The wise and ingenious companion, French and English, or, A collection of the wit of the illustrious persons, both ancient and modern containing their wise sayings, noble sentiments, witty repartees, jests and pleasant stories : calculated for the improvement and pleasure of the English and foreigners / by Mr. Boyer ...

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The wise and ingenious companion, French and English, or, A collection of the wit of the illustrious persons, both ancient and modern containing their wise sayings, noble sentiments, witty repartees, jests and pleasant stories : calculated for the improvement and pleasure of the English and foreigners / by Mr. Boyer ...
Author
Boyer, Abel, 1667-1729.
Publication
London :: Printed by G.C. for Tho. Newborough ... and J. Nicholson ...,
1700.
Rights/Permissions

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Subject terms
Wit and humor.
Anecdotes.
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"The wise and ingenious companion, French and English, or, A collection of the wit of the illustrious persons, both ancient and modern containing their wise sayings, noble sentiments, witty repartees, jests and pleasant stories : calculated for the improvement and pleasure of the English and foreigners / by Mr. Boyer ..." In the digital collection Early English Books Online. https://name.umdl.umich.edu/a28932.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 16, 2024.

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LES Apophthegmes DES ANCIENS,

C'est à dire

Leurs Sentences, belles Pensees, nobles Sentimens, bons Mots, & Reparties fines, &c.

I

UN Riche Athenien pria le Philosophe Aristippe de lui dire ce qu'il desiroit pour instruire son Fils: Aristippe lui demanda mille Drachmes. Comment, dit l'Athenien, j'acheterois un Esclave de cét Argent là; Achetes en un, lui répondit Aristippe; & tu en auras deux; lui faisant entendre que son Fils auroit les defauts d'un Esclave, s'il ne faisoit pas la depense nécessaire pour le bien élever.

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Le fameux Philosophe Anacharsis ètoit Scythe, & un Grec qui n'avoit d'autre Merite que d'être né en Grece, le regardant avec envie, lui reprochoit la barbarie de son Païs: I'avouë, lui repliqua Anacharsis, que mon Pays me fait honte, mais tu fais honte à ton Pays. Ce mot peut être fort bien appliqué à ces petits Esprits qui mépri∣s•…•…nt les Etrangers seulement parce qu'ils sont Etrangers, sans considerer que le S•…•…avoir, l'Esprit & le Merite sont de tout Pays.

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Lors que Theopompus ètoit Roy de Sparte, quelqu'un di•…•… en sa presence, que leurs Ville ètoit florissante, parce que leurs Rois avoient appris à gouverner, à quoi le Roy repondit fort sagement, Que cela venoit plûtôt de c•…•… que le Peuple avoit appris à obeïr; donnant à entendre que les Villes où la Populace a du credit, se font beaucoup de tort par leurs Factions & leur desobeïssance, & qu'a∣lors il est difficile, même aux meilleurs Magistrats de les bien gouverner.

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Denys le vieux, Tyran de Syracuse, grondant son Fil•…•… de ce qu'il avoit violè la Chasteté de la Femme d'un des Bourgeois, lui demanda entr'autres choses, s'il avoit jamais entendu dire, qu'il eut fait de pareilles Actions; Non, lui dit le Fils, mais c'est parce que vous n'ètiez pa•…•… Fils de Roy: Tu n'en seras jamais Pere, lui dit Denys, si tu fais pl•…•…s de ce•…•… Folies. L'evenement justifia la verité de ce qu'il disoit; car ce jeune Homme ayant succedé à son Père, il fut chassé du Royaume de Syracuse à

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cause de sa méchante Conduite & de sa mauvaise Vie.

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Le Roy Antigonus alla voir Antagoras, Homme sa∣vant, lequel il trouva dans sa Tente occupê à apprêter des Congres; Croyez vous, lui dit Antigonus, qu'Homere fit bouillir des Congres lors qu'il écrivoit les glorieuses Actions d'Agamemnon? Et pens•…•…z vous, lui dit l'autre, que lors au'Agamemnon faisoit ces belles Actions, il se mît en p•…•…ine si quelqu'un dans son Camp fais•…•…it bouillir des: C•…•…ngres ou non?

6

On demanda à Socrate pourquoy il enduroit les Cri∣ailleries de sa Femme, & vous, dit il, Pourquoy souf∣frez vous le bruit de vos Oyes? Parce, repondit quel∣qu'un, qu'elles nous pondent des Oeufs; & bien, dit il, & ma Femme me fait des Enfans▪

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Apelles le fameux Peintre, fit le Portrait d'Alexandre le Grand à Cheval, & le lui presenta, mais comme A∣lexandre ne loüoit pas assez un si excellent Ouvrage, Apelles demanda qu'on fit venir un Cheval en Vie, se∣quel à la veuë du portrait se mit à trepigner des Pieds, & à hennir, le prenant pour une r•…•…alité; surquoy A∣pelles, lui dit, que son Cheval s'entendoit mieux en Peinture que lui.

