgers ne m'ont ap∣proché que de bien loin. Le plusd'ennuy que i'ay senty, ç'à esté (afin que ie n'en dissimule rien) les Karhous & autres insolēces ou lon m'a voulu cō traindre d'entrer par plusieurs fois en trauersant les Allemagnes: Les coups de coude pareillemēt & les brocards de Franche dogues, dont les An∣glois vsent souuent, conioints auec la vaine & sù perbe contenance, & autres desbauches qu'on voit en Angleterre, m'ont merueilleusement of∣fensé.

Le pol.

Il y auoit assez dequoy se fascher: mais l'en nuy seroit grand au double, si ces sortises estoyēt pratiquees par quelques Chrestiens & gens de marque. Et ie me doute bien que les Karhous Al lemans ne se trouuent que parmi quelques vieux yurōgnes Papistes, és taruernes & hostelleries où il seroit biē aisé de se faire seruir à part pour fuyr la violence de ces Sacs-à vin. Quant aux cours des Princes & Seigneurs Protestans, où tu auois le plus affaire, ie m'asseure que tu n'y as rien veu de semblable, ny pareillement parmi les Anglois de bonne estoffe (si leur contenance ne trompe mon iugement) rien que courtoisie & douceur, accompagnee de toute modestie.

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L'hi.

Pleust à Dieu qu'ainsi fust l'amy cōme c'est pour la plus part, tout au contraire. Les plus grās y font les plus lourdes fautes, voire les plus reli∣gieux sont plus qu'il ne seroit à desirer, embrenez de ces ordures.

Le pol.

Que me dis-tu?

L'hi.

Il est ainsi ie t'en asseure, & nul ne leur vient au denant, ils s'en dispensent à leur gré.

Le pol.

Et les Pasteurs, quoy cependant? ne repre∣nent ils pas ces vices?

L'hi.

La plus part sont des chiens muets, presque tous compagnons d'Hely, il n'y a point de disci∣pline.

Le pol.

Si est-ce que i'ay ouy dire qu'ily auoit en Angleterre plusieurs Ministres bons Pasteurs, qui desirās la reformation de la vie & moeurs des hommes, & de quelques ceremonies externes qui sont demeurees de reste de la Papauté, ne cessoy∣ent de faire tout deuoir par escrit & de viue voix, pour mettre la discipline Ecclesiastique au dessus: Et quelque bon Prince Protestant qui la vouloit mettre en ses terres.

L'hist.

Tu dis vray: Mais son bon vouloir n'a pas eu l'effet desiré: Et quant à ces bons personnages Anglois, du temps mesme que i'ay esté en Angle∣terre, ils ont esté merueilleusement trauaillez par les Ministres de la iustice: Les vns ont esté ban∣nis, les autres deposez de leurs ministeres: Et leurs escrits parlans de reformation, condamnez com∣me seditieux.

Le pol.

Est-il possible?

L'hi.

Il est ainsi.

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Le pol.

Quant au dessein de ce bon Prince, ie ne m'esbahy pas par trop qu'il s'en soit allé en fu∣mee, veu la tiedeur & lentitude de laquelle les Princes marchent, quand il est question de repur ger les Eglises qui leur sont commises: Conside∣rāt aussi la malice des Peuples qui abusent le plus souuent du bon naturel de leurs Princes. Mais de ce fait-là d'Angleterre: i'en demeure tout eston∣né. Quelle iniustice! Quelle d'esloyauté! Ie me doute bien d'où cela peut venir, il ne peut proce∣der que de la bobance, ambition & insolence des Prelats Anglois, fauorisee de la Chattemiterie de quelques vns du conseil que ie te pourrois biē nommer. Mais qu'ils oyent (outre les passages de l'Escriture) ce que dit quelque grand personnage de nostre temps, parlant de la discipline Ecclesia stique. S'il n'y a (dit-il) nulle compagnie, ni mes mes nulle maison quelque petite qu'elle soit, qui se puisse maintenir en son estat, sans discipline: Il est certain qu'il est beaucoup plus requis d'en a∣uoir en l'Eglise, laquelle doit estre ordonnee mi∣eux que nulle maison, ny autre assemblee.

Pourtant comme la doctrine de nostre Seigneur Iesus est l'ame de l'Eglise, aussi la discipline est en icelle, comme les nerfs sont en vn corpspour vnir les membres & les tenir chacun en son lieu & en son ordre. Pourtant tous ceux qui desirent que la discipline soit abbatue, ou qui empeschent qu'el∣le ne soit remise au dessus, soit qu'ils le facent à leur escient, ou par inconsideration, cerchent d'a∣mener l'Eglise à vne dissipation extreme.

L'hist.

Cela est tant bien dit que rien plns: Mais

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quel remede quand les principaux d'entre lesgés d'Eglise qu'on appelle, qui deussent porter le flā∣beau deuant les autres, se contentans d'auoir re∣ceu la doctrine, n'ont cure de reformatiō. Et quel que bon exemple que leurs voisins Escossois & autres peuples qui l'ont receue, leur en sachent dōner, n'ont pas honte dese monstrer ennemis ou uerts de toute discipline, cependant la feinte sim∣plicité du surpelis plié menu comme celuy d'vn prestre, la sotte & superflue clarté des chandeles en plein midy, le son sans intelligēce des Orgues, La gaye musique gringotee ne manque point de dans leurs temples, en leurs seruices ordinaires. Là dessus Monsieur l'Archeuesque, Monsieur le Primat, Mōsieur l'Euesque, & autres tels officiers accompagnez de pages, laquets, estaffiers, & au∣tres falots, iusques à 20 30 40 100, & tel y en a ius∣ques à 200 cheuaux.

Le pol.

O Seigneur, iusques à quand y aura-il de tels Maistre-d'hostels en ta maison! Quels vigne rons, quels moissonneurs! ils ont prins l'Euangi∣le en vain les paillards, & s'en sont fait riches.

L'hi.

Bellement ie te supplie, tu es trop prodigue censeur, ils ne sont pas tous ainsi Dieu mercy, & pour le moins la doctrine est pure parmi eux.

Le pol.

Voire deal Mais où sont les fruicts de la vi gne du grand Seigneur? Ne sont-ce plustost des lambrusches que bons raisins? Et ne craignent∣ils pas, ie parle à ceux que le Seigneur a establis guettes sur Israel, que le Seigneur leur redemāde les brebis qui perissent par leur faute: Voire & les vns & les autres ne craignēt-il pas q̄ le Seigneur

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òste son Chandelier du milieu d'eux, & leur face souffrir la faim, ie dis la faim de sa parole vraye pa¦sture des ames, puis qu'ils en abusent ainsi? Et c'e∣ste Princesse leur Royne, qui a la reputation d'e∣stre tāt sage & vertueuse, qui porte le titre de chef de l'Eglise en son Royaume, & de deffēsatrice de la foy. Est-il possible qu'elle & les seigneurs de son Conseil endurent vne telle des bauche en la maison du Dieu viuant?

L'hi.

Ce n'est pas là tout, Il y a biē encore pis à craīdre.

Le pol.

Nostre Seigneur! qu'y pourroitil auoir de pire, entre ceux qui ont receul'Euāgile, que de n'ē vouloir (parma niere de dire) que la moitié, à sc. la seule doctrine?

L'hi.

Ne seroit-ce pas chose plus deplorable, si encores de ceste moitié-là ils en faisoyent si peu d'estat, qu'ils nese souciassent, quand bien auiour d'huy ou demain elle leur seroit ostee.

Le pol.

Cela est bien certain.

L'hi.

Or sont-ils presque sur le point de la perdre s'ils ne s'auisent.

Le pol.

Ie serois extremement marri, quoy que le peuple qui en abuse soit digne d'en estre priué, si ce que tu dis auenoit: Mais dy moy comment ce peut estre.

L'hi.

Il ne faut que la seule mort de la Royne, pour tout chāger & rēuerser.

Le pol.

Cō∣ment, Bon Dieu! En 14. ou 15. ans qu'elle a regné, n'a elle sceu establir telles loix & ordōnāces que la doctrine de l'Euāgile puisse demeurer pure a∣pres sō despart bō gré mal gré la Papauté? A-elle si peu profité en la lecture des bōs liures, que i'en tens luy estre tāt familiers? Faudra-il qu'vn Cice∣ro luy enseigne sa leçon, surpassant de zele enuers la Republique Romaine, le zele de ceste Royne enuers l'Eglise de Dieu?

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Quant il afferme n'auoir moins de soin de l'estat uenir que de l'estat present de sa Republicque: he Dieu, quelle lascheté voila,

L'hi.

Ie t'asseure l'amy que si la Royne & son Con¦seil ou le Parlement d'Angleterre ny remedie, qu'ils sont venus comme à la veille de voir la sub¦uersion de leur estat & de la Religion ensemble.

Le pol.

Ha miserables! Et que tardent ils, qui les empesche d'y mettre la main deuant la main?

L'hi.

Rien ne les en destourne que la des bauche & la vanité de la cour, les delices des Prelats, la su perbe des nobles: Et pour le dire en vn mot le peu de zele que la plus part des Anglois a enuers le seruice de Dieu. Et Dieu par son secret iuge∣ment, pour se venger de telle lascheté tient cōme en lesse vne royne d'Escosse, que chacun cognoist assez plus proche de la Couronne d'Angleterre, pour la lascher tòut aussi tost apres la mort de co¦ste-cy. Et Dieu scait quel remuement on y verra s'ainsi aduient.

Le pol.

O Seigneur! Et vit-elle encore ceste fatale Medee? Qui eust iamais cuydé cela? Catherine de Medicis, & ses enfans ont bien surpassé en luxu∣re, en cruaùté & perfidie trestous leurs deuāciers ty rās, ils les ont dy-ie, iustifiez, & aboly le plus de leur renom: Mais apres ceux-là, ie croy certes qu'on doit l'honneur à ceste-cy, d'auoir couche à toutes restes son estat, honneur & grandeur, & ra¦freschy en plus de sortes le ieu tragique malheu∣reux. Il sembloit bien que sa prison la deuoit a∣uoir priuee des moyens de continuer ses deporte mens: Mais à ceque l'on a veu la violence de cest

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esprit, n'a peu estre retenue ny empeschee qu'elle n'ait teté le dernier effort de sō destī, traināt auec son desastre la ruine de tous ceux qui s'en sont ac¦costez. L'infortuné duc de Northfolc a esté le dernier, qui par son supplice nous sert de bon tes∣moin, qu'elle n'a laisse peril à essayer. Ayant fait la plus hasardeuse entreprise qui se peut faire, qui est, d'attenter sur la vie de celle qui a la sienne en sa puissance, & de contraindre ceux qui ont sa vie en leurs mains, de n'estimer point leur vie estreas seuree s'ils ne luy ostēt la siene: Mais qu'attendēt ils ces Anglois? N'y a-il ame qui remonstre à la Royne & à son Conseil la necessité qu'ils ont de s'oster vne telle espine du pied?

L'hi.

Voire dea: Ily en a eu des plus doctes & plus zelez qui n'ont rien oublié à luy dire sur ces argu¦ments: Mais la royne d'Angleterre est si bonne, elle est tant pleine de clemence & douceur quelle ne prent point de plaisir à voir respandre le sang.

Le pol.

Quelle douceur nostre Seigneur, & quelle clemence est celle-là, qui traine auec soy la ruine d'vn estat si beau & si grand, & de la Religion en∣semble! N'est-ce plustost la cruauté la plus ex∣treme qu'on vit onques? Si vne telle calamité se peut euiter par moyēs iustes & licites: Celuy qui ne l'empeschera ne sera-il pas coulpable de tous les mal-heurs qui en aduiendront: Sera-ce pas v∣ne cruelle clemence pour espargner le digne de mort, faire mourir tant d'innocents, & vne dou∣ble charge de conscience à vn Prince de ne vou∣loir faire iustice, ne procurer le salut de tout son Royaume. Dieu presēte ce choix à la royne d'An¦gleterre

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de faire iustice, & asseurer son estat & la Religion en Angleterre, ou refusant iustice, y rui ner l'estat & la religion ensemble. Car on ne peut dire qu'apres le decez de la Royne d'Angleterre, les choses estant en l'estat qu'elles sont, il y ait moyen d'empescher que la royne d'Escosse ne vie ne à succeder, & par consequent tout l'estat du Royaume à renuerser, & la Religion à changer, tous ceux qui ne voudront estre si meschans que de quitter le ciel pour la terre, & renier leur re∣ligion, pour le moins bannis, chassez, eux & leurs enfans miserables, cōme on a ia veu l pourtraict au regne de la Royne Marie.

L'hi.

Cela est certain: Et beaucoup de gens de biē Anglois, auec lesquels i'ay deuisé de cest affaire, ne s'attendent pas à mieux. Encore dernierement la royne Elizabeth, estant tombee malade (crai∣gnant que pire luy auint) il y en auoit desia plu∣sieurs qui pensoyent à trousser leurs quilles.

Le pol.

Ha poures gens! Et comment est-ce qu'vn Parlement (du quel l'authorité est si grande, com∣me tu scay) ne fait ouuertement resoudre ceste Royne en ce faict-cy, en ce fait dy-ie, auquel il n'est pas question seulemēt de punirle passé, mais aussi d'euiter le mal present & aduenir. Dieu au∣ra bien puny d'aueuglement, ceux qui ne verront clair en cest affaire. Ceux qui ont remis vn pareil forfaict autrefois, l'ont remis à ceux de qui il n'a∣uoyent occasion de douter semblable conspira∣tion: mais de pardonner à ceux qui retiennent la mesme volonté, & mesmes moyens pour ma••••

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re, c'est plustost temerité que douceur.

L'Angleterre tient (comme l'on dict) le loup par les oreilles, ils ne le peuuēt tenir long temps, & encores moins le lascher, que en l'vne & l'au∣tre sorte il ne leur face beaucoup de mal. Le pe∣ril y est tout euident, & ia essayé: vouloir enco∣res choquer au mesme escueuil où l'on vient de faire naufrage, ce seroit à tort, comme dit le pro¦uerbe, qu'on accuseroit Neptune.

Cela est bien certain, que tant que la royne d'Escosse y sera, elle ne cessera de troubler cest estat, par conspirations intestines: Et si elle en est vne fois hors (comme Charles de Valois s'essaye iournellement de l'en tirer) par guerre externe.

Il n'y a rien de si pernicieux à vn Royaume que d'y auoir vn successeur, ayant des qualitez si per∣nicieuses à vn estat, que la royne d'Escosse. Car en premier lieu, C'est vn successeur ennemy, el∣le l'auoit assez monstré par les guerres pas∣sees. Mais en la conspiration derniere elle a descouuert la plus capitale haine qui se peut mō∣strer.

L'ambition & cupidité de ceste Couronne, ne luy permet point d'attendre le temps de la suc∣cession. Elle a autrefois vsurpé le titre & les ar∣mes.

A present par ceste conspiration, elle a mon∣stré d'en vouloir auoir la possession & la com∣modité.

Dauantage, elle est estrangere de nation, tel∣lement que l'affection naturelle, comme seroit

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en vn autre successeur qui seroit fils, ne peur arre∣ster l'ambition qu'elle a d'empieter le Royaume.

Item elle est estrangere de religion, qui est la pire qualité de toutes, d'autant mesmes, qu'elle a (comme i'ay entendu dire, les partis pieça dressez dans le Royaume, tellement qu'il n'y escherroit que le coup de l'ex ecution.

La retention doncques d'vn tel successeur ne peut estre que tresdangereuse à tout estat: Et au contraire l'extermination fort vtile & au grand re¦pos & trāquillité d'ioeluy, de sorte qu'on ne peut douter que ce ne fust vn grand biē à ce Royaume de luy oster ceste espine du pied, qui ne cesse de le troubler & picquer: Et de s'exposer au peril, qu'ō peur facilement & par moyens licites euiter, pour apres essayer d'estre sauuez par quelque voye mi¦raculeuse de Dieu, & aimer plustost demourer tousiours en danger, en retardant ou refusant iu∣stice, que s'asseurer de son salut auec la iustice. Cela s'appelle en bon Frāçois, Tenter Diéu trop vilainement.

L'hi.

Tu en parles bien à ton aise & ainsi comme¦tu l'entens: Mais ie me doute bien l'amy que si tu tendois vne oreille à l'accusee & à ses droits, que possible tu pourrois faire vne toute autre con∣clusion.

Le pol.

Ia à Dieu ne plaise que ie tende l'oreille à ceste bonne Dame-là: I'entens qu'elle a trop de moyens pour corrompre les plus parfaits. Mais si¦serois-ie bien aise d'estré en lieu où son faict fust traité, pour en dire ce qu'il m'en semble.

L'hi.

Tu en as desia dict assez pour te garder d'en

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estre iuge. Et nous auons (comme tu scay) à traiter d'vne autre matiere: toutefois pource que cest affaire importe tant à l'Eglise de Dieu, si tu veux, afin que faute de raisons, on ne laisse plus lō guement vne punition si necessaire en arriere, ie trendray le parti de la royne d'Escosse (par forme de deuis) & t'allegueray au mieux mal qu'il me sera possible, tout ce que ces partizans alleguent, pour l'exempter de son dernier supplice, toy au contraire debatras ce qu'il te semblera estre rai∣sonnable, selon l'estat, & la conscience pour le biē de ce peuple-là. I'ay bon moyen d'en aduertir des Myllords qui me sont amis. Apres cecy, ie te fe∣ray entendre le succez de tout mon voyage.

Le pol.

Ie le veux bien, & si ne fay point de dou∣te que ie n'en puisse bien resoudre ceux qui sans passion auec vn iugemēt pur & net, voudront me surer mes raisons. Mais deuant que passer outre, ie suis d'auis qu'en ce fait-cy (comme en toute au¦tre matiere d'estat) nous ayons deux considerati∣ons conioinctement, L'vne, Si ce qu'on propose est honeste, l'autre, S'il est vtile. Ceux qui en ma∣tieres d'estat, dient qu'il ne faut cōsiderer que l'v∣tilité, monstrent qu'ils n'ont guere l'honneur, & encores moins la conscience en recommandatiō. Le populace d'Athenes suffit pour leur faire hō∣te au iugement qu'il donna, du conseil que The∣mistocles leur vouloit bailler sās le declarer qu'à vn. Ils esleurent (comme tu scay) pour l'ouyr non point le plus affectionné à l'amplification de leur Republique, ains Aristides le plus iuste, auquel apres qu'il leur eut rapporté que le cōseil de The

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mistocles estoit fort vtile, mais, tres-iniuste: Ils dirent tous d'vne voix qu'ils n'en vouloyent point: Nous auons donc en ce faict-cy obligatiō & deuoir de regarder autāt la iustice & honeste∣té, cōme l'vtilité publique du royaume d'Angle∣terre. De ce biē public s'il y a interest ou nō, i'en ay desia, ce me semble, parlé assez: reste seulemēt à vuyder, si le fait est aussi iuste & honeste, com∣me vtile & necessaire. Il est bien certain & ne se peut nier, que cest vn des plus grans crimes qui se peuuēt commettre enuers les hommes que de conspirer contre le Roy en son royaume, contre son estat & rauissement d'iceluy: l'exemplaire pu∣nition de Coré, Dathan, & Abiron le tesmoigne assez: Dauid ordonné & esleu de Dieu pour estre Roy apres Saul, s'est contenté de se deffendre & se garantir sans iamais attenter sur la personne de Saul, à qui neantmoins il estoit destiné successeur de la bouche de Dieu. Et combien que Saul luy fist guerre mortelle & iniuste, si est-ce que Da∣uid se condamnoitcomme digne de mort, s'il eust attenté contre Saul, & fit mourir celuy qui l'osa entreprendre, quoy qu'il se couurist du comman∣dement & de la necessité de Saul. Ce seroit v∣ne superfiue & vaine ostentation de s'amplifier en long discours sur la preuue d'vne maxime si in dubitable: Que celuy qui veut renuerser l'estat & attēter sur la vie du Seigneur souuerain d'iceluy (ie ne parle pas du tyran ny de la tyrānie aussi) est digne du supplice de mort: & est permis, voire cō¦mandé aux Peres de massacrer leurs enfās, & aux freres leurs freres qui conspirent contre l'estat. Aussi qui regarde combiē de maux & de crimes

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sont trouuez en ce seul crime, combiē de person∣nes y sont offensees: les ruines & calamitez qui s'en ensuyuent: la lōgue misere qu'vn tel fait trai∣ne apres soy, il s'en trouuera tant d'expres & en si grād nōbre, dōt chacū est seul digne de mort qu'il n'y a pas assez de supplices pour vne telle hydre de crimes. Il ne faut que se figurer l'image d'vne desolatiō vniuerselle de tout le royaume, la cruau té des proscriptions & calamiteux spectacle des proscrits, pour iuger le merite de celuy qui en au∣ra esté cause. Et iettant les y eux plus loin conside rer qu'il faut abolir toute espece de Republique & d'estat, & rēdre les hōmes brutaux sans societé ne iustice, si tel crime n'est condāné, d'autāt qu'il n'y a estat qui puisse subsister, si telles cōspiratiōs demeurēt impunies. Et d'autrepart leuant enco∣res les yeux plus haut, considerer de qui procede l'authorité & puissance que Dieu a mise aux Prin¦ces souuerains, qui leur rauit le sceptre resiste à la puissance de Dieu, & viole ce qu'il a voulu estre sainct & inuiolable par dessus autres choses humaines. Ce seroit chose trop ridicule de penser excuser ce fait, pour dire que le crime n'a pas esté effectué, ny par cōsequēt tous les susdits maux en suyuis. Car en vn tel crime, si on attēd l'executiō, il ne reste plus moyēde le punir: il faut que l'ētre∣prise soit punie cōme le fait: autremēt iamais il ni auroit punitiō. Car si le crime eust reussy, qui eust puny les coulpables? il n'y eust eu ny loy, ni iuge pour les cōdāner. Au cōtraire ils eussēt eu le pou∣uoir sur la loy & iustice. Les exēples de ceux qu'ō lit auoir esté punis ne sōt pour auoir executé: ains

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seulemēt pour auoir attenté. Reste donc pour vn principe consenty & indubitable par toutes les na¦tions de la terre, & par toutes loix diuines & hu∣maines. Que vne telle conspiration est digne de plus de morts & supplices que le coulpable ne scauroit souffrir: & par consequent sensuit que la punition n'est pas moins iuste & honeste, qu'elle est vtile & profitable.

Lhi.

Ie t'accorde cela simplement: Mais aussi il faut que tu me confesses, par l'aduis de Ciceron mesmes, que si lon propose deux honnestes & deux vtiles, quand & quand qu'il faut prendre le plus vtile, le plus honneste & mieux seant.

Le pol.

Ie l'auouē.

L'hi.

Il y a plus: C'est qu'en toutes choses & sur tout en tous iugemens, on traite premier des per∣sonnes, apres lon traite de leur fait, ie dis notam∣ment des personnes du iuge & de l'accusé.

Le pol.

Ie le confesse, mais que s'ensuyura-il pour tant?

L'hi.

C'est que si nous considerons les qualitez de la personne de la royne d'Escosse, nous trouuerōs pour la premiere, qu'elle est maistresse de sō Roy aume, de pareille puissance que la royne d'Angle terre n'est subiecte, inferieure ny iusticiable. Qui es tu don, dit l'Escriture, qui iuges le seruiteur d'autruy? Dieu a, comme auec vn cordeau, depar¦ty la terre entre les hommes, qui tasche de l'outre passer, contreuient au dixieme commandement perpetuel & inuiolable. Et d'aller resusciter quel ques vieux droits de souueraineté, que l'Angle∣terre pretend dessus l'Escosse, & en vouloir vser,

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pour rendre la royne d'Escosse iusticiable de la royne d'Angleterre: Il n'y a homme de bon iuge∣ment, qui ne die que ce seroit des pretendues cou¦leurs & recerches, pour se deffaire d'vne Princes∣se à qui l'on veut mal. Car puis qu'elle a esté auāt sa prison en possession, de se dire Monarque en son Royaume, elle ne peut estre par la contrainte tenue, qu'en la mesme conditiō qu'elle estoit lors de la premiere heure de son emprisonnement. Ce sont les loix du grād Empire Romain, en tou∣tes les grandes guerres qu'ils ont eues par toute la terre: C'est la raison naturelle qui le persuade assez à vn chacun. Et de pretendre aussi qu'elle n'est plus Royne, qu'elle a esté priuee du Royau∣me par sa desmission, & par la deliberation des estats d'Escosse: Ce sont des traits que la Royne d'Angleterre, ny autre Prince ne peut approuuer, sans faire tort à l'authorité que tous les Princes souuerains vsurpent & pretendent auoir, de iuger & donner la loy à leurs suiets, non point estre iu∣gez ny receuoir la loy d'eux, ou autres cōtables de leurs actions qu'au seul Dieu quoy qu'ils facent. Tu scay bien que le nostre s'en est souuent fait à croire. Et en telles occasions, il semble que les Rois sont tous vnis à reprimer & cōbatre le faict des suiets: Tāt s'en faut que la royne d'Angleter∣re s'en puisse seruir pour s'approprier authorité sur le royaume d'Escosse. Il reste donc à la royne Marie Stuard, ceste qualité de Royne souuerai∣ne, non inferieure de la royne d'Angleterre, la∣quelle par consequent ne peut iustement cognoi∣stre ny iuger sur elle: d'autant que le fondement

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plus grand & preallable pour solider vn bon iuge ment, c'est d'establir la puissance & authorité le∣gitime de oeluy qui veut estre iuge.

Les ambassadeurs des Rois sont par toutes les plus agrestes nations, par toutes especes de reli∣gions, inuiolables, & ceux qui les offensent tenus pour execrables & violateurs du droict des gens: à plus forte raison ceux qui offēsent les Rois, des∣quels les ambassadeurs n'ont que la reputation. Les Romains ont laisse vn exemple qui est en plu sieurs points cōforme au fait de la royne d'Escos∣se. C'est des ambassadeurs venus de la part des Tarquins à Rome pour emporter leurs meubles apres leur reiection. Ces ambassadeurs firent v∣ne conspiratiō auec auouns Romains pour remet tre les Tarquins & renuerser la Republique, tuer les Consuls & principaux d'icelle: la conspiratiō est descouuerte: les Romains sont punis, iusques à la que Brutus fit mourir ses propres enfās. quāt aux ambassadeurs, le fait est debatu au Senat, où le droict de gens le gagna, & furent les ambassa∣deurs enuoyez en seureté. Celuy qu'ils represen∣toyēt qui estoit Tarquin estoit chasse de son Roy aume, comme la royne d'Escosse: les ambassa∣deurs auoyent faict la conspiration dans Rome, apres y auoit esté receus, comme la royne d'Escos se a fait en Angleterre apres y auoit esté receue. Et tourefois il fut iugé qu'encore en ce cas ils e∣stovent inuiolables.

La seconde qualité que la royne d'Escosse peut alleguer pour estre exempte de la generale condā¦tion des cōspirateurs, est, qu'elle est refugiee en

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Angleterre: chacū scait cōme elle y est venue à re¦fuge apres la desroute de la bataille, cōme elle y a esté receue à refuge & seureté de sa vie: à ceste heure la faire mourir, on dira que c'est l'acte le plus indigne d'vn Prince qui ait esté fait iamais à autre Prince. Les plus barbares Princes ont eu ce stehumanité de receuoir les rois deiectezde leurs thrones, & les maintenir en toute seureté, les trai ter auec honneur & dignité: & ont pensé que c'e∣stoit leur propre grandeur de secourir, ou pour le moins retirer les tois expoliez de leurs estats, soit par leurs suiets ou par autres Princes. Et n'y a eu iamais difference de religiō, inimitié passee, ny au tre occasion qui ait empesché ce respect deu à la maiesté des Rois & Princes souuerains, & à ceux qui leur appartienēt. On lit de Chilperic 4. roy de Frāce, que les François chasserent de son roy∣aume qu'il fut receu à refuge par le roy de Lorrai ne Loys. Alphonse roy de Portugal chassé par sō frere Sancho roy de Chastille fut receu par le roy de Grenade Tilleda, biē qu'il fut Sarraz in: & quoy qu'il luy fust predit, qu'il ruineroit sa posterité: il le tīt en seureté, & le laissa aller apres la mort de son frere en son royaume. Les rois Loys 11. & Charles 8. receurēt Zizim ou Gemes Turc deieté de l'Empire par Baiazet son frere, voire mesmes le pape Innocēt le receut. Il est vray qu'Alexādre 6. sō successeur luy fit en fin vn trait de Pape. The mistocles fut receu par le roy des Perses, & quoy que sa soeur luy demādast punitiō, de ce qu'il luy auoit tué ses enfans à Salamine, iamais ne voulut violer l'Azyle & refuge, qui est és maisōs des Rois pour tous les Princes affligez.

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Il y a biē eu enplusieurs Roys & Princes, cōme en tous estats, de la meschanceté & nō gueremoīs d'exemples de ceux qui ont enfreint & violé ce sainct droit d'hospitalité, mais le consentemētvni uersel de toutes les nations de la terre a detesté ce ste perfidie, la fin malheureuse de la plus part des perfides les condamne assez, les poetes s'en sont seruis pour suiets de leurs tragedies, & les ontlo∣gez en leur enfer fabuleux, parmi les plus cruels tourmens qu'ils ont peu excogiter. Les histoires en rapportent des exemples dignes plustost d'e∣stre enseuelis que recueillis en la memoire des hōmes, si n'est pour la finqu'ilsont eue miserable.

On n'a que faire de disputer si la royne d'An∣gleterre à donné la foy à la royne d'Escosse, de la tenir en seureté: Car depuis qu'elle est receue, la detenir vn si long temps, cela importe à ses pro∣messes de feureté: autrement il eust fallu dés le cō¦mencement ne la receuoir point, comme on voit par les histoires Romaines, que quand ils ne vou loyent donner seureté aux estrangers quivenoyēt à eux▪ Ils leur commandoyent dedans dix iours de desloger de l'Italie, mais que depuis qu'ils les auoyent receus, ils les ayent recerchez de rien, on ne l'a veu iamais. Aussi n'y a-il homme qui ne blasme ceux qui de froid sang font mourir vn qu'ils rienent en leur puissance, encores qu'il soit leur ennemy, & par eux prins en guerre, ce que n'a este la royne d'Escosse.

La troisieme qualité de la royne d'Escosse est, 〈◊〉〈◊〉 elle est prisonniere. Il sembleroit que ceste qualité luy deust preiudicier, par ce que par cela

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on cognoist qu'elle n'a point esté receue comme refugiee ny donné aucune foy: Mais c'est au con∣traire: si elle auoit esté receue à refuge & promes∣se donnee, on luy pourroit imputer d'auoir con∣spiré contre celle qui luy auoit vsé de ceste gran∣de humanité: à present n'ayant receu aucune hu∣manité de la royned'Angleterre, elle ne luy est de rien obligee, voire que pour luy auoir vsé de ce∣ste rigueur & n'auoir exercé en son endroit, ceste generosité & beneficence royale, comme les Rois dont i'ay parlé, elle auroit occasion d'en prendre vengeance: Cōme fit d'vn roy d'Hōgrie quatrie∣me, Federic duc d'Austriche, qui ayant fuy vers luy apres la desroute d'vne bataille gaignee sur luy par les Tartares: il le retint prisonnier, & le cō traignit luy bailler d'argent & trois Comtez pro∣chains d'Austriche. En fin estant deliuré, luy fit la guerre, & le tua à vne bataille. Il est certain que la royne d'Escosse a esté tousiours sous bonne & seu re garde, iamais n'a esté en liberté sous sa foy: vn prisonnier qui n'est point sur sa foy & à qui on a baillé garde: il ne peut estre blasmé de recercher sa retraicte par toutes les voyes qu'il est possible. Mesmement qu'elle dira auoir esté iniustement faicte prisonniere: Car où l'on pretend qu'elle soit prisonniere de iustice, ou de guerre: autre ti∣ers moyen agile ne s'en peut trouuer: d'estre pri∣sonniere de iustice, i'ay desia dit qu'elle n'est iu∣sticiable de la royne d'Angleterre: Par ainsi elle ne peut estre prisonniere de iustice en Angleter∣re, par ce que le fondement d'vne vraye iustice y deffaut, c'est la puissance du Iuge: D'estre prison∣niere

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de guerre, on demande en quelle guerre les Anglois l'ont prinse. Que l'on se represente ce que Elizee dit au roy d'Israel, quand il amena les Syriēs miraculeusemēt aueuglez au roy d'Israel, lesquels voulāt faire mourir, le Prophete luy dit, qu'il ne les auoit pas prins par glaiue: & par ainsi qu'il ne les pouuoit faire mourir, ny retenir: ains les deuoit laisser aller en paix: comme il fit.

Si on vouloit subtilizersur les actiōs passees de la royne d'Escosse, & dire qu'elle est chargee d'a∣uoir fa it mourir le feu roy d'Escosse sō mary, natif d'Angleterre: par ainsi qu'il estoit loisible à la roy ne d'Angleterre de cognoistre & iuger du tort fait à son suiet par vn estrāger le trouuant en sa terre. Ce seroit entre gens de bon iugemēt vne couleur recerchee, pòur masquer vne charité de Cour: & ne fust il que de ce que le feu roy d'Escosse se fai∣sant roy d'Escosse, quitta assez par la sa naturelle patrie. Et la Royne mesme l'ayant approuué pour roy d'Escosse, taisiblemēt abdica de soy son suiet: comme ancienemēt les patrōs leurs serfs. Parainsi elle ne la peu depuis tenir pour son suiect.

Et quand bien la iustice, le droict & la raison, permettroyēt de faire mourir legitimemēt la roy∣ne d'Escosse: encores proposera-on à la Royne d'Angleterre, pour l'esmouuoir à grace & cōmise ration: Premieremēt que la royne d'Escosse est fa prochaine parente. L'exēple de Dauid enuers son fils Absalon: du roy Charles 5. enuers le roy Phi∣lippe de Nauarre. Puis le naturel de la royne d'Angleterre ayant tousiours regné en telle dou∣ceur, qu'elle en est'louee & admiree par toute la

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terre: d'oublier ceste vertu si recommādable aux Princes, que la debōnaireté par la cruelle effusiō de sāg de ses plus proches, les anciens Empereurs qui ont pardōné les cōiurations contr'eux faites, luy seront proposez, lesquels elle a surpassé ius∣ques à present en ceste louāge d'humanité & cle∣mence. Dauantage la punition qu'on en feroit si ignominieuse: que d'vn costé on met deuant les yeux la maiesté Royale, en laquelle chacū à veu la royne d'Escosse, estant royne d'Escosse & de Frā∣ce des deux plus ancienes Couronnes de toute la terre, & apres le spectacle miserable, qu'elle fust liuree entre les mains d'vn bourreau: il n'y a si fe∣lon & cruel coeur tant fust il seuere & hardy en la condānation, qui ne fust amolly & larmoyāt à l'e∣xecution. D'autre part le respect du fils du roy d'Escosse sera de quelque valeur, pour respecter l'honneur de la mere inseparable de l'honneur du fils: lequel ne peut estre, s'il a bon coeur, qu'il ne se ressente du deshōneurque sa mere aura souf fert par la main des Anglois: tellement que quād la mere en seroit digne, si on aime ou respecte le fils: il faut luy deferer en cest endroit qu'on ne deshonore point la mere & luy en elle consequē∣ment. Outre les points que i'ay traictez de la iu¦stice & de la cōmiseration, encore adioustera-on ce point de l'vtilité du royaume: car on dira si on viēt iusques là que d'entreprēdre sur la personne de la royne d'Escosse: les Rois voisins auront vn beau pretexte, voire occasion, digne de Rois, pro∣tecteurs des Princes affligez, d'entreprendre vne guerre contre la royne d'Angleterr: de sorte que

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pensant asseurer son estat elle le met en guerre & en danger: pour le moins le roy d'Escosse son fils, comme nous venons de dire, s'il deuient grand: ne seroit pas vrayement fils s'il ne haissoit mor∣tellement l'Angleterre, voyant l'outrage qui aura esté fait à sa mere: & quoy qu'il trouue bon d'e∣stre Roy asseuré par ce moyen, si est-ce qu'il fera comme Dauid de celuy qui auoit tué Absalon son fils, ennemy & conspirateur contre sa vie & son estat. Voila donc vne haine entre ces deux Royaumes qui sont à present de bon accord, & vne guerre mortelle preparee à venir.

Ie te laisse à penser maintenant l'amy, si ce ne sont pas là des raisons & circōstances de tel poids qu'elles peuuent bien emporter à vne iuste balan ce, tout ce que tu pourrois dire alencontre pour vouloir comprendre la royne d'Escosse en la con¦demnation que nous tenons tous estre tresiuste, sur les conspirateurs contre l'estat & la vie d'vn Prince.

Le pol.

Tes raisons ont quelque apparence, pour emporter les passionnez au party que tu auois prins à deffendre: Mais elles ne peuuent en rien esmouuoir vn cerueau bien fait vn iugemēt cler, & vne conscience nette, qu'elle ne iuge leplus ho neste, le plus iuste & vtile estre tousiours de mon party. Et qu'il soit vray, escoute vn peu en silence ce que i'en scay & ce que ie t'en veux dire.

Le pre••••••r poinct que tu as allegué de ce que la royne d'Escosse n'est iusticiable de la royne d'Angleterre, ains est egalle en puissance à elle, souueraine en sa terre comme elle, & que ce se∣roit

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vsurper sur le sceptre d'autruy, &c. Tout ce∣la à lieu (afin que ie me taise de sa desmission) quand elle seroit en Escosse, ou qu'il seroit que∣stion de ce qu'elle a faict en son Royaume: Car alors la royne d'Angleterre n'y a que voir, & ne la pourroit iustemēt recercher en aucune façō, sous quelque pretexte que ce fust (si ce n'est pour l'op∣pressiō & tyrānie qu'elle feroit à l'Eglise de Dieu & au royaume de Iesus Christ, le quel estāt espan du au long & au large par toute la terre, n'est en∣clos dans aucunes limites. La deffense duquel est egalement & indifferemment recōmande à tous Princes de la terre: Pour cecy dy-ie le Prince qui a esgard à son deuoir, peut recercher, chastier & combatre son cōpagnō qui fait la guerre à Dieu. Constantin sert de bon exemple qui rengea par armes Licinius à laisser en paix les Chrestiēs qu'il persecutoit en ses terres. Mais de ce que la royne d'Escosse a fait estāt en Angleterre, qui peut dōter qu'elle n'en puisse estre iugee par la royne d'An∣gleterre? La souueraineté des Rois a lieu en leurs Royaumes: mais depuis qu'ils sont au royaume d'autruy, leursouueraineté n'a poītde lieu. Car en la terre d'vn souuerain, il n'y a personne qui ne luy soit inferieur, mesmes en ce qui concerne l'e∣stat & la seureté de la Republique. L'on voit cō∣me les Rois en ont tousiours vse quelque autre Roy qui viene en leur terre, soit-il tant amy & pa rent qu'il voudra, quelle gratification qu'on luy vueille faire, iamais on ne permet qu'il comman∣de souuerainement: si n'est auec autāt de puissan∣ce que par courtoisie on luy ottroye. C'est vne

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chose pleine de ialousie que la souueraineté, qui ne se communique iamais à autruy, de sorte que toutes les raisons que la royne d'Escosse pourroit alleguer en cest endroit font contre elle. Car s pour estre souueraine elle pretēd que nul ne peut ny doit attenter sur sa personne, par ce que ce seroit entreprendre sur la personne & estat d'vn souuerain. Pourquoy est-ce qu'elle a entreprins & coniuré contre la personne de la royne d'An∣gleterre & son estat mesmes en son Royaume? Et tout ce qu'elle peut dire pour extoller la sou∣ueraineté & exemption des Rois fair contre elle. Par ce que c'est la premiere qui l'a voilee, par ain si elle ne s'en peut plus seruir, non plus que celuy qui enfreint vn priuilege, ne s'en peut plus aider, mesmes enuers celuy enuers lequel il l'a rompu, Celuy qui n'estoit respecté par le Consul comme Senateur, disoit qu'il ne le respecteroit aussi com me Cōsul. Ie ne veux pas debatre si elle est pareil le, ou subalterne à l'Augleterre: si elle est encores Royne ou priuee de son Royaume, cela est certai que les estats l'en ont peu desmettre. Mais quand elle seroit plus asseuree royne ou monarque, quel le n'est, puis qu'elle ne craint en la terre d'vn au∣tre Roy faire des entreprinses pour luy oster la vie & la Couronne, ne peut il pas iustement dire? Pourquoy voulez vous que ie respecte la souue∣raineté que vous auez hors d'icy, que vous ne re∣spectez pas la mienne en ma terre propre?

S'il n'estoit permis à vn Roy de cognoistre de tels faits sur les estrangers Rois, le meschāt seroit de meilleure condition que l'innocēt. Il seroit loi

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sible de conspirer par prodition cōtre les Rois: & les Rois ne pourroyēt deffēdre leurs vies & leurs estats par la iustice. Et tant plus doit il estre loisi∣ble à vn Roy de maintenir son estat par vne iuste punition sur vn autre Roy ou Monarque, que sur vn autre qui ne seroit souuerain: d'autant qu'en∣cores pourroit on desirer que le Roy offense en requist iustice au superieurdu coulpable, pour n'e stre iuge ē sa cause propre. Mais où il n'y a aucū iu ge par dessus le coulpable: ou il faut que les Rois facent eux mesmes la iustice, ou biē qu'ils soyent en pire condition, que les plus infirmes. Car à fan te de iuge ils n'auroyēt aucune reparatiōdes torts qui leur seroy ent faits. Et toutefois la où il n'y a point moyen d'auoir iuge, les loix permettēt aux suiets mesmes de faire iustice de leur main.

Au reste ie te confesse, que (comme tu as dict) les ambassadeurs sont inuiolables, mais c'est tant qu'il se contienēt aux termes d'ābassadeurs: Mais quād ils sortent hors des bornes de leur estat, ils ne doyuēt plus estre tenus pour tels. Les Romaīs ont attribué la prinse de Rome par les Frāçois au crime, qui auoit esté cōmis par Q. Fabius leur am bassadeur enuoyé aux François, où il tua hostile∣mēt vn Frāçois, & apres s'en alla à Rome. Les Frā¦çois demāderent aux Romains, qu'ils le leur bail lassent, pour auoir le supplice que merite vn am∣bassadeur qui fait actes d'hostilité.

Les Fecialiens estoyent d'auis qu'il le leur fail loit liurer: autrement que les dieux en seroy∣ent fort courroucez & desplaisans. Le peuple Ro¦main au contraire sauua ledict ambassadeur:

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dont apres l'ire des dieux (comme ils disent) fut telle contre Rome, qu'ils donnerent la Cité en proye aux François, & ne leur resta de tout leur Empire que la petite tour du Capitole. Dema∣des ambassadeurs de Atheniens à Antipater, es∣criuoit des lettres à Antigonus, pour venir pren∣dre Macedoine & l'Empire de Grece qu'il disoit ne tenir qu'à vn filet viel & pourry, pource que Antipater estoit vieil. Cassander le fit mourir cō∣me traistre. Les ambassadeurs des Perses venus à Amyntas, toy de Macedone, voulurent violer ses concubines: Alexander son fils leur supposa des garsons qui les tuerent. Antonius fit donner les estriuieres à vn ambassadeur de Cesar, & apres le luy enuoya, disant qu'il auoit parlé trop superbe∣ment. Que si le senat Romain à iugé les ambas∣sadeurs des Tarquins estre inuiolables par le droict des gens, combien qu'ils eussent conspiré contre la Republicque: ç'à esté parce qu'ils ne faisoyent autre, que la charge que leur maistre leur auoit baillee: mais ils en voulurent bien pu∣nir le maistre de ce qu'ils pouuoyent: Car com∣bien que auparauant ladicte conspiration le Se∣nat eust accordé de rendre aux Tarquins tous leurs meubles, si est-ce qu'apres ladicte conspira∣tion descouuerte ils les declarerēt cōfisquez & e∣xecrables aussi. La consequence n'est pas bonne, ce qui est permis à vn ambassadeur, sera permis au maistre: car les ambassadeurs ne sont pas inuio lables, pource qu'il representent leurs maistres: Ains au contraire, les ambassadeurs qui vienent de la part de ceux qu'on voudroit le plus offenser

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ne laissent pas d'estre inuiolables: Et toutesfois si on tenoit leurs maistres, on les traiteroit hostile∣lement: Mais le priuilege des ambassadeurs est fondé sur vn droict de gens, par ce que s'il n'y a∣uoit franchise & immunité pour telles persōnes, toute seureté humaine seroit perdue, & ceux mes mes qui les offenseroyent sont interessez à les cō∣seruer, autrement on en feroit autant des leurs. Les Consuls Romains respondirēt à Hanno am∣bassadeur des Carthaginiens, que leurs maistres meritoyent qu'on ne leur tint point la foy nō plus qu'ils l'auoyent tenue à leurs ambassadeurs: mais ils ne vouloyent pas punir au seruiteur ce que le maistre meritoit, non pour autre chose que pour la foy publique. D'ailleurs il y a des faicts, qui sont excusables voire louables aux seruiteurs, fre res, enfans & femmes pour vne fidelité & affectiō seruiable & officieuse, qui toutefois seroyent biē punis aux maistres, peres & meres. Les histoires des seruiteurs qui ont hazardé leur vie pour sau∣uer la vie de leurs maistres iustemēt condamnez, sont vulgaires & en louange à chacun. Mais si les condamnez eussent fait de mesme, ils eussent esté doublement punis.

La seconde qualité & circonstāce de ce que la royne d'Escosse est refugiee en Angleterre, & par ainsi ne peut estre offensee sans reproche & note de perfidie, fait pareillemēt contre elle. Car d'au∣tāt sō ingratitude est plus punissable, d'auoir vou lu oster la vie à celle qui luy conseruoit la siene. Si celuy qui n'a rien merité enuers le Prince qui le reçoit à refuge, veut que pour le seul respect

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d'humanité on le conserue: à plus forte raison doit il rendre le mesme deuoir à celuy, qui luy a fait desia vn bon office de protection, Si ceux qui ont violé le droict d'hospitalité aux Princes re∣fugiez vers eux, sont detestables: combien le me∣ritent dauantage ceux qui l'ont violé aux Princes qui les ont receus?

Ie tiens la foy & seureté donnee par la seule re¦ception de la royne d'Escosse, & accorde que ce feroit rompre la foy, d'offenser celuy qui a esté re ceu à refuge: mais c'est vne perfidie detestable d'offenser celuy qui le reçoit.

Les poetes sont encores plus abondās en trage dies composees sur ce suiet, de la punition de tel∣les perfidies, que des premieres. Les histoires pareillement n'en rapportent que trop d'exem∣ples: la seule histoire de l'euersion de Troye pour la perfidie commise par Paris à Menelaus, le con∣sentement de toute la Grece à la punir & s'y obsti¦ner dix ans, auec toutes les incommoditez & mal heurs qu'il est possible.

Cleomenes roy de Sparte receu à refuge par Ptolomee, fuyant Antigonus, & ayant apres con∣spiré contre luy, se tua. Ptolomee l'ayant descou∣uert fit pendre ignominieusement son corps, comme indigne de sepulture. Mais qui est celuy là qui voudroit deffendre vne telle desloyauté, d'vn qui auroit esté recueilly en sa misere par vn autre, & apres auroit conspiré contre sa vie? Qui tient vn tel fait impuny oste tout le lien de la so∣cieté humaine, & fait perdre tous les offices d'hu¦manité entre les Rois, s'ils pensent qu'ayan: re∣ceu

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vn aurre Roy à refuge, il luy seroit loisible cō¦spirer contre celuy qui luy fait bon office, sans crainte d'aucune punition. Il n'en faut faire iuges que ceux mesmes qui sont refugiez chez autruy, ceux-là les detesterōt comme pernicieux & dom mageables à tous les Princes, tant à ceux qui re∣çoyuent, que aussi à ceux qui ont besoin d'estre receus.

Pour la derniere qualité & circonstance: Tu dis que la royne d'Escosse estant prisonniere & mal traictee pour sa condition & dignité Royale, peut licitement tenter tous les moyens pour es∣chapper & recouurer sa liberté. Ceste opinion est veritable, mais qu'elle soit bien entēdue: c'est à dire, qu'on ne peut point imputer desloyauté à celuy, que l'on tient sur garde, & ne se fie on en rien à sa foy, s'il cerche quelques moyens pour euader.

Mais que si vn prisonnier pour eschapper com met quelque crime qu'on ne l'en puisse punir: il s'ensuyuroit que pour estre prisonnier, il auroit toute licence de mal faire.

Le plus vrgent argument en ce faict, est, de ce que la royne d'Escosse pretend estre iniustemēt, & sans legitime occasiō detenue prisonniere par la royne d'Angleterre, comme n'ayant esté prin∣se en guerre ou autrement.

Et par ainsi, comme entre les Roys, le glai∣ue est le vray iuge pour punir, & venger leurs faits: Si elle a voulu faire tous apprests, pour venger par vne guerre le tort qu'elle pretēd que la royne d'Angleterre luy fait, elle ne fait que ce

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que tous les Rois feroyent en semblable cas, & cōme ce duc d'Austriche fit enuers le roy d'Hon∣grie duquel tu as parlé. Ie te responds que la roy∣ne d'Angleterre a si bien iustifie son faict enuers tous les Princes Chrestiens, & monstré que tant par les loix & conuenances des deux royaumes d'Angleterre, & d'Escosse, que par l'vsage obser∣ué entre les predecesseurs Rois de l'vn & de l'au¦tre royaume, il luy estoit loisible de retenir la roy ne d'Escosse, & luy estoit impossible de la lascher sans faire tort auxloix ancienes & à son estat, qu'il n'est besoin de faire plus grande insistance sur ce point.

Et mesmes quand bien la royne d'Escosse eust peu pretendre auoir esté iniustemēt faite prison∣niere apres auoir faicte ceste conspiration, lon ne peut dire qu'elle ne le soit iustement: comme il aduient souuent que d'vne bonne cause, la pour∣suyuant par meschans moyens l'on la rend mau∣uaise.

Pompee, Caton & le Senat Romain faisoyent tort à Cesar de luy refuser le triomphe si iuste∣ment acquis: toutefois par ce qu'il le poursuyuoit par conspirations contre la patrie: il n'y a homme qui n'ait iugé, qu'il auoit fait de sa bonne cause v∣ne mauuaise. Si on considere toute les conspira∣tions qui se font à vn estat, elles sont la plus part accompagnees de quelque tort, que l'on a faict à ceux qui vienent iusques à ceste extremité & ha∣zardeuse entreprinse: mais ne s'ensuit pas pource la, qu'ils soyent innocens & non punissables.

La royne d'Angleterre mesmes suffira pour exē∣ple,

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en ce faict: y eut il iamais Princesse plus iniu∣stement & tyranniquement retenue prisonniere, plus seuerement traitee, plus souuent exposee au danger de mort qu'elle fut par sa feué soeur: com∣bien qu'elle ne l'eust iamais offensee? Si est ce que iamais n'entreprint, ne conspira contre elle: & quand elle l'eust entreprins, il est sans doute quel le eust esté iustement cōdamnee, combien qu'el∣le eust peu pretendre droict à la Couronne. Aussi Dieu a ouy sa iuste plainte, & luy a fait iustice de sa main.

Quand la royne d'Escosse auroit eu seulemēt ce but de recouurer sa liberté, & employer les moyens tendans à s'eschapper, elle seroit excusa∣ble: mais d'auoir voulu vsurper l'estat de la royne d'Angleterre & attenter sur sa personne: c'est biē indignemēt recognu, ce que la royne d'Angleter re a fait en son endroict. Elle a eu puissance sur la royne d'Escosse, sur sa vie, (il est certain) sur son estat, Les occasions en ont esté si propres, si sou∣uent par tant de guerres ciuiles & partialitez qui sont en ce Royaume-là, qu'il n'y a hōme qui par discours humain ne le recognoisse: si est-ce qu'el∣le n'a voulu iamais attenter sur sa vie, ny la liurer és mains de ceux qui la vouloyent faire iuger par les estats: encores moins faire entreprinse sur le Royaume. Mais au contraire elle a tasché par tous moyens à le pacifier & le cōseruer pour son fils: toutes fois à present elle luy rend tout le con∣traire.

Ce que l'on peut alleguer pour attirer à cle∣mence la royne d'Angleterre à pardōner ce faict,

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est bien considerable pour auoir compassion de la royne d'Escosse. Aussi vraye iustice doit e∣stre accompagnee de compassion, & vuide de toute cholere, malice & cruauté. Mais que pour vne pieté, il faille au lieu de iustice faire iniustice: & s'il faut auoir pitié, en auoir plus d'vne seule personne, que de tout l'estat vniuersel, ce seroit mesurer à fausse mesure, & poiser à faux poids la clemence, & l'humanité, car s'il faut estre pitoya∣ble, ce seroit plustost estre cruel, que humain, pour sauuer vn particulier, que on n'aye point de pitié de tout vn peuple, de tant de noblesse, de tāt de familles, desquels la mort, le pillage, la ruine, & la misere estoit toute proiettee par ceste con∣spiration, & ne scauroyent estre asseurez que par la punition du chef de la coniuration.

Il y a eu des Empereurs qui ont pardonné les conspirations: Vespasien les mesprisoit toutes, par ce qu'il s'estoit persuadé, qu'il scauoit le rour, heure & espece de sa mort.

Ce sont des exemples dāgereux à imiter: com∣me de ce pere, qui ayant descouuert que son fils le vouloit tuer, le mena en lieu où il estoit seul, luy baille l'espee, luy dit qu'il le tuast, s'il vouloit. Il y a plus de temerité en tels exemples, que de clemence.

Mais en ce fait: il y a vne consideration plus importante, que en tous les exemples qui se peu∣uent proposer: & qui met du tout la Royne-hors de puissance d'vser de clemence en cest endroit, sans offenser Dieu. Car il n'est pas icy question, d'vne conspiration qui n'apportast autre change∣ment

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que d'estat, & regne temporel, mais elle importoit changement de la Religion, en laquel le, quand les Princes voudroyent quitter leur of∣fense, negliger le soin qu'ils doyuent du salut, & repos des suiets que Dieu leur a baillé en prote∣ction, encores ne peuuent-ils quitter l'offense, qui tend à renuerser le regne de Dieu, son hon∣neur, & gloire, & son vray seruice.

Il est certain, que si la conspiration eust sorty son effect, la Religion eust changé en Angleter∣re: l'intelligence du Pape, du roy d'Espagne, & du duc d'Albe le descouurent assez.

Que la royne d'Angleterre donques se repre∣sente, le iuste iugement que Dieu fit sur Saul, pour auoir sauué la vie à Agag roy d'Amalec, Roy qui auoit coniuré la ruine du peuple, & du seruice de Dieu. Ceste clemence le fit reietter de deuant la face de Dieu, rendit inutiles les prie∣res de Samuel, iusques là, que Dieu luy deffen∣dit de prier pour Saul: & fit que le Royaume fust transporté de luy à son prochain, ainsi qu'en parle l'Escriture.

Achab ayant donné la vie à Benadab, ennemy & contempteur de la puissance de Dieu, fut con∣damné par la sentence de Dieu, prononcee de la bouche du Prophete, qui luy dit que son ame se∣roit pour la siene. Dieu a voulu que les hommes fussent clemens & doux à pardonner leurs iniu∣res, & seueres à punir les sienes.

Et si on regarde bien l'histoire saincte, en la∣quelle les iugemens de Dieu se cognoissent au vray, & par certitude: (Car aux prophanes, ils ne

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se cognoissent que par cōiecture.) On verra plus de punitions, sur les Roisqui ont voulu estre cle∣mens aux despens de l'honneur de Dieu, que sur ceux qui ont esté trop cruels. Saul est puny pour clemence: Salomon est loué de la seuerité: Iosué, ayans sans aucune humanité tué trente vn Roy, est loué: Saul, & Achab, pour en auoir laissé es∣chapper vn, sont cōdamnez à mort: c'est vne ver∣tu fort recommandable aux Princes que clemen ce, mais le zele de la Religion, est plus comman∣dé que la clemence.

De vouloir persuader qu'il n'est point vtile, de prendre punition de ceste conspiration sur la roy ne d'Escosse, & vouloir faire peur à la royne d'An¦gleterre des Rois voysins, elle a desia essayé, que les entreprinses de Rois voisins ne cesseront pas pour reseruer la royne d'Escosse: Mais au contrai re, il n'y a rien qui ait donné courage, volonté, ny moyen aux Rois voisins, pourl entreprendre sur son estat, que la reserue qu'elle a faict iusques à ceste heure, de la royne d'Escosse. Il est certain que tous les troubles passez en Angleterre, ont e∣sté brassez par elle, & fondez sur l'esperance de la faire royne d'Angleterre. Les Rois qui s'esmou∣uroyent de sa mort, sont ia esmeus: tant sous pre∣texte de la seule detētion, & du zele pretendu de leur Religion, que, pour dire plus vray, pour l'en uie qu'ils ont de ce beau Royaume, si riche, & si opulent, qu'ils estimēt vne proye bien aisee, pour estre entre les mains d'vne femme, n'estant ap∣puvee de personne, & de laquelle ils imputent la clemence à timidité, & crainte de n'oser chastier

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ceux qui troublent son estat. La punition de ce∣ste conspiration, n'adioustera rien à leur mauuai∣se volonté: mais l'impunité adioustera bien aux moyens de l'executer. Le Pape, le roy d'Espagne, ny le duc d'Albe, quelle parentelle, ny confedera¦tion, ou amitié si estroicte ont ils à ladite royne d'Escosse, que pour son respect ils ayent iamais voulu s'armer contre la royne d'Angleterre? c'est plustost la haine que le Pape, le roy d'Espagne, & le duc d'Albe, portent à la royne d'Angleterre, l'enuie qu'ils ont de la voir si heureuse, au plus fort des malheurs de tous ses voisins.

L'ambition qu'ils ont de ce Royaume si floris∣sant, & encores l'indignatiō qu'a le Pape, de voir la Religion plantee, tant en ce Royaume, qu'ē ce luy d'Escosse, de voir ses reuenus, & son authori∣té du tout perdue, sans espoir de recouurement. La royne d'Escosse ne leur sert que de couleur, & de leur fournir de moyēs à pratiquer troubles, & remuemens en tous les deux Royaumes: Quand la royne d'Escosse ny sera plus, leur malice demeu rera, mais leurs moyens cesseront, & entre autres celuy qui est le plus specieux, & auantageux pour leur party: C'est que la royne d'Escosse ne peut faillir d'estre royne d'Angleterre, par le droict de prochaineté, & cours de son aage.

Ceste consideration apporte de grands mal∣heurs à l'Angleterre: car les ennemis de la Reli∣gion & de la Royne, en ont le coeur enflé, voyant la saison de leur regne si proche: Ses plus affectiō nez seruiteurs, en sont au contraire intimidez, voyans leur ruine d'autant approcher: & les Prin∣ces

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estrangers sont retenus à s'associer à la royne d'Angleterre, si ce n'est pour mieux la trahir (cō∣me nostre Tyran souhaite) sachans bien que l'a∣mitié qu'ils contracteront auec elle, sera autant d'inimitié auec son successeur: tellement que ce seroit contracter auec la personne, non point a∣uec le Royaume: par ce qu'elle estant moins, tout le Royaume sera renuerse.

On ne peut gueres bastir sur vn fondement, qu'on voit ne pouuoir long temps durer: & (com∣me dit le prouerbe) Il y a plus de gens qui adorēt le Soleil leuant, que le couchant. Il est certain que ceste consideration, desfauorise infiniment tous les desseins de l'Angleterre: Mais la facilité que la royne d'Angleterre a, de se priuer d'vn tel successeur & de s'en eslire vn proche, qui soit ca∣pable & suffisant, peut coupper broche à tous leurs desseins.

Quant à l'indignation que le Roy d'Escosse pourra auoir à l'aduenir, ou contre ceux qui au∣ront fait mourit sa mere, ou contre sa mere, qui a fait mourir son pere. S'il regarde la raison, il a plus d'occasion de se ressentir du meurtre de son pere, auquel ny a ny occasion, ny pretexte, ains vn parricide, & perfidie detestable: que de celuy de sa mere, qui est accompagné de toute la raison, & iustice, qu'il est possible de desirer à vn iuste iugement: loint, que c'est vne peur de si loin, & si incertaine: à scauoir de ce que fera vn enfant quand il sera grand, qu'elle ne merite d'estre re∣putee, au prix d'vn danger present & euident.

Outre ce que la comparaison est fort inegale,

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de la crainte d'vne guerre externe, à vne conspi∣ration intestine.

Nous auons dit qu'en affaires d'estat, il faut regarder si ce qu'on propose est iuste, & vtile au public: les autres respects de clemence, de libera∣lité, de generosité particuliere, doyuent tousiours ceder à l'vtilité publique: mais il y a encores vn tiers, qui surmonte tous autres: C'est vne ne∣cessité publique. Celle-la est preferee quel∣que fois aux loix diuines ceremoniales. Les Ma∣chabees qui ne voulurent combatte au iour du Sabbath, demourerent enseigneurs à leurs suc∣cesseurs, de faire ceder les ceremonies diuines, à la necessité.

Les Romains disent, que leurs maieurs auoy∣ent souuent preferé la necessité, à la Religion: Les loix politiques luy cedent. Caton qui en a e∣sté le plus rude obseruateur, le persuada au Se∣nat en la question Catilinaire: aussi le salut du peuple, est la souueraine Loy d'vn estat: car a∣lors, la necessité publique fait licite ce qui autre∣ment ne l'estoit point: A plus forte raison sera∣elle preferee à vne douceur, qui n'est que vo∣lontaire: & à vne clemence, qui traine auec soy la ruine de l'estat.

Que la necessité, & salut publique soit en cest endroit, il est assez aisé à iuger, par ce que des∣sus, où il a esté monstré que ceste conspiration n'apportoit pas seulement changement d'estat, mais ruine de Religion.

Il ne reste doncques, que de bien fonder la ve rité, & certitude du delict: Et auoir intention

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droicte, & sincere. N'apporter haine, ny passions à ce iugemēt: ains cerchant la verité, desirer plus∣tost trouuer l'innocence, que la coulpe. La coul∣pe estant verifiee, auoir compassion du malheur auquel le coulpable est cheu: Mais auoir vne ba∣lance, & mesure iuste à ceste pitié, qui est, com∣me la haine particuliere, ne doit iamais nuire au public, aussi la particuliere amitié, ou commise∣ration, ne doit iamais faire contrepoids, à la pitié que le prince doit auoir, de la ruine publique, & generale de son Royaume: & encores moins, au zele qu'il doit à la conseruation, & amplification du regne de Dieu.

Le Prince qui refuse la iustice à vn sien suiect, est coulpable deuant Dieu: à plus forte raison ce luy qui la refuse à tous ses suiets d'vn coup, & no∣tamment à ceux desquels on scait que lour mort estoit iuree par ceste conspiration: lesquels (à ce que i'ay entendu) sont des plus illustres de son Royaume. Et qui par les fideles seruices qu ils ont fait à la royne d'Angleterre, meritent qu'elle leur octroye, ce qu'elle doit au moindre de ses su iets, qui est la iustice des machinations qu'on fait contre leurs vies.

Il est certain qu'il n'y a fidele seruiteur de la royne d'Angleterre qui n'aye fait, & deu faire to{us} les offices qu'il a peu, de descouurir, accuser, & cō¦damner (chacun selon sa vocation & qualite) vne si malheureuse conspiration, & qui par là ne soit exposé, à la haine de tous les conspirateurs, & de leur complices: & plus ils y auront fait leur de∣uoir, plus ils en seront hays de ceux qui sont les

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plus principaux de ceste conspiration: de façon, que venant la royne d'Escosse à la succession du Royaume, ceux qui ont descouuert à la Royne d'Angleterre ceste conspiratiō, sont exposez eux, & leurs familles, à la haine d'icelle, si on la laisse impunie. Qu'est cela sinon pour sauuer le conspi¦rateur, & ennemy, laisser en proye en ses mains, le fidele suiect, & auec ce, donner vn tres-mauuais exemple, à tous ceux qui doresnauant scauront quelque semblable conspiration (comme il est à craindre, puis qu'on s'acoustume à telles factiōs en vn Royaume, que ceste cy ne sera pas la der∣niere) à n'estre si volontaire à la descouurir, voyāt la ruine qui leur est, & à leur posterité toute cer∣taine, pour auoir voulu sauuer la vie, & l'estat à leur Royne.

Il ne faut pas aller gueres loin, pour voir les in conueniens, qui arriuent de pareils faits. Qu'est∣ce qui a rendu le roy d'Escosse dernier, delaisse des siens, exposé à la cruauté de ses ennemis, que pour auoir quitté ses amis, lesquels luy auoyent descouuett ce qui touchoit à son honneur, & à sa vie, s'estans monstrez ses bons, & fideles serui∣teurs, & s'estans par la, rendus ennemis de la roy∣ne d'Escosse, & des ministres de sa lubricité? Il voulut appaiser ses ennemis, & laisser ceux qui luy auoyent voulu faire seruice: il luy aduint que depuis, il n'y eut homme qui voulust, ou osast luy vser de pareils offices, lors que le besoin en estoit plus grand: aussi est ce vne fidelité, & resolution bien rare auiourd'huy quand vn suiet descouure vn forfait, duquel il voit deux euenemēs trescer∣tains

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deuant ses yeux: à scau. que celuy qu'il accu∣se, pourroit estre quelque iour son Roy, & a∣uoir sa vie, son honneur, ses biens, & de tous les siens en sa puissance: & l'autre, Que quoy qu'il sache dire & verifier, l'accuse n'en souffrira rien.

Si le conspirateur estoit quelque personne in∣fame, de laquelle ils n'eussent occasion de crain∣dre sa haine, & inimitié, on pourroit dire qu'ils ont interest particulier à ceste douceur, & cle∣mence, & qu'il n'y auroit que l'exemple publi∣que qui fust frustré. Mais estant celle qui est la plus proche à estre leur Royne, contre laquelle ils ont descouuerte ceste machination, & les lais∣ser en proye entre ses mains, il n'y a pas vn de ceux qui s'en sont meslez, qui ne doiue penser. que c'est fait de sa vie, de ses biens, & de tout ce qu'il a de plus cher en ce monde, si la royne d'Es∣cosse vient à estre leur Royne.

Il est à esperer, que ceux qui ont esté fideles à la royne d'Angleterre, à la descouuerte, & ve∣rification de la coniuration, perseuereront tou∣siours en la mesme fidelité, quelquedanger qu'ils se voyent proposé deuant les yeux. Or c'est v∣ne tentation bien dangereuse, qu'vn Prince pour garantir vn qui est digne de punition, mette en telle espece de desespoir ses plus loyaux serui∣teurs.

Le refus de iustice fait par le Prince à ses su∣iets, mesmement à ceux qui sont les principaux, pres de sa personne, a esté tousiours dommagea∣ble

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au refusant. L'exemple de la mort de Philip∣pe, pere d'Alexandre, suffira pour tous: Le des∣espoir où tous les suiets se voyent sans esperance de protection de leur Roy, les contraint d'aller cercher leur seurté ailleurs.

Or est-ce le pire conseil qu'vn Prince peut a∣uoir, de delaisser en desespoir ses principaux ser∣uiteurs, & les contraindre d'aller cercher leur pro¦tection, ailleurs qu'à son Prince naturel.

Si l'on s'amuse à l'opinion que lon aura de la punition qui se feroit: C'est chose trop vaine, que les opinions, & rumeurs des hommes, pour les mettre deuant le salut: abius Maximus n'en estoit pas d'aduis, Aussi quiconque s'arreste à ce∣la, il monstre n'auoit guere droicte intention.

Ce bon Empereur d'Antonin, aduertissoit les Proconsuls qui alloyent aux prouinces, de n'affe∣cter en la iustice, reputation ny de seuerité, ny de clemence: car l'vne, & l'autre affection, desuoy∣ent du droict sentier de la iustice.

Ceux qui iugeront sainement, & sans passion de cest affaire, ne pourrōt estimer la royne d'An∣gleterre que tres-iuste Princesse, tres-sage, & bien zelee au salut de tout son peuple, & à la deffense & propagation de la vraye Religion Chrestiene.

Ceux qui en iugeront par affection, & contre la raison, ne meritent qu'on se soucie de leur iu∣gement, ny qu'on dispute auec eux par raison, veu qu'ils la bannissent de leur iugemēt, par leur passion particuliere.

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Pour conclusion, la punition de ceste conspi∣ration sur la royne d'Escosse, supposé qu'elle soit veritablement coulpable, quoy que sachent dire & alleguer ses partizans, est tres-iuste, & legitime, par toutes loix diuines, & humaines: vtile, voire tresnecessaire, pour le salut, & conseruation de la personne de la Royne, & de tout l'estat d'Angle∣terre, & mesmes de ceux, que la Royne a occasiō d'aimer le plus. Au contraire, l'impunité, est vn vray refus de iustice, & de protection à ses suiets, vn mespris du salut de son peuple, & (ce qui est plus à regretter) vne desertion, & contemnement de la conseruation de l'Eglise de Dieu, & de son pur seruice, lequel, comme tu as dict au commen∣cement, y seroit de tout point renuersé, si la mort de la royne Elizabeth aduenoit, deuant le suppli∣ce deu à la royne Marie.

Dieu n'aura faute de movens pour garantir sō peuple esleu, & amplifier son regne: mais mal∣heur au Pasteur, qui aura nourry le loup dans le troupeau: & au laboureur, qui n'a chassé le san∣glier de la vigne du Seigneur. Et comme dit Eze∣chiel, au 33. chapitre: Celuy qui oit sonner la trō∣pette, & ne reçoit point l'aduertissement, si l'espee vient, & l'occit, son sang est sur luy: & encores a∣pres il adiouste. La guette qui oyt le son de l'en∣nemy venant, & n'aduertit, si l'espee vient, & oc∣cit vn autre, le sang de celuy là est sur luy. Car il est mort en son peché. Mais il redemandera (dit le Seigneur) son sāg de la main de la guette. Il ne faut point dire, ce danger est loin de nous, ce sera apres la mort de la Royne: Dieu luy face la grace

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de viure longuement: tout bon fidele le doit sou∣haiter: mais c'estoit le prouerbe des enfans d'Is∣rael, duquel le Prophete crie tant, vous auez dit, la prophetie est prolōgee, ou sera d'icy a plusieurs iours, & apres long temps: Non, dit le Seigneu; I'auanceray le iour, & ma Prophetie sera auan∣cee, non pas prolongee. Dieu vueille diuertir ce malheur, comme il monstre bien le vouloir: veu qu'il en donne les moyens si iustes, honestes, vti∣les, profitables, necessaires, aisez, & faisables. Amen.

Voila l'amy en somme, ce que ie pense qu'on peut dire sur ce fait, pour l'esclaircir, & pour re∣soudre, & desueloper les noeuds de toute la ma∣tiere. C'est à toy maintenant, si tu le trouues bon d'en aduertir les grands de ta cognoissance: afin que rien ne les empesche, de demander iustice à haute voix, & crier tant, que les plus sourds l'en∣tendent.

L'hi.

Ie suis tant satisfaict en ton discours graue, & prudent: Ie l'ay tellement imprimé au liure de ma memoire: i'ay si bonne enuie qu'il soit veu, & entendu, de tous les zelateurs du bien public de l'Eglise de Dieu, & ay de si bons moyens, Dieu mercy, pour les en aduertir, que ie ne voudrois pour rien, que nous eussions employé ceste heu∣re, à autre deuis quel qu'il soit. Maintenant, ie te diray plus gayement comme il me semble, tout le succez de mes voyages.

Le pol.

Ie t'en prie beau sire, mais que ce soit sans digression, le temps me dure, que ie ne sache cō∣me c'est que Dieu a beny tes saincts labeurs.

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L'hi.

Certes amy, ie te puis dire, que i'ay presque trauaillé en vain, & ie te diray en deux mots cō∣ment reseruant toutefois à dire quelques particu¦laritez à l'Eglise qui nous a enuoyé.

Tu dois scauoir amy, qu'au departir d'auec toy, i'ay tant fait par mes iournees, que ie me suis rendu, par grace de Dieu, en la Cour de la plus∣part des princes Protestans, i'ay esté en celle de l'Electeur Palatin, du duc Auguste de Saxe, du Marquis de Brandebourg, des Lantgraues de Hessen, du duc de Vvitemberg, du Marquis de Baden, (Ie te les nomme ainsi qu'ils me vienent à la bouche, & non selon leurs degrez, ou l'ordre de mon voyage) I'ay esté à la Cour du duc de Prusse, du duc de Melzelbourg, du duc Iules de Brunzuich, du Prince d'An-halt, du duc de Lu nebourg, des ducs de Pomeranie, du comte de Oldembourg, du comte de Hansbach, de l'Ar∣cheuesque de Magdebourg, du Roy de Suedde. du Roy de Dannemarc, des ducs de Olstian: & finalement en la Cour des Comtes de Emden, I'ay aussi parlé aux Seigneurs du Conseil des prin¦cipales republiques d'Allemagne, qui ont re∣ceu l'Euangile, ie leur ay bien au long fait enten¦dre, à chacun en particulier, l'histoire tragique du Massacre de Paris. I'en ay trouué aucuns d'entre eux, qui estoyent desia auertis, par des Estaffiers de Charles, qui, donnans leur ame au Diable, pour l'amour de leurs maistres, auoyēt voulu per suader à ces Princes, que l'agneau auoit troublé l'eau au loup. Mais, pas vn d'eux n'auoit esté si mal auise de le croire.

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Ie leur ay fait entēdre, autant comme i'ay peu, & sceu, le surplus de la perfidie de Charles de Va lois, & des siens, leurs desseins, leurs entreprises, la calamité de l'Eglise Françoise, le besoin qu'el∣le a d'aide, le deuoir qu'ils ont de la secourir en sa necessité, comme membres de l'Eglise Catholi∣que, que nous croyons tous n'ayant qu'vn seul chef Iesus Christ: ie leur ay remonstré la bien qu'il leur en reuiendra, s'ils le font, & le mal ne le faisant pas: ie leur ay dit là dessus, ce que Daniel en auoit prononcé en l'arrest que tu scay, i'ay ac∣compagné mon dire d'authoritez de l'Escriture, des saincts docteurs, d'exemples anciens, & mo∣dernes de la raison diuine, & humaine: ie l'ay mes¦mes entrelardé de quelques fables seruās à ce pro¦pos: entre autres, ie leur ay recité bien a point (cō∣me ils me l'ont par apres confessé) la fable que tu scay du bon homme Mercier.

Le pol.

Ie ne scay que lle fable tu veux dire, ie l'or rois volōtiers dire, s'il te plaist en prēdre la peine.

L'hi.

Ie pensois que tu la sceusses mieux que moy: elle est assez vulgaire, mais fort conuenable à no∣stre fait.. Escoute. Il y auoit vne fois vn bon homme de Mercier, trafiquant, & frequentant les foires, monté d'vn bon & beau courtaut, qui menoit apres soy vn asne, chargé des balles de sa marchandise: Auint vn iour; ou pource que l'as∣ne estoit trop dru, frais, & gaillard, qu'il s'esga∣roit à trauers chāps, ne se souuenāt plusdes coups de bastō qu'il en auoit receu au parauant, ou pour quelque autre occasiō secrete, qu'auoit le maistre d'ainsi faire: il auint dis-ie, qu'il s'auisa de charger

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son asne, d'vn ballot, d'enuirō cent liures pesant, plus que sa charge accoustumee, vn iour, auquel, par grand desastre les cheminsestoyent empirez, pour l'iniure du temps de la nuict: tellement que le poure asne, n'auoit garde de regimber, plustost ahanant sous le faix, esmouuoit à pitié tous ceux qui regardoyent sa contenance, le seul cheual ne faisoit que s'en rire. Le Maistre estant cōtraint de s'arrester en vn village, pour payer le peage, en∣uoya son courtaut deuāt, & l'asne aussi qui le suy∣uoit, au moins mal qu'il estoit possible, iusques à ce qu'estans arriuez en vn mauuais passage, du∣quel l'asne preuoyoit bien qu'il luy estoit impos∣sible d'eschapper, ny de passer outre, sans se rom∣pre ou bras, ou iambe, & parauēture aussi le col, pria lors affectueusement le cheual de luy assi∣ster, & l'aider à passer ce mauuais chemin, ne luy demandant pour tout secours autre chose, sinon qu'il print sur soy le ballot d'extraordinaire, ius∣ques à ce, tant seulement, qu'il eust passé par delà ce mauuais passage, promettāt le reprendre apres tres-volontiers dessus son dos: mais il craignoit autant ce bourbier-là, comme sa ruine presente. Le cheual se moquāt de l'asne, au lieu de luy vou loir aider, le menaçoit fierement du rude baston de son Maistre, qu'il disoit ne pouuoir tarder: que d'obligation, il n'en auoit point à l'asne, & quand bien il en eust quelqu'vne, elle ne s'estēdoit point iusques-là, que de luy persuader, de faire le vil of fice de Baudet, qu'il estoit cheual de nature, plus genereux qu'on ne pensoit, qu'il s'estoit trouué maintefois entre les rengs des grands cheuaux:

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Somme, que quoy qu'eux d'eux n'eussent qu'vn Maistre, que leurs offices estoyent separez, & qu'à chacun le sien n'est pas trop: s'asseurant d'auoit bien tost son passe-temps à tenir compte des bōs petits coups de baston. Baudet, se voyant escon∣duit du cheual, craignant les menaces du Maistre, voire, & s'asseurant des coups, autant, dit-il lors, me vaut-il mourir icy, que plus attēdre: mon Mai¦stre me tuera de coups. Si se mit sans plus mar∣chāder, à deuoit de biē passer outre: mais le bour∣bier par trop profond, luy ayant tōpu son dessein l'arresta tout court, & de sorte, qu'il luy fut force d'y mourir, le col cassé sous la charge. Le cheual aussi mal-enseigné, que beaucoup de gens de no∣stre aage, qui ne rient iamais mieux, qu'alors que quelque mal s'addresse, se print à rire aussi grasse ment, comme s'il eut fait quelque grande conque ste: mais le Maistre arriué, ayant demandé nou∣uelles de Martin, le voyant mort sous la charge, fit bien tost changer contenance, à ce beau mon∣sieur le cheual, luy remonstrant, qu'il estoit force, de luy charger le bast dessus, qu'il ne vouloit pas laisser perdre sa marchādise: ny la laisser illec plus longuement.

Le pol.

Hé que i'eusse volontiers veu la contenan ce du cheual!

L'hi.

Il faisoit lors (ce dit le compte) vne bien pi∣teuse grimasse, & n'allegant rien que ses droits, ses qualitez, & ses merites, disoit, qu'il n'estoit cou stumier à porter rien plus que la selle: Ce qu'il fai soit bien volontiers, s'offrant à mieux porter son Maistre, qu'il n'auoit fait par le passé: mais au re∣ste,

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qu'il le prioit de ne luy parler point du bast, que c'estoit le mestier des asnes, qu'on en trouue roit bien vn autre, qui vaudroit trop mieux que Martin: mais, le maistre, ne voulant prendre ces raisons en payement, ayant attaché le cheual à vn arbre, & retiré le bast, & les balles du bourbier, auec vn regret indicible de la mort du poure Mar¦tin, chargea le tout, à l'aide de quelques passans, sur le dos du seigneur Cheual: lequel, se rauisant bien tard, de la faute qu'il auoit faite, refusant d'ai der à Martin, regretta tout le reste de sa vie, la mort du bon pouure Baudet.

Le pol.

Ie t'asseure, que voila vne fable autant à propos, que nul autre qu'on eust peu forger de ce temps. Hé qu'il fut bien employé à ce vilain, & cruel cheual, de luy charger le tout dessus.

L'hi.

Il le confessoit bien luy mesmes, & qu'il en pouuoit (ce dit la fable) eschapper à meilleur mar¦ché, s'il eut esté bien auisé, ou si la compassion de l'asne, luy fust peu entrer dans le coeur: mais c'e∣stoit trop tard.

Le pol.

Il estoit du naturel de ceux, qui sont sages apres le coup, il auoit apprins des François, à ne cognoistte point sa faute, qu'alors que le remede estoit loin.

L'hi.

Ainsi donc, cōme ie t'ay dit, pour retourner à mon propos, ces bōs Princes, & Seigneurs, trou uoyent ceste fable de fort bon goust, & recognois soyent facilement, que c'estoit vne pierre, que ie iettois en leur iardin▪ ie passay encore plus outre: Ie leur dis, tout ce que Daniel auoit auisé estre bō de faire, pour les vnir & liguer en vn corps,

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comme ils le sont, ou doiuent estre en vn esprit, les vns, auec les autres, & tous ensemble auec nous. Ie leur discouru de beaucoup de petites choses, que la concorde a faict croistre, & surgir: & de beaucoup d'autres bien grandes, que la dis¦corde a fait cheoir, & perir. Ie leur dis aussi là dessus, l'histoire de ce bon vieux Prince, qui ayāt vingt & deux enfans, luy vieux, cassé, estant aulict malade, les ayant fait venit à soy, leur commanda de rōpre en sa presence, vn fagot de cheneuotes, qu'il auoit fait lier tout expres: mais, comme du plus grand, iusques au plus petit, ils s'y fussent es∣sayez en vain, luy seul, ayant deslié le fagot, rom∣pit, & fort aisément, toutes les cheneuottes, vne à vne: leur remonstrant par là, fort dextrement, cō∣bien l'vnion estoit puissante, au prix d'vne folle discorde. Ie leut dy, que ceste vnion, & estroicte amitié, & intelligence qui deust estre entre les Chrestiens, c'est à dire, ce consentement des cho¦ses humaines, & diuines, cōioinct auec vne bene uolence, & charité, estoit le seul lien pour conser∣uer & eux, & nous, & toute l'Eglise de Christ es∣pandue par tout.

Que les choses qui assemblent les gens en vn, sont facilement trouuees entre nous, qui desi∣rons mesmes choses, haissons mesmes choses, & craignons mesmes choses: que c'est ce qui con∣tracte les amitiez parmi les bons, comme aussi c'est la cause des factions & ligues parmy les mes¦chans.

Pour tout cela pas maille (comme lon dit) & t'asseure, que, me souuenant de la prophetie de

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Daniel parlant de cest Empire des Romains, il m'a semblé, afin que ie ne mente, parler aux vrais doigts de terre, desquels Daniel le Prophete, fait mention, tous separez les vns, des autres aisez à rompre, & à froisser, ou bien, ainsi que disoit l'au∣tre, tous prests à vēdre, s'ils trouuoyēt quelqu'vn qui les voulust acheter.

Voyant que ie ne profitois de rien enuers eux, ainsi comme nous tombions d'vn propos, à l'au∣tre: ie leur ay mis les iugemens de Dieu deuant les yeux. Ie leur ay dit, que ce n'est pas le Iuif, qui qui tue Iesus Christ: car il attend son Messie. Que ce n'est pas aussi le Turc: que le Papiste ne tue nō plus (par maniere de dire) Iesus Christ en ses mē∣bres: Il pense (comme dit l'Escriture) faire vn sa∣crifice à Dieu, en ce faisant qu'il n'y a personne qui tue plus veritablement Iesus Christ en ses membres, que les Rois, Princes, Potentats, & peu¦ples, qui cognoissent Iesus Christ, qui l'ont receu & laissant neantmoins à leurs portes, & comme en leur presence, massacrer leurs freres, combour geois, & concitoyens, sans leur donner aucune ai de ne secours.

En somme, l'amy, ie t'asseure, que ie n'ay, Dieu mercy, rien laissé à dire, de ce que i'ay estimé pou uoir seruir, à promouuoir vne si bonne cause. Pour tout cela, comme si le fait ne les eust en rien touché, pas vn d'eux n'a fait semblant de vouloir donner vn brin d'aide. Bien ont-ils confessé cha∣cun à son tour, que l'acte estoit tres-inhumain: la trahison tres-detestable: Charles de Valois, & tout son Cōseil, le plus desloyal de la teere: qu'ils

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ne s'y fieront iamais: Qu'ls s'esbahissent commo c'est que les defuncts, (desquels la memoire leur est honorable) apres auoir esté tant de fois tra∣his, s'estoyent, encores à ceste fois, osé fier aux mesmes traistres. Qu'ils donnent par aduis aux suruiuās de nos freres, de ne iamais plus s'endor∣mir aux paroles de Charles, ny des siens, & ne ia∣mais plus mettre bas les armes (que Dieu, & vne iuste, & legitime deffense leur ont mis en main.) Que quant à eux, ils s'armeroyēt volontiers pour nous: mais leurs gens ne marchent pas sans argēt, & nous n'auons pas les moyens, d'ē fournir: qu'ils seroyent bien aises de trouuer de l'argent, pour faire vne bonne leuee de Reystres: mais ils ne sca¦uoyent où en prendre, & leurs gens sont merce∣naires, regardans moins à Dieu, qu'à l'argent, cō∣me nous auons peu voir és troubles passez de la France, où il y auoit des leur assez, d'vne mesme religion, seruans sans aucune conscience, ne hon te à deux maistres diuers, & contraires.

Pour le dire en vn mot, apres beaucoup de pa∣roles, ils m'ont traité, comme l'on traite commu∣nément les poures, mendians l'aumosne à la por∣te des riches: Ie vois bien qu'il y a pitié en vous, (ce leur dit-on) mais ie n'ay pas que vous dōner. Allez de par Dieu, Dieu vous soit en aide: Voila comme ils m'ont renuoyé, à mon grand regret, à bast vuide. Voyant cela, apres les auoir menacez derechef desiugemens de Dieu, qui ne peut lon∣guement souffrir vne telle lascheté, en ceux qui se renomment siens, qui ne peut souffrir, l'Empire de ceux-là demourer de bout, qui laissent fouler

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le sien aux pieds: ie les ay laissez-là: & ay passé de Emden en Angleterre, où i'ay trouué, les nou∣uelles que i'allois annoncer de la verité des Mas∣sacres, espādues au long, & au large par toute l'is∣le: les Ecclesiastiques, les Nobles, & le peuple, tous eschauffez à les vouloir venger, ne deman∣dans, que cōgé de la Royne, pour pouuoir gueer leurs fossez. I'ay trouué, en somme, les choses si bien disposees, qu'il m'a semblé, de prime face, qu'il ne seroit ia besoin de leur faire plus grande instance, ny poursuite de secours, que d'eux-mes messans estre pressez d'auantage, ils s'y achemi∣neroyent assez.

Ce neantmoins i'ay fait la reuerence à la Roy∣ne, & aux seigneurs de son Conseil, ie leur ay fait entendre l'occasiō de ma venue: & la charge que l'Eglise m'auoit donné: ie leur ay dit là dessus que qui voit brusler la maisō de son voisin, doit auoir peur de la siene: que ces fossez qui separēt la grād Bretagne, du reste du mōde, ne sont pas suffisans à empescher laflamme de la cruauté de la maison de Valois, de voler sur les Anglois. Qu'on a ac∣coustumé de porter de l'eau, à la maison du voi∣sin qui brusle, encore que ce fut la maison de son ennemy. Ie leur ay aussi auācé les mesmes autho¦ritez de l'Escriture, les exemples & raisons, alle∣guees aux princes Protestans, ie leur ay remōstré qu'il ny escheoit qu'à bailler congé à quelques Myllords, qui s'offroyent d'aller à leurs despens, à vn nombre de noblesse, & de peuple volontaire, pour voir bien tost vengé, l'outrage fait à Dieu, & à son Eglise Françoise.

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Sur cela, la Royne, & la plus part de son Con∣seil, ne m'a sceu que dire, ny opposer autre chose, que la ligue, qu'elle auoit freschement faite auec Charles de Valois, enuers lequel, quoy qu'elle le recognoisse pour tyran, traistre, & meschant, elle estoit resolue de garder sa foy promise. Qu'elle voudroit bien qu'il fust mort, & que Dieu en fist la vengeance, qu'elle l'en prie de bon coeur: mais que d'aller contre sa promesse, qu'elle ne le fera iamais. Surquoy, apres luy auoir repliqué, que telle promesse peut estre à bon droit comparee à celle d'Herodes, à Herodias, & autres sembla∣bles, qui ne meritent pas d'estre gardees, au de∣triment de la gloire de Dieu: Qu'il y a des pro∣messes, lesquelles sont bonnes à leur naissance, mais (comme Ciceron le dit) par traict de temps vienent à estre dommageables, & pernicieuses: comme d'vn prest, qu'on aura promis faire, à vn qu'on tient estre bon citoyen, auquel, si d'auentu¦re il se rēdoit ennemy de la Republique, on n'est nullement tenu d'accomplir la promesse: qu'ainsi en est-il de sa ligue.

Que sa Maiesté, a promis foy, & homage dés le Baptesme au Dieu viuant, souuerain Roy, du∣quel Charles de Valois est ennemy iuré. Que dés lors qu'elle fut introduicte en l'Eglise de Dieu, elle contracta auec les autres membres de l'E∣glise de quelque region qu'ils soyēt, ligue, & cō∣federatiō inuio lable: que Dieu la sōme de sa foy, & toute raison diuine, ciuile, & des gens la dispen se de celle qu'elle a donnee au Fidefrage: lequel, comme elle peut cognoistre: n'a iamais contracté

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ligue auec elle, que pour la deceuoir, & tromper, & trahir sous mesme manteau, les poures Hugue nots François: Que Dieu, qui luy a fait tant de fa∣ueur, que de la tirer de la prison, à la Couronne d'Angleterre, luy demande presentement, qu'elle tire hors de la presse, les membres de son fils Ie∣sus, & autres raisons pregnantes, tirees non seule ment del'Escriture, laquelle nous monstre en mil le passages que ie luy alleguois, la symmetrie, & bōne intelligēce, qui doit estre au corps de Christ¦ains aussi, des raisons, tiree de la necessité, de l'e∣stat, & d'autres que le sens commun simplement nous dicte, nous enseignāt de nous opposer à ces vilains & execrables mōstres, & de les retrencher d'entre les hommes, cōme ennemis iurez du gē∣re humain: Ainsi que Ciceron mesmes le nous enseigne en son liure des Offices, duquel ie luy al leguay le passage, en lāgue Latine, que sa maiesté entend fort bien, qui dit que nous ne pouuons ne deuons nous associer, ou auoir commerce auec les tyrans, plustost nous en esloigner, & distraire: & que ce n'est pas contre nature, de despouiller, si nous pouuons, celuy, que nous pouuons honeste ment tuer: que tout ce genre pestifere, & propha∣ne, doit estre exterminé de la communauté des hommes, estant chose tresraisonnable, tout ainsi comme nous voyons, qu'on retrenche les mem∣bres estiomenez du reste du corps, de separer du consorce, & commune societé des hommes, ces bestes cruelles, & farouches.

Apres (dis-ie) luy auoir remonstré cela, & plu∣sicurs autres choses, touchant la charité Chrestie

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ne, & la nature de la vraye magnanimité, compa∣gne honorable des grands, qui ne se monstre ia∣mais mieux, qu'alors qu'on deffend en toute iu∣stice, les foibles, & oppressez & ses alliez, des bri∣gands, & volleurs: Trouuant sa maiesté aussi froi∣de, & gelee à la fin que ie l'auois trouuee au com¦mencement, ie m'apperceu, que cela ne pouuoit proceder que de la couardie, & pusillanimité du sexe: & de ce, qu'elle voit son Royaume, despour∣ueu d'vn grand Capitaine, auquel elle puisse fier vne armee, pour en esperer vn bon succez: Aussi que le principal de ses Conseillers, qui gouuerne le temporel, & le spirituel, (cōme l'on dit, en tou∣tes ses terres) est vn vray couard, & recreu, sen∣tant son clerc trop mieux que son gendarme: Et neantmoins (selon que quelques vns estiment) pour se dresser vn appuy apres la mort de sa mai∣stresse, est aux gages de deux autres Rois: Voyāt, dis-ie cela, ie m'addressay sans sortir hors de l'An¦gleterre, à d'autres Myllords mieux zelez, par le moyen desquels, & de l'Euesque de Londres, a∣uec quelques gentils-hommes, & marchands, du¦sceu & consentemēt de la Royne, qu'elle prestoit sous main, & par l'ētremise du Sieur, Apfter Ciam pernon, on amassa, partie par forme d'aumosne, partie par forme de prest, dont quelques vns de nos freres de la Rochelle se sont obligez, enuirō quarante mille francs: à l'aide desquels, le Com∣te de Montgomery, qui pour lors estoit en An∣gleterre refugié, du vouloir & commandemēt se∣cret de la Royne, accompagné du ieune Ciam∣pernon, des l'vn de Morgans, & de plusieurs au∣tres

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gentils-hommes, & soldats Anglois, & Fran¦çois, dressa vne petite armee, d'enuiron cinquāte Nauires petits, & grans: entre lesquels, la Royne fournit vn sien nauire, nommé la Prime-rose, du port de quatre cens tonneaux: & eust billé aussi le nauire Biscain de mester Hacquin, n'eust esté que mester Olstat, Vice-amiral Anglois, auoit en uiron ce temps-là, desualizé sur le nauire Biscain, plus de vingt nauires François, & Vvallons, qui estoyēt és haures, & en la coste d'Angleterre, ar∣mez, & prests à acōpagner le cōte de Mōtgomery.

Le pol.

Et cōment bon Dieu! Vn seul nauire, pou∣uoit-il bien desualiser vingt nauires armez?

L'hist.

Fort aisement, ainsi comme il les trouuoit dans les haures, où ils ne se doutoyent de rien, cō me n'estans en rien coulpables, oyansque c'estoit par le commandement de l'Amiral d'Angleterre le myllord de Clynton, les poures gens n'osoyēt point resister.

Le po.

Voire, mais quelle occasiō auoit le myllord de Clynton de cōmander que l'on fist vn tel vol?

L'hi.

Il n'ē auoit du tout point: mais voicy son pre texte. La Royne d'Angleterre, ne se contentant point d'estre liguee auec le plus meschāt Tyrā de la terre, voulut aussi estre sa cōmere, & presenter au Baptesme la fille de ce desloyal: pour ce faire, el¦le luy enuoya en ambassade le myllord de Vven∣cester, pour faire l'office de la part de la Royne.

Le pol.

Ie m'esbahys, cōment cest que le myllord de Vvencester, ne supplia la Royne de l'excuser veu qu'il ne pouuoit honestemēt & en bōne con∣science, ie ne dis pas presenter l'engeāce du Tyrā,

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ains vn autre enfāt de quelque bō Papiste que ce soit, deuāt l'idole abominable, à vn ministre de Sa tan, ny voir prophaner le sainct Baptesme, par leur cresme, par leurs crachats, & autres telles e∣xecratiōs, cōtraires à l'institutiō, & pratique de Ie¦sus Christ, des Apostres, & de l'anciene Eglise.

L'hist.

I ne faut pas que tu t'es bahisses de cela, le millord de Vvencester est Papiste, Dieu luy face misericorde. Ie m'asseurequ'vn mylord d'Oktinc thō, vn myllord de Bethford, le seigneur de Vval zingham, qui pour lorsestoit ambassadeur en Frā¦ce, ou quelque autre religieux Seigneur, n'auoit garde d'accepter telle charge, ny la Royne de la luy donner: mais il y a bien de quoy s'esbahyr de la Royne, qui scait cōbien telle prophanation est desplaisante deuant Dieu, & cependāt elle se mo que de la cognoissance receue, & semble n'en fai re que le cerf.

Le pol.

C'est merueille, de voir cōme lesgrās (vers de terre neantmoins) se dispensent de desobeir à leur Souuerain, cōme si sa loy tresentiere ne les at touchoit en rien. A c que tu dis, il semble, que tāt plus ce tyrā est meschāt, tāt plus elle l'honore.

L'hi.

Elle le fait plustost pour crainte, que pour l'a mour qu'elle luy porte: c'est cela qui l'a fait aussi vouloir estre sa belle soeur, pēsant eschapper bien par là, les embusches de son cōpere, & garētir par ce moyen, l'Angleterre de ses aguets: mais Dieu scait, si ce n'est pas plustost se perdre, se rēdre mal heureuse deuāt le tēps, & accelerer sa ruine par les noces du frere, comme la Frāce, par les noces de la soeur.

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Or pour reuenir à mon propos, du vol, & des∣ualisemēt de tāt de nauires. Ainsi que le Myllord de Vvencester s'acheminoit en France, pour l'oc∣casion que ie t'ay dit, trauersant de Douure, à Bo∣logne sur vn bateau, n'ayāt lors que trois bateaux passagers auec luy, il fut assailly par quelques cour saires Anglois, Frāçois, & Vuallons en petit nom brs, qui estoyent dans vn petit nauire, nommé le Poste: assailly, dis-ie, de si pres, que bien peu s'en falut, que le bateau où estoit le Mylord, ne fut mis à fons, tanty a, que l'vn des bateaux de sa suite, fut presque tout pillé, & quelques vns de sō train tuez. Aucuns disoyent, que quelque inimitié par∣ticuliere contre le Myllord de Vvencester, auoit fait dresser celle partie: les autres, l'amour du bu∣tin, & du present que la Royne enuoyoit à son Compere, au lieu duquel ils vouloyent supposer vn licol: d'autres pensoyent que c'estoit vn despit & vne enuie de rompre vn si vilain voyage, où Dieu estoit deshonoré. Comme qu'il en soit, ce∣la fut cause que la Royne, lors irritee, donna char ge à son Amiral, d'enquerir bien au vray du fait, & de chastier les coulpables.

L'Amiral qui ne demandoit pas plus beau ieu pour grobiner, comme il en a bonne coustume, enquit si à point de ce fait, par le moyē de ses sup∣posts, qu'on ne laissa nauire François, ny Vvallō, de ceux qu'ō peut attraper, qui ne fut mis à blāc. Les capitaines, Mariniers, tout l'equippage, voire quelques passagers, furent faits prisonniers, entre autres vn gentil-homme mien amy, Poiteuin de nation, à qui nostre France doit beaucoup, Histo¦riographe

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diligēt & soigneux, & plein d'autres bō¦nes parties fut aussi detenu, & tous ensemble si bien traitez en leur prison, quoy qu'ils fussent in∣nocens du fait, que le mieux traité d'entre eux, à bonne occasion de s'en souuenir.

Ce trait, fut cause que le comte de Montgome¦ry alla plus tard d'vn mois, au secours de la Ro∣chelle, & plus foible de ces vingts nauires, & du nauire Biscayn, que la Royne auoit promis, qui n'y osa aller, de peur qu'on n'vsast de reuēche sur son equippage: & fut ce vol cause en partie, que la Rochelle ne fust point secourue, par l'armee du comte de Montgomery: lequel peu de temps a∣pres, ayant singlé vers la Rochelle, à la veue, & port de canon des nauires, & galeres, & des forts de l'ēnemy, qui tenoit le Canal, & entree de mer de la Rochelle gardez, apres luy auoir presenté la bataille, se voyant à son auis foible, s'estonna: l'ennemy le voyant marchander l'abbord, au lieu qu'à la premiere veue, son armee de mer, & de ter re s'estoit (comme on dit) esbranlee, commença à se rasseurer, & à se renforcer par mer, faisant em barquer dans ses nauires, à la veue de celles du Comte, enuiron de mille harquebouziers, qui fut cause, que le lendemain, le comte de Mōtgomery apres s'estre presenté au mesme lieu en bataille, n'estant suyui que d'vne partie de son armee, re∣brossa son chemin vers Belle-isle, qui est sur la co ste de Bretaigne, print le chasteau, & l'isle d'em∣blee, & là seiourna quelques iours. Vn des parens du comte de Rets, qui estoit Capitaine du cha∣steau de Belle-isle y fut fait prisōnier, & ainsi pris,

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mené en Angleterre, où ie le vy chez le Seigneur de la Motte Felon, ambassadeur du Tyran.

Le pol.

Puis que ce Capitaine estoit parent d'vn si honeste homme, il ne pouuoit estre que braue, & bien excellent guerrier, on ne prent pas telschats sans mouffles.

L'hi.

Tu serois bien marry, si tu ne disois le mot en passant à ton accoustumee, he dea! cestuy-là n'estoit pas de ses parens de maintenant, qu'il est comte de Rets, encore moins des parens de Mon¦sieur le mareschal de Rets, il luy appartenoit seu∣lemēt, du temps que le pere d'Albert Gondy, Flo¦rentin, marchand en son viuāt à Lyon, venoit de faire freschement Banque route, du temps aussi que le Peron estoit vn commissaire des viures, aux guerres de Mets: ou du temps qu'il estoit gar son de coutouër chez Bonuisi à Lyon, & que sa mere, fille de Pierre Viue, marchand de Lyon, couroit l'esguillette par tout.

Le pol.

Il ne paya donc gueres de rançon, le vi∣lain, à celuy qui le fit prisonnier.

L'hi.

Ie te le laisse à penser, chacun scait biē qu'il n'auoit lors vn seul double qui fut à luy, & au∣iourd'huy, chacun scait bien que pour auoir mon¦té la Meré, ce Landry à tout ce qu'il veut, cōman∣de par tout à baguette, fait changer le quarré, n rond, & a luy seul plus de finances, qu'vne dou∣zaine des plus grands: Mais, pour reuenir à nos moutons, d'où ce bouc m'auoit destourné, le cō∣te de Montgomery estant à Belle-isle, les poures gens de la Rochelle, ayans veu que le secours au∣quel ils esproyent le plus, apres Dieu, ne les pou

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uoit en rien seruir, ny soulage, enuoyerēt deuers le comte de Montgomery vn petit esquif, auec sept hommes dedans, qui passerent en despit de l'ennemy, au trauers de son armee, fauorisez des vents, & des vagues: pour remercier le comte de Montgomery, & le prier qu'il n se mist aucune∣ment en plus grand danger pour eux, ains se re∣seruast à meilleure rencontre: qu'ils estoyent re∣solus par la grace de Dieu de se bien deffendre, contre les assaux de l'ennemy, & de mourir tous l'vn apres l'autre, auec leurs femmes & enfans, plustost que se rendre à la mercy de ces perfides.

Le pol.

Ce fut vn trait fort magnanime, que celuy de ces bonnes gens. Au lieu que le coeur, cōme il semble, leur deuoit faillir, & manquer il leur est lor, tour au rebours, accreu cōtre le sens cōmun. La necessité est puissante à faire reoudre les gēs: mais certes, Dieu les fortifie tousiours au besoin.

L'hi.

C'est tresbien dit. Or le comte de Montgo∣mery voyāt le bon courage de ces poures Roche∣lois, apres leur auoir enuoyé vn batteau à l'auētu¦re, que l'on dit, auec deux milliers de poudre à ca non, & quelque peu de muys de bled, qui par gra ce de Dieu arriuerēt à bō port, & si à point qu'ils trouuerēt ces bōnes gēs presque au bout de leurs poudres, & de leurs bleds▪ apres cela (dis-ie) crai gnāt que l'ēnemy ne le vint charger à desprouueu à Belle-isle, où il n'auoit ny port ny fort, rōpit son armee, où (selon que la: creāce n ce tēps est bon∣ne parmy les Capitaines & soldats) elle se rōpit el∣le mesme. Le Capitaine Hippi ville, qui auoit vn fort bon, beau, & bien armé nauire, s'alla rēdre à

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l'ennemy en Normandie: d'autres tindrēt la mer & l'escumerent. Le Comte s'n alla rendre en An gleterre, auec vn biē peu de vaisseaux, surlesquels estoyent deux de ses gendres, son aisné fils, le ca∣pitaine Poyet, Casaux, Maison-fleur, la Meausse, des Champs, le capitaine Sore, & certains autres capitaines gentils-hommes & soldats.

La Royne, & les seigneurs de son Conseil, qui s'estoyent promis de l'expedition du comte de Montgomery, vn secours de la Rochelle, & possi¦ble quelque chose de plus, commencerent à son retour d'en rabbatre iusques là, que au lieu qu'au parauant ils l'auoyent chery, & honoré comme vn demy dieu des batailles, en pleine cour à des∣couuert & presque tout ioignant la barbe de l'am¦bassadeur du Tyran, à peine le vouloyent-ils lors voir en secret & à cachette.

Le pol.

Quelques vns accusent les femmes, de chā¦ger souuent leur maintien, & sous couleur qu'el∣les sont legeres, taxent leur sexe à tous propos, d'vne inconstance insupportable: mais quād tout vn Conseil s'en mesle, c'est les iustifier de tout point.

Les Romains estoyent bien d'autre auis au re∣tour de leurs Capitaines: ne les fauorisans rien moins à la perte, qu'à la victoire: comme Varro nous est tesmoin, ayāt perdu la grand bataille qui donnoit rome à Annibal (s'il eust sceu vaincre, comme on dit.) Retournant ainsi tout batu de∣dans Rome bien desolee, on ne laissa pas de luy faire comme vn petit triōphe à demy: il leur sem∣bloit bien que c'estoit assez de regret & de fasche

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rie à leurs Consuls, & capitaines, le desplaisir qu'ils receuoyēt de la perte d'vne bataille, & pen∣soyent estre mal seant, redoubler leur mal, par re proches, ou par quelque autre chastiment: aussi scait-on bien que les armes sont iournalieres le plus souuent, & que tel a bien fait sur le tyllac vn iour, qui s'en ira le lendemain cacher prest le lest du nauire: tel a rompu son ennemy, qui tost apres est mis en route. C'est presque comme vn ieu d'eschets, où les pions mattent souuent les Rois, prenent les Cheualiers: les Roynes, forcent les Rocques, & chasteaux, par fois les fols qu'on lo∣ge pres des Rois, font aussi eux-mesmes l'office, ou iouent au Roy despouillé.

L'hist.

Il est ••••rtain. L'autre disoit que tous les dieux iouent des hommes à la pelote, les esleuāt pour s'en mocquer, tost apres les iettant par ter∣re: mais en ce ait-cy dont nous parlons, c'est vne chose tres-certaine, que le Dieu des dieux, souue rain Dieu des armees, & batailles par son tresse∣cret iugement, ayant retiré les meilleurs, a affady le coeur des autres arcs boutans, ainsi qu'il sem∣boit, de toute l'Eglise Françoise: l'a dis-ie osté en tierement à la Noblesse, (qu'on appelle) & là dō∣né & fait à croire aux petits & humiliez: à fin qu'à son accoustumee, par les choses foibles, & basses, il confondist les fortes, & hautaines: & que par là toute la gloire, & honneur de la deliurance de ses enfans luy fust rendu.

Le pol.

C'est tresbien dit. Et pour certain, qui ne le voit est bien aueugle. Dieu à besongné puissam¦ment (ce dit la Vierge, au 1. de S. Luc) par son bras

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en dissipant les orgueilleux en la pensee de leur coeur. Il a mis bas les puissans de leurs sieges, & a eseué les perits, il a rēply de biens ceux qui auoy∣ent faim, & a enuoyé les riches vuides. Il a releué Israel son eruiteur, en ayant souuenāce de sa mi∣sericorde. Tu cognoistras cecy plus clerement, l'amy, quand ie te reciteray ce qui s'est passé de∣dans, & deuant la Rochelle & Sancerre, pendant que l'ennemy les tenoit assie gez, & que tu enten∣dra••••la deliurance miraouleuse que le Seigneur a fait de ces deux villes & de nos freres qui estoyēt dans Sancerre. Mais ie te prie poursuy, & te de∣pe•••••• de peur que quelun suuenant, n'interrō∣pe nos saincts deuis.

L'hi.

I'en suis cōtēt: i'auray fait en deux mots. 〈◊〉〈◊〉 si dōc, quād e vey ceste peite armee qui auoit e∣sté dressee, cōme tu as peu cōprendre, 〈◊〉〈◊〉 tāt de difficultez, que le Tyrā mesme auoit essayé de rō pre au parauāt, ayāt enuoyé à cest efft par diuers iours ē▪ Angleerre la Muuissiere▪ Chastea neu de Bretagne, & Sainct Iean frere du cōte de Mōt∣gomery, pour le destourner, mais en vain: voyant (disie) ceste partie la rōpue de tout poīt, sans espe āce d'aucune ressource, & quoy que ie m'essay as se de la faire renouer, & de persuader à la Royne, d'enuover des forces au double, luy remonstrant qu'autā valoit, cōme disoit l'autre, bien batu, que mal batu: & que tousiours l'Anglois auoit meil∣leur marché du Traistre, l'allant cercher sur ses terres auec l'aide des offensez, que de l'attendre sur les sienes apres la desfaite des bons. Qu'il e∣stoit à craindre que l'Anglois, qui n'auoit bōne∣ment

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osé faire semblāt de s'en mesler, en fust à la fin recerché à plein fonds: & que ce n'estoit pas oster la guerre de dessus ses bras, ains seulement la differer. Voyant que tout cela ny seruoit de riē qu'à les fascher, qu'à troubler le repos de ceux qui aiment mieux ouyr vn diseur de bonnes nouuel∣les, qu'vn Michee, qui leur annonce leur ruine, a∣fin qu'ils auisent à eux. Apres que i'eu recom∣mādé au Seigneurauec nos freres refugiez, nos fre¦res assiegez: ie partis de ceste Isle-là pour m'en venir par deuers les Seigneurs des ligues.

Là estant apres auoir fair entendre bien au lōg à quelques Seigneurs principaux nos affaires, & par consequent, ce me sembloit, les leurs, ie pen∣sois pour la conformité de la Religion, qui est en¦tre quatre des plus puissans Cantons & nous, & pour la necessité de leur estat, qui à bon droict peut craindre l'entreprise d'vn Prince tyran & perfide, ennemy de toute liberté ciuile & spiri∣tuelle: & pour le deuoir aussi que les Seigneurs des ligues ont à conseruer & maintenir les Fran∣çois comme leurs alliez & confederez: ie pensois dis-ie, bien profiter de tant enuers cux tous que d'en arracher quelque braue & puissant secours contre l'oppression du Tyran.

Mais ie trouuay tout au rebours, que desia les Cantons Catholiques auoyent enuoyé au grand Boucher six mille de leurs poures hommes, pour luy aider à esgorger & massacrer le reste des bre∣bis Françoises.

Le pol.

Qui iamas eust creu que ces gens eus∣sent fait vne si grande faute de fauoriser le party

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d'vn cruel tyran & perfide: eux grans amis de li∣berté: eux reputez entre les hommes pour gens qui gardent leurs promesses, & qui deussent par consequent hayr le Tyran qui les rompt au detri¦mēt detout vn peuple, ie dispeuple leur allié: c'est vn dāgereux paradoxe que l'opiniō de ces gēs-là.

L'hi.

La faim de l'or insatiable conduit les gens tout à son gré

Le pol.

L'odeur du profit (disoit l'autre) est souef∣ue, d'où soit qu'elle sorte. Mais on n'ouyt iamais parler d'vn tel profit si execrable, qu'vn homme prene d'argent d'vn sien voisin confederé pour l'aller tuer quand & quand, pour le piller & le destruire.

Ils ont beau dire, c'est du Roy de qui nous re∣ceuons la solde. Car leurs pensions en temps de paix, & leurs gages en tēps de guerre, ne sont ti∣rez aucunement que du labeur du poure peuple, esclaue de ce Roy tyran. Aussi ne sont-ils alliez au Tyran, tant qu'au Royaume, qu'ils vont tous les iours depredant: mais qui les a ensorcelez en∣core à ce dernier voyage? yeu qu'il n'y auoit pas vn viuant de ceux qu'ils s'estoyēt fait à croire qui abbayoyent auparauant à la (Côrôna) qu'ils ap∣pellent: ils ne pourront à leur retour, si quelqu'vn d'entre eux eschappe, se vāter comme aux autres fois, d'auoir seul gardé la Corona, Que lo Rey lor é byn tenu, que sen celou Monsiou l'Animal & Dandelou ly hosson ota la Corona de dessu la teta: puis qu'on ne cerche encore à ceste fois que d'es∣chapper & se garder de la fureur des mains meur trieres.

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L'hi.

Ils n'ont pas creu tousiours ce qu'ils ont dit: mais il faloit pour cacher leur folie, la couurir de quelque manteau: partant prenoyent-ils ce pre∣texte, comme le plus specieux. Mais à dire vray la pl{us} part ny alloit que pour desrobber, l'autre pour viure simplement, l'autre pour dissiper l'Eglise: leurs Chefs cerchoyent de s'agrandir, & d'apprē∣dre en si bonne escole toute sorte de corruption, & le moyen de tout vouloir & de pouuoir tout ce qu'on veut: a fin qu'vn iour suyuant l'exemple de leur beau compere Boucher par son moyen & sa aueur, qu'ils s'asseurent d'auoir propice, ils puis∣sent aussi à leur tour gouster que c'est de commā¦der absolument, & à bague te par dessus tous leurs Citoyens.

Ces seules raisons & non autres les ont fait marcher à ce coup, aussi bien comme és autres fois.

Le pol.

Qui a manié leur leuee? Car Belieure ny estoit plus: & ils croyent ce bō Apostre, plus que nul de leur Kalendier.

L'hi.

Ce Belieure, duquel tu parles, ny estoit plus vrayement: mais il auoit fait establir son aisné fre¦re en sa charge, & luy mesmes y vint à point, secō¦dé d'vn bon costiller messire Pierre Carpentier, (tu cognois l'homme) & assisté d'vn bon preud∣homme le vieux secretaire Poulier.

Le pol.

O Seigneur qu'est-ce que i'oys dire de mō ancien amy Poulier! Que ie regrette ce bon homme!

L'hi.

Aussi est-il à regretter. Car des autres passe sans flux. Carpentier a tousiours esté vn maistre

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frippon effronté, vn Tholoz at, c'est à dire vn dou∣ble. Les autres deux sont entendeurs, ce sont des Huguenots d'estat: ceux à qui le Dieu de ce mon∣de a cillé ou creué les yeux. Mais de Poulier, l coeur me fend, quand ie m'en souuiens, de regret.

Le pol.

Mon Dieu que ie suis desplaisant, qu'il fa∣ce si mauuaise preuue de la cognoissance qu'il a!

Lhi.

C'est sans doute que le poure homme a tra∣uaillé bien lourdement contre la verité cognue. Mais Dieu qui scait bien ramener ses brebis de peur de les perdre, le vint trouuer en ces iours∣là, & luy fit sentir le petit doigt de sa main forte, trebuschāt luy & son cheual, en vn chemin plain & facile: & pour l'arrester court sur cul, il luy cassa la iambe droitte.

Le pol.

Dieu vueille que ce coup de fouet luy face cognoistre sa faute. Mais quel pretexte propo∣soyent-ils, ces gens de bien aux Catholiques?

L'hist.

Nul autre, si non, quoy qu'il en fust, que leur Compere vouloit estre maistre absolu en son pais: qu'il vouloit, tout coupper & coudre à on plaisir: que nuls ne luy desplaisoyent tant que les Rochellois, qui ne vouloyent ouurir les por∣tes à ceux qui les vouloyent tuer de par le Roy. Et ainsi tout honnestement, comme qui conuie à des noces, les pressoyent d'aller au pillage & car∣nage des gens de bien, qu'ils disoyent estre des re belles, seditieux à tout iugement.

Le pol.

Ie leur nie bien c'est article, qu'ils soyent seditieux ny meschans, & pourrois bien deuant tous iuges qui ne seroyent point passionnez prou¦uer tout outre le contraire.

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L'hist.

Ie serois content de t'ouyr discourir sur ce ste matiere, s'il te plaisoit prendre la peine de la traiter naiuement, selon la conscience & l'estat. Tu scais qu'il y a plusieurs consciences de timi∣des scrupuleux, qui font estat de se laisser frapper & de tendre aussit ost l'autre ioue.

Le pol.

C'est tresbien fait à des priuez, & pour des iniures priuees de patienter & de souffrir, plustost que de rendre la pareille: mais en ce fait il va bien autrement.

L'hi.

Ie le scay bien, & ne suis pas si grue, que ie ne sache comme il s'y faut porter. Et ne doute non plus qu'il ait esté & qu'il soit loisible à nos freres de se garder contre l'inuasiō du Tyran, que contre brigans & volleurs, cōtre des loups & des sangliers, ou autre beste plus farouche.

Ie dy d'auātage auec l'ancien peuple Romain; que d'entre tous les actes genereux, le plus illu∣stre & magnanime est, d'occire le Tyran: estant, comme tresbien le monstre Ciceron: vn tel acte, quand biē il sera executé par vn familier du tyrā, tout plein d'honesteté & de bien seance, conioin∣cte auec le salut & l'vtilité de la chose publi∣que. Mais qui me fait desirer d'entendre de ta bouche la resolution de ce faict: c'est pour me seruir des argumens, authoritz & exemples des∣quels ie scay que tu abondes, à confermer les timi des, & resoudre les scrupuleux.

Le pol.

S'il faut que e traite ce point, ie crain d'es∣garer ta memoire de ton discours encommencé.

Lhi.

Point, poit, ne crain pas que ie laisse d'y reue nir, i'auray fait ē deux pas & vn saut. Mais cōmēce

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re te prie de traitter vn peu clerement ceste mati re: elle n'est pas hors de propos.

Le pol.

Ie le veux bien: Escoute.

Premierement il faut establir ceste maxime: qu'il n'y a qu'vn seul Empire infiny: scauoir, ce∣luy de Dieu tout puissant, & par consequent que la puissāce de quelque magistrat & Prince que ce soit est enclose dans certaines limites & barrie∣res, hors desquelles le Prince ne doit sortir, ny le suiet, s'il les outrepasse, luy obeir: autrement ce se roit esgaler l'Empire du Magistrat à celuy de Dieu souuerain: blaspheme par trop horrible seu lement à le penser. Car quoy que le Magistrat re∣presente l'image de Dieu, si se faut-il souueni de ce que Dieu a dit par son Prophete: Ie ne dō∣neray pas ma gloire à vn autre. Les magistrats dō ques sont establis de Dieu, non afin qu'en parta∣geant auec sa Maiesté ils se reseruent partie de la gloire: ains afin que cōme Ministres & seruiteurs du Seigneur ils raportent entierement à leur mai¦stre toute gloire & tout honneur.

Les Magistrats, s'ils n'auisent de pres à leur de uoir, peuuēt commettre des fautes bien lourdes: soit en commandant ce qui repugne à la premie∣re table de la loy de Dieu: ou en deffendant, ce qui est commandé par la premiere table: Tels cō∣mandemens & deffenses sont prophanes & con∣tre toute pieté. Ils offensent aussi contre la secō∣de table, quand ils commandent ce qui ne se peut obseruer sans violer la charité deue au prochain: ou deffendent de faire les choses lesquelles nous ne pouuons delaisser sans violer celle charité qui

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nous doit estre inuiolable: tels edits doyuent e∣stre appellez iniques.

Ce fondement posé, que nous deuons au seul Dieu toute obeissance sans nulle exceptiō, il s'en suit, qu'il ne faut pour rien obeir aux edicts pro∣phanes, ou iniques de quelconque magistrat ou prince que ce soit: & par consequent, que les su∣iets ne peuuent obeir en bonne cōscience au Roy commandant choses prophanes ou iniques. Il n'y a pas faute d'exemples en ce point.

L'edict de Pharao, par lequel il commandoit l'homicide cruel & sauuage des petits enfans des Hebrieux estoit inique tout outre. Les sages fem¦me ny obeissent point: elles en sont louees par l'esprit de Dieu en l'Escriture: Dieu recompen∣se la pitié de ces bonnes femmes, qui ont ainsi des obey au tyran, leur edifie des maisons, benist & accroist leurs familles.

L'edict de Nabuchadnezar commandant d'a∣dorer la statue, estoit prophane & contre la pre∣miere table de la loy. Les compagnons de Da∣niel ny obeissent point: pourtant sont louez du Seigneur, & conseruez de sa mainforte au milieu des flammes du feu.

Les edicts de Iezabel ont esté prophanes & i∣niques tout ensemble, en ce qu'elle commandoit de meurtrir les Prophetes de Dieu, & les gens de bien, Voila pourquoy Abdias au lieu d'y obeir nourrissoit de tout son pouuoir les seruiteurs du Seigneur.

Les Iuifs entant qu'en eux estoit empeschoyēt Iesus Christ d'annoncer la volonté de Dieu son

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Pere auec deffēses & menaces. Iesus Christ leur a resisté en l'annonceant. Et quoy que nous puis∣sions dire qu'en la maison du Pere Eternel il a e∣sté est & sera iamais fils Eternel de Dieu: tou∣tefois selon la dispensation du temps d'alors, sa condition & la police, il estoit comme personne priuee: & toutefois n'a il point obey.

Les Apostres ayans receu commandement de se taire, & ne point annoncer Iesus Christ, n'a∣uoyent garde d'y obeir.

Il ne seroit pas si tost fait si ie voulois reciter par le menu le nōbre des tesmoins qui ont souf∣fert persecution, pour n'auoir voulu obeir aux e∣dicts des Rois, Empereurs & autres Magistrats, ausquels tant s'en faut que nous soyons tenus d'o beir, lors qu'ils commandent choses prophanes ou iniques: qu'au contraire comme nous pouuōs recueillir des exemples alleguez nous ne satisfai sons iamais à nostre deuoir, si en desobeissant d'ū costé, à tels Magistrats, nous n'obeissons de l'au∣tre aux edicts & commandemens du Dieu souue rain, chacun de nous selon sa vocation: vocation dis ie generale ou particuliere: generale par la∣quelle vn chacun est appelé à pratiquer la chari∣té enuers ses prochains: particuliere selon l'e∣stat & office auquel vn chacun est appelle.

Les sages femmes donques Egyptiennes ont fort vertueusemēt fait en n'obeissant point à Pha rao, & en s'acquittant de leur vocation particu∣liere ont de tout point accomply leur deuoir, con seruant les enfans que l'edict du tyran auoit desti∣né

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à la mort.

Ainsi aussi Abdias, qui non seulement ne tua point, ains nourrit & sustenta les Prophetes du Seigneur. Pareillement les Apostres, qui tant s'en faut qu'ils se teussent, qu'au contraire ils annon∣cerent plus librement la parole du Seigneur. Aus¦si estoit ce leur vocation particuliere, à laquelle ils ne pouuoyent autrement satisfaire qu'en ce fai sant.

Et partant auiourd huy és terres des Princes prophanes, superstitieux & tyrans, desquels le nō bre n'est que trop grand, qui deffendēt d'annōcer la Parole de Dieu, & commandent d'assister aux seruices des faux dieux cōtrouuez dās le cerueau des hommes: s'il s'y trouue quelque Chrestien, (comme Dieu mercy il y en a bon nombre) nous ne dirons pas qu'il se soit acquité de son deuoir, quand seulementil se ser a abstenu de communi∣quer aux faux seruices, si quand & quand il ne fait tout ce qui luy sera possible pour se trouuer és assemblees Chrestienes, ouyr la paroler de Dieu, & communiquer aux prieres & sacremens de l'E¦glise Chrestiene.

Le roy Ozias ayant voulu vsurper l'office de Sacrificateur, fut dechassé hors du Temple par Azarias, & octante autres Sacrificateurs ses com¦pagnons: desquels le fait fut approuué de Dieu, &c celuy d'Ozias condamné: de sorte qu'il en fut frappé de lepre de la main du Seigneur, & con∣traint de finir sa vie tout lepreux, & miserable, en vne maison sequestree & à part.

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Cela est donc tout resolu que nous pouuon en bonne conscience desobeir aux edicts propha nes ou iniques des Magistrats, quels qu'ils soyēt.

Reste à voir maintenant, s'on leur peut aussi pareillemēt resister en bonne conscience, & pour quelles raisons: estant chose toute asseuree, que c'est plus leur resister, que leur desobeir simple∣ment.

Ia n'auiene que ie fauorise en cest endroit le party de ces furieux & turbulens Anabaptistes, que nous confessons tous pouuoir estre digne∣ment chastiez par le Magistrat.

Qu'on ne pense pas aussi, que ie vueille porter le party des Seditieux, pourtant, si ie viens affer∣mer que les suiets sont tenus de resister par ar∣mes, si besoin est, au magistrat commandant cho∣ses prophanes ou iniques, estant vne telle resisten ce, qu'ō fait aux desseins d'vn Magistrat seditieux, vn vray moyen d'oster la sedition, & faire mettre vne bonne paix parmy les peuples.

Mais afin que la question puisse estre plus che rement traitee & desnouee, ie mettray en auant quelques maximes, comme preludes seruans à ce faict.

Premierement qu'il y a vne mutuelle & reci∣proque necessitude & obligation d'entre le Ma∣gistrat & les suiets: comme il est aise à cognoistre, s'on considere l'origine, la cause & la fin de l'insti¦tution des magistrats.

Cela est bien certain que les magistrats ont e∣sté creez aux peuples & non les peuples aux ma∣gistrats: tout ainsi que le tuteur est cree à vn pu∣pille,

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& le Pasteur à vn troupeau: non pas le pu∣pille au Tuteur, ou le troupeau au Pasteur. Il fal∣loit donc qu'il y eust quelques assemblees & trou pes d'hommes deuant la creation des Magistrats. Encores peut-on bien trouuer auiourd'huy vn peuple sans Magistrat, mais nullement vn Magi∣strat sans peuple: C'est donc le peuple qui a creé le Magistrat, & non le Magistrat le peuple: qui a, dis-ie, creé les premiers magistrats d'vn com∣mun conentement, pour la necessité qu'il se sen toit auoir pour sa conseruation d'vn tel lieu & conduite.

Aucuns peuples ont creé des Princes sur eux, pour estre gouuernez & regis en ceste façon ou en l'autre, tellement toutes fois qu'il demouroit tousiours par deuers le peuple vne bonne portiō de la puissance & authorité. On voit cela en l'e∣stat Democratique, auquel aucuns esleus en ce∣ste charge demandent les auis & recueillent les voix du peuple, n'osans au reste riē ordōner sans son consentement. Ceux-cy sont appellez Magi∣strats populaires.

Autres y en a, qui ayans mieux aimé le gouuer¦nement Aristocratique, ont choisi & esleu vn cer¦tain nombre des meilleurs de leurs citoyēs, aus∣quels ils ont cōmis toute la conduite de leur estat & chose publique.

Ceux qui ont plus prisé le gouuernement d'vn seul, l'ont esleu & esleué sur eux pour les gouuer ner & conduire comme Monarque & souuerain. Mais il ne se trouuera iamais, qu'il y ait euvn peu ple si sot & mal auisé, qui ait esleué vn magistrat

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sur ses espaules, auquel il ait donné puissance & authorité absolue de cōmander indifferemment tout cequ'il voudroit au peuple, qui l'auoit esleu. Au contraire tousiours le peuple en se soumet∣tant au Magistrat, l'a aussi lié & comme attaché à certaines loix & conditiōs, lesquelles il ne luy est permis d'enfreindre ny outrepasser.

On voit encores auiourdhuy cela aux establis∣semens & couronnemens des Rois: où l'on leur offre certaine forme de iurement, qu'ils prestent deuant qu'estre establis: s'astreignans par iceluy aux conditions qui leur sont offertes.

Sous telles conditions le Magistrat regne, & sous telles conditions luy doit le peuple obeir, n'estāt en rien honeste d'estendre le commande∣ment ny l'obeissance hors ou par dessus icelles conditions, que nous pouuons appeller, vltro ci∣tróque & reciproquement obligatoires.

Nous auons vn ancien exemple de cecy assez à propos au regne d'Israel. Dieu esit Dauid & sa posterité pour regir & gouuerner les Israeli∣tes. Ils se soumettent à son Empire, sous certai∣nes conditions & formule de iurement, que l'on peut recueillir des passages de l'Escriture, où l'hi¦stoire du regne du Roy Ioas est traitee: Là il est dit que Ioiada sacrificateur stipulant, l'alliance fut faite comme de nouueau entre Dieu, le Roy & le peuple.

Dieu tesmoignoit par la bouche du Sacrifica∣teur, qu'il recognoissoit ce peuple là pour son peu¦ple: & le peuple de sa part reclamoit Dieu pour son Diu.

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Item le Roy de son costé promettoit de re∣gner selon Dieu, & le peuple d'obeir au Roy se∣lon Dieu.

Le mesme serment & alliance se trouue faite en l'Escriture sous Iosias & autres Rois. En som∣me iamais ne s'est veu qu'il y ait eu homme esle∣ué en degré par dessus les autres, sans auoir pre∣mierement fait quelques promesses & sermens au peuple, ou à la nation à laquelle il estoit pre∣pose.

On voit encores auiourd'huy les formules de iurement de l'Archeduc d'Austriche, du roy des Romains, du roy de France, quoy qu'elles ayent esté viciees par l'entremise de Messieurs les Pa∣pes Romains.

Apres auoir veu l'origine & forme de la crea∣tion des magistrats, voyons maintenant quelle est la cause & occasion, pour laquelle ils ont esté creez. Nous trouuerons qu'il n'y en a point d'au∣tre que le salut du peuple. Afin, ce dit l'Apostre, qu'ils soyent en terreur & espouuantement aux meschans, & en seureté & conseruation aux bons.

Aristote en ses Politiques dit tresbien: Que tout ainsi qu'au Pilote, l'heureuse & prospere na∣uigation: au medecin, la santé du patient; au Ca∣pitaine, la victoire: aussi au Roy le salut & con∣seruation du peuple doit estre tousiours deuant les yeux.

Et partant le peuple ayant esleu ou autrement esleué premierement, le Roy à ceste fin, le Roy aussi estant obligé à telle condition toutes fois &

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quantes qu'il s'en desuoye: quand de bon prince il deuient Charles▪ 9. quand seulement il prepo∣se son priué au public: augmentant auec le detri∣ment du peuple ses coffres & reuenus: lors l'obli∣gation du costé du peuple est rompue: lors est le peuple de liuré de ce qu'il deuoit à son Roy. Ne pouuant l'Empire & gouuernement estre dit iu∣ste & legitime, auquel l'on a tellement esgard au bien particulier du Prince qu'on en vient à inte∣resser le public de tout le Royaume.

Outre ce que dict est, il faut qu'vn Roy soit le∣gitimement appellé à la Royauté, selon les cou∣stumes & loix du pais, pour pouuoir estre dit Roy legitime. Autremēt s'il vient à vsurper le sceptre, il se rend indigne du titre & des priuileges d'vn Roy. Cecy soit dit tout en passant, en faueur de ceux de Lorraine: sur lesquels, comme tu scay mi¦eux, les predecesseurs de nos Valois ont vsurpé la Couronne.

Or les Rois sont appellez au royaume, ou par succession en lieux où le droit de regner est trans mis aux herìtiers: ou par election: ou par succes∣sion & par election tout ensemble. Ceste der∣niere façō de creer les Rois est merueilleusemēt à l'auantage & benefice du peuple: estant chose tout asseuree que là où le droit de succession est simplement obserué, le plus souuent la Royauté est transportee à personnes indignes, d'où sort v∣ne infinité de malheurs & desastres, nous l'auons veu, nous le sauōs, nous le sentōs si nous ne som∣mes ladres. Là où l'election seule est pratiquee, on baille entree aux seditions & partialitez, des∣quelles

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naissent le plus souuent des guerres ciui∣les, ruine des peuples & estats. Mais quād la cho∣se est temperee, de sorte qu'on ne reiecte pas te∣merairement la famille sous laquelle le peuple a accoustumé d'estre conduit: ains enquiert-on di∣ligemmēt, si c'est pour le bien du peuple de l'esli∣re ou reietter: c'est s'y conduire sagement de tout point, Telle estoit ancienement la façon d'esle∣uer les Rois. Ainsi a esté pratiqué en l'Empire de Dauid (duquel toutefois Dieu estoit l'autheur & en la famille duquel il vouloit conseruer le sce¦ptre) où les aisnez n'ont pas esté establis indiffe∣remment Rois. Roboam apres la mort de Salo∣mon fut appellé par droit de succession au Roy∣aume: mais ce fut par l'auis des douze lignees, qui pour c'est effet s'assemblerent.

Ces choses ainsi premises, ie vien à la question proposee. S'il est loisible aux suiets de resister au magistrat, & iusques où telle licence s'estend. Mais deuāt toute oeuure, il faut entendre, que les suiets ne sont pas tous d'vne mesme condition. Car les vns sont simplement suiets priuez: les au∣tres ne sont dits suiets qu'à raison du magistrat souuerain: tels sont les magistrats inferieurs.

Mais à scauoir-mon si le Souuerain magistrat ou Roy est tellement souuerain, qu'il n'ait nul fors que Dieu estably dessus luy. Il semble bien qu'on pourroit dire que apres Dieu le Roy est le premier: ie l'accorde, mais non pas absolument. Car, comme i'ay desia dit, les gens n'ont iamais esté si sots & mal auisez de donner à aucun tant de souueraine puissance, qu'ils ne se soyent tou∣siours

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reseruez de tenir comme par les renes vne bonne & forte bride, de peur que la Royauté, cō∣me en vn chemin glissant, ne tombast tost en ty∣rannie.

Mais ils n'ont sceu si bien faire (tant le peuple est aisé à piper) que ce malheur, que ce desastre ne soit auenu mille fois.

L'authorité des anciens rois des Romains e∣stoit souueraine, mais elle estoit retenue par le Senat.

Les anciens Rois dechassez par leur ambition, violence, & paillardise, l'authorité souueraine de meura au senat Romain: tellement toutefois que l'authorité des Tribuns du peuple luy feruoit de frein & de bride.

Les Lacedemoniens auoyent deux familles à Sparte, desquelles ils eslisoyēt leurs Rois: le frein & bride qui les tenoit en office estoyent les Epho¦res, c'est à dire les voyans ou regardans & obser∣uateurs. A ceux-cy estoit loisible de condamner & chastier les Rois, qui abusoyent de leur char∣ge, comme tu scay qu'il auint à Pausanias.

Tel est auiourd'huy en l'empire Romain le Sept-virat: scauoir les Princes Electeurs. Ceux∣cy n'ont pas seulement droict d'establir les Em∣pereurs, ains aussi de les desmettre. Tesmoin en est Vvenceslaus Empereur priué par eux de l'Em¦pire l'an 1400. Munster recite la forme de l'ab∣rogation.

Le mesme a esté obserué aux Rois de France, du temps que l'authorité des Estats (que ceux de Valois ont abbatue) estoit en sa force: laquelle

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aussi s'estendoit iusques là, comme tu scay, qu'il n'estoit permis au Rois de declarer, ny faire guer re, ny d'imposer tribut ou subsides nouueux sans le consentement des trois estats: esquls neant∣moins les gens d'Eglise n'estoyent aucunement comprins: ains seulement ceux de la Iustice, ceux de la Noblesse, & le Peuple. Et estoit leur autho∣rité telle, qu'ils deposoyent les Rois quand l'oc∣casion le requeroit pour leur desbauche, insolen¦ce, faineantise, incapacité & autres semblables choses.

Nos histoires nous font mention, comme tu scay trop mieux, de huict Rois de France desmis par l'authorité des Estats.

Childeric en est l'vn, desmis en l'an 469. Eu∣don l'autre, desmis vn peu apres. Vn autre Chil¦deric, l'an 679. Theodoric, l'an 696. Chilperic, l'an 750. Charles le Gros, l'an 890. Odon, l'an 894. Charles le simple, l'an 926.

Quant à nostre Charles le traistre, ils ne l'eus∣sent ia desmis: il n'est pas vray-semblable: ils eus∣sent eu esgard à ses belles vertus, à sa pieté, à sa iu¦stice: ils eussent porté respect à sa mere qui peut tout, & au Peron qui la surmonte, & gouuerne tout à son tour.

Mais si la liberté des Estats, n'eust esté oppri∣mee, ils eussent bien desmis d'autres Rois, qu'on eust peu nommer bons, tresbons, les compa∣rant aux moindres traits de ceux que Charles a ioué au poure & miserable peuple: cōme les Ro∣mains demirēt Tarquin à raison de ses outrages & violences.

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En Angleterre les Parlemens, qui ont mesme puissance qu'auoyent les estats en France, ont sou¦uent condamné leurs Rois.

Cela est hors de toute doute que ceux qui ont la puissance de deslier, ont aussi pouuoir de lier.

Et partant és lieux où cest ordre est estably, qu'il y en a quelques vns qui seruēt de bride aux Rois, & aux loix de seure garde: ie dis que ceux là sans faillir peuuent & doyuēt resister aux iniques ou prophanes commandemens des Rois. Et ne peuuēt ceux-là laisser la royauté & legitime gou∣uernement degenerer en tyrannie sans commet∣tre vne manifeste trahison enuers le peuple qui a esleu tels estats principalement à celle fin, qu'ils empeschent la tyrannie. Que si de malheur elle y suruient, (comme nous la voyons par nos pechez arriuee à son comble, disposant des biens & des corps, de l'hōneur & de l'ame à son gré) c'est aux suiets priuez de recourir au remede vers les e∣stats: estant chose toute asseuree, que ces trois e∣stats sont comme souuerains magistrats par des∣sus le Roy en cest endroit, quoy qu'ils soyent pri∣uez & au dessous du Roy pour vn regard ordi∣naire.

Que si ce droit là des estats vient à descheoir & à se perdre? Ie te respōs, & fort bien ce me sem¦ble: que les Rois qui ont si souuent en leur bou∣che, qu'on ne prescrit rien contre eux, nous ensei gnēt aussi de dire, qu'il n'y a point de prescriptiō cōtre les droits du peuple & des estats. Et que la loy ciuile de laquelle nous vsons, qui a la raison pour son ame, nous enseigne & apprēt, qu'vn pos¦sesseur

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de mauuaise foy ne peut prescrire aucu∣nement.

Les rois de France promettēt & iurent à leurs Couronnement, qu'ils conserueront, vn chacun en son ordre, reng & degré: quand ils font le con∣traire, qu'ils violent les bonnes loix & les bons e∣dicts en quelque façon que ce soit, ils ne sont plus Rois, ains Tyrans.

S'ils repliquent: Il y a cent ans, deux cens, voi∣re six cēs ans que nous vsons de tel & de tel droit. (Car tel est nostre plaisir) & pour autant ce droit nous est prescrit.

Ie respons, que si on fueillete les histoires de nostre France, on trouuera qu'il n'y a pas plus de soixante ans que la liberté des estats y a esté op∣primee, & que les Rois y ont esté comme l'on dit¦mis hors de page. Mais quand bien ce seroit de plus long temps, ie tourne dire, que la prescrip∣tion contre les bonnes moeurs & cōtre les droits du peuple est inualide. Mais l'on me dira: Les e∣stats ne peuuēt ou ne veulent s'assembler, ou s'ils s'assemblēt, la plus grand part emporte, tousiours la meilleure: ne sera-il donc permis à vne ou à l'autre partie des trois estats, ce qui est loisible à toutes les trois ensemble? Ie respons que non, pour euiter aux partialitez qui s'en pourroyent sourdre: Ayans à ceste fin esté establis trois, que toutes choses se fissent auec bon ordre & sain iu∣gement: & que le chemin soit couppé à la dissipa¦tion du peuple, qui autrement s'en pourroit bien ensuyure.

Qu'est-il donques besoin de faire quand vne

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partie du corps est si extremement greuee, qu'el∣le ne peut plus supporter son mal? En tel cas il faudra diligemment considerer, qu'elle est la cau se de ses plainctes, & le but auquel elles ten∣dent.

Car il y en peut auoir qui se plaindront de la ty∣rannie, enuers lesquels toutefois on n'vse ra que de iuste & legitime commandement.

Estans certains de la bonté & iustice des com∣plaignans, en se souuenant qu'il n'est pas permis à vne partie, soit en chasteau, ville ou prouince, ce qui est propre & appartenant au tout: apres que celle partie greuee aura admonnesté & auer∣ty les autres ses compagnons de leur deuoir & charge: & qu'ils n'y voudront entendre: il luy se∣ra permis & loisible par tout droit & raison diui∣ne, humaine, politique & des gens: non de des∣mettre le tyrā, iaçoit que par le droit il deust estre desmis: mais fort bien de se soustraire de sa suie∣ction, & de se deffendre contre la tyrannie, & vio∣lence de celuy, qui au lieu d'estre Pasteur & pere du peuple est le voleur & brigand.

Cela peut il faire en bonne conscience, & lais∣ser perir cependant qui veut perir à son escient. N'estant aucunement raisonnable que pour la las cheté & nonchalance d'autruy mon droit, mon bien, mon honneur & ma vie, voire mon propre salut soit abandonné & perdu.

Par le droit Feudal, pour les mesmes causes que le vassal perd le fief, scauoir pour felonie, pour icelles mesmes le haut Seigneur le perd: pour ce que, comme dit la Loy, l'obligation d'en¦tre

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eux deux est mutuelle & reciproque. Le sem∣blable est d'entre vn Roy & ses suiets, qui luy sōt comme vassaux.

Chacun scait combien la puissance des Sei∣gneurs, ou maistres enuers leurs serfs & esclaues est grande: toutesfois si le Seigneur ne prouuoit & subuient au serf en sa maladie, le serf sans autre manumission est declaré libre par la loy: laquel∣le n'a esté ordōnee qu'à celle fin que ceux qui ont quelque authorité & puissance n'en vienēt point à abuser.

La condition des suiets ne doit pas estre pire que celle des serfs. Que si le serf est fait libre, quand son Seigneur abuse de son pouuoir, pour quoy ne sera-il le semblable des suiets?

Les Suisses, desquels nous parlions n'agueres se sont soustraits, comme les histoires en font foy de la suietion & obeìssance de la maison d'Austri¦che, à laquelle ils s'estoyent obligez sous certai∣nes conditions: pource que la maison d'Austri∣che ne les daignoit accomplir de sa part. Ainsi sont ils auiourd'huy libres, ayans secoué, non pas abbatu l'Empire de celle maison: laquelle cependant cognoissant sa grand faute à approuué leur substraction & reuendication de leur li∣berté.

Quant à nos poures freres de la Rochelle, s'e∣stans autres fois distraits de la suietion des An∣glois, ils se sousmirent au Roy de France sous certaines conditions, que Froissard recite en son histoire.

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Toutes les autres villes de la France pareille∣ment sont soumises sous des conditions & auec speciaux priuileges, qu'on leur a iuré & promis. Puis que celuy a qui elles sont soumises, n'obser∣ue ce qu'il a promis, & qu'il n'y a point de moyen d'auoir vn iuge, pourquoy ne leur sera-il loisible de se distraire de telle suiection? Et de se faire à vn besoin iustice à eux-mesmes de tant de concus¦sions, extorsions, violences, paillardises, cruautez, trahisōs & autres telles infametez, desquelles les brigās & volleurs abusans du sacré nom du Roy, de Pieté & de iustice, commettent en leur en∣droict.

Ioram fils de Iosaphat ayant succedé à son pe∣re au royaume de Iuda, introduisit les dieux estrā¦ges & le seruice des Idoles parmi le peuple. Lo∣bna ville sacerdotale en Iuda voyant cela, se reti∣ra de luy pour ne plus estre sous la main de Iorā: pource, ce dit l'Escripture, qu'il auoit delaisse Dieu le Seigneur de ses peres. 2. Chron. 21.

Il n'y a nulle doute qu'entre nous les loix di∣uines ne doiuent estre en plus grand poix & esti∣me que les humaines.

Le Magistrat est estably pour estre en terreur aux meschans. Ceux-là sont plus meschans, qui violent les loix diuines, que ceux qui simplement contreuienent aux loix humaines. Or s'il est permis de se soustraire du magistrat violant la po¦lice humaine, à plus forte raison de celuy qui a violé toutes choses sainctes, voire l'humanité mes mes, qui a despouillé toutes affections naturelles, secoue entant qu'en luy est tout ioug et cognois∣sance

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de la deité: & corrompu & dissipé en toutes sortes la Religion, laquelle est leprincipal lien de la societé humaine.

Item s'il faut fuyr la sedition en la police hu∣maine, à plus forte raison la faut il fuyr en l'Egli∣se de Dieu & assemblee Chrestiene: laquelle est liee & conioincte estroitement par le tressainct & sacré lieu du sainct Esprit. Cependant en la ty∣rannie Ecclesiastique du Pape, qui a corrompu toute doctrine & violé tout ordre en l'Eglise, n'ay ant esté permis d'assembler vn Synode libre, qui eust esté comme les trois estats en la police, au∣quel il eust fallu recourir, n'ayant, dis-ie, est loi∣sible de l'assembler, par ce qu'il eust esté besoin le demander aux mesmes tyrans, & par consequent approuuer la tyrannie Papale: cependant, dis-ie, il a esté permis à vne partie, pendant que la plus grand part sommeilloit en profondes tenebres, de se distraire d'icelle tyrannie, sans encourir en∣tre les bons le nom de scismatique. Pourquoy e∣stimerons-nous ceux-là seditieux qui se retirent de la suiection d'vn magistrat periure, perfide, cruel oppresseur de peuple, mangesuiet, de l'in∣fameté duquel toute la terre est infectee?

L'hi.

Mon Dieu que ie suis aise de t'auoir ouy a∣uancer & deduire tant de bonnes & belles rai∣sons pour la iustification de nos freres. Elles ne font que trop suffisantes pour prouuer, qu'il a e∣sté loisible à la Rochelle & autres villes & pro∣uinces oppressees du reng desquelles on peut met tre toute la France, au quatre coins & au milieu, de l'obeissance & suiection du tyran: & pour le

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moins de se deffendre contre l'inuasion de ses sa∣tellites, concussion de ses officiers, oppression de ses gabelliers, violences & infametez de sa cour▪ Et, pour le dire en vn mot, contre tout ce qui pro∣cede de luy & de ses Iannissaires.

Et tant s'en faut qu'en se deffendant, ou reti∣rant du tyran, on acquiere le nom de seditieux, qu'au contraire ceux-là sont tresmauuais conci∣toyens, compatriotes, & mauuais voisins, qui ne s'adioignent à eux.

Le pol.

Cela est hors de difficulté, que ceux qui desirent la conseruation de la France, & sur tout de l'Eglise de Dieu, se doiuent ioindre à eux. Et asseure toy, que ceux qui par couardie, ou autre∣ment laissent les secourir, orront vn iour & à bon droit prononcer la sentence contre eux, que De∣bora donna contre la ville de Meros, pourtant qu'elle ne vint point à l'aide du Seigneur cōtrela bien roy de Chanaan. Iug. 5. 21. & 23.

Cependant le Seigneur ne laira point de fai∣re son oeuure, pour paracheuer leur entiere deli∣urance, comme il a commencé, ainsi que ie te di∣ray. Mais ie te prie paracheue ce que tu as à dire, & te despeche, afin que i'aye aussi quelque peu de loisir de t'entretenir de ce qui s'est passe en mon voyage.

L'hi.

Ie le veux bien: que pleust à Dieu que les Sei gneurs des cantōs Papistes t'eussēt ouy discourir en plein Cōseil de la iustice de la cause de nos fre res, de la puissance des magistrats, & iusques où el le s'est end. Ie m'asseure que cela ioint auec les an tres occasions qu'ils ont de tenir pour suspectes

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les forces des tyrans, qui ne pardonnent iamais aux loix, aux confederations & ligues: ains plan∣tent tousiours leurs limites là où le bout de leurs espees s'estend, les eust engardez de despeupler leurs terres, & de desgarnir leurs maisons deleurs gēs. Cela, disie, eust esté suffisant, pour faire que le Conseil eus arresté tout court les plus ambi∣tieux & auares, & les eust engardé d'emmener leurs combourgeois à la boucherie. Cependant cela est fait: il n'y a plus d'ordre, & ie m'asseure qu'ils ne feront pas grād mal aux nostres pour ce coup cy.

Le pol.

Ie t'en respons & te le iure: ils n'ont eu gar de d'approcher plus pres que de l'artillerie les murailles de la Rochelle, que si aucuns ont passe outre, ils ont esté tresbien frottez. Mais voila le mal qu'ils ont fait ils se sont faits battre & tuer, eux qui aiment leur liberté, pour nous vouloir ra uir la nostre: & ont tousiours en ce faisant vescu dessus Iaques bon homme. Puis rapporteront au retour l'argent & sueur du bon homme, apres qu'ils l'auront bien pillé. S'ils apprenoyent vne fois à cognoistre la grande difference qui est d'en tre vn tyran & la Couronne, qu'ils appellent, voi∣re d'vn Roy à son Royaume: ie m'asseure qu'ils n'auroyēt garde d'outrager, d'offēser & perdre vn si grand & si puissant corps, comme est celuy de Frāce, à l'appetit d'vn seul tyran, & pour les pas∣sions d'vne femme.

L'hi.

Certainement ie le croy. Mais, comme i'ay dit, c'en est fait pour ce coup cy: vne autresfois ils pourront estre possible quelque peu plus sages.

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Quant aux Cantons de la Religion, ils n'ont garde d'y auoir enuoyé de leurs gens: plustost leur ont-ils deffendu sur peine de la vie d'y aller, & cō mādé de se tenir prests & armez, tāt ils ont craint és premiers iours apres le massacre, que quelque orage tombast dessus eux, & sur leur estat. Et ce∣la a esté cause, auec la crainte aussi qu'ils auoyent de faire naistre vne guerre ciuile d'entre eux & les cantons Papistes, qui desia, comme ie t'ay dit, e∣stoyent embarquez du costé du tyran, qu'ils n'ōt baillé aucun secours à nos freres: quoy qu'ils con fessassent ingenuement d'y estre tenus & obligez par la loy de Dieu & des hommes.

Bien est vray qu'ils ont monstré & tous leurs suiets aussi d'auoir vn extreme desplaisir & com∣passion de nostre fait: m'asseurant en tesmoigna∣ge de leur bonne volonté que tous les François Huguenots foruscis seront les tresbien venus & seurement cōseruez en leurs terres & qu'ils n'ou∣blieront riē du deuoir de charité enuers eux: mais qu'ils ne pouuoyent du tout rien plus que cela pour maintenāt: desia auoyent-ils recueilly à Bas le & bien fort honorablement les petitsseigneurs de Chastillon, & de Laual, Mesdames d'Andelo & de Teligny, la damoiselle de Laual, & plusieurs autres gentils hommes & peuple François, & aus si bon nombre de Ministres refugiez, qu'ils entre tienent çà & là à leurs despens dessus leurs ter∣res.

Le pol.

Dieu soit loué, de ce que leur charité au moins se monstre en cela qu'ils recueillent libe∣ralement ces ieunes Seigneurs & nos autres fre∣res

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François: ils ne scauroyent mieux condamner toutes les actions du tyran, ses proscriptions & cruautez, qu'en vsant d'hospitalité enuers les po∣ures oppressez qu'ils iustifient en les hebergeant.

L'hi.

Ie t'asseure l'amy, qu'ils le font fort volon∣tiers. Le semblable aussi (ce que i'auois oublié à te dire) font les Seigneurs Protestansi & de mes∣me la royne d'Angleterre par tout son Royau∣me & pays, recommandant les estrangers autant qu'elle peut à se suiets.

Le pol.

Dieu leur vueille rendre, & à tous ceux qui vsent de telle charitē, le guerdon qu'il leur a promis au nom de son fils Iesus Crist nostre Sei∣gneur.

L'hi.

Ainsi soit-il. Or ay-ie acheué de te dire tout ce peu que i'ay exploicté en mon voyage, excepté pour ne point mentir, quelques particularitez se∣cretes, qu'on m'a chargé de faire entendre à ceux qui nous ont enuoy. C'est maintenant à toy l'a∣my, à m'entretenir à ton tour de ton voyage.

Le pol.

C'est bien raison. Sus donc, escoute.

Ainsi que i'approchois la France, par tout là où ie logeois i'oyois tant dire de nouuelles des volleies & inhumanitez qu'ō exerçoit ordinaire ment par les chemins, emmy les champs & par les villes, & ie tenois ce la pour si certain, qu'il me sembloit bien que i'allois à vne mort toute pre∣sente ou bien à vnsecond enfer: tellemēt que peu s'en fallut, tant mon infirmité fut grande, que ie ne rebrossasse mon chemin auec vn voeu de ia∣mais ny rentrer. Et n'eust esté que nostre Dieu, que ie me prins lors à prier me fortifia & me fit

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passer outre sur toutes ces difficultez, i'eusse fuy auec Ionas, plustost que de faire ma charge. A la fin ie m'y hazarday: mais ie ne fu pas si tost en France, que dés la premiere iournee ie m'apper∣ceu trop clairemēt que i'estois au vraymonde des miseres & dans vn royaume de bestes, ou biē plus tost de traistres & brigans. A la premiere hostelle rie où ie logeay, i'entēdy vn qui se plaignoit de la grande cherté de viures: l'autre disoit, les grosses tailles qu'on va redoublant tous les iours, ces grands imposts nous ruinent, nous mangent: & puis les inuentions nouuelles que ces bougres d'Italiens donnent au Roy pour arracher du peu ple tous les deniers de sa sueur, nous acheuent à bon escient de peindre: au diable soyent les A∣theistes: ils vienent la plus part en France pour nous aider à escorcher, pour nous gabeller & nous tondre, & pour succer iusques au sang les poures gens. Les autres y vienent auec vne main de papier, ou auec vn liure de raisons, Dieu sait quel liure: ils dressent apres leur banque dans Pa¦ris, dedans Rouen, ou dedans Lyon: & lors qu'ils ont bourse garnie, ils font le saut, la Banque rou∣te. C'est le vray moyen de gaigner, voire de pas∣ser en credit les plus grands Princes de la France. Et qu'il soit vray qu'on le demande au Peron, u comte de Rets. Tu te trompes, repliquoit l'au∣tre, il est paruenu autrement que tu ne penses le bon homme: ne scay tu pas ce qu'on dit en pro∣uerbe:

Pour bien seruir & loyal estre, De Maquereau on deuient traistre:

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Traistre, Maquereau & Ruffien Ne peut faillir d'auoir du bien.

De par le gibet, c'est le moyen de paruenir. La Royne mere ayāt receu cestuy-là, dont tu parles, entre ses premiers estallons, la recognu estre vn digne instrument pour illustrer la grandeur de sa race, & la Maiesté de ses enfans, pour redresser les ruines de la France, & pour appuyer & soustenir ce poure Royaume, que ceux de Guyse auoyent tant esbranlé: qui, lequel donques? ce Landry, ce fils de putain du Peron: la male peste qui le cr∣ue auec sa dame Brunehaut, repliquoit vn autre poure homme: ils ont fait eux deux plus de mal que ne firent iamais ensemble tous les Lor∣rains & les Guisars: ce n'estoit lors que belles ro∣ses au prix des ronces, dont ceux cy esgratinoy∣ent le poure peuple. Et puis les Lorrains, les Gui∣sars, ce sont des Princes appartenans en plusieurs sortes à la France: & possible aussi que la France leur pourroit bien appartenir.

Mais ces deux-cy ces Florentins, auec l'asne qu'ils ont choisi, ce meschant bougre de Chance lier: ces trois Italiens tant fameux, chacun sai d'où ils sont ve nus: mais on n'entēd pas leurs me nees.

Ie ne scay pas s'on les entend, disoit vn autre, si scay-ie bien qu'on est biē ladre s'on ne les sent.

Ce sont ceux là qui nous ont remis auec le Gonsage, & Lansac, ainsi auant dedans les mise∣res & calamitez, qui nous accableront tous en∣semble.

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Adioustez y le Roy luy-mesmes, & son frere le beau Monsieur: vous nescauriez dire, lequel de tous ceux là vaut mieux que l'autre. Que pleust à Dieu qu'ils fussent tous chastrez comme ils le me ritent. Le chastiment du Parricide, c'est de les iet ter à val l'eau dans vn sac de cuir, biē cousu auec vn serpent, ce me semble, vn coq & vn singe aus∣si. O que cela conuiendroit bien à vn Charles l parricide à Catherine la couleuure, le coq seroit nostre Monsieur, & le Peron seroit le singe: ce se roit assez de ces quatre, les autres auroyent belle peur. On purgeroit tost le Royaume de garne∣mens: ie m'asseure bien, disoit l'hoste, que s'ils s'en vont à la Rochelle, ils n'en reuiendront ia tous: ou il y aura de la iustice aussi peu au ciel qu'en la France. Toutefois ceux-cy n'ont garde d'aller auant dās la meslee, ils craignēt les coups, les tyrans. Mais il y font aller les autres pour en auoir leur passetemps. Hé que de braues gentils∣hommes, que de seigneurs, que de soldats y vont mourir: c'est grand pitié: c'est grand dommage. Si l'estranger nous venoit sur les bras, A dieu la France, elle tomberoit aisement és mains du pre∣mier assaillant, maintenant qu'elle est despour∣ueue & qu'elle s'en vadespouillant iournellemēt de ses bras droits, de ses parreins, ses deffensers.

Voyla la plus part ds deuis que i'entendois te nir à table, aupres du feu dans les logis. Et Dieu scait si ces harēgueurs en despitant à tous propos accompagnoyent leurs beaux discours de iure∣mens & de blasphemes, ie n'eu oncques tāt de re gret, i'estois contraint leur laisser dire, ie n'osois

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point me descouurir ny faire semblāt de mōstrer quel des partis ie maintenois. Cependant i'allois poursuyuant mon chemin, n'ayant eu presque ia∣mais faute d'vn entretien de mesme estoffe selon les gens que ie rencontrois: Dieu voulut qu'vn iour ie trouuay par les chemins deux gentils-hō∣mes de la Religion, qui s'estoyent depuis les mas¦sacre reuoltez de peur de la mort, bien montez & armez de mesmes qui s'en alloyent tout droit au camp assemblé deuant la Rochelle: non pas, ce disoyent-ils, afin de faire mal aux assiegez: que plustost ils mourroyent mille morts que le pen∣ser: ains seulement pour empescher qu'on ne con fiscast tous leurs fiefs & qu'on les rendist rotu∣riers, suyuāt le ban qui en estoit fait & publié par toute la France contre ceux qui refuseroyent de se trouuer en celle armee: & aussi pour plus seu∣rement garantir, eux & leurs familles en mon∣strant l'attestation de leur seruice.

Ces poures gens à demy morts de la fascherie qu'ils auoyent d'auoir offensé Dieu contre leur conscience portoyent vne incredibile regret des cruautez exercees sur nos freres, des trahisons, desloyautez & autres confusions qu'on voyoit emmy le Royaume. Et en souspirant maintefois monstroyent de porter vne enuie de recouurer leur liberté, comme qu'il fust, fust ce au prix de leur vie, si l'occasion si presentoit.

Ceux-là m'asseurerēt que Sancerre, où i'auois enuie d'aller tout premierement estoit de bien pres assiegee, & la Rochelle tout de mesmes, qu'il n'y auoit moyen d'y entrer ou de se glisser dans le

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parc des ouailles qu'en se meslant auec les loups, lors qu'il y a escarmouche dressee: mais que le dā¦ger y estoit grand de toutes parts. Oyant cela a∣pres auoir pris langue d'eux sur ce qu'ils scauoy∣ent de le l'estat de nos freres assiegez: entendant qu'ils estoyent assez blen garnis pour quelques temps & resolus d'eux tresbien deffendre, ieprins mon chemin tout droit vers nos freres du Dau∣phiné, que ie trouuay ē plusieurs endroits de leur poure patrie espars sous diuers Capitaines, qui par montagnes & coustaux, qui par les champs, qui par les villes, par les villages & chasteaux.

Montbrun, Mirebel, l'Edyguier, & auec eux nō¦bre de gentilhommes estoyent ceux-là qui con∣duisoyent nos poures freres ramassez, armez au moins mal qu'ils ont peu pour se conseruer tous ensemble contre l'effort des ennemis, lesquels ils battoyent bien souuent & estoyent battus à leur tour.

Apres que i'eu fait entēdre aux principaux des Chefs & du Conseil l'occasion de ma venue, & qu'ils m'eurēt ouy tout au long, ils remerciere 〈◊〉〈◊〉 beaucoup de fois Dieu & l'Eglise qui m'auoit en uoyé, de la bonne souuenance & cōpassion qu'el∣le auoit de leur estat, des bons auis & sainctes or∣donnances, que Daniel leur auoit dressees: les re¦cognurent fort necessaires à leur conseruation. Mais pour ce qu'il y pourroit auoir des difficul∣tez sur quelques articles: & principalement, quād il seroit question de les mettre en pratique, pour le peu de cognoissance que les Frāçois ont d'vn e∣stat libre, & bien conduit: ayans esté presque tou∣siours

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nourris en seruage, & commandez à ba∣guette comme lon dict, au plaisir de ceux que les Rois leur esleuoyent dessus la teste: Car tel e∣stoit leur plaisir: Ils prioyent que ie ne trouuas∣se pas estrange si eux (qui auoyent estroicte con∣federation, & intelligence auec nos freres de Languedoc, Viuarez, & autres) me renuoyoient auec quelqu'vn d'entre eux au Conseil qu'on tiendra à Nismes, pour ordonner de leur estat & police.

Quant à eux, ils cognoissoyent facilement qu'ils auoyēt besoin parmi eux de ces deux nerfs¦tant excellens pour tenir les vices en bride, & les soldats en leur deuoir: à scauoir de la discipline Ecclesiastique, & de la discipline militaire: ay∣ans au reste tout ce qui rendoit les hommes har∣dits, & vaillans: A scauoir est, la bonne cause, qui rend la conscience toute asseuree, d'où le bon coeur a accoustumé de sortit, & la necessité de se deffendre, qui rend les couards, courageux pour conseruer leurs biens, leurs vies, leur honneur, leur salut, & celuy de leurs familles, contre la ra∣ge de ces traistres, qui les assaillent à credit, d'vn coeur animé à mal faire, alteré du sang innocent, qu'ils estoyent tous bien resolus de iamais plus ne s'y fiet: & de ne plus poser les armes, quelque paix qu'on leur sceust offrir, s'on ne leur bailloit de bons gages, bons ostages, & respondans.

Sur ces mots, de ne poser les armes, pource que le seigneur de Gordes, qui cōmande pour le tyran en Dauphiné, auoit rescrit à quelqu'vn des chefs de nos freres, des letres fort douces, luy

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promettant de la conseruer, & bien traitter, s'il vouloit mettre bas les armes, il y en eut en la cō∣pagnie qui releuerent ces mots (de ne plus les po¦ser) leur sēblant bien qu'ils ne pourroyent moins faire, quand cela seroit commandé par le tyran, (ne voyans pas les bonnes gens, que ç'à esté tou∣siours la ruse des ennemis, de les desarmer pre∣mierement, pour les surprendre plus à l'aise sous le beau manteau de la paix.) L'opinion de eux-cy fut cause que la resolutiō fut reuoquee en dou¦te, & la question mise sur les rengs, à scauoir mon qui premier doit laisser les armes, nos ennemis, ou nous. La matiere fut debatue à plein fonds, pro, & contrà, iusques à ce qu'vn ieune homme, braue, & gaillard qui a l'entendement bien fait, nourry aux letres, & aux armes, & versé en matie∣res d'estat, là resolut en ceste sorte, & presque sous ces mesmes mots.

Si on dispute par le droit, il n'y a celuy qui ne confesse qu'on ne peut iustement requerir quelcū qu'il cesse de parer, de mettre la main au deuant, & de se deffendre, que premier on n'ait cessé de ti¦rer, de frapper, & d'offenser: car estant toute cho∣se qui a vie, naturellement apprinse à la conser∣uer, c'est consequ emment vn ordre du tout natu∣rel, que qui cerche de l'oster, doit cesser, premier que celuy qui ne tasche qu'à la retenir: & ne se peut presumer qu'il en laisse la volonté, tant qu'il en retient les moyens tous desployez entre ses mains. Donc pour vuider ceste question, il faut voir qui est l'agresté, & qui l'agresseur, qui pour∣suit, & qui sauue sa vie▪ qui tire les coups, & qui

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met le bouclier au deuant, & cela fait, elle est re∣solue.

Chacun scait, que quelques mois auātces trou¦bles derniers, les François de la religion monstre rent bien qu'ils se fioyent merueilleusemēt en la parole de celuy qu'ils cuidoyent estre bon Roy, quand ils remirent volontiers entre ses mains, long temps auant le terme, les villes qu'il leur a∣uoit baillees pour s'y couurir cōtre les coups des ennemis publiques de la paix.

Ceste fiance, ne pouuoit estre sans grande a∣mour: ne ceste amour, sans fort prompte obeis∣sance. Ils estoyent tous paisibles, & auoyent tel∣lement effacé de leur esprit toute souuenance de guerre, qu'à peine se souuenoyent-ils où estoyēt leurs armes.

Le 24. d'Aoust par le malheureux Conseil des perfides, proietté de plus longue main, sous l'ap∣past de banquets & nopces, les principaux d'en∣tre eux furent meurtris dans le palais Royal, & dans la capitalle ville du Royaume: ce massacre fut suyui presque par toutes les autres principa∣les villes, contre la volonté du roy Charles neuf∣iesme, (s'il faut croire à ses premieres letres de de¦claration) nonobstant que les officiers de sa Cou¦ronne: ses autres satellites, courtisans, & archers, & les gouuerneurs des prouinces (comme cha∣cun scait) commençassent la tuerie: & que les par¦lemens, & sieges Royaux y tinssent la main: & que les maisons de ville fissent, ou aidassent l'execu∣tion: tellement qu'en l'espace de quelques iours, tous ceux de la Religion qui se retrouuerent és

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villes furent miserablement mis à mort: encores toutesfois ne prismes-nous pas les armes: mais partie de nous se contenta de fuyr, partie de fer∣mer la porte, par vn mouuemēt naturel, à la mort qui nous poursuyuoit.

Finalement quelques vns de nos freres, fon∣dez sur lesdictes letres que le roy Charles auoit escrites, esquelles il declaroit, que ceux de Guyse auoyent commencé ces tueries à Paris, pour pre∣uenir la vēgeance que l'Amiral reguary eust peu faire de sa blesseure, ou ses amis, pour l'indigna∣tion qu'ils en receuoyent, & sur quelques autres declarations qu'il faisoit, que ces Massacres auoy ent esté faits contre sa volonté, & qu'il en feroit la punition, se resolurent de deffendre leurs por∣tes, contre ceux qui auec grosses armees venoyēt pour leur couper la gorge dans leurs maisons: & apres infinies protestations, voyans les glaiues teints du sang de nos freres, apprestez contre le leur, cercherent les moyens de s'en parer, & s couurir au moins mal qu'il leur fut possible. Dont il appert que nous auons prins les armes pour nous deffendre, & non pour offenser autruy, & que par consequent c'est à ceux qui poursuy∣uent nostre mort, de mettre les armes bas les pre¦miers.

La loy ciuile permet à l'esclaue, poursuyui pat son maistre courroucé, l'espee au poing, prest de la luy mettre au trauers du corps, de luy fermer laporte de sa chambre mesme, pour s'y sauuer: & s'il la veut forcer, de la barrer le mieuxqu'il peut: & s'il l'efforce plus outre, de se mettre cōtre luy,

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pour luy empescher l'entree.

Que si ce n'est point le maistre qui fait ceste violence: mais quelques gallands de maistres ser uiteurs, qui sous l'authorité du maistre le veulent tuer, il n'y a doute que la loy ne luy permette en∣cores dauantage. Et si on luy dit, qu'il ouure har∣diment, qu'on ne luy fera point de mal, & qu'il refuse de ce faire tāt qu'on a des armes à la main, il n'y aura aucun qui le condamne: d'autāt qu'en l'espouuantement où il est reduit, ne pouuant, s'il ouure, & qu'on le vueille tromper, auoir re∣cours qu'à se ietter par les fenestres, il ne peut e∣stre asseuré qu'on n'ait point de volonté de luy nuire, tant qu'il voit qu'on en retient les moyens en sa main.

Or les Rois, quand ils sont bons, sont appel∣lez Peres du peuple, & par consequent ils doy∣uent traiter leurs suiets comme enfans. Et la loy qui donnoit aux Maistres puissance de vie & de mort sur les esclaues, (qui depuis fut fort mode∣ree par les Empereurs) n'eut oncques lieu sur les enfans. Dont appert qu'en ce cas, il est beau∣coup plus permis aux enfans, qu'aux esclaues: & plus requis des Peres que des Maistres: estant chose toute asseuree que les suiets doyuent estre tenus en autre reng que d'esclaues.

Quel sera donc l'office d'vn Pere en cest en∣droit, d'vn pere (dis-ie, s'ainsi le faut nōmer) que les enfans, de la bonté desquels il a si souuent a∣busé, ne redoutent pas sans grāde occasion, voy∣ans leurs freres tout freschement morts deuant leurs yeux? Sera-ce seulement de leur monstrer

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bon visage? de leur parler doucement d'vne paix? de leur monstrer la main? Main quand ils la voy∣ent armee d'vn glaiue tout sanglant: quand ils le voyent enuironné de ceux qui les ont tuez, & de leurs plus grands ennemis: mais quand ils scauēt que luy-mesme a commandé tout ce forfait: a a∣uoué tous les massacres, & proietté les trahisons, Est-il possible qu'il le puissent reputer aucune∣ment Pere? Et quand bien ils seroyent si fols, pourrōt-ils bien hausser leurs yeux, pour luy con¦templer le visage, ou prendre garde à ce qu'il dit? Que fera donc vn Pseudo-pere pour oster ceux de desespoir qu'il deust traiter ainsi qu'enfans, & pour les garder s'il poursuit de se precipiter tout outre? Il iettera pour le moins son espee, il lais∣sera toutes ses armes bas. Il fera retirer ceux des∣quels ils se mesfient, Il cassera ses satellites. Il cha¦stiera tous ses bourreaux, condamnera tous ses forfaits. Lors s'approchant de ses enfans, les con¦solera de parole: les deschargera de toute crain∣te, & leur tendra la main plus douce: alors il ne faut parauanture point douter, qu'ils ne s'atten∣drissent, qu'ils ne fondent en larmes, & ne se iet∣tent comme à ses pieds s'ils sont vne fois asseu∣rez que ces Façons luy procedent du coeur.

Que si l'on dit qu'il y va de la reputation d'vn Roy de faire le semblable, ie dy donc qu'il n'est pas honorable à ce Roy-là de porter titre de Pe∣re de son peuple, veu que les titres se donnent pour l'effect, & c'est effet conuient à ce nom-là.

Entre deux combatans en vn duel, il y a de l'hō¦neur à qui fair quitter les armes à sa partie. Entre

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deux Princes, à qui contraindra son ennemy vain cu, desnué de ses armes, hors de tout espoir, de requerir la paix. Car on combat à qui sera le plus fort, & le plus puissant: mais quand entre le Pe∣re & les enfans pour la meschanceté du pere on en vient là, l'honneur du pete est acheué de per∣dre, s'il s'essaye de les vouloir forcer, de leur faire rendre les armes le pied sur la gorge, de les me∣ner en triomphe liez au derriere de son chariot. Ce luy est (dis-ie) vn trop lourd deshōneur de le faire: c'est se rendre ignominieux soy-mesme, & pourchasser sa honte à ses despens.

Son honneur est de se monstrer benin & doux, enclin à pitié, recercher tous moyens de les rega¦gner, & les retirer du desespoir où il les a mis. Et le Prince qui ne suit ceste voye, sous vn faux pre∣texte de conseruer sa reputation, la pert en ce point, & acquiert celle d'vn tyrā inhumain. Pour ce aussi qu'on pense que ses suiets vienent en cō∣petence auec luy, & qu'il veut monstrer qu'il est plus fort qu'eux: comme ainsi soit qu'il deut mō∣strer (s'il luy estoit possible) qu'il est meilleur Prince, qu'ils ne sont suiets: & plus benin & cle∣ment, qu'ils ne sont obeissans.

Les bons Princes, sont estimez estre l'image de Dieu en terre. Dieu auquel les hommes sont plus tenus qu'aux Roys & Princes, veut auoir cest honneur de nous aimer premier que nous luy: & ne le pouuons aimer, que premier il ne nous aye aimez. Il ne se courrouce iamais iniustement, cō∣me les hōmes à toutes heures: & toutefois il cesse plustost de nous hair, que nous luy: & despouil∣le

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plustost ses armes, que nous nostre rebellion.

L'amour est vne vertu nō petite, & naturelle∣ment veut commencer du plus parfaict, du vray Prince, vers ses suiets: du vray pere, vers ses en∣fans, descendant, plustost que montant: & lors par vne certaine reflexion les enfans commencēt à aimer le Pere: les suiets, le Prince.

Et cōme c'est aux peres de cōmencer, aussi est∣ce à eux-mesmes de recōmencer, s'il s'interrōpt & s'ils vienent à desfiance, de cercher les moyēs de les asseurer.

Brief, qu'on considere le droit, ou l'honneur, il est tousiours requis à vn Roy, de quitter les ar∣mes premier, que ses suiets: à plus forte raison l'est-il requis, ô compagnons, à vn tyran, traistre, & perfide, duquel le mieux traité de ses suiets re∣çoit ce mal de luy estre serf, & esclaue, cōre tout droit & deuoir.

Ce ieune homme sembla si vieux, si prudent & sage en son discours, qu'il n'y eut homme en la compagnie qui ne courust de pieds & mains, tout soudain apres son auis: ainsi fut la premiere reso∣lution d'entre eux prise de ne plus se desarmer, pendant que le tyran & ses satellites seroyent ar∣mez, comme de nouueau confirmee par les voix & suffrages de tous les assistans: ausquels suyāt les raisons de ce vieux ieune homme sembla bon d'ainsi le faire: tant pour conseruer la reputation du roy Charles neufieme, auquel, comme à bon pere de famille (car ainsi ausi s'appelle-il soy∣mesme) touche de se desarmer le premier: Que (& plus veritablement) pour garder auec leurs

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vies, ce qu'ils doyuent auoir de plus cher en ce monde. Surquoy ils se ramenteuoyent l'vn à l'au¦tre ce que Nancé capitaine des gardes du tyran, fit par son commandement en la iournee de la trahison, aux gentilshommes couchez en l'an∣ichambre du Roy de Nauarre: lesquels, comme tu scay, il fit tuer, le tyran les regardant d'vne fe∣nestre, à la porte du Louure, apres les auoir tous desarmez de leurs espees, & dagues, & plusieurs autres exemples des anciens, & modernes tyrans qui en ont vsé tout de mesmes.

Et sur tout ils se resouuenoyent, comme d'auer∣tissemens tresnotables, de ce Bordereau de me∣moires qui fut enuoyé, comme tu scay au defunct Amiral, vn peu auant lés nopces tragiques de la soeur du tyran: lequel bordereau, tous eux disoy∣ent vouloir apprendre par coeur, pour ne l'ou∣blier à iamais: ayant comme ils disoyent le mes∣pris d'iceluy esté cause de la ruine & des miseres que nous souffrons tous auiourd'huy.

L'hi.

Voila de bonnes gens, & bien resolus. Dieu les vueille fortifier, & maintenant en leur sainct propos. Il vaut miux estre sage tard, que de ne l'estre iamais: & ne le pouuant estre aux despens d'auruy: il vaut mieux l'estre à ses despens: voi∣re, aux despens de ses freres: (quoy que le prix soit par trop cher) que de ne l'estre point du tout, ny à quelque prix que ce soit: se souuenant qu'ils ont affaire à des ennemis, qui se sont tousiours plus∣tost seruis de nostre simplicité, pour nous nuire, que des moyens qu'ils eussent.

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L'italien nous enseigne vne tresbonne leçon en son meschant petit prouerbe. Non viti fida∣re (dit-il) & non sarai ingannato. C'est à dire ne t'y fie point, & tu n'y sera pas trompé. S'il fut ia∣mais temps de faire son profit de la ruse, & mali∣ce Italienne, il est maintenant. Et s'il y eut iamais gens contre lesquels il ayt esté de besoin d'em∣ployer & le bec, & les ongles, de se seruir de tou∣tes peaux, d'eslancer toute sorte de chiens & de le uriers, voire bien de dogues, François, & Anglois il ne m'en chaut: c'est maintenant qu'il le faut fai∣re contre ces furieuses, & enragees bestes Medi∣ci Valoyses: maintenant. dis ie, qu'il ny any loy, ny foy qui de ces gens retiene la malice. Mais le te prie poursuy.

Le pol.

Apres ceste resolution, deux de la troupe furent ordonnez pour venir auec moy en Lan∣guedoc: afin de faire entendre aux nostres, la con¦clusion de ceux du Dauphiné, & d'en rapporter du Conseil general ce qu'il trouueroit bon de fai¦re pour la conseruation d'eux tous. Estans arri∣uez à Nismes, (où le Conseil de plusieurs prouin ces villes, villages & chasteaux faisans professiō de la Religion, fut assemblé) luy ayant fait enten∣dre le conrenu de ma charge & ceux du Dauphi∣né leur legation: apres qu'ils eurent monstré cō∣bien ils estoyēt ayses de nostre venue: qu'ils nous eurent remercié du bon office que nous faisions: & de la peine que nous prenions pour le corps de l'Eglise Françoise, ils me respondirent, que desia deuant ma venue le Conseil estoit suffisamment auerty de l'arrest, auis & ordonnances que Da∣niel

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auoit donné en nos affaires par vn petit dia∣logue qui a couru imprimé, contenant vn deuis passé d'ētre l'Eglise, Alithie, & nous autres: qu'ils estoyent bien aises de l'auoir veu, & d'estre auer∣tis par le menu des actions de nos ennemis: qu'ils voudroyent bien que les tyrans eussent aussi veu ce Dialogue: afin que cognoissans en telle pein∣ture muette leurs vilanies, ordures, trahisons, & cruautez, que le peinture viue du sang innocent, qui crie vengeance, va tous les iours ramenteuāt, deuant le iugement de Dieu, & l'humanité des hommes, ils apprinsent comme Iudas, estans con uaincus en eux-mesmes de l'auoir fort bien meri té, d'espargner la peine au bourreau, s'estranglās tous à la bonne heure. Que puis que ces perfides n'ont pas eu honte de commettre telle in fame∣tez, qu'on ne doit point craīdre de les publier par tout l'vniuers: & cōme ils ont noircy leurs ames de crimes si execrables, qu'on ne doit point faire difficulté de noicir leurs renommees par la le∣gēde de leurs vies: & quant au reste, il y a certains Catholiques, & autres François, qui ayans hor∣reur de la confusion que ces mastins Florentins, leurs enfans & supposts ont introduit en France: vont ramassant au vray en tous lieux & places le surplus de leurs faits & gestes qu'ils mettront en lumiere au premier iour, auec la legende secrete des honnestetez de la cour, & feront aussi toucher au doigt à toute la Noblesse & peuple François endormy d'vn trop profond somne les indigni∣tez, extorsions & pilleries insupportables que le tyran & ses satellites, hors de la Religion (de la∣quelle

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ils n'ont cure) seulement en ce qui touche la police, estat & gouuernement du Royaume, e∣xercent iournellement sur les biens, vie & hon∣neur des poures François. S'asseurans que ce se∣ra vn bon moyē pour faire qu'il s'en trouue quel ques vns d'entre vn si grand & comme infini nom¦bre d'esclaues & forçats, qui seront contraints de honte, ou de regret plustost au prix de leurs vies de recouurer leur liberté auec celle de leurpatrie.

L'hist.

Telles gens meriter ont bien, si Dieu veut qu'aucuns il s'en trouue, qu'on leur dresse des sta¦tues, ainsi qu'à des liberateurs & peres de toute la France. Et ne doute pas si cela auient (comme il est tresnecessaire) que tout le Royaume ne repo∣se, quiconque soit que l'on eslise pour s'asseoir au¦throne vacant. Iamais le fils de ce iuge inique, que Cambyses fit escorcher pour orner le siege iudicial de sa peau à cause des torts & iniustices qu'il faisoit au peuple de Perse, ne fut plus hom∣me de bien estant assis sur la peau de son pere, que seroit celuy qui succederoit au tyran, quand bien seroit vn de ses freres: considerant la mal∣heureuse fin où la tyrannie conduit ceux qui l'e∣xercent. Mais ie te prie comme s'est fait cela, que l'on ait imprimé nos deuis que nous eusmes auec Alithie? Et qui est ce qui les peut auoir redige si tost par escrit?

Le pol.

Ie ne te le scaurois dire, si d'auenture ce n'est Eusebe Philadelphe qui fut present à nos di scours. Mais tanty a qu'ils sont imprimez, enco∣res m'a on fait entendre qu'vn Catholique en a esté Imprimeur: & qu'ils en a vendu luy mesmes à

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beaucoup de ses cōpagnons auec vn certain autre liure qu'on nōme des fureurs Frāçoises, qu'vn Al¦lemā fit en Latin tost apres les iours du massacre.

L'hi.

Nous sommes tous tenus à ceux qui s'essay∣ent de nous remettre le coeur au ventre, comme on dit. Dieu vueille que tout cela serue à resueil∣ler les sept dormans.

Le pol.

On m'a dit qu'il a ia serui & seruira enco∣re d'auantage, n'en doute pas. Les fers sont biē fort eschauffez. Mais, pour reuenir à mon dire, le Conseil de Nismes me fit aussi entendre en ce que touche les quarante articles de la police de Daniel (car autāty en a-il de marquez en ce Dia∣logue imprimé) qu'ils les trouuoyent fort bons, saincts & dignes d'estre obseruez & gardez en ce principalemēt, qui touche la discipline Ecclesiasti∣que & la discipline militaire qu'ils confessoyent estre la bride, l'esperon, lespee & le bouclier l'v∣ne de l'autre: & toutes deux ensemble la targe, la garde & le soustien de nous tous: ils trouuoyent aussi fort necessaire le dernier d'iceux articles, suyuant lequel nos freres du Dauphiné se sont re solus de ne iamais plus se desarmer, qu'ils auoyēt arresté de faire aussi le semblable, iusques à ce qu'ils voyent la tyrannie bas & court bridee par nos ancienes loix de la France auec des bons & bien asseurez gages, gardiens de la liberté ciuile des François. Et cependant ils auoyent euuie de dresser & entretenir apres tant de malheurs, qui leur sont auenus par leur sotte crudelité, vn estat asseuré, qui approchast tant que faire se pourroit de celuy qui estoit iadis en leurs prouinces.

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Pour ce faire ils auoyent donné charge à sept des plus auisez obseruateurs de l'antiquite de re∣cueillir de tous les bons liures qui traitent l'hi∣stoire & estat ancien des François & Gaulois, l'or dre, police & forme de gouuernement qui estoit parmi eux, auant que la tyrannie fust en regne: & particulierement celuy de leur patrie du temps que la religion en fust chassee, pour ramener le tout à leurs principes.

L'hi.

C'est tresbien fait: pleust à Dieu que i'y fus∣se pour leur en dire ce que i'en scay. Le docte Pasquier en son liure des recerches de la France, releuera grandement de peine ces sept deputez. Et le grand Hotoman en sa Francogaule, qu'il a mis de nouueau en lumiere les en iettera hors du tout tant il cotte dextrement les passages qui peu uent seruir en ce fait.

Ce seroit vne belle chose, si l'on pouuoit (en retenant l'anciene religion) que les Albigeois du temps du comte Raymond: les poures de Lyon, ceux de la vallee de Pragela, ceux de Cabrieres & Merindol ont tenu & que nous tenons auiour∣d'huy plus dépuree Dieu mercy) ramener cest e∣stat present tout confit & rouillé en vices au mo∣delle de ce temps-là. C'est vn auis que tu scay biē estré le souuerain remede à vn estat du tout pour ry & prest à cheoir comme est celuy de France.

Le pol.

Cela est certain: & s'appelle radresser, non pas renuerser l'estat, le ramener à son principe. Et pour certain ces bonnes gens, pour la part qui les touche, sont sur le point d'en venir là.

L'hi.

O le beau troit que ce seroit! pourueu qu'il

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fust suyui des autres pays de la France. Ce seroit vne belle pierre philosophale, pour enrichir les poures gens qui sont rongez iusques aux os par les enfans de Catherine. Au moins seroyent-ils deschargez des imposts & tailles nouuelles.

Le pol.

Tu dis vray. Quant au surplus de la poli∣ce & l'ordre de Daniel, le Conseil a esté aussi d'auis de le pratiquer en substance, retenant tou∣iours toutefois les noms des charges & estats ac∣coustumez en leurs prouinces. Vray est qu'ils co∣gnoissent, qu'il y aura grande difficulté aux Ele∣ctions és premieres charges, pource, que le peu∣ple n'est pas accoustumé d'aller, comme l'ancien Romain querir leur Dictateur, leur maieur ou gouuerneur à la charrue apres les boeufs. Et leurs gouuerneurs n'ont iamais accoustumé, comme vn Quintius Cincinnatus, de retourner à la char rue apres que la guerre est passee ou que leur char ge est expiree.

Ains au contraire vn Caporal veut estre quād & quand sergeant, le Sergeāt veut estre enseigne, l'Enseigne lieutenant, le Lieutenant Capitaine. Et ainsi tousiours en auant sans s'abbaisser ny se desmettre, en danger de monter trop haut.

L'hi.

Voila qui va mal. Les Romains quoy qu'ils fussent autrement ambitieux & cupides d'hōneur & gloire auoyent en telle recommādation le biē & honneur de leur Republique, qu'ils quittoy∣ent volontiers du leur pour le salut de leur pa∣trie. En cest endroit principalement ils auoyent cela de bon qu'ils ne re fusoyent point d'aller cō∣me personnes priuees en vne armee, à laquelle

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l'annee au parauant ils auoyent commandé en chef.

Quintus Fabius ayant esté Cōsul marcha gay∣ement sous son frere Marcus Fabius. Et Man∣lius Consul en vne armee contre les Toscans, ne refusa de se trouuer en la bataille commandé de ceux qui luy auoyent obey. C'est vn ordinai∣re à Rome que celuy ne desdaignoit pas d'acce∣pter la petite charge qui auoit exercé la plus grande.

Et combien que cela ne semblast pas honora∣ble pour le priué, si estoit-il bien fort vtile pour le public: car à la verité dire vne Republique se doit beaucoup plus asseurer & esperer d'auātage és deportemens d'vn citoyen qui d'vn grand de∣gré descend volontiers au bas ou mediocre, que non pas de celuy qui ne tasche qu'à monter & à deuenir grand. A vn tel on ne se peut guere bien raisonnablement fier s'on ne l'accompagne tou∣siours de gens de tel respect, de telle vertu & repu¦tation qui peussent par vn graue & prudent Con∣seil & par leur authorité moderer le desir de nou∣uelieté & de temuement qui se pouroit facile∣ment loger dedans le coeur & cerueau d'vn tel homme.

Le pol.

Il est ainsi. Et aussi nos freres esperent que la Noblesse fille naturelle & legitime de la vertu & prudence, qui a sa vraye source de la crainte de Dieu, se lairra tellement conduire au desir qu'el∣le a de voir le regne de Dieu auancé, & l'Eglise conseruee, qu'elle fera fort aisement tout ce qui pourra appartenir au bien d'vn si precieux serui∣ce

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& à la liberté de son estat & de sa patrie, pre∣posant cousiours le public à son particulier pro∣fit.

Que le peuple aussi respectera de tant les No∣bles qui logeront ceste vertu, mere-nourrice de Noblesse, qu'il n'y a rien qu'ils ne facēt pour leur obeir en ce qui sera de leur charge, & pour les honorer en priué autant qu'ils peuuent desirer d'eux. Et qu'au reste tous ces deux Estats se sou∣uiendront auec celuy de la Iustice de ce que Va∣lerius Coruinus qui fust fait Consul dedans Ro∣me le vingt roisieme an de son aage dit pour lors à ses soldats: que le Consulat estoit le guerdon & le prix de la vertu & non du sang. Et aussi tous ensemble par vne bonne intelligence s'en iront cercher la vertu & la suffisance, là où elle sera lo∣gee, sans respect de l'aage ou du sang, pour l'esle∣uer en tel degré qu'ils cognoistront estre propice pour leur commun bien & salut.

L'hi.

Si cela est bien pratiqué ce sera vne belle chose. Aussi si cela ne s'y trouue, i'espere bien peu de leur fair.

Le pol.

Ne doute pas qu'il ne se face, i'en ay bon gage, Dieu mercy, il feroit bon voir que ceux-là qui professent vn Iesus Christ, fissent conte de leur honneur au detriment de son Eglise, & à la perte du troupeau: ou que l'ambition malheu∣reuse regnast, ou l'esprit de Dieu doit auoir sou∣uerain Empire.

L'hist.

Ia n'auienne, ce seroit assez pour tout rui∣ner. Car ceste ambition a tousiours ruiné les Re∣publiques.

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Le pol.

Ne crain pas, tout ira bien, Dieu aidant. Au surplus touchant les autres principaux arti∣cles de la police de Daniel, comme i'ay dit, ils sont resolus de les pratiquer en substance, singu∣lierement le 17 où il est parlé d'eslire au Maieur general, ou gouuerneur cinq ou sixlieutenans, nō pour commander tous à vn coup, ains vn apres la mort ou desmise de l'autre, la mort dis-ie, qui en peut auenir ordinairement ou extraordinairemēt par l'aguet ou poison de l'ennemy, pource que ce bon nombre de lieutenāts conseruera le Chef & les membres en plus grande seureté: le Chef, pourautant que l'ennemy dira, pourquoy le fe∣rons nous tuer? Ily a des lieutenans qui feront possible mieux que luy. Les membres, pour ce que le Chef mourant ils ne seront pourtant des∣prouueus de chef, comme il nous est auenu en ce dernier massacre du mois d'Aoust, à nostre tres∣grand regret & ruine.

Le Conseil trouua aussi fort bons les 22 23 & 24 articles de Daniel. Le 22 leur sembla tresne∣cessaire pour deux raisons: l'vne pour empescher que aucun des chefs ou quelque autre citoyen, n'attente ny entreprenne rien sur & au preiudice de leur commun estat & liberté ciuile: l'autre, pource que cela auenant, ou estāt faussement cui∣dé & creu par le peuple & imposé à quelcun des grands, le peuple aura dequoy s'en resoudre en proposant l'accusation, & poursuyuant l'accusé si besoin est, pour le rendre conuaincu, le faire cond amner & punir selon que le merite le re∣querra.

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L'hi.

Cela va bien. Car autrement il pourroit a∣uenir tout plein d'inconueniens, s'il n'esoit loisi∣ble d'accuser les plus grands. Et s'il n'y auoit or∣dre suffisant estably pour les chastier, Quelque'vn pourroit comploter auec l'ennemy: le peuple ia∣loux de sa liberté ne pourroit que mal volontiers souffrir ses desportemens, on luy dresseroit des parties. Celuy-là se voudroit preualoir de ses a∣mis, on viendroit de là aux factions & partialitez & moyens extraordinaires, qui sont la ruine des estats libres. Ou s'il estoit loisible de calomnier & faire courre de faux bruits par cy par là contre vn chacun: cōme il est auenu maintesfois qu'on a mis à sus aux plus gens de bien qu'ils auoyent desrobé le thresor publique, à d'autres qu'ils pou uoyent bien prendre vne telle ville s'ils eussent voulu, & à d'autres qu'ils ont vendu plustost que rendu par force vn tel chasteau, & plusieurs au∣tres telles calomnies.

Si, dis-ie, il estoit impunément permis de ca∣lomnier, il n'y auroit homme de bien, qui ne fust desgouté de sa charge, l'ennemy se pourroit pre∣naloir de telles fautes, & en somme tout iroit en cōfusion. Comme il cuida auenir à Rome, apres que Furius Camillus l'eut deliuree des mains des François.

Il sembloit bien que tous les citoyēs Romains sans faire tort à leur reputation deuoyent ceder à la vertu de ce grand Camillus, comme de leur liberateur, & à la verité aussi chacun luy defferoit volontiers le premier reng. Le seul Manlius Ca∣pitolinus ne pouuoit supporter de le voir en tel

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le reputation & credit, esmeu d'vne meschante e∣mulation & ialousie, & d'vne bonne opinion de soy-mesme: luy semblant bien d'auoir pour le moins merité en sauuant le Capitole des mains des François, autant que meritoit Camillus en les dechassant du tout. Cela fut cause que tout ou tré d'enuie ne se pouuant contenir pour la gloire & tenom de Camillus, il alla semāt parmi le peu ple plusieurs faux bruits encontre luy, & contre les Senateurs Romains, pour les mettre en mau∣uaise opinion enuers le peuple. Entre autres cho ses il disoit que le thresor qu'on auoit assemblé pour bailler aux François & racheter le Capito∣le, auoit esté vsurpé par quelques vns des grands: que si on le pouuoit rauoir on le pourroit conuer tir au profit publique, soulageāt d'autant le peu∣ple des tributs ordinaires, ou en acquittant quel∣que autre debte. Ces faux bruits, ceste calomnie sembla de telle importance & de si dangereuse consequēce au Senat, qui voyoit desia comme le peuple commençoit à tumultuer, qu'il fut con∣traint, pour remedier à la desunion & desordre qui s'en pouuoit ensuyure, de recourir au moyen extraordinaire, qui estoit accoustumé parmi eux és extremes dangers: scauoir de creer vn Dicta∣teur dedans Rome pour conoistre de ce fait.

Le Dictateur creé, il fait appeller Manlius de∣uant luy, & estant le Dictateur conduit au milieu des Senateurs, & Manlius au milieu du peuple en vne place publique. Là, Manlius fut interrogué de ce qu'il scauoit du thresor publique, & luy fut eōmandé de dire entre mains de qui il le cuidoit

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estre, que les Senateurs auoyent aussi bonne en∣uie de le scauoir comme le peuple. Mais pour ce que Manlius n'en respondoit point pertinēment, ains en tergiuersant disoit qu'il n'estoit ia besoin de leur dire ce que eux-mesmes scauoyent trop mieux, il fut mis en prison par l'authorité du Di∣ctateur, qui de calomniateur fit deuenir par ce moyen Manlius accusateur. Et estant par apres sa fausseté & enuie cognue fut chastié, comme il le meritoit.

Par là & par autres exemples auenus en beau∣coup de Republiques mal ordonnees l'on peut voir aisément, combien de maux peuuent auenit en vn estat grand ou petit au detriment de la li∣berté ciuile: si cest ordre & liberté de pouuoir ac∣cuser quiconque soit d'entre les grans ny est esta¦bly. Nostre Frāce depuis que l'ordre des trois e∣stats a esté supprimé, que les offices de Iudicatu∣re de Conseillers & Presidens, &, pour le dire en vn mot, depuis que la police & la iustice a esté e∣stouffee & corrompue, vendue en gros & en me∣nu en a produit d'exemples lamentables.

Il ne faut que se remettre en memoire les ca∣lamitez auenues pour le massacre fait à Vassy par le duc de Guyse: & celles qui ont ensuyui la con∣iuration du Triumuirat, contre lequel nul n'o∣soit mot sonner, quoy que l'on sceust ses entre∣prises.

Ausquelles on n'osa s'opposer qu'auec vne biē forte armee, laquelle suyuie de plusieurs guerres ciuiles a fait tomber la poure France de la fieure en vn chaut mal, comme l'on dit.

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Le pol.

Cela n'est que trop veritable: Or ces rai∣sons & exēples auec quelques autres semblables, qui furent amenez, ont esté cause que nos freres de Nismes se sont resolus, comme ie t'ay dit, d'e∣stablir cest ordre parmi eux. Sachans l'auantage qui leur en peut reuenir, & le bien que la creatiō des Tribuns du peuple (qui estoyent les gardiēs de la liberté ciuile & qui pouuoyent à vn besoin former les proces aux plus grands) a apporté à l'anciene Rome du temps d'vn Martius Coriola∣nus & autres semblables esprits qui estoyent reto nus en crainte par l'authorité d'vn tel magistrat.

Quant au 23. article, ce qui le leur a fait approu uer a esté la souuenāce qu'ilsont des desbauches & licence à mal faire que la pratique contraire a cause par cy deuant en leurs armees, & en leurs villes & retraites. Si d'auenture il aduenoit qu'vn gentilhomme, vn capitaine ou soldat qui eust fait quelque force, larcin, meurtre, ou autre telle veil laquerie fust condamné à mourir, a estre harque∣bouzé, ou à passer par les piques. Si cestuy-là mes mes auoit fait quelque bon seruice au parauant, il n'y auoit pas faute de quelques fauoriz des grās qui venoyēt soudain aux requestes interceder en uer le chef pour la vie du condāné, qu'ils disoyēt estre bon soldat, ou quelque braue gētilhomme, qu'il estoit biē à cheual, qu'il tiroit bien l'arque∣bousade, que c'estoit grand dommage de le faire mourir, & autres semblables remonstrances, voi∣re bien souuent remonstrāces de ce qu'il n'auoit iamais fait, par cest artifice ils importunoyent tel lement le chef qu'ils se faisoyent dōner le crimi∣nel,

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& faisoyent aller en fumee tout iugement & condemnation. Dont il aduenoit que le conda∣mné au lieu de s'amender alloit multipliant ses fautes, cuidant que tout luy fust permis sous cou∣leur qu'on le pensoit estre braue, gaillard & bien adroit soldat.

L'hi.

Cela est bien fort dangereux: il n'y a celuy qui ne condamne le fait des Romains en sembla ble cas, quand pour les merites d'Horace, qui par sa vaillance auoit vaincu les Curiaces, & rendu par ce moyen-là Rome maistresse des Albains, ils luy remirent la fratricide qu'il auoit commis enuers sa soeur, laquelle il meurtrit au retour de sa victoire, pour le regret qu'elle portoit d'y auoir perdu son mary. Au lieu qu'Horace deuoit estre chastié par supplice de mort, cōme il le meritoit tresbien.

Il vaut beaucoup mieux pratiquer ce que les Romains plus auisez firēt par apres enuers leurs citoyens & soldats en remunerant les bienfaits & bons seruices de quelque hōneste petit guerdon selon la portee de la republique & dispensation du temps: & en chastiant rudement les vices & les laschetez, cōme ils firent enuers Manlius Ca∣pitolinus. Auquel pour auoir sauué le Capitole, comme ie te disois n'agueres, ils donnerent vne petite mesure de farine (present assez conuenable pour ce temps-là) en recognoissance de sa vertu, & ne laisserent pas pourtant de le condamner & ietter apres du haut en bas du mesme Capitole qu'il auoit peu deuant gardé, à cause de la seditiō qu'il auoit cuidé faire naistre dedans Rome par

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son enui & meschante nature.

Le pol.

Il vaut beaucoup mieux, vrayement ausi nos gens en sont bien là logez.

Quant aux 22 & 24 articles, nos freres cognois sans de quelle importance ils sont, n'ont garde de faillir à les obseruer, ains en sont du tout resolus. Ils scauent qu'aux guerrespassees ceux des enne∣mis ausquels ils donnoyentla vie, ceux qu'ils pre noyent à mercy les laissant aller bagues sauues, comme il est aduenu souuent, le lendemain ou l'autre apres, au lieu de leur sauoir bon gré de la vie qu'on leur laissoit venoyent pour rauir la leur se monstrans plus cruels & rudes qu'ils n'auoyēt esté parauant. Ainsi donc que les brigands s'as∣seurent de n'en auoir pas bon marché, si Dieu les baille entre les mains de quelcun de nos gallans hommes, ils sont resolus, ne te chaille.

L'hist.

Voire mais. Les ennemis en pourront faire autant aux nostres.

Le pol.

Tu dis vray s'ils leur tombent entre les mains. Mais aussi que penserois-tu, que tost ou ard ils veulēr faire si nous leur venons entre les mains, quoy qu'ils nous promissent la vie, si ce n'est de ruer, empoisonner, faire mourir ou nous forcer, que ie repute beaucoup pire?

Or ceste resolution de nos freres de ne prēdre à mercy aucun des ennemis seditieux & armez, fe ra trembler nos ennemis, qui nous assaillent & of fensent contre leur cōscience & contre tout droit d'humanité pour complaire au desir du tyran, fe∣ra, dis ie, reboucher leur fer à la premiere goutte de sang qu'ils sentiront couler de leurs corps eux

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qui combattent de gayeté ou plustost de malice de coeur sans y estre contraints, & fera qu'à la fin personne ne voudra venir à la guerre, ou porter armes contre nous quelque commandemēt que le tyran leur en face, nous voyans ainsi resolus. Desia y en a-il beaucoup qui se tienent bien loin des coups & tirent leur espingle arriere, aimans mieux estre reputez couars & recreus, que fols & meschans tout ensemble, en se faisans battre à cre dit. Surquoy ie te veux dire vn trait, qui passe en∣cores bien plus outre, du ieune Candole, que tu cognoissois beau-frere de ceux de Montmoren∣cy. Estant en l'armee que le mareschal Danuille auoit assemblé deuāt Sommieres que les nostres tenoyent, & qu'ils ont rendu à la fin, sous honne∣ste composition, que Danuille a gardee aux no∣stres, dont le tyran ne luy scait point de gré. Estāt dis-ie là au camp ce ieune seigneur de Candole, & voyāt tant de seigneurs, capitaines, gentilhom mes & soldats que les nostres faisoyent mourir en se deffendant vaillammēt, il a dit & beaucoup de fois à son beau-frere Danuille en iurant & blasphemant: hé que nous sommes fols mon fre re de nous faire ainsi blesser, battre, meurtrir & tuer à l'appetit de ces meschans (parlāt du tyran, de sa mere, de ses freres & conseillers) qui nous ont meurtri nos parens, nos amis & nos alliez! Et qui nous payeront aussi quelque iour en mesme monnoye.

L'hi.

Ce trait vaut bien qu'on s'en souuiene: Can dole auoit bon iugement. Mais qu'est-il deuenu le poure homme?

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Le pol.

Il est mort en ce siege-là, & auec luy durā le siege plus de cinq ou six mille personnes des en nemis y ont esté tuez: ie te conteroye bien tout au long le commencement, le milieu & la fin de ce siege: mais ie serois trop prolixe, i'interrom∣prois mon propos & aussi tu le pourras voir tout à loisir auec le discours du siege de la Rochelle & de Sancerre: tout cela est imprimé, & ie le porte auec moy, ie te le monstreray demain si tu as loi∣sir de le voir.

L'hi.

Ie t'en prie beau Sire: mais retourne sur ton discours.

Le pol.

Comme ie te disois, ceste derniere resolu∣tion des nostres de pratiquer toute extremité de rigueur contre nos ennemis, auec ce qu'on les a desia biē frottez Dieu mercy par tout où ils sont venus, refrenera vn peu leur rage, & refroidira leur cholere. D'autre part elle enflābera le coeur des nosttes, qui combattans pour la necessité & deffense d'vne bonne cause sembleront des demi Cesars estans resolus de bien obeir à leurs chefs, de porter patiemment les trauaux de la guerre, & de vaincre ou de mourir, si l'on vient aux mains & au combat, plustost que de iamais se rendre.

L'hi.

Il n'y a rien qui face mieux vaincre, qu'vne saincte obstination en vn combat ou en bataille, supposé que tout soit rengé, & que le fondement soit bon: il me semble que dix des nostres en de∣uroyent combatre cinq cens de tels volleurs, de tels brigands, comme sont tous ces satellites.

Le pol.

Cela est sans doute: aussi pour dire la ve∣rité ils les ont tres bien estrillez. Or quant au 33.

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article de Daniel touchant la douceurt, de laquel∣le il veut qu'on vse enuers les Catholiques paisi∣bles: Cela est bien tout arresté qu'il ne leur sera fait aucun outrage ne force en leur conscience, honneur, vie & biens: ains seront conseruez en paix & amitié comme bons compatriotes & fre∣res bien aimez.

Sachans bien le regret que portent telles gens des extorsions & cruautez, dont on vse en nostre endroit, & l'enuie qu'ils ont de voir la tyrannie bas, & les anciēs ordres de la Frāce remis au des∣sus. A causé dequoy tant s'en faut qu'on les vueil le surcharger, qu'au contraire on les espargnera, autant qu'il sera possible aux contributiōs qu'on sera contraint de faire pour nostre conseruation, chargeans plustost les nostres que ceux-là.

Quant aux Euesques, prestres, moynes, & au∣tres gens de l'Eglise papale, qui ne porterōt point les armes & qui seront contens de viure parmi nous sans rien attenter, & sans esmouuoir ou se∣duire le peuple qu'ils auoyent deceu, ie scay aussi qu'on leur donra moyen de viure bonnement, & le mieux qu'il sera possible. Le surplus de leur reuenu sera pour descharger le peuple.

L'hi.

Ce sera vn ordre parfait, s'ils pratiquēt tous ces articles.

Le pol.

Ne doute pas qu'ils ne le facent, si Dieu leur preste sa faueur. Mais pour te dire le surplus que i'ay apprins en mon voyage: apres la resolu∣tion prinse en ce Conseil, sur beaucoup d'autres choses necessaires pendant que i'estois de seiour à Nismes, mal dispos à voyager, nous receuions

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tous les iours letres de ce qui se passoit dedans & dehors la Rochelle, nous entendismes que apres que la Rochelle fut de toutes parts assiegee par les Iannissaires du tyran, ses deux freres y arriue∣rent le 15 de Feurier 1573, menans le Roy de Na∣uarre, le prince de Condé, & le ieune comte de la Rochefoucaut, comme en triomphe deuant eux, auec bon nombre de Seigneurs Catholiques, de courtizans, d'Atheistes, d'Epicuriēs, de blasphe∣mateurs, de Sodomites, & d'autres tels officiers, que le tyran auoit chassé d'aupres de luy & de sa cour, non qu'il fust mary de voir tels galans pres de sa personne: ce sont ses mignons fauoris, ce sont ses appuis & soustien & les delices de sa Me∣re: ains tout despit, tout enragé, blasphemant tou siours de cholere, de ce qu'vn chacun n'alloit pas comme il commandoit, en l'armee.

Depuis l'arriuee du duc d'Aniou, les Rochel∣lois furent assiegez de plus pres, battus de beau∣coup plus de pieces d'artillerie & en plus d'en∣droits furēt minez, escallez, assaillis & trauaillez en toutes sortes dont l'ennemy se pouuoit auiser. Eux de leur part faisoyent le plus souuent sorries braues & gaillardes, assaillans courageusemēt les ennemis iusques dans leurs trēchees & les estril lans tellement le dos, sous le ventre & par tout, que plusieurs de nos ennemis contraints d'aban∣donner la vie, quittoyent les charges lesplus bel∣les à leurs compagnons suruiuans, qui bien sou∣uent ne gardoyent guere ce qu'on leur auoit de∣laisse, estans les plus marris du monde de ce que nos bons Rochellois les visitoyent par trop sou∣uent:

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& de ce qu'il les repoussoyēt trop rudement de leurs murailles, soustenās mieux qu'ils ne vou loyent & plus longuement leurs assauts. Nous sceusmes que le seigneur de la Noue qui par grād merueille & admirable prouidēce de Dieu auoit eschappé les fillets des traistres, se trouuant lors du massacre de Paris dās Mons en Haynaut qu'il auoit aidé à surprendre par commandement du tyran, duquel ils attendoyēt secours suyuāt sa pro messe donnee: nous sceusmes, dis-ie, qu'il estoit reuenu en France & à la cour, apres la reddition de Mons, sous l'asseurāce du duc de Longue-vil∣le & le saufconduit du tyran: nous sceusmes qu'il estoit entré dés le commencemēt des approches dans la Rochelle accompagné de l'abbé Gada∣gne auec charge expresse, que le tyran luy auoit donné de diuertir s'il estoit possible les Rochel∣lois de leur constance & opiniastreté, qu'ils appel lent de se deffendre, & de leur promettre bon trai tement, s'ils se vouloyent laisser tuer auec liberté de conscience. A ceste nouuelle plusieurs d'entre nous furent extrememēt marris de ce que ce gē∣tilhomme auoit accepté telle cōmission. Les au∣tres estoyent faschez simplement, de ce que au sortir de Mōs il n'estoit allé en Angleterre, en Al lemagne ou en Suisse, pour seruir à ce qu'il eust peu plustost que reuenir en Frāce. D'autres excu soyēt son retour, à l'occasiō de ses enfans qu'ō luy detenoit dessous garde, qu'il deuoit tascher de les rauoir: & qu'il n'auoit de moinspeu faire que d'ac cepter cōtre son gré vne charge ant des honeste: quelques autres estoyent bien aises, qu'ō luy eust dōné telle commission.

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Croyant bien que cest homme là ne pourroit que beaucoup seruir pour faire sagement resou∣dre du chemin le plus expedient, les citoyens de la Rochelle. En somme les vns en parloyent d'v∣ne sorte, les autres d'vne autre. Quant à moy en telle diuision & partialité d'opinions, ayant sceu que le seigneur de la Noue, pour tout cela ne s'e∣stoit point souillé en Idolatrie, recueillant de là vn tesmoignage de sa bonne conscience, ie suspē∣di, comme ie tiens encores suspendu, mon iuge∣ment de son affaire: ne voulant rien temeraire∣ment prononcer d'vn gentilhomme si bien qua∣lifié que cestuy-là, que i'ay aimé & honoré, com∣me ie desire de faire tout le reste de ma vie. Tant y a que nous sceusmes, comme ie t'ay dit son arri uee dans la Rochelle, ce qu'il proposa aux Ro∣chellois, le peu qu'il y exploita pour le tyran, cō∣me il s'en retourna à bast vuide à la cour.

Nous sceusmes qu'il fut enuoyé pour la secon de fois auec le mesme Abbé & vne charge vn peu plus ample à la Rochelle: & qu'à ceste secon∣de fois y estant rentré, n'ayant rien peu negotier de sa charge au plaisir du tyran il estoit demouré pour gage dans la Rochelle, ayant renuoyé son Abbé pour annoncer les nouuelles à son maistre de la grande obstination des bons Rochellois.

Or si l'arrest & seiour que le seigneur de la Noue fit dans la Rochelle seruit ou non aux bon nes gens, ie ne t'en puis dire autre chose pour n'y auoir point esté durant ce temps-là. Tant y a que i'ay depuis ouy dire aux Rochellois mesmes, & au seigneurde l'Anguillier, qui estoit de sa tenue:

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que les Rochellois apres Dieu doyuent au sei∣gneur de la Noue, tout ce qu'ils ont du premier coeur & de l'asseurance qu'ils eurent sur ces pre∣miers commencemens, qu'il leur mit le coeur au vētre, qu'il les ordonna mieux qu'on ne scauroit dire, qu'il les aguerrit leur faisant faire plusieurs bonnes & belles sorties auec leur auantage qui leur seruoit de bonne curee, luy estant tousiours le premier à la meslee, & le dernier à la retraite.

Au surplus pource que le siege continuoit lō∣guement deuāt la Rochelle, que les bleds & pou dres approchoyent de leur periode, & l'esperan∣ce d'estre auituaillez alloit tousiours amoindris∣sant. Les Rochellois ayans pour leur conserua∣tion fait tenter toute sorte d'honnestes secours & remedes, furent contraints à la fin de regarder comme de nouueau à leurs titres & liberté, pour scauoir au vray quelle estoit l'obligation que pre tendoit la maison de Valois sur eux, s'elle s'esten doit iusques là de leur pouuoir rauir leurs vies, leurs biens, leurs honneurs & celuy de leurs fem¦mes, & leurs familles: & iusques à les faire per∣dre & damner auec tous les diables pour faire ser¦uice aux Valois, comme ils demandoyen t en sub¦stance. Surquoy ayans trouué par escrit en bon∣nes & ancienes pancartes, que l'obligation estoit fort petite & bien aisee, sous des conditions tou∣tefoisqu'on leur auoit souuent rompu, eux ayans tousiours de leur part plus satisfait, qu'à leur de∣uoir. Et que lors c'estoit à tout rompre: apres a∣uoir fait clerement voir leurs droits au Conseil, qui pour ce fut assemblé d'entre eux & qu'ils cu∣rēt

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à vn autre fois recueilly l'auis sur ce poīt, trou¦uant le seigneur de la Noue differēt bien fort d'o¦pinion d'auec leur auis tout courant, pour des rai sons qu'il alleguoit, dont le peuple ne se pouuoit satisfaire: ils commencerent dés l'heure à mal e∣stimer & parler de cest homme tant renommé, iusques là qu'il fut contraint, craignant que mal ne luy auint sauter, cōme on dit, de la poile & se ietter dedans les braises, accompagné de Cham∣pigny & de quelques autres amis, auec lesquels il s'alla rendre, ainsi que nous fusmes auertis le me credy onzieme iour de Mars en l'armee du duc d'Aniou: duquel selon l'apparence il fut recueil∣ly volontiers & asseuré de sa personne. Il ne fut pas si tost en l'armee de l'ennemy, que les soldats par dessus les rempars luy reprocherent qu'il a∣uoit delaissé Syon pour aller en Egypte: mais i'en espere proù de bien.

Durant le siege, à ce qu'on nous rapporta, nos freres de la Rochelle ont souuent parlementé a∣uec le duc d'Aniou touchant quelques moyens de paix, de laquelle l'ennemy oyoit fort volōtiers parler se voyant frustré de l'eperāce de pouuoir forcer la Rochelle, pource qu'il auoit perdu vn bien fort grād nombre de sa noblesse, & tresgrād nombre de Capitaines & soldats, & que les sur∣uiuans auoyēt le coeur failly, quoy que les Suisses en nōbre de 6. mil fussent arriuez à leur secours.

En fin le duc d'Aniou ayant receu certaines nouuelles qu'il estoit esleu roy de Poloigne, par les menees de Monluc Euesque de Valence & de ses autres agents. Election autant à l'auantage &

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oulagemēt de l'Eglise Françoise qu'à la ruine & subuersion de la liberté des Polonois, si Dieu n'a bien grād pitié d'eux: ayant, dis-ie, receu ces nou uelles, son ambition luy cōmandant de se haster à porter la couronne: il ouyt lors plus volontiers parler de paix qu'au parauant. Et ayant fait sor∣tir les deputez de la Rochelle pour parlementer, Il receut lors de leurs mains le 25. de Iuin leurs ar¦ticles & leurs demandes qu'il enuoya incontinēt par deuers Charles le tyran.

Tost apres l'armee de l'ēnemy, qui ne cerchoit que le repos, toute harassee d'auoir esté si souuēt battue & moquee, commença à se desbander çà & là. Et aussi les nostres à auoir de relasche plus qu'ils n'eussent osé penser.

Ie ne te dis pas le nombre de ceux qui ont esté uez du costé de l'ennemy: il passe plus de huict mille. Ie ne te nōme pas aussi les principaux d'en tre eux qui y ont esté tuez ou blessez pource q̄ le discoursqui en est imprimé en nōme la plus part.

Seulement ie te diray en passant, qu'vn seul bo¦leuard appellé de l'Euangile, contre lequel l'en∣nemy s'ahurta le cuidant emporter de volee, à fait perdre à vne infinité des ennemis leur mes∣chante paillarde vie sans qu'ils ayent rien exploi té. C'est de là d'où fut tiré vn coup de couleuri∣ne qui tua le duc d'Aumale derriere vn gabion. c'est de là où l'espee vierge du Perō se retirāt des trēchees le iour qu'ō batit ce bouleuard de 40 ca¦nons fut blessé au dos qu'il luy auoit tourné: c'est ce bouleuard que les Princes accompagnez de la Noblesse allerent assaillir le septieme d'Aoust où

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le Gonzague duc de Neuers, le marquis du Mai∣ne, Clermont, le Gas, & vn grand nombre d'au∣tres assaillans furent blessez & plus de trois cens tuez. C'est ce bouleuard que l'ennemy fit sapper & miner, duquel vn grand quartier se renuersa par deuers les Rochellois qui rendit l'endroict plus fort que deuant: les autres quartiers de pier∣re, les pieces de bois & ruine de la terre, renuer∣serent tous dans les trenchees de l'ennemy, chose qui fit perdre la vie à plus de deux cēs d'entr'eux chose qui estoit fort horrible de voir emporter en l'air les bras, iambes, & autres mēbres de Mes∣sieurs nos ennemis, & d'en voir tirer vn grād nō∣bre dessous les ruines de la mine. C'est ce boule∣uard duquel (estant batu de nouueau & estant de nouueau miné & assailli en grande diligence par les Capitaines & soldats de l'ennemy, ainsi qu'ils estoyent presques au dessus) ils furent repoussez par trois fois & contrains par les nostres de se re tirer à leur courte honte, & grand perte de nos en nemis. C'est aussi ce bouleuard sur lequel quel∣ques troupes des ennemis estans montees, & ayāt trouué vn Corps de garde des nostres endormy, le tuerent & mirent en pieces, l'onzieme du mois de May. Ce nonobstāt ce bouleuard est tousiours demouré aux nostres.

Tout cecy que ie te viens de dire, tu le verras au discours mesmes que nos ennemis en ont fait.

L'hist.

C'est vn bouleuard remarquable, & croy moy, ce n'est sans emphase & sans vn mystere ca∣ché que ce nom-là de l'Euāgile luy a ainsi esté im¦pose. A y regarder de bien pres il a produit mes∣mes

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effects que l'Euangile assailly a accoustumé de produire. Il a repoussé les efforts de l'ennemy, & renforcé ceux qui le deffendoyēt, pendāt qu'ils ont esté au guet & sur leurs gardes. Mais quand ils se sont endormis leur a laissé coupper la gor∣ge: & en fin il est demouré entre les mains des gens de bien sans leur pouuoir estre arraché. Le Seigneur a fait tout cecy se monstrant grand & ad¦mirable en la conseruation des siens.

Le pol.

Cela est sans doute: or escoute, afin que i'acheue de te dire, ce qui s'est passé durant ce sie∣ge de la Rochelle. Apres que les deputez de l'en∣nemy & les nostres eurent parlementé des moyēs de paix, voyant que nos freres de la Rochelle de∣mandoyent par leurs articles plusieurs choses cō cernans toute l'Eglise Françoise, & ne vouloyent entendre à aucun accord, quoy qu'ils fussent mer¦ueilleusemēt pressez, affligez & harassez, sans que de mesme le reste de nos freres receust vn bō sou lagement en ses oppresses, remonstrans qu'il n'e∣stoit pas honneste qu'vn de leurs membres souf∣frist peine ou plaisir: sans faire part & du mal & du bien aux autres membres de leur corps. Voyāt, dis ie, qu'ils insistoyent à cela, l'ennemy leur ac∣corda qu'ils peussent librement communiquer a∣uec ceux de Montauban, & ceux de Montauban auec eux pour le benefice de paix.

Et de fait ceux de Montauban vindrent, com∣me ie t'ay voulu dire, durant le siege à la Rochel∣le auec memoire de nos autres freres, sous sauf∣conduit de l'ennemy: & meslerent leurs deman∣des & celles qu'ils estimerent estre bon de faire,

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pour le reste du corps de l'Eglise Françoise auec celles de la Rochelle. Lesquelles, comme ie t'ay dit, furent enuoyees au tyran sur la fin du mois de Iuin dernier passé. Le tyran & tout son Conseil estonnez comme fondeurs de cloches, quand la fonte n'a pas bien pris, ne sachans plus de quel bois faire fleches, n'ayant ny gens, ny argent, ny vi ures pour pouuoir plus long temps camper: & ne pouuant à force ouuerte emporter ceux de la Rochelle, se contentant d'y auoir receu & d'auoir faire receuoir de mesmes à son frere le duc d'An ou vn escorne & perte la plus grande, que iamais tyrans receurent en ce monde: & ne voulant pas que les ambassadeurs de Pologne, qui venoyent saluer leur beau roy le trouuassēt embesoigné en vn si cruel ouurage & en affaire si honteux le ty∣ran (dis-ie) fut contraint recourir au dernier re∣me de, duquel il a tousiours vse pour nous ruiner & piper. Il fit sur nos demandes & articles vn e∣dit au mois de Iuillet, par lequel, apres auoit de∣claré dés l'entree que son intention a tousiours e∣sté de regir & gouuerner sō royaume plustost par douceur & voye amiable que par force, il accorde à ceux de la Rochelle, gentils hōmes, & autres re∣tirez en icelle les points & articles qui y sont spe∣cifiez, tāt pour eux que pour les habitās des villes de Montaubā & Nismes, gentilshōmes & autres retirez en icelles & aucuns autres ses suiets pour lesquels ils ont supplié. Premieremēt que la me∣moire de toutes choses passees depuis le 24 d'A∣oust dernier passé à l'occasiō des troubles & emo¦tions auenues en la Frāce demeurera esteincte &

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assopie cōe de chose nō auenue, deffendāt à tous ses suiets de quelque qualité qu'ils soyent qu'ils n'ayēt à en parler ny a en renouuellerla memoire.

L'hi.

Mon Dieu le vilain edit: ie te prie ne m'en recite pas d'auātage: est-il possible qu'il y ait tant d'impudēce en tout le reste des meschàs qu'en ce perfide tyrā? qui apres auoir tout rauagé & ensan glāté toute la Frāce aux quatre coins & au milieu, veut faire à croire maintenāt, qu'il a eu tousiours intentiō de conduire le tout doucement & par la voye amiable? Ha malheureux! Et est-il possible encores qu'il ose maintenant deffendre de iamais ne parler de si horribles cruautez? ou pense-il par son edit pouuoir effacer la memoire de ses trahi∣sons cōme de chose non auenue? que n'entreprēd il quand & quād de deffendre sur grosses peines au sang innocent respandu de ne demāder point vengeance deuant le tribunal de Dieu? ha schel∣me! Et les pierres n'en parlerōt elles pas, quand les hōmes seroyent si lasches que de t'obeir en ce la? O le grād coup que ce tyran a fait pour nous en cest endroit, c'est vn bel article de paix. C'est autāt cōme s'il disoit: il est vray poures bestes que le 24. d'Aoust, & depuis en çà i'ay tué & fait tuer, & massacrer traistreusemēt, sans differēce d'aage de sexe ny de qualité tous ceux que i'ay peu d'en tre vous? Et ne tiēt pas à moy, que ie ne face mou∣rir tout ce qui est demouré de reste. Car telle est mon intention: mais ie veux & entēs qu'on croye qu'il en va bien tout autre mēt, & qu'il n'en est riē auenu, quoy que le ciel & la terre le sache: ha be∣ste furieuse & enragee si iamais il en fut au mōde!

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Si espere-ie qu'il t'auiendra quelque iour pour beaucoup qu'il tarde à tout le moins ce qui auint à Trysus ce tyran insigne, mais sans comparaison meilleur que tu ne fus iour de ta vie. Ce vilain ayant deffendu par son edict à ses suiets de ne par ler point l'vn à l'autre ny en public ny en priué, (craignant qu'entre eux ils n'auisassent de se re∣mettre en liberté) ses poures suiets furent con∣traints pour exprimer leurs conceptions les vns aux autres d'vser de gestes, de contenances & si∣gnes des yeux, de la teste & des mains tels qu'ils pouuoyent pour s'expliquer. Mais ces façons & moyens de se faire entendre, leurs estans¦aussi def¦fendus: vn poure bō hōme outré du creuecoeur & desplaisir qu'il sentoit d'vn iougsi pesant, s'en alla au milieu de la place, cōmēça à se plaindre en soy mesme, à lamenter, à gemir & à plourer, tellemēt qu'il attira vne grande multitude de ses concitoy ens à larmoyer auecques luy pour leur dure & mi¦serable condition. Cela estant entendu du tyran, ne pouuant souffrir seulement qu'on se plaignist de ses cruautez, s'en vint droit à la place, où ceste poure multitude desarmee & plourante estoit as∣semblee: pour leur empescher encores celle natu¦relle faculté de gemir & larmoyer. Mais Dieu voulut que le peuple ne se pouuant plus contenir s'estant rué dessus les gardes & satellites du tyrā, leur arracha des poings les armes & mit le tyran infame en mille pieces & lopins.

Le pol.

Voila bonnes gens, compagnon, ie croy bien qu'apres ce beau trait Trysus le tyran n'eust osé les empescher ny leur deffendre de se com∣plaindre

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& lamenter.

Mais reuenant à parler du nostre: Par cest e∣dict mesmes il ordonne qu'il ne sera loisible ne permis à ses procureurs generaux, ny autres per∣sonnes publiques ou priuees en quelque temps, ny pour quelque occasion que ce soit faire men∣tion, proces ou poursuite des choses auenues de puis le mois d'Aoust en ça en aucune cour ou iu∣risdiction.

L'hi.

Cecy est encores pire que les motsprecedēts n'estoyent. Car en deffendant à ses procureurs ge¦neraux de n'en faire aucune poursuite: c'est tout autant que s'il disoit: la coniuration que ie mis à sus à l'Amiral & aux autres Huguenots pour a∣oir quelque couleur en mes cruautez, quoyquel le soit faussement excogitee par moy & mes spe∣ciaux Conseillers, & qu'elle n'ait apparence quel conque de verité ny mesme aucune verisimilitu∣de, est toutefois tellementvraye, que ie veux qu'ō le pense ainsi. Et partant mes procureurs vous en pourroyent vn iour tirer en cause deuant mes par lemēs & autres iuges & officiers. Mais ie ne veux pas qu'ils le facent, pourueu que vous aussi ne vous plaigniez nullement de ce qui vous a esté fait ny en faciezaucune poursuite en aucune cour ou iurisdiction. Le tyran sera tousiours en liber∣té de nous en ietter le chat aux iambes quand il voudra & quandil nous tiēdra en puissance. Mais quant à nous il ne veut pas que durant sa meschā te vie, ny apres sa vilaine mort, si Dieu nous en dōne quelqu'autre qui nous vueille faire raison, que nous en facions la poursuite deuant la iuris∣diction

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des hommes, ny deuant celle de Dieu. I faut bien dire que ce tyrā à excedé du tout les bor nes de toute impieté & iniustice. Pour l'honneur de Dieu, fay moy ce plaisir que nous ne parlions plus des edits de ce bourreau, de ce sauuage: sinō que de bon heur il s'auisast d'en faire vn qui com mandast de l'estrangler auec la truye & les co∣chons, tous ses supposts & conseillers. En ce cas ie serois d'auis qu'on vsast vers eux de douceur, ne permettant pas qu'ils tombassent en la misere de Neron, qui ne trouua lors qu'il se vid reduit en extreme destresse, vn seul amy ny ennemy, qui luy voulust faire ce plaisir de le depescher & tuer. Ie serois, dis-ie, bien d'auis qu'on ne les fit gueres languir, de peur qu'ils ne se retractassent, quād ils verroyēt l'ēfer ouuert & tout prest à les receuoir.

Le pol.

Ie serois biē de mesme auis. Et croy qu'aus si tous les bons Catholiques en desireroyēt tout autāt pour se voir par là despestrez du ioug de ce māge-suiet. Mais cependāt tu me semble trop dif¦ficile à ne vouloir point que ie parle de cest edit tāt signalé: ie dis signalé notāment, causant la paix ou le relasche que nos freres en ont senti lors: a∣lors que pas vn de nous ne s'y osoit ny s'y pouuoit tendre: tu és bien vn merueilleux homme à ne considerer pas cela.

L'hi.

e le considere bien, & ren graces à Dieu de bon coeur pour la deliurāce miraculeuse des po∣ures assiegez. Mais ie suis tant saoul d'ouir parler de ces edits, i'en ay les oreilles tāt battues, qu'aus si tost que i'en entends vn mot, peu s'en faut que ie ne tende ma gorge, & sur tout s'il y a qùelquo

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chose bōne pour nous en son edit, & qu'il l'appel le irreuocable. Car en ce cas tousiours il nous faut croire qu'il en fera cōme de cestuy-là de l'an 1570 au mois d'Aoust, qui n'a serui à autre chose qu'à nous attraper & nous perdre, quelque irre∣uocable qu'il fut. Et se faut tousiours souuenir de ce dont on auertit le deffunct Amiral. Que le ty∣ran ne permettra iamais que ses suiets, qui se se∣rōt vne fois eleuez en armes pour quelque occa∣sion iuste ou iniuste que ce soit, iouyssent de la fa∣ueur & benefice des loix: A plus forte raison me dois-ie fascher de ce vilain edit des sō entree si ef¦fronté & inique.

Le pol.

Toutefois si en diray∣ie encores deux ou trois traits sous ton congé.

L'hi.

Tu le peux faire: mais iem'asseure que s'il fal loit esplucher le sens caché & les mysteres conte∣nus dedans les articles de tels edits irreuocables, que ce ne seroit iamais fait. Et l'heure me semble fort tarde, il est temps de penser ailleurs.

Le pol.

I'auray fait en deux mots. C'est qu'il ordō ne que la Rochelle, Nismes, & Montaubā, & les gentilshōmes & autres qui iusqu'àlors se sont cō seruez en la Religiō pourront iouyr de l'exercice d'icelle. Et ceux qui pour crainte de mort ou au∣tre infirmité ont esté contraints de faire promes∣ses & obligatiōs, & bailler cautiōs pour chāger de religiō sōt deliurez de telles promesses & cautiōs.

L'hi.

Les premiers, quoy qu'il leur promette n'au rōt pas seulemēt la vie, s'ils s'arrestent à cest edit. Les derniers cōfessans leurs fautes sōt absous du souuerain roy de telles promesses. Mais il vaut mieux mourir vne autre fois que d'en plus faire.

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Le pol.

Au reste la Rochelle, Nismes & Montau∣ban iouirōt, ce dit cest edit de leurs priuileges an∣ciens, & modernes droits de urisdiction & autres esquels ils seront maintenus & conseruez sans a∣uoir aucune garnison, en baillant durāt deux ans quatre des principaux bourgeois de chascune des dictes villes, qui seront choisis par le tyran entre ceux qu'ils nommeront & changez de trois en trois mois pour demonstration & seureté de leur obeissance.

L'hi.

Ce terme de deux ans m'est fort suspect, quand ie me souuiens des deux ans de l'autre e∣dict irreuocable. Et ces bourgeois qu'on baillera ne seront pas à leur retour si asseurez qu'au para∣uant. Et asseure toy qu'il n'a voulu qu'on fist ce changement de trois en trois mois, que poura∣oir meilleur moyen de corrompre tant plus de gens: afin de surprendre ces villes. Au de∣meurant ie t'accorde qu'elles iouyront de leurs priuileges, si elles pratiquent les articles de Da∣niel, la resolution de ceux du Dauphiné, & celle que tu m'as dicte de nos freres de Nismes, autre∣ment ie ny voy point d'ordre, quelque edict que le tyran face.

Le pol.

Aussi ne s'y fient-ils pas, & scauent fort bien dés ceste heure à quoy ils se doyuent tenir. Mais tanty a que la Rochelle en sent quelque sou lagemēt, non par la vertu de l'edit, ains par la ver∣tu de la force ou plustost par grace de Dieu, qui a fait retirer l'armee & le camp de nos ennemis.

Quant à ceux de Montauban & Nismes & tou¦tes les Eglises de la Guienne, Languedoc, Viua∣rez,

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Geuoudan, Seneschaussee de Toulouze, Auuergne, Rouergue, haute & basse Marche, Quercy, Perigort, Limosin, Agenois, Armaignac, Commenges, Conserans, Bigorre, Albret, Foix, Laurageois, Albigeois, pays Castrez, de Ville∣laugues, Mirepoix, Carcassez, & autres pays & prouinces adiacentes, esquelles par grace de Dieu y a grande quantité d'Eglises, pas vne d'el∣les n'a fait conte, ny n'a daigné s'amuser aux pa∣roles de cest Edit, n'aussi pareillement nos freres que ie t'ay dit du Dauphiné.

L'hist.

O qu'ils sont sages! pourueu qu'ils sa∣chent se tenir tousiours sur leurs gardes, & ne plus s'attendre au Tyran. C'est le seul moyen pour r'auoir leurs libertez & priuileges, & pour garder auec leurs vies, leurs biens, cheuances, & honneurs, que personne ne leur rauisse la li∣berté de leur conscience, & l'exercice de la re∣ligion.

Mais ie te prie de me dire, cōme il va de ceux de Sancerre. C'est Edict dernier n'en parle-il point?

Le pol.

Rien du tout. Quoy que nos freres de la Rochelle en ayent fait bien grande instance, sachant le calamiteux estat où ils estoyent re∣duits. Mais ie te diray sommairement ce que i'en scay.

Quant à nos poures freres de Sancerre, le Sieur de la Chastre Gouuerneur pour le Tyran en Berry, les assiegea dés le mois de Ianuier der∣nier passé, fit batterie auec dixhuict ou vingt pieces d'artillererie, en diuers endroits de leur

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ville, fit bresche de cinq cens pas, & le iuedy de∣uant Pasques, leur liura vn assaut fort & rude, duquel se voyant viuement & bien repoussé a∣uec sa courte honte, & perte de bon nombre des siens, comme l'histoire, que ie te monstre∣ray, en fait mention: il s'est contenté de les tenir assigez, par le moyen de quelques forts & tren∣chees, qu'il fit faire pour empescher les nostres de sortir, & les viures d'aller à eux: s'asseurant par ce moyen, de les faire à la longue mourir de faim.

Et en ceste façon, les a tenus de tous costez enfermez, sans les assaillir de plus pres, que de la portee d'vn mosquet, depuis le mois de Mars iusques au mois d'Aoust dernier.

Durant lequel temps, ces bonnes gens ont eu vne infinité de mal aise, de faim, de poureté & disette. Laquelle plus ils alloyent auant, plus s'alloit augmentant, iusques là, qu'ils ont e∣sté contrains de manger cuyrs, souliers, par∣chemins bouillis, & autres telles estranges viandes.

Cependant, la parole de Dieu qui leur estoit iournellement preschee, nourrissoit leurs ames en toute abondance.

Eux se voyans reduits en telle perplexité, qu'ils n'attendoyent plus que la mort, prioyent sans cesse le Seigneur pour leur deliurance. Que si son bon plaisir estoit, de les exposer es mains cruelles & barbares de leurs ennemis, qu'il les fortifiast & raffermist de coeur, de corps & d'ame en vne constante foy & esperance de

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la vie eternelle, iusques au dernier souspir de ce∣ste-cy.

Les soldats, le Peuple, les femmes & iusques aux petits enfans de la ville, qui suruiuoyent à la faim, languissans es trenchees, emmy les rues & dans les maisons, ne cessoyent de tendre les mains au ciel, d'y esleuer leurs yeux, attendans secours du tres-haut.

Leurs ministres faisoyent vn singulier deuoir à les cōsoler, à les exhorter & encourager à bien faire & à mieux esperer. Leur remonstrans: que combien que la conspiration des ennemis s'e∣stendit iusques à vouloir racler la memoire des bons de dessus la terre, afin qu'il n'y eust que le seul regne des meschans en vogue que toutefois il en iroit tout autrement.

Que les Roys de la terre auoyent beau se mu∣tiner, beau comploter, & s'esleuer contre le Sei∣gneur pour rompre & secouer son ioug, & pour ruiner son Eglise: que celuy qui habite es cieux s'en rira: que le Seigneur se moquera d'eux, leur parlera en son courroux, & les estonnera par sa fureur, qu'il les cassera par son sceptre de fer, & les brisera comme vn vaisseau de potier. Qu'ils s'asseurent que la pierre, que Nabuchadonozor vit en songe couppee sans mains, cassera le fer, la terre, l'airain, l'argent & l'or de l'image, & eront comme la paille que le vent emporte, & que ce∣ste pierre deuiendra vne grande montagne, & remplira toute la terre, brisant tout autre Roy∣aume, Principauté & hautesse, qui s'oppose au Royaume eternel de Iesus Christ.

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Partant mes freres (leur disoyent-ils) ne vous faschez point, pour raison des mal-faisans, que vous voyez ce semble prosperer. Car ils seront coupez soudain comme le foin, & viendront à faner comme l'herbe verde.

Attendez en patience le Seigneur, ayez ferme fiance en luy, & ne portez point d'enuie, n'ayez mesmes aucun regret de celuy qui espere en ses laschetez. Car les malins seront exterminez, mais ceux qui ont leur attente au Seigneur, se∣ront benis de luy. ils ne seront point confus au mauuais temps.

Le Seigneur est puissant pour donner la man∣ne du ciel, pour faire sortir de l'eau de la pierre dure. Mieux vaut peu de chose au iuste, que foison de biens aux meschans, ils ont (dit Dauid) desgainé leur glaiue, & ont bandé leur arc pour abbatre le poure & indigent, & pour meurtrir ceux qui cheminent droit.

Mais leur glaiue entrera dans leur propre coeur, & leurs arcs seront rompus. Il est vray, (mes freres disoyent-ils) que c'est vn argument suffisant selon la chair pour chopper & faire cō∣me banque route à Dieu, de voir comment les ennemis de l'Eglise prosperent qu'ils se glo∣rifient en cruauté & violence enuironnez d'or∣gueil, comme d'vn carcan, que la graisse leur pousse leurs yeux hors de leur chef malicieux, & que bien souuent, ils ont dauantage que n'a desiré leur courage.

Au cōtraire voir vn Dauid, voire toute vne E∣glise en destresse, ses iours desfailir comme fu∣mee,

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ses os hauis, cōme vn tison, son coeur frappé & seché semblable au Pelican du desert, ou comme le hibou qui se tient es lieux sauuages, semblable au passereau priué de sa compagnie, qui se tient sur la cime du toict, le voir manger la cendre comme le pain, & mesler son boire de pleurs.

Mais certes si nous sommes enseignez com∣me il appartient par la parole de Dieu, nous trouuerons que le Seigneur a logé les meschans en lieux glissans pour les precipiter en ruyne, pour les destruire en vn instant, & les consumer d'vne maniere espouuantable.

Et d'autrepart, nous voyons que Dieu en∣cline son oreille au besoin, à la clameur de ceux qui patiemment l'attendent, les tire hors du bourbier, les deliure des dangers, affermit leurs bieds, adresse leurs pas, & les loge sur vn roc fort & asseuré. Nous verrons vn Elie, au temps de la plus grande famine nourry par les corbeaux, & & quelques fois par les Anges. Nous le ver∣rons enuoyé à la vefue, qui n'a point de pain, ains seulemēt pleine main de farine, & vn peu d'huy∣le, n'attendant que la mort. Nous le verrons nourry, la vefue sustentee, la farine, & l'huyle continuer à les nourrir, & ne defaillir nulle∣ment.

La main du Seigneur n'est point abbregee, son bras n'est point accourcy, le Seigneur est le Roy qui seul peut tout ce qu'il veut, il ne per∣mettra point, qu'vn cheueu de nostre teste tom∣be en terre sans sa volonté, partant ne nous ef∣froyons

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aucunement pour le dessein des hom∣mes qui ont iniustement deliberé de nous met∣tre tous à mort auec nos femmes & enfans, so∣yons plustost asseurez, que si le Seigneur a or∣doné de nous de liurer tous, ou aucuns de nous que nul ne luy pourra resister, s'il luy plaist que nous mourions tous, ne craignons point.

Car il a pleu à nostre Pere, nous donner v∣ne autre habitation, qui est le Royaume celeste, auquel il n'y a point de mutation, poureté, mi∣sere, larmes, pleurs, dueil, ou tristesse, ains feli∣cité, & beatitude eternelle.

Il vaut beaucoup mieux estre logez auec le po¦ure Lazare au sein d'Abraham, qu'auec le mau∣uais riche, auec Cain, auec Saul, auec Herode, où auec Iudas en enfer.

Cependant il nous faut boire du breuuage que le Seigneur nous a preparé vn chacun selon sa portion.

Il ne faut pas que nous ayons hōte de la croix de Christ, ny regret de boire du fiel duquel il a esté le premier abbreuué: sachans que nostre tristesse sera tournee en ioye, & que nous rirons à nostre tour, quand les meschans pleureront, & grinceront les dents.

Par telles & semblables paroles, les pasteurs sollicitans iournellement le peuple, de se pre∣parer à receuoir tout ce qu'il plairoit à Dieu leur enuoyer, les enseignoyent & entretenoyent de plus en plus en tout deuoir & bon office de pieté & crainte de Dieu. Lors que contre toute esperance, Dieu estant par maniere de dire, com∣me

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descendu pour voir leur affliction, le vingt & sixieme du mois d'Aoust dernier passé: lors que ils ne pouuoyent, selon l'apparence humaine, au∣tre chose faire (s'ils ne vouloyent renier Dieu) tout à plat, que se laisser mourir de faim, ils furent receus à composition par le seigneur de la Chastre (non sans le sceu du Tyran, quoy qu'au parauant, il eust dit, qu'il les feroit manger l'vn l'autre, Dieu luy ayant pour ce regard flechy & amolly le coeur) qui leur promit de leur laisser la vie & biens sauues, & l'exercice de la Reli∣gion à la forme de l'edict, moyennant qu'il don∣nassent quarante mille francs au Tyran: ce que les poures gens ont fait & accomply.

Quoy que les ennemis par apres contre toute foy donnee selon leur coustume, ayent pillé & desrobé ce que bon leur a semblé de leurs meu∣bles, demantelé leur ville, enleué iusques à leur horologe, & massacré quelques vns d'entre eux, & notamment le Bailly & Gouuerneur de San∣cerre. Et contraint les autres, qui ne iouissent d'vn seul brin de liberté, d'estre vagabons & er∣rans à la mercy des volleurs & brigans. Au sur∣plus, ie ne veux pas oublier à te faire entendre; que l'vn des moyens, desquels Dieu s'est princi∣palement seruy pour la deliurance de ces bonnes gēs de Sācerre, a esté la venue des ambassadeurs de Pologne, qui arriuerent en la Cour du Ty∣ran, quelques iours au parauant la composition de Sancerre.

L'hist.

Ie te prie declare-moy vn peu par le menu ton dire, ie ne puis pas bonnement

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entendre comment ce peut estre que les Po∣lonois ayent seruy à faire deliurer les San∣cerrois.

Le pol.

Ie te diray comment. Les Polonois a∣ptes la mort de leur Roy Sigismond dernier de∣cedé sollicitez par l'Euesque de Valence, & le ieune Lansac, lesquels comme tu scay, leur fu∣rent enuoyez en ambassade, d'elire à leur Roy∣aume vaquant, le Duc d'Aniou apres quelques remises, ne firent que bien peu, ou point de dif∣ficulté d'en faire election pour des considera∣tions particulieres▪ reuenans, comme il leur sem∣bloit, au bien de leure stat.

Mais ayans tost apres entendu les nouuelles des trahisons de ceux de Valoys & des massa∣cres qu'ils auoyent fait faire en la France sur les fideles, indignez extremement contre ceste mai∣son, ils furent bien fort marris, d'auoir fait vn si meschant choix, & n'eussent pour rien voulu a∣uoir eleu d'vne si traistresse race, homme qui leur deust commander, craignant qu'il ne leur mist vn iour leur Patrie en pareille combustion que la France. Tellement que volontiers se fus∣sent departis de ceste election, pour preceder à Election nouuelle, n'eust esté que desia, ils auo∣yent irrité tous les autres competiteurs, qui pre∣tendoyēt de paruenir au Royaume de Pologne, en ce principalemēt qu'ils les auoyent postposez au Duc d'Aniou. Contrains donques & forcez de s'y tenir, d'autant mesme que le Turc allié de la maison de Valoys les en sollicitoit auec des conditions auantageuses pour la Pologne.

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Ceux de la noblesse & des autres estats de Pologne faisans profeson de mesme religion que nous (lesquels à ce que i'entens sont en bien fort grād nombre & des principaux du pays) esti∣mans que le faict de France attouchoit de pres à leur estat & affaires, tant pour la pieté & crain∣te de Dieu, que pour la charité & compassion de nos freres affligez & le mesme danger auquel ils pourroyēt tomber: voulans esprouuer le traite∣ment qu'ils pourroyent attendre d'vn estranger par celuy qui seroit fait aux naturels subiets en pareil cas, deuant que bien asseurer & raffermir l'election du Duc d'Aniou, entrerēt en conferen∣ce & negotiatiō nouuelle auec l'Euesque & Lan∣sac, desquels entre autres choses le 4 de May 1573 ils obtindrēt par promesse solennelle iuree & si∣gnee de leurs mains au nō de leur maistre le ty∣rā. Que pour remettre la paix en France, le tyran aboliroit tout ce qui a esté fait durant les guerres ciuiles, que les fideles François pourroyent habi∣ter par toute la France sans estre recerchez en leur conscience, ni contraints d'assister aux serui∣ce de la Papauté Que ceux qui se voudroyent re∣tirer hors de la France pourroyent vendre leurs biens, ou iouyr de leurs reuenus en terres qui ne sont ennemies de la Frāce. Que les heritiers des meurtris seroyent remis en leur bon nom & hon¦neur nonobstant tous edicts & arrests. Que les estats des defuncts qui auroyent esté vendus, se∣royent remboursez en deniers à leurs heritiers.

Que les foruscis pour la religion pourroyent r'entrer en leurs biens & honneurs, & habiter

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seurement ou bon leur sembleroit de la Fran∣ce. Que les villes qui tenoyent lors la religion auroyent l'exercice libre d'icelle sans aucun con∣tredit ne garnison. Que lon enquerroit diligem∣mēt des meurtriers & massacreurs, & que punitiō exēplaire en seroit faite. Et que l'Euesque & Lan∣sac à leur retour en Frāce feroyent de sorte que le Duc d'Aniou s'employeroit enuers le tyran pour obtenir de luy vn lieu en chascune prouince de la France, auquel l'exercice de la religion feroit librement faict.

Ces articles ainsi promis & iurez aux Polo∣nois, les ambassadeurs François s'en reuindrent à la Cour du tyran pour dōner les certaines nou∣uelles de l'election du Duc d'Aniou. Tost apres les estats de Poloigne enuoyerent en France pour saluer leur Roy esleu & prendre de luy le serment en tel cas requis vne ambassade fort ho∣norable. Laquelle ils chargerent aussi de pour∣suyure l'accomplissement de ces articles, dequoy principalement la noblesse de la religion, & six ou sept des Palatins de Poloigne leur firent tres∣grande instance: estimans que de la pratique de ces articles dependoit entierement la paix de la France & vn essay de ce qu'ils deuoyent esperer en Pologne.

Ces ambassadeurs Polonois ne furent pas si tost arriuez à la Cour du tyrā, qu'apres l'auoir sa lué & son frere leur Roy esleu, deuant que parler de leurs affaires de Pologne, ils leur parlerent de remettre la paix en France & de l'y conseruer & entretenir mieux qu'ils n'auoyent fait par le passé

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Autrement ils ne voyoyent point que l'alliance auec le Frāçois peust seruir aux Po¦lonois pendāt que la France seroit en vn tel galbuge & en vn si mauuais mesnage. Surquoy le tyran leur ayāt res∣pondu qu'il auoit desia tout pacifié par son edit, leur en fit mōstrer vne copie, laquelle ayant veue & biē cōsideré les mots de l'edict le trouuāt court & captieux en tout & par tout, ny voyāt rien aussi qui fauorisast ceux de Sācerre, que les ambass. Po lonois auoyēt entendu estre extrememēt pressez, esmeus de la cōpassiō de leur fait, ils firēt instante requeste à la mere du tyran pour leur deliurance. Et trouuans là l'Euesque de Valence, ils le som∣merent de sa foy donnee en Pologne touchāt les articles de la paix. Mais la mere du tyrā qui sauoit bien l'estat des poures Sācerrois, s'asseurāt qu'au∣iourd'huy ou demain ils se rendroyent la hart au col à toute mercy, respondit que Sācerré estoit à vn Seigneur priué, qui auoit esté offensé par ses suiets. Et que le Roy luy auoit presté ses forces pour les chastier, & ne luy vouloit faire tort anti∣cipant dessus ses droits. L'Euesque ayant auoué ce qu'il auoit promis & iuré, faisoit semblant d prier pour ceux de Sancerre, affermant que ia∣mais il ne fust venu à bout de sa charge enuers les estats de Pologne sans les voix, suffrages & faueu des Signeurs & gentilshommes de la Religion. Cependant il prioit les ambassadeurs Polonois de luy donner relasche de deux ou trois iours, pour se pouuoir acquiter de sa promesse, & qu'ils ne doutassent nullement que les choses iroyent mieux qu'ils ne pensoyent.

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Or vsoyent ils & la mere & l'euesque de cest ar∣tifice & renuoy pour auoir cependant leur plai∣sir de l'entiere euersiō des Sancerrois, qu'ils sca∣uoyent comme i'ay dit estre prests à se rendre, pour euiter de mourir de male faim.

Les Polonois se voyās ainsi rēuoyez ayās appris par le bruit courant l'extremité des Sancerrois retournent le lendemain trouuer la mere Cathe∣rine, la prient & l'adiurent d'auoir compassion des Sancerrois, qu'ils ne soyent pas pirement traitez que les autres, qu'on donne bien le pain aux chiens, qu'a plus forte raison le doit on four∣nir aux Chrestiens. & que la cruauté est par trop grande, de vouloir faire mourir de faim ceux qui (comme ils estoyent informez) n'auoyēt en rien failly: si d'auerture one veut appeller faute, ser∣uir à Dieu purement & defendre sa propre vie. Partant la supplient d'y auoir esgard.

A cela la bonne dame leur respondit, que lon traittoit leur composition & que de bref ils en au∣royent quelque bon contentement.

En ces entrefaites la composition que i'ay dit de Sancerre fut faite, & portee à signer au tyran, qui en blasphemant respondit, comme il auoit desia dit quelques iours auparaant, que par la mort Dieu il ne vouloit point de composition & qu'il n'en signeroit point. Que par le ventre Dieu il les vouloit voir manger les vns les au∣tres. Et de faict il ne l'eust point signee, sans c que sa mere & ses plus rusez conseillers luy re∣monstrerent que s'il ne signoit ceste compositiō il gastoit tout ce qu'on pouuoit attendre de la

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negociation de Pologne: que les Polognoys auec lesquels ils n'auoyent encores rien conclu estans informez d'vne telle rigueur, s'en offenseroyent grandement & seroyent biens gens pour rebros∣ser leur chemin sans vouloir passer outre à leur charge.

Cela, di-ie, fut cause que le tyran la signa, Dieu luy ayant par sa prouidence fleschy le coeur pour ce regard. Voila le moyen duquel Dieu impor∣tuné d'autre part par les prieres des siens, & ayant son honneur par maniere de dire engagé à leur conseruation, s'est seruy pour la deliurance de ces pouures Sancerrois. Et ne doute point aussi que les nouuelles de la venue des Polonois, dés lors qu'elles furent entendues à la Cour du ty∣ran, & au camp deuant la Rochelle, comme ie t'ay dit, n'ayent esté aucunement cause de fai∣re leuer le siege & d'accommoder les affaire de nos freres de la Rochelle.

L'hi.

Ce sont choses merueilleuses que les oeu¦ures de nostre Dieu. Et à y bien penser, à vray dire, on ne se peut remettre à la memoire l'issue du siege de la Rochelle, de Sancerre, & du siege de Sommieres, dont tu me parlois n'ague∣res, qu'on ne voye clairement & à l'oeil que Dieu a monstré & fait paroistre: d'vne part l'in∣nocence & iustice des siens: & d'autre part par consequent l'iniustice & infame desloyauté de ses ennemis. Car l'estonnement des trahisons & massacres si cruels & inopinez estoit plus que suffisant pour faire perdre le coeur aux plus vaillans & aguerris.

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Les longs & obstinez sieges, tant de rudes & fu∣rieux assauts & autres exploits & ruses de guer∣re estoyent bastans pout emporter des places beaucoup plus fortes. Et toutefois Dieu a tel∣lemēt pourueu aux siens par vne admirable bon∣té & prouidence, & a tellement encouragé le peu qui restoit qu'ils ont fait teste à toute la force de leurs fiers & sanglans ennemis sans secours d'au cun de leurs voisins, quoy que les ennemis en ayent emprunté de toutes pars selon leur coustu∣me, ayans perdu de leurs gens en ces trois sieges plus qu'ils n'auoyent perdu en toutes les trois guerres passees.

Cela me fait, quand ie le considere, esperer en∣cores plus auant. Que comme Dieu par vne fa∣ueur speciale, & secours extraordinaire a beson∣gné iusqu'à present, qu'aussi vn iour en nos pre∣sences & deuant nos yeux ou des nostres, il fera l'entiere vengeance du sang innocent respandu, & nous dōnera vn tel relasche que nous n'oseriōs demander pour luy seruit sans nulle crainte en toute paix & seureté. Ce qui le me fait ainsi croi∣re outre les promesses que nous en auons en l'Es∣criture, & l'essay que Dieu en a fait freschement e telle deliurāce est ce que i'ay particulierement marqué en l'election du Roy de Pologne, la∣quelle n'estant faite (ce sembloit) que pour as∣souuir l'ambition du Duc d'Aniou, a neant∣moins seruy à faire venir d'vn pays bien fort loin tain des hommes Chrestiens & genereux pour porter parole vertueusement pour le soulage∣ment des bons: lors que nos affaires estoyent en

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si miserable estat que nos Patriotes & tous nos voisins nous mescognoissoyent en plain iour: & que nul d'eux ne s'osoit entremettre d'en dire vn seul petit mot, ou s'il le faisoit à l'aduenture, c'estoit par maniere d'acquit. Mais ie te prie con∣te moy vn peu ce qui s'est apres ensuyui de la poursuite des Polonois.

Le pol.

Ie te diray ce que i'en scay. Apres que la composition de nos freres de Sancerre fut si∣gnee par le tyran, sa mere fit entendre aux Polo∣nois que les Sancerrois estoyent contens & qu'ils auoyēr ce qu'ils auoyent demāde. Et au reste que quand les Polonois en seroyēt d'aduis elle seroit bien aise de voir leur charge touchant les affai∣res de Pologne parfaite & accomplie.

Les Polonois bien aises pensans que nos fre∣res de Sancerre eussent esté bien traitez, mon∣strerent d'auoir enuie de despecher le surplus de leurs affaires: Mais deuant que d'entrer plus auant ayant examiné & conferé l'edit du tyran auec les articles que l'Euesque & Lansac leur auoyent iuré & promis, & trouuant que l'e∣dit estoit bien fort esloigné desdits articles: en ce principalement qu'ils promettent vne dili∣gente inquisition & seuere punition des massa∣creurs, desquels ce bel edit defend de parler seu∣lement, & d'en renouueller la memoire: ils se re∣solurent d'en ouurir propos au tyran. Et de faict, I'stans allé trouuer, ils luy firent vne roide & ferme instance sur l'execution desdits articles que ses ambassadeurs leur auoyent promis enson nom.

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Mais le tyran leur respondant en vn mot leur dit qu'il n'auoit rien promis de cela, ni aussi don∣né charge à personne de leur en rien promettre: les Polonoys oyans vn tel langage. & voyans là l'Euesque present, le sommerent de sa promesse luy firent recognoistre son seing apposé au bas des articles. & luy ayans demandé, qu'il dist au vray, comme il en alloit. Il confessa d'auoir signé les articles, mais que ç'auoit esté sans charge ny mandement, considerant que s'il ne les signoit, il ne pouuoit venir à bout de sa charge à son hon∣neur.

L'hi.

O quel honneur, traistre pariure! hé comme il meriteroit bien des estriuieres en cui∣sine.

Le pol.

Tout cela luy fut reqroché en la pre∣sence du tyran par les Polonoys, lesquels irri∣tez d'vn si desloyal patelinage, se partirent de la presence du tyran sans luy rien dire dauantage de ce iour-là.

L'hi.

A dire la verité, humainement parlant, le tyran eust esté vn grand sot d'auouer en c'est endroit-là mōsieur l'Euesque auec sa mitre. Car de là sensuyuroit si les articles s'obseruoyent, cō∣me il est tresraisonnable & expediēt pour le bien de paix, que monsieur le tyran, sa mere, son frere son beau pere, le Peron, ses autres conseillers & supposts seroyent traitez, comme meritent les plus lasches & vilains meurtriers, que le diable aye iamais mis en besngne depuis Cayn ius∣qu'à present.

Le pol.

Cela est certain. Voila pourquoy ayāt

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pensé à ses affaires, il se garda bien d'y consentir. Mais à parler à bon escient qui voudroit exami∣ner de pres la pratique du tyran, de sa mere & de l'Euesque & sauuer l'honneur de sa mitre, il trou ueroit que ce Cornu (quoy que le tyran l'ait des∣auoué) n'a iamais rien promis aux Polonois tou∣chant ces articles, que par commandement du ty ran, pour leur persuader en Pologne (engageant en cela sa consciēce aussi bien que Puybrac a ven du la siene par son Epistre, Ornatissimi) que le ty ran estoit biē fort homme de bien, Treschrestien & paisible, & que tant s'en faut qu'il eust iamais fait faire ou consenty à ces massacres, qu'au con∣traire il seroit tousiours bien aise d'en faire faire vne diligente enqueste & punition tresrigou∣reuse.

Mais maintenant que les Polonois abusez par ces piperies en sont arriuez si auant, qu'il leur est malaisé de se retracter: & que d'autre part le fait des massacres est cognu de tous estre procedé du commandemēt du tyran & de ses principaux sup¦posts: craignant qu'on ne le prinst au mot, il le nye comme vn meurtrier.

Au reste quant aux autres articles iurez aussi aux Polonois, il est bel à voir pour la plus part, s'on les confere auec l'edit du tyran, que l'Eues∣que n'en a aussi rien promis que par expres com∣mandement, comme chose que le conseil du tyrā estoit desia resolu d'accorder de parole seulemēt par escrit à nos amis, pensant par là les appaiser, comme les enfans d'vne pōme: mais ne voulant que l'on pēsast que les Polonois nous eussent ap∣porté

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ce meschant petit relasche', le tyran par son edit se hasta de nous l'accorder au parauant leur arriuee.

Or pour reueni aux Polonois, eux estās quel que iour apres ce beau tour qui leur fut ioue, en∣trez à traiter des affaires de leur Royaume: apres auoir receu le serment du duc d'Aniou, qu'il n'at tenteroit rien de parole ny de fait contre les loix de Pologne: ains les regiroit & gouuerneroit se∣on icelles, ils voulurent aussi qu'il leur promist d'entretenir & laisser paisibles les Polonois en leur religion reformee Papistique & autre, telle qu'elle y est.

Et comme sur cest article, il se print à faire quelque difficulté, les ambassadeurs luy replique rent qu'il falloit donc qu'il fist son conte, qu'il ne leur seroit iamais Roy, qu'ils ne veulent point vn tyran, lequel leur force la conscience, ny vn qui sous vn faux pretexte de zele de Religion leur dissipe la paix publique, qu'ils ont enuie de nour¦rir.

Et insisterent tellement sur cela, qu'il fallut que le duc d'Aniou leur en passast le serment & pro∣messe.

L'hi.

Ha poure gentilhomme! Il est à craindre ie t'asseure qu'il en ait blesse sa conscience, tant il fait du religieux. Que zelateur▪

Mais i'ose dire que si l'on eust requis de luy vn serment en propres termes de seruir à iamais au diable, qu'il en eust donné la parole d'aussi bon coeur, & aussi bien qu'il luy sert de fait en sa vie, plustost que d'estre repoussé d'vn Royaume si

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opulent.

Au reste on voit bien par là quelle est la Re∣ligion de ceste maison de Valois. Vne partie de Pologne est pleine, comme chacun scait, d'Ana∣baptistes & d'Arriens, qui sont vrays ennemis de Dieu & de son Christ nostre Seigneur: & ne∣antmoins il leur va promettre de les conseruer & garder.

Il y a aussi, par grace de Dieu, vn grand nom∣bre de Polonois, qui font profession de mesmes Religion que nous: il promet de les y laisser & de les y entretenir. Il fait bien quoy qu'il soit con∣traint: i'en suis tresaise, Dieu soit loué.

Cependant il ne peut laisser viure ceux de sa nation, qui croyans vne mesme chose, ont tous les iours prié pour luy. Ils ne scauroyent mieux faire paroistre qu'ils n'ont aucun soucy de Dieu, que par ceste diuersité de traittement: en laquel∣le ils monstrent au doigt, comme en tout le reste de leur vie, qu'ils ne font aucun conte que de leurs delices, & de ce qu'ils pensent seruir à leur grandeur, & n'employans la Religion, par manie re de dire, que comme vne maquerelle d'estat, & couuerture de leurs cruautez.

Le pol.

Il est ainsi: mais pour poursuyure, ces am∣bassadeurs Polonois ayans receu ceste promesse, & s'asseurans de la luy faire bien garder & de le tenir en bride sous les loix de leur patrie, ne se pouuoyent pas bien contenter de voir la poure France si mal traitee par ceux-là qu'elle a esle∣uez.

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Partant dresserent vne requeste bien ample pleine de toutes sortes de raisons diuines & hu∣maines, & de moyēs encore plus amples propres à establir la paix: & ainsi faicte & signee ils la bail lerent à leur Roy pour la presenter au tyran. Mais à ce qu on m'a fait entendre, on les renuoya tous à Mets: où le tyran auec sa cour alloit accompa∣gner son frere qui s'en alloit en son exil, où Dieu la voulu releguer, pour le biē de chacun de nous. Que Dieu doint à ces bonnes gens autāt de bien & de bon heur, que nous auons souffert de mal, de malheur & de mal encontre sous ceste race de tyrans.

L'hi.

A men, par sa grace. Ie serois tresmarry qu'ils eussent le moindre mal de tous les nostres. Mais ie te prie dy moy vn peu, est-ce tout ce que tu as apprins durant le temps de ton voyage?

Le pol.

C'en est bien la plus grande partie. Mais encor y a-il quelque trait, que i'ay apprins, Dieu soit loué, qui te seruira à l'histoire: & à monstrer de plus en plus l'honnesteté de nos Valois.

L'hi.

Ie te prie, amy, dy le donques, & ne crain pas que ie le cache. Leurs actes ont bien merité qu'on n'attende apres leur mort à dire leur vilai∣ne vie.

Le pol.

Tu dis vray: & c'est vne hōte, au lieu qu'vn chacun deust crier à l'eau, au feu, à l'arme, à l'aide contre ces traistres malheureux, qu'il s'en trouue encor' de si lasches qui n'osent leur tenir propos qu'en leur disant vostre clemence, vostre bonté, vostre douceur: vostre Maiesté treschrestienne: ores qu'ils sachēt qu'il n'y a schelmes plusvilains

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que ceux-cy.

L'hi.

Ie ne croy-pas qu'vn homme rond parle ia∣mais de leur clemence, ny de leur bonté & dou∣ceur, sachant combien ces miserables sont cruels, felons, inhumains. Quant au titre de Treschre∣stien, on le deust, pour ne point flatter, changer en Archiantichrestien, pour appliquer des noms es choses qui fussent significatifs.

Le pol.

On le deut faire vrayement. Mais ie gage qu'outre ce que leurs flatteurs, & quelques autres qui s'en approchent ayans affaires à eux propha∣nent ordinairement ces beaux & sacrez mots, les attribuants à ces perfides: qu'il y aura encores quelques vns des Tres-illustres princes d'Alle∣magne, qui au voyage que le frere du tyran y fera s'en allant en Pologne, n'aurōt pas honte de l'en appeller & de luy faire aussi bel accueil, que l'on feroit à vn honneste homme.

Si quelcun pour legere faute se trouuant mis au bā de l'Empire, est recueilly par quelque Prin¦ce, soudain l'Empire luy courra sus. Mais à ceux∣cy qui sont attains, son conuaincus & condam∣nez deuant Dieu & deuant les hommes, d'estre des schelmes execrables & ennemis du genre hu¦main, sous couleur qu'ils sont des gros schelmes, vn chacun les honorera, iusques à se confederer & se liguer auec eux. Quelle misere!

L'hist.

Ne scay tu pas que le prouerbe en a donné son iugement. La censure tourmente les pigeōs, laissant aller les corbeaux libres. Mais n'entrons pas ie te prie plus auant en ceste matiere: tel luy baisera la main qui la luy voudroit voir bruslee:

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& tels ira-il visiter qu'il voudroit desia voir par terre: leur dam, s'il ne scauent choisir l'occasion que Dieu leur appreste.

Or dis maintenant ie te prie ce que tu m'as en cores à dire.

Le pol.

I'en suis content. Apres que i'eu seiourné à cause de mon indisposition quelque temps à Nismes, où nous receuions (comme ie t'ay dict) tous les iours à force nouuelles, entendāt qu'on traitoit la paix: & que les ambassadeurs Polo∣nois de la Religion estoyent en chemin pour ve∣nir en France, ie m'acheminay par l'auis de nos freres à Paris, où la cour du tyran estoit, pour voir vn peu sa contenance & celle de ses courtisans à leur retour de la Rochelle.

Ie trouuay à mon arriuee, qui fut sur la fin de Iuillet, que l'edit dont ie t'ay parlé estoit desia iet té au moule: tellement toutefois que de honte, quelque meschant & trupellu qu'il soit, on ne l'o soit point publier au Parlement ne dans Paris: craignant de fascher les Sires Pierres, & d'appre∣ster à d'autres à rire pour leur argent tout despen du meschantement.

Cependant nos beaux assiegeurs estoyent de retour à la Cour, non pas tous, non, comme il faut croire: ains seulement les reschappez: ie par∣le de nos courtisans. I'y vy les trois Rois qu'on appelle: le tyran, le roy de Pologne, & le tiers, le roy de Nauarre: qui pour rendre graces à Dieu pour la paix ou leur deliurance, ne cessoyent de le despiter & de le prouoquer à ire par leur lasci∣ue puanteur & autres tels Sardanapalismes.

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Ie sceu que ces trois beaux Sires s'estoyent fait seruir à la table en vn leur banquet solennel àdes femmes toutes nues, ausquelles apres le banquet ils bruslerent auec des torches allumees le poil de leurs parties honteuses.

Apres cela comme ils estoyent en peine de sca¦uoir en quoy ils employeroyēt le reste de la nuit, ie sceu qu'ils auoyent mandé à Nantouillet pre∣uost de Paris de leur apprester la collation, qu'ils la vouloyent aller prendre chez luy. Et que de fait ils y allerent, quelque excuse que Nantouil∣let sceust alleguer pour ses deffenses.

Ie sceu qu'apres la collation, la vaisselle d'ar∣gent de Nantouillet & ses coffres furent fouillez & pillez par les Rois & leurs satellites: & disoit∣on dedans Paris, qu'on luy auoit pris & volé plus de cinquāte mille francs. Et qu'il eust mieux fait le bon homme de prendre à femme Chasteau∣neuf, fille ioye du roy de Pologne, que de l'a∣uoir refusee: qu'il eust mieux fait aussi d'auoir vē du sa terre de Nantouillet au duc de Guyse, que de se faire ainsi piller à si grands & puissans vol∣leurs.

En somme ie sceu que le lendemain le pre∣mier President de Paris fut trouuer le tyrā, & luy dire que tout Paris estoit esmeu pour le vol de la nuict passee: & que quelques vns vouloyent dire qu'il l'auoit fait pour rire, & qu'il s'y estoit trou∣ué luy mesmes.

A quoy le tyrā respondit, que par le sang Dieu.' il n'en estoit riē & que ceux qui le disoyēt auoyēt mēty: dont le Presidt trescōtent: i'en informeray

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donques, sire (repliqua-il) & en feray faire iustice. Non, non, respondit le tyran, ne vous en mettez pas en peine, & faites entēdre à Nantouillet qu'il aura trop forte partie, s'il en veut demander rai∣son. Voila que ie sceu au vray quant à ce fait.

Apres ie sceu qu'vn autre iour les Rois firent dresser partie à douze de leurs courtisans, contre douze filles de ioye des plus honnestes de Paris: & que pour la mieux voir iouer, ils firent tendre en vne salle douze lits de cāp sans rideaux, ou cha cun auec sa chacune en la presence de ces Rois n'auoit pas honte de deffier ses cōpagnons à pail larder.

L'hi.

O mon Dieu, qu'est-ce que i'oy dire! hé que voila d'infames actes! Ie ne croiray iamais que Neron, Caligule, Heliogabale, & le vilain Sarda napale ayent approché que de loin à l'infameté de ceux-cy.

Le pol.

Or escoute. I'apprins à Paris d'auantage: que le tyran auoit mandé & escrit deux fois à son frere le roy de Pologne durant le siege de la Ro∣chelle, qu'il deust faire estrāgler la Mole vn gen∣tilhomme Prouençal, fauory du duc d'Alençon.

L'hi.

Ie le cognoy bien: & qu'elle raison en auoit il? la Mole est-il pas Papiste & le balladin de la cour?

Le pol.

Il est vray. Mais tant y a que le tyran le cō∣manda, quoy que son frere ne fit riē que mōstrer seulemēt les letres à la Mole, afin qu'il auisast vn peu de plus pres à son fait que par le passe.

L'hi.

Et ne dit on pas l'occasion qui esmeut le ty∣ran à cela.

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Le pol.

On dit qu'il n'en auoit point d'autre que l'occasion de ialousie, de tant que la Mole estoit fauorizé d'vne ieune princesse que ie ne nomme point pour le respect de son mary, plus que le ty∣ran n'eust voulu. Apres ie sceu que pour ceste oc∣casion mesme, le tyran voyant que son frere n'a∣uoit voulu faire despecher la Mole, fit vne nuict dessein luy-mesmes de l'estrangler dedās sa cour, où la Molle estoit retourné apres le camp de la Rochelle.

Et pour ce faire sachant que la Molle estoit en la chambre de la duchesse de Neuers dans le Lou ure, il print auec luy le duc de Guyse, & certains gētilshommes que ie te nommeray iusques à six, ausquels il commanda sur la vie d'estrangler ce∣luy qu'il diroit auec des cordes qu'il leur distri∣bua.

En cest equippage le tyran portant vne bugie allumee, il disposa à la sortie de la chambre de la duchesse de Neuers, ses compagnons bourreaux sur les brisees que la Mole deuoit prendre pour aller à la chambre de son maistre le duc d'Alen∣çon. Mais bien seruit au poure ieune homme de ce qu'au lieu d'aller à son maistre, il descēdit trou¦uer sa maistresse: sans rien scauoir de la partie, la∣quelle il ne pouuoit autrement eschapper qu'en descendant en bas, comme il fit au lieu de mon∣ter à son maistre, comme les autres le pensoyent.

Lhi.

Voila vn ieune homme perdu, s'il ne prend garde debonne heure aux embusches dece tyran.

Le pol.

Il a beau se donner de garde: s'il ne prent l'expedient de Bodille: & s'il ne fait, comme l'on

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dit, d'vne pierre deux galands coups, deliurant soy & sa patrie de ce monstre pernicieux, & met∣tant le duc en sa place: maintenant que l'autre est bien loin. Autrement cest fait de la Mole: le ty∣ran iamais ne pardonne à pas vn de ceux qui le faschent, quelque mignon de cour qu'il soit. Et ie t'en diray vne preuue que possible tu ne scay pas.

L'hi.

Ie t'en supplie. Ie suis tout prest de t'escou∣ter, si c'est quelque preuue nouuelle qui puisse ser uir à l'histoire.

Le pol.

Ce que ie te veux dire, n'est pas nouueau à quelques vns qui me l'ōt dit pour chose seure. La pluspart ignore le fonds de la trahison du tyran: & cecy me semble tout propre pour aider à bien l'esclaircir.

Tu scay que Lignerolles fut tué à Bloys la cour y estant, & que le bruit courut entre aucuns, que le roy de Pologne, qu'on appelloit lors Monsieur l'auoit fait tuer pour auoir descouuert au tyran vn paquet d'Espagne qui venoit à Monsieur, trai∣tant de quelques intelligences secrettes auec l'Es¦pagnol.

Autres pensoyent que c'estoit simplement Villequier, qui pour desmeller sa querelle s'estāt accompagné de ses amis, auoit anticipé sur Li∣gnerolles luy en prestant vne dans le sein.

Mais voicy la vraye occasion de la mort de Li∣gnerolles que i'ay apprins estant en Cour, de la bouche d'aucuns des grands, qui cuidoyent que ie fusse encores Papiste.

Le tyran & sa mere qui desiroyent sur toutes

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choses fait mourir l'Amiral & d'exterminer tout le reste des Huguenots de la France. Apres auoir cerché dés la paix de l'an 1570. parmi tous ses sup¦posts & courtisans vn qui fust assez habile à leur tracer quelques moyens pour executer subtile∣ment leur proiect, puis que la force ny auoit de¦rien peu seruir. S'asseurans qu'il n'y auoit aucun à leur gré mieux auenant à forger vne lascheté, quelque beste qu'il soit, au reste, pour l'insigne meschanceté qu'il nourrit dans son courage, que l'Italien Birague, Garde seaux: ne voyans pas aus∣si qu'il y en eust vn qui sceust mieux garder leur secret.

L'ayans fait venir à eux, luy communiquerent leur dessein & volonté: & luy donnerent charge expresse d'auiser de tout son pouuoir à leur tra∣cer ce qu'il croiroit pour seruir à l'execution de leurs desirs.

Birague se voyant de tant honoré, tout aise de ce qu'on l'auoit preposé en affaire si important aux autres de sa nation, leur promit de faire en sorte qu'ils auroyent contentement.

Il ne faut pas douter (ie diray cecy en passant) qu'il ne se promist dés lors d'auoir l'estat de Chā∣celier qu'on luy a du depuis baillé en recompen∣se de ce seruice.

Quelques iours se passerent durant lesquels, (comme tu peux penser) le vilain eut beau discou¦rir tout à loysir & à part soy de ce qu'il iugeoit necessaire.

A la fin il se resolut qu'il estoit du tout expe∣dient de mettre en auant de traicter & resoudre à

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quelqué marché que ce fut le mariage de la soeur du tyran auec le prince de Nauarre, afin de pou∣uoir attirer par ce cordeau les Huguenots, l'A∣miral auec la Noblesse à la discretion de la cour. Que pour faciliter cest affaire, il ne falloit nulle∣ment pardonner à beaux semblants, presens, pro∣messes, & autres telles attrapoires & cau benitede cour iusques qu'on les vist dans Paris, où la cour pour ceste occasion se remueroit au besoin: eux y estās venus, recueillis & caressez qu'il falloit pour le temps des nopces leur dresser vn fort à plaisir bien troussé & bien equippé, comme à mode de guerre, au Pré aux clercs, ou pres des Tuyleries, sous couleur de faire exercer les courtisās, les vns à assaillir, les autres à deffendre le fort pour l'es∣bat & passeemps des dames. Qu'il estoit de be∣soin de faire que l'Amiral fust le chef des assail∣lans: & qu'il fust suyui des gentils hommes de la Religion, qui lors se trouueroyent en cour, des∣quels il ne falloit pas douter qu'il ne s'en trouuast vn bon nombre: & que ceux qui deffendroyent le fort fussent des plus feaux & asseurez courtisans, Capitaines & soldats du tyran: desquels les chefs auroyent le mot de guet de tout ce qu'il leur fau∣droit faire. Qui seroit, selon son auis, de charger à plomb leurs harquebouzes, les encarrer & tirer droit à l'Amiral & à ceux de sa trouppe, leur cour re sus à bon escient, & les tuer, comme qu'il en fust, apres auoir fait quelque semblant au com∣mencement de combatre & de se deffendre seule ment pour le plaisir.

Que cela fait on viendroit facilement à bout

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des autres Huguenots quelque part qu'ils se re∣tirassent. Quant à la couuerture du fait, lors qu'il seroit executé, qu'on trouueroitassez de pretexte, qu'il n'y auoit pas faute de quelque grosse conspi¦ration, dont on les prouueroit autheurs, pour leut ietter le chat aux iambes.

Apres que Birague se fut resolu de la sorte, luy semblant qu'on ne pouuoit mieux, il fit entendre au tyran & à sa mere tout ce qu'il en auoit tracé. Eux considerans que l'affaire seroit assez bien cō∣duit, s'on le demenoit de la sorte, apres auoir fait à Birague quelques difficultez sur la forme, & sur la matiere: & le moyen de l'exploiter, se resolu∣rent à la fin de suyure ce chemin là & ces brisees par l'auis mesme du comte de Rets, à qui ils le cō¦muniquerent, qui s'y accorda de tout point. Si mi rent le mariage sur les rengs, & firent tout ce que tu scay, pour tirer les nostres en cour.

Quelques iours apres ceste resolution le tyran la voulant faire entendre à son frere le duc d'An∣iou, le fit coucher auec luy, comme il a de coustu∣me, quand il le veut entretenir de quelque chose d'importance. Et luy ayant communiqué tout, le fit iurer & promettre de n'en iamais rien reueler, d'auoir seulement bon courage, qu'il s'asseuroit d'en voir le bout.

Le duc d'Aniou trouuant ceste entreprise bien difficile à digerer, se dispensa de lacommuniquer à Lignerolles sous vn grād & profond silēce, que Lignerolles luy iura.

Afin que Lignerolles qui estoit son plus grand mignō, selon le iugemēt & discours qu'il en pour

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roit faire, luy dit librement son auis, apres y auoir bien pensé pour mieux faciliter l'affaire.

Mais comme Lignerolles, ne trouuant rien à redire à vne trahison si bien proiectee, luy fist la chose biē aisee: sans en rien parler d'auātage leur dessein demoura couuert. Iusqu' à ce qu'vn iour le vieux Briquemaut, qui solicitoit auec Teligny & les autres les affaires de la Religion à la Cour: estant allé parler au tyran pour auoir quelque iu∣stice des meurtres commis à Rouen sur les fide∣les apres la paix, & le trouuant froit & restif d'en commander le chastiemeut: s'auança de dire au tyran qu'il seroit à craindre, s'il n'en faisoit faire vengeance, que les Papistes deuinssent si insolens qu'ils se permissent encores d'auantage, & que les Huguenots ne les pouuans supporter fussent contraints de re courir aux armes, s'ils n'y voy∣oyent autre moyen d'en auoir iustice: dont s'en∣suyuroit qu'on retourneroit en guerre aussi forte qu'au parauant.

Ce langage esmeut le tyran à commander au mareschal de Montmorency de s'en aller iusqu' à Rouen, pour voir de remedier à tout.

Cependant Briquemaut s'en estant allé de la presence du tyran: le tyran fit vuider sa chambre pour pouuoir blasphemer à l'aise & se despiter tout seul.

Lors que Lignerolles estant admis dans la chambre du tyran pour luy parler de quelque af∣faire, le trouuant esmeu de cholere, s'auança de luy demander tout doucementt l'occasion de

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son mal talent: qu'il estoit aisé à iuger que sa Ma¦iesté estoit esmeue.

Ventre-Dieu, ce dit le tyran, & qui ne seroit en cholere? d'ouyr ce bougre de Briquemaut, (ainsi appelle-il le plus souuent les gens de bien) me brauer & me menacer que ie suis pour rentrer en guerre, si ie ne punis ceux de la ville de Rouen.

He Sire, respond Lignerolles, & ne pourriez vous attendre sans vous tant fascher de ces cho∣ses, l'assaut & deffense du fort.

Or cela disoit Lignerolles pensant rappaiser le tyran, & luy voulant faire sentir qu'il auoit eu part au Conseil, se mōstrant par là aussi sot, qu'il se cuidoit estre habile.

Le tyran l'entendant ainsi parler, se doutāt d'e∣stre descouuert: Quel fort, repliqua-il, mort-dieu ie ne scay que vous voulez dire. Le fort Sire, dit Lignerolles, du iour des noces que scauez.

Le tyran en ayant ouy plus qu'il n'eust voulu, changeant de propos, renuoya Lignerolles, qui s'auisa possible bien tard qu'il auoit vn peu trop parlé.

Soudain apres le tyran ayant mandé sa mere, luy demanda s'elle auoit descouuert leur pot aux roses, que par le sang quelqu'vn en auoit ia parlé. Mais trouuant que sa mere n'en auoit rien dece∣lé, il fit venir le comte de Rets, auquel d'abordee il va dire: Petit vilain, par le sang Dieu, ie t'ay ait trop grand, petit belistre: mais ie te fe∣ray bien si petit, qu'on ne te verra pas sur terre:

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tu descouures mes secrets, Bougre, ie me don∣ne, &c.

Ce poure vilain du Peron se voyant ainsi ru∣doyé, plus mort que vif & tout tremblant, com∣mença à respondre au Sire, que iamais il n'auoit pensé seulement d'en ouurir la bouche: le suppli∣ant de le faire pendre, s'il trouuoit qu'il ne fust ainsi.

Le tyran ne sachāt que dire, s'en alla lors trou¦uer son frere, luy demandāt s'il n'auoit point par∣lé à quelcun de cest affaire. Et comme son frere, en le suppliant de luy pardonner luy eust confes∣sé qu'il s'en estoit descouuert à Lignerolles, & non à autre, le cognoissant homme secret & de discours, afin d'en auoir son auis pour mieux exe cuter le cas. I'ay bien cognu, dit le tyran, que qu el cun luy auoit parlé: vous m'auez fait vndesplaisir qui me gardera de vous rien plus dire▪ quant à Li gnerolles, c'est vn sot, il faut qu'il meure. Car es∣coutez ie ne veux pa qu'il en ouure iamais la bouche.

Le duc d'Aniou, cognoissant sa faute, celle de Lignerolles & la cholere du tyran, ne sceut autre chose que dire, sinon qu'il ne s'y opposoit pas. Dés ceste heure-là le tyran ayant fait venir à soy son frere bastard le Cheualier, luy cōmanda d'al∣ler trouuer le ieune Villequier, de luy fournir six ou sept bons hommes pour escorte, & luy dire de sa part que par le sang il estoit lasche, couard & recreu de courage, s'il n'essoyoit à auoir raison de Lignerolles, qui luy auoit fait tort.

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Le Cheualier ne fallit pas à s'acquitter bien de sa charge, laissant Villequier resolu, armé & accō¦pagné de mesmes. Mais Villequier en trouuant Lignerolles, seigna du nez sans l'oser attaquer comme le tyran desiroit.

Qui fut cause que le tyran l'ayant sceu manda querir Villequier, & apres luy auoir dit des pouil les, luy defendit de se trouuer iamais deuant luy, s'il ne tuoit à ce coup Lignerolles: luy donna vne espee bonne & bien trenchāte & l'arma luy∣mesmes de son iacque de maille, cōmandant au cheualier de l'accōpagner mieux que la premie∣re fois de gens, qui ne fissent point faute de tuer bien mort Lignerolles, & qu'il le leur dist de sa part. Ce commandement fait, la partie fut dres∣see de nouueau en laquelle le Cōte de Mansfeld papiste qui pour lors estoit à la Cour & S. Iean de Montgomery & quelques autres gentilshom me accompagnerent Villequier, qui estant allé tout resolu trouuer le poure Lignerolles, l'atta∣qua de cul & de teste, le blessa, & comme il s'en fuyoit la bonne aide de sa quadrille l'ataignit & porta par terre d'vn coup d'espee à trauers le corps. Ainsi mourut le beau fils Lignerolles l'vn des fauoris de la Cour.

Quant au dessein, que ie t'ay dit basty par le garde-seaux Birague, cōbien que lon dressa suy∣uant sa trace, le fort pour le temps des nopces: toutesfois, pource que l'on sentit que l'Amiral ne vouloit point estre de la partie, & que bien peu de noblesse de la Religion y vouloit assi∣ster: le tyran fut contraint, pour assouuir son las∣che

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desir, de prendre vn autre expedient par l'ad∣uis de ces premiers conseilliers & du Duc d'Au∣male & de Neuers, ausquels il communica le fait vn peu auant les nopces.

En ces entrefaites le Duc de Guise, qui doutoit que l'Amiral auquel il portoit particuliere inimi∣tié, luy eschappast & qu'il se retirast de la Cour, comme il en auoit enuie, luy fit tirer le coup d'arquebousade que tu scay le vendredy deuant le massacre. Qui fut cause qu'ils changerent en∣cores leur proiect, faisans à l'oeil & selon l'oc∣currence (au desceu de ceux à qui ils auoyent cil lé les yeux auec leurs caresses de Cour) leur trai∣stresse & desloyalle guerre sur les gens de bien, mal-auisez. Voila ce qu'en i'en ay peu apprendre de plus veritable en la Cour.

Historiog.

Ce fait est autant remarquable que nul autre de ceux que tu m'as recité a fin que vn chascun cognoisse la désloyauté des tyrans: & que les Courtisans apprennent ce qu'ils en doyuent esperer.

Le pol.

C'est merueille qu'en voyant tant d'e∣xemples apparens, voyant le danger present, personne ne se veut faire sage au moins aux des∣pens d'autruy: & que de tant de gens qui s'ap∣prochent si volontiers des tyrans, il n'y a pas vn qui ait l'auisement & la hardiesse de leur di∣re, ce que dit le regnard au lion (qu'on dit estre le Roy des bestes, qui faisoit, comme dit le conte, le malade dans sa tasniere) ie t'irois voir luy dit-il (Sire) & bien souuent de bon coeur: mais ie voy tant de traces de bestes qui vont en

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uant vers toy & en arriere qui reuienent ie n'en voy pas seul ement vne.

L'hist.

Si feu monsieur l'Amiral eust sceu ce conte & qu'il eust parlé en regnard, il nous en eust à tous mieux pris. Mais la brebis com∣me tu scay, ne scait rien faire que beeler, & ne scachant auec les loups hurler pour desguiser sa voix, elle n'a garde d'eschapper. Mais quant à ces autres Courtisans. quel remede?

Quand ces miserables voyans reluire le thre∣sor du tyran, qu'il tire de la sueur du peuple, & de la despouille des bons, regardent rous e∣stonnez les rayons de sa brauerie: & allechez de ceste clarté s'approchent de luy, sans regarder qu'ils se mettent dans la flamme qui ne peut fail∣lir à les consumer.

Ainsi le Satyre indiscret voyant, comme di∣sent les fables anciennes, esclairer le feu trou∣ué par Promethee, le trouua si beau qu'il l'alla baiser & s'y brusler.

Ainsi le Papillon qui espere iouyr de quel∣que grand plaisir se met au feu de la chandelle, qu'il voit estre clair & luysant, esprouuant en iceluy son autre vertu qui le brusle.

C'est vne chose bien certaine que ces co∣quins mendie-faueurs souffrent vne peine in∣credibile, à qui y regarde de pres: estans con∣trains d'estre nuict & iour apres à songer pour plaire au tyran, & se rompre, se tuer, & tra∣uailler pour inuenter nouueaux moyens de tra∣hir, de tuer, de paillarder, de piller, de desro∣ber, & qu'ils laissent leur goust pour le sien,

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& neantmoins se craindre de luy plus que de tout homme du monde: auoir tousiours l'oeil au guet, l'oreille aux escoutes pour espier d'ou viendra le coup, pour descouurir les embus∣ches, pour sentir la mine de ses compagnons, pour aduiser qui le trahist, rire à chascun, se craindre de tous, n'auoir aucun, ny ennemy ouuert, ny amy asseuré, ayant tousiours le visa∣ge riant & le coeur transy, ne pouuant estre ioy∣eux, & n'oser estre triste.

Le pol.

Tu as descrit en deux mots, la vie de ces miserables. Mais pour en parler à bon escient & ne plus flatter le dé, comme l'on dit, tout ainsi que la Repub de laquelle les Roys philosophent ou en laquelle les Philosophes sont gouuerneurs (selō le dire de Platon) est heureuse sur toutes au∣tres: Et que c'est vn tresgrand heur d'estre suiet à vn bon Prince qui soit suiet à la loy, laquelle ait pour seure garde de peur qu'elle ne soit violee, quelques estats ou parlemēs. Ainsi que iadis no∣stre Frāce, & cōme encores quelques vns de nos voisins l'ont pour ce iourdh'uy parmy eux. Aussi est-ce vne grāde misere de demeurer sous laserui tude d'vn tyran, chasseur desloyal, & d'vn conseil de mesme estoffe, qui ne garde ni foy, ni loy, au∣cune equité ou droiture, non pas mesme l'huma∣nité, ni les loix que nature imprime dans le coeur des plus malotrus. C'est (di-ie) vn extreme mal∣heur non seulemēt pour les Courtisans: ains aussi pourtous les François de quelque religion & cō¦dition qu'ils soyēt d'estre suiets à vn maistre, du∣quel on ne peut iamais s'asseurer qu'il soit bon,

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puis qu'il est tousiours en sa puissance d'estre mau¦uais quād il voudra, & d'auoir plusieurs tels mai∣stres: c'est autant qu'on en a estre autant de fois extremement mal-heureux. Mais ie scaurois volō¦tiers, comme il se peut faire que tant d'hommes, tant de bourgs, tāt de villes & tant de prouinces, endurent si long tēps vntyran seul, qui n'a moyen que celuy qu'on luy donne, qui n'a puissance de leur nuire, sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endu¦rer, qui ne scauroit leur faire malaucun, sinō alors qu'ils ayment mieux le souffrir que luy contredi∣re? Tant plus i'y pense, plus i'en suis esbahy.

L'hi.

Et moy de mesmes, ie t'asseure. Mais ie te prie, mon grand amy, que i'aye ce bien main∣tenant de t'ouyr sur ceste matiere, faire vn peu le prestre Martin. Ce suiet est propre à ce temps & ie scay bien que tu l'entens aussi bien qu'hom∣me de nostre aage. Commence, ie t'escouteray, i'ayme mieux veiller toute nuict.

Le pol.

I'en suis content: aussi bien y a il long temps que i'en suis si gros, que ie creue d'enuie que i'ay d'en fanter ce que ie sens de c'est affaire: Mais ie proteste bien que ie n'en parleray point comme les Huguenots en parlent, ils sont trop doux & trop seruiles: i'en parleray tout ample∣ment en vray & naturel François, & comme vn homme peut parler des choses suiettes à son iu∣gement, voire au sens commun de tous hommes: a fin que tous nos Catholiques, nos patrio∣tes & bons voisins & tout le reste des François qu'on traite pire que les bestes, soyent esueillez à ceste fois pour recognoistre leurs miseres, &

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auiser trestous ensēble de remedier à leurs mal∣heurs. A la verité dire, mon compagnon, c'est vne chose bien estrange de voir vn million de milliōs d'hommes seruit miserablemēt ayans le col sous le ioug, non pas cōtraints par vne plus grād forc: mais aucunemēt (ce me semble enchātez & char mez par le nō seul d'vn, duquel ils ne doyuent ne craindre la puissance, puis qu'il est seul: ne aimer les qualitez, puis qu'il est en leur endroit inhu∣main & sauuage.

La noblesse d'entre nous hōmes est telle, qu'el le fa it souuēt que nous obeissons à la force: il est besoin de temporiser, nous ne pouuons pas tous iours estre les plus forts. Si dōques vne natiō est contrainte par la force de la guerre de seruir à vn (comme la cité d'Athenes, aux 30. tyrans) il ne se faut esbahir qu'elle serue: mais se plaindre de l'ac¦cident, ou plustost ne s'esbahir ny ne s'en plain∣dre: ains porter le mal patiemment & se reseruer à l'auenir à meilleure fortune.

Nostre nature est ainsi, que les communs de∣uoirs de l'amitié emportent bōne partie du cours de nostre, vie. Il est bien raisōnable d'aimer la ver¦tu, d'estimer les beaux faits, de recognoistre le biē d'où l'on la receu, & diminuer souuent nostre aise pour augmēter l'hōneur & auātage de celuy qu'on aime & qui le merite. Ainsi donc si les ha∣bitans d'vn pays ont trouué quelque grād person nage qui leur aye monstré par espreuue vne gran¦de prouidence pour les garder, vne grande har∣diesse pour les defendre, vn grand soin pour les gouuerner: si de là en auant ils s'appriuoisent de

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luy obeir & se fier tant de luy que de luy donner quelque auantage (ie ne scay si ce sera sagesse de l'oster de là où il faisoit bien pour l'auancer en vn lieu où il pourra mal faire) mais il ne peut faillir d'y auoir de la bonté du costé de ceux qui l'esleuent, de ne craindre point mal de ce∣luy de qui on n'a receu que bien.

Mais bon Dieu! Que peut estre cela? Com∣ment pourrons-nous dire que cela s'appelle? Quel mal-heur est celuy-la? Quel vice? ou plus∣tost, quel mal-heureux vice? voir vn nombre in∣fini de personnes, non pas obeir, mais seruir, non pas estre gouuernees, mais tyrannisees: n'ayans ni biens, ni parens, ni femme, ni enfans, ni leur vie mesmes qui soit à eux. Souffrir les paillardi∣ses, les pilleries, les cruautez, non pas d'vne ar∣mee, non pas d'vn camp Barbare, contre lequel il faudroit despendre son sang & sa vie, mais d'vn seul, non pas d'vne Hercule, ne d'vn Samson, mais d'vn seul hommeau le plus lasche & femelin de toute la nation. Non pas accoustumé à la pou∣dre des batailles, mais encores à grand peine au sable des tournois. Non pas qui puisse par force commāder aux hommes, mais tout empesche de seruir vilemēt à la moindre femellette. Appelle∣rōs-nous cela lascheté? Dirons nous que ceux la qui seruent à vn si lasche tyran soyent couars & recreuz?

Si deux, si trois, si quatre ne se deffendent d'vn, cela est estrange & possible pourra-l'on bien dire lors à bon droit que c'est faute de coeur. Mais si

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cent, si mille endurēt d'vn seul, ne dira l'on point qu'ils ne veulent, non pas qu'il n'osent, se prēdre à luy: Et que c'est non couardise, mais plustost mespris ou desdain. Si l'on voit, non pas cēt, non pas mille hommes: mais cent pays, mille villes, vn million d'hommes n'assaillir pas vn seul, du∣quelle mieux traitté de tous en reçoit ce mal d'e∣stre serf & esclaue: Comment pourrons-nous nommer cela? Est-ce lascheté? Or y a-il en tous vices naturellement quelque borne, outre laquel le ils ne peuuent passer. Deux peuuent craindre vn: & possible dix le craindront: Mais mille, mais vn million, mais mille villes si elles ne se defen∣dent d'vn? Ce n'est pas couardise, elle ne va pas iusques la: non plus que la vaillance n s'estend pas qu'vn seul eschelle vne seule forteresse, qu'il assaille vne armee, qu'il conquiere vn Royaume, Donc quel mōstre de vice est cecy, qui ne merite encore pas le nō de couardise, qui ne trouue pas de nom assez vilain, que nature desauoue auoir fait, & la longueur refuse de le nommer.

Qu'on mette d'vn costé cinquante mille hom mes en armes: d'vn autre autant, qu'on les range en bataille, qu'ils viennent à se ioindre, les vns combatans pour leur franchise, les autres pour la leur oster: ausquels promettra-on par cōiectu∣re la victoire? Lesquels pensera l'on qui plus gail lardement iront au combat? ou ceux qui esperent pour le guerdon de leur peine l'entretenemēt de leur liberté? Ou ceux qui ne peuuent attēdre au∣tre loyer des coups qu'ils dōnent, où qu'ils reçoi∣uent, que la seruitude d'autruy?

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Les vns, ont tousiours deuant les yeux le bon heur de la vie passee, l'attente de pareil aise à l'a∣uenir, il ne leur souuient pas tant de ce qu'ils en∣durent ce peu de temps que dure vne bataille, comme de ce qu'il cōuiendra à iamais endurer à eux, à leurs enfans, & à toute leur posterité.

Les autres n'ont rien qui les enhardisse, qu'v∣ne petite pointe de leur conuoitise, qui se rebou∣che soudain cōtre le dāger, & qui ne peut estre si ardente, qu'elle ne se doiue (ce semble) esteindre par la moindre goutte de sang, qui sorte de leurs playes.

Aux batailles tant renommees de Milciades, & de Themistocles, qui ont esté donnees deux mille ans y a, & viuent encore auiourdhuy, aussi fresches en la memoire des liures, & des hōmes, comme si c'eust esté l'autr'hier, qui furent don∣nees en Grece, pour le biē de Grece, & pour l'ex∣emple de tout le mōde, & qu'est-ce qu'on pense qui donna à si petit nombre de gens, comme e∣stoyent les Grecs, non le pouuoir, mais le coeur de soustenir la force de tant de nauires, que la mer mesmes en estoit chargee, de deffaire tant de nations, qui estoyent en si grand nombre, que l'e scadron des Grecs, n'eust pas fourny seulement de Capitaines aux armees des ennemis: sinon qu'il semble que ces glorieux iourslà, ce n'estoit pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, cōme la victoire de la liberté, sur la domination, de la franchise, sur la conuoitise.

C'est chose estrange, d'ouyr parler de la vail∣lance que la liberté met dans le coeur de ceux qui

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la defendent.

Mais ce qui se fait tous les iours deuant nos yeux, en nostre France. Qu'vn homme mastine cent mille villes, & les priue de leur liberte, qui le croiroit, s'il ne faisoit que l'ouyr dire, & non le voir? Et s'il ne se voyoit qu'en pays estrange, & lointaines terres, & qu'on le dist, qui ne pēseroit que cela ne fust plustost feint ou trouué, que non pas veritable? Encores ce seul Tyran, il n'est pas besoin de le combatre, il n'est pas besoin de le deffaire, il est de soy-mesme desfait: mais que le pays ne consente pas à sa seruitude: il ne faur pas luy oster rien, mais ne luy donner rien: il n'est pas besoin, que le pays se mette en peine de faire rien pour soy, mais qu'il s'estudie à ne rien faire con∣tre soy.

C'est donques le peuple mesme, qui se laisse, ou plustost se fait gourmander, puis qu'en ces∣sant de seruir, il en seroit quitte.

C'est le peuple qui s'asseruit, qui se couppe la gorge: qui ayant le choix, ou d'estre serf, ou d'e∣stre libre, quitte sa franchise, & prent le ioug, & pouuant viure sous des bonnes loix, & sous la protection des Estats, veut viure sous l'iniquité, sous l'oppression & iniustice au seul plaisir de ce Tyran. C'est le peuple qui consent à son mal, ou plustost le pourchasse: s'il luy coustoit quelque chose à recouurer sa liberté, ie ne l'en presserois point: combien qu'est ce que l'homme doit auoir plus cher, que de se remettre en son droit na∣turel, & par maniere de dire de beste reuenir homme?

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Mais encore ie ne desire pas en luy vne si gran¦de hardiesse, ie luy permets, qu'il aime mieuxvne ie ne scay quelle seureté de viure miserablement, qu'vne douteuse esperance de viure aise.

Quoy si pour auoir la liberté, il ne luy faut que la desirer? S'il n'est besoin, que d'vn sim∣ple vouloir, se trouuera-il nation au monde, qui l'estime trop chere, la pouuant gaigner d'vn seul souhait? & qui pleigne sa volonté à recou∣urer le bien, lequel on deuoit racheter au prix de son sang, & lequel perdu tous les gens d'hon∣neur, doyuent estimer la vie desplaisante, & la mort salutaire.

Certes tout ainsi, que le feu d'vne petite e∣stincelle, deuient grand, & tousiours se ren∣force: & plus il trouue de bois, plus il est prest d'en bruler. Et sans qu'on y mette de l'eau pour l'esteindre, seulement n'y mettant plus de bois, n'ayant plus que consumer, il se consume soy∣mesmes, & vient sans force aucune, & n'est plus feu. Pareillement les Tyrans plus ils pillent & exigent, plus ils ruynent & destruisent, plus on leur baille, plus on les sert, de tant plus ils se for∣tifient, & deuienent tousiours plus fors, & plus frais, pour aneantir & destruire tout, & si on ne leur baille rien, si on ne leur obeyt point, sans cō∣batre, sans frapper, ils demeurēt nuds & desfaits, & ne sont plus rien, sinon comme la racine estant sans humeur, ou aliment, la branche deuient se∣che, & morte.

Les hardis, pour acquerir le bien qu'ils deman dent, ne craignent point le danger, les auisez ne

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refusent point la peine. Les lasches & estourdis ne scauēt ny endurer le mal, ny recouurer le biē, & s'arrestent en cela de le souhaiter. La vertu d'y pretendre leur est ostee par celle lascheté: le desir de l'auoir, leur demeure par la nature. Ce¦desir ceste volōté, est commune aux sages & aux indiscrets, aux courageux, & aux couards, pour souhaiter toutes choses, lesquelles estans acqui∣ses, les rendront heureux & contens. Vne seule chose en est à dire, en laquelle, ie ne scay comme nature defaut aux hommes pour la desirer, c'est la liberté, qui est toutefois vn bien si grand & si plaisant, qu'elle perdue, tous les maux vienent à la file, & les biens mesmes qui demeurent apres elle, perdent entierement leur goust, & saueur, corrompus par la seruitude.

La seule liberté, les hommes ne la desirent point, non pas pour autr raison (ce semble) si∣non que s'ils la desiroyent: ils l'auroyent comme s'ils refusoyent faire ce bel acquet, seulemēt par ce qu'il est trop aise.

Poures & miserables François, peuple insen∣se! nation opiniastre en ton mal, & aueuglee en ton bien! vous vous laissez emporter deuāt vous le plus beau, & le plus clair de vostre reuenu, pil∣ler vos chāps, voller vos maisons, & les despouil ler de meubles anciens & paternels, vous viuez de sorte, que vous ne vous pouuez vāter que rien soit à vous. Et sembleroit que meshuy, ce vous seroit grād heur, de tenir à mestayrie vos biens, vos familles, & vos vies. Et tout ce desgast, ce mal-heur, ceste ruine, vous vient non pas des en∣nemis,

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mais certes bien de l'ennemy, & de celuy que vous faites si grād, qu'il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la gran¦deur duquel ne refusez point de mettre à la mort vos personnes. Celuy qui vous maistrise tant, n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'vn corps, & n'a autre chose, que ce qu'a le moindre hōme du grād & infiny nombre de vos villes. Si∣non qu'il a plus que vous tous, vn coeur desloyal, felon, & l'auantage, que vous luy donnez pour vous destruire, d'où a-il pristant d'yeux, dont il vous espie? si vous ne les luy baillez. Comment a-il tant de mains pour vous frapper? s'il ne les prent de vous? les pieds, dont il foule vos citez, d'où les a-il, s'ils ne sont des vostres? Comment a-il aucun pouuoir sur vous, que par vous? com∣ment vous oseroit-il courir sus, s'il nauoit intel∣ligence auec vous? que vous pourroit-il faire, si vous n'estiez recelateurs du larrō qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue, & traistres à vous-mesmes.

Vous semez vos fruicts, afin qu'il en face des∣gast, vous meublez & remplissez vos maisons pour fournir à ses pilleries & volleries, vous nour rissez vos filles, afin qu'il ait dequoy rassasier sa luxure: vous nourissez vos enfans, afin que pour le mieux qu'il leur scauroit faire, qu'il les mene en ses guerres, qu'il les conduise à la boucherie, qu'il les face les ministres de ses conuoitises, les executeurs de ses vengeances, & bourreaux des consciences de vos concitoyens: vous rompez à la peine vos personnes, afin qu'il se puisse mig∣narder

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en delices, & se vcautrer dans les sales & vilains plaisirs: vous vous affoiblissez afin de le rē dre plus fort, & roide à vous tenir plus courte la bride.

De tant d'indignitez, que les bestes mesmes ne les souffriroyent point, vous pouuez vous en deliurer si vous essayez, non pas de vous en deli∣urer: mais seulement de le vouloir faire. Soyez re¦solus de ne seruir plus, & vous voyla libres, ie ne veux pas que vous le poussiez, ou esbranliez: mais seulement ne le soustenez plus, & vous le verrez comme vn grand Colosse, à qui on a des∣robé la base, de son poix, de soy-mesme fondre en bas & se rompre.

L'hist.

Il n'y a rien de plus veritable entre les choses humaines, que ce que tu viēs d'enseigner: que pleut à Dieu, que ces beaux mots eussent pie ça esté semez au beau milieu d'vne grande assem¦blee de nos Catholiques François, ie m'asseure, qu'ils y auroyent esté fort bien recueillis, & qu'il n'y auroit celuy d'entre eux, qui n'en fist bien son profit: nul auquel ils ne creassent par maniere de dire, vn nouuel esprit dans le ventre. Et quoy que le peuple François semble auoir perdu long tēps y a toute cognoissance, & que par là on puis∣se iuger, que sa maladie soit cōme mortelle, puis qu'il ne sent rien plus son mal: si est-ce, que i'o∣serois promettre, que ce discours vn peu dilaté, & accompagné de raisons, & d'exemples & de quelque belle forme d'administration de l'estar, de la iustice, & de la police, approchante à celle

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que nos anciens Peres auoyent parmy eux, du temps que les Estats estoyent en regne, dont M. Hottoman nous a fait vn fort gentil & riche re∣cueil en son oeuure Gaulefrançoise, i'oseroy (dis∣ie) asseurer que cela reueilleroit les coqs, leur fe∣roit hausser les crestes, battre les aisles, & courir sus de bec & d'ongles, contre ceux-là qui les tie∣nent captifs: & seroit suffisant moyen pour faire qu'vn chacun pēsast à recouurer sa liberté, à crier apres les Estats à les redresser, & remettre. On verroit bien tost l'aage d'or, que les Tyrās ont ef∣facé de France, pour y planter celuy de fer, d'op∣pression, & d'infameté, reluire comme au para∣uant, la paix, l'amitié & concorde surgir & croi∣stre à veué d'oeil, & faire à iamais sa demeure par my nos naturels François: he que cest vne grand pitie! qu'vne si belle nation, si grande & si opulen te, soit par si long temps mal menee, à l'appetit de six ou sept: desquels le meilleur ne vaut pas qu'on prenne peine de le pendre. Mais ie scau∣rois fort volontiers, s'il te plaisoit de me le dire, comment c'est, que tous nos François se sont ain si laisse deschoir, & comme ceste opiniastre vo∣lonté de seruir s'est si auant enracinee dans leurs mouelles, qu'il semble maintenant, que la me∣moire de la liberté ne soit pas si naturelle.

Le pol.

Si ie n'estois accablé de sommeil, ie te discourrois bien au long, d'où procede la mala∣die & la matiere peccāte d'icelle. Mais ie t'asseu∣re l'amy, que i'ay les yeux pieça cillez, & les le∣ures comme cousues. Nous aurons demain bon

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loisir: ie suis d'auis si tu le veux, que nous siour∣nions nos cheuaux, en attendant qu'vn Courrier viene, que nos freres du Languedoc me doyuent enuoyer bien tost.

L'hist.

Quel courrier est-ce? le cognoistroye ie point?

Le pol.

C'est Spoudaee. Ie croy bien que tu le cognoy.

L'hist.

Mon Dieu! he ie ne cognoy autre. Il n'a garde de faillir à nous apporter des nou∣uelles.

Le pol.

C'est pour cela qu'on me l'enuoye, & ie l'ay chargé à mon despart, de passer par cy har∣diment, & de s'enquerir de mes nouuelles, en ce logis cy où nous sommes.

L'hist.

Cola va bien, que i'en suis aise! attēdons le plustost trois iours.

Le pol.

Ie le veux bien. Le Seigneur nous face la grace de reposer en seureté, & nous doint à no¦stre resueil, de le seruir, en toute crainte, au nom de son fils nostre Seigneur Iesus Christ.

L'hist.

Ainsi soit-il.

FIN.
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