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Le •…•…ameux Poëte Virgile s'ètoit si bien acquis les bon∣nes Graces d'Auguste par son Savoir & par son Esprit, qu'il en recevoit son Pain ordinaire; Auguste con∣noissant

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la profondeur de son jugement, lui demanda un jour en particulier, s'il pouvoit deviner ce qu'èt oit son Pere? Seigneur, lui repliqua-t-il, je crois fermement qu'il ètoit Boulenger; Boulenger, & pourquoy cela, lui dit Au∣guste; parce, dit Virgile, que vous me recompensez toûjours en Pain. Cette Réponse plût si fort à l'Empereur, que dans la suite il le recompensa en Argent,

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Alexandre le Grand ayant rempor•…•…é la Victoire sur l'Armée de Darius Roy de Perse, celui-ci lui demanda la Paix, & lui offrit la moitié de l'Asie, avec dix mille Talents. Parmenion, un de ses Favoris, charmé d'une Proposition si avantageuse, Seigneur, dit-il à son Maî∣tre, je vous proteste que si j'etois Alexandre, j'accepterois ces offres avec joye; & moy aussi, lui •…•…épondit Alexandre, si j'étois Parmenion.

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Le même Alexandre, étant à Delphes, entraina la Pre∣tresse d'Apollo•…•… dans le Temple, pour lui faire consulter l'Oracle en un jour deffendu; Elle, s'écria, aprés lui avoir resisté en vain, Alexandre, tu ès invincible. Je ne veux point, dit-il, d'autre Oracle que celui-là.

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Leon le Bizantin, Auditeur de Platon, & Philosophe fort fameux, ètant allé au devant de Philippe Roy de Macedoine qui venoit avec une grosse 〈◊〉〈◊〉 attaquer sa Patrie, il lui dit, Seigneur, Pourquoy venez vous attaquer nôtre Ville? parce que j'en suis amoureux, dit Philippe, en raillant, & que je viens pour •…•…n jouir. Ah! Sire, reprit Leon, les Amans ne vont point chez leurs Maîtresses avec des instrumens de Guerre, mais avec des instrumens de Mu∣sique.

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Cette agréable & subtile réponse plût si sort à Philippe qu'il changea de resolution, & laissant Bizance en liberté, il passa à d'autres Conquetes.

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On demandoit a Pythagore, pourquoy il avoit marié sa Fille à un de ses Ennemis, ce Philosophe •…•…épondit, que c'estoit, parce qu'il croyoit ne pouvoir lui faire un plus grand mal que de lui donner une Femme.

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Diogene voyant un Homme que tiroit de l'Arc, & qui en tiroit fort mal, se mit devant le but, on luy deman∣da, pourquoy il s'en mettoit si p•…•…és, c'est, répondit-il, afin qu'il ne me touche point.

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Alexandre allant voir Diogene le Cynique, il le trouva dans un champ expozé au Soleil, & l'abordant suivi de toute sa Cour, il luy dit, je suis le grand Alexandre; & moy, répondit le Philosophe, je suis Diogene le Cyni∣que: Alexandre luy fit plusieurs offres, & luy demanda ce qu'il souhaitoit de lui? rien autre chose dit Diogene, •…•…i-non que tu te mettes un peu à côté, parce que tu empêches le Soleil de donner sur moy. Le Roy surpris de ces Manieres, s'êcria, si je n'ètois point Alexandre je voudrois être Diogene.

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Pomp•…•…e ètant Malade de la Fievre, un de ses Amis le vint voir, & vit en entrant dans sa chambre une belle Escalve, dont Pompée ètoit amoureux, qui en sortoit: il demanda à Pompée comment il se portoit, la Fievre vient de me quitter, lui dit Pompée, je l'ai rencontrée qui sor∣toit de chez vous, lui dit son Ami.

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L'Empereur Auguste cherchant des Rai•…•…ons de la grande ressemblance qui ètoit entre lui & un jeune Homme Grec, lui demanda si sa Mere avoit jamais ê•…•…é à Rome? Non, Seigneur, lui répondit le Grec, mais mon Pere y est venu plusieurs fois.

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Pisistrate, Tyran d'Athenes, ayant resolu de se rema∣rier, ses Enfans lui demanderent si c'ètoit à cause de quelque mécontentement qu'il eût receu d'eux. au con∣traire, leur répondit-il, je suis si content de vous, & je vous trouve si honnêtes Gens, que je veux avoir encore d'autres Enfans qui vous ressemblent.

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Thales Milesien, l'un des sept Sages de Grece, étant interrogé quelle étoit la chose la plus ancienne? •…•…épon∣dit que c'étoit Dieu; parce qu'il a toûjours é•…•…é; quelle étoit la chose la plus belle? il dit que c'é•…•…oit le Monde; parce que c'est l'ouvrage de Dieu? quelle étoit la chosé la plus grande? le lieu; parce qu'il comprend toute autre chose; quelle chose étoit la plus Commode? l'Es∣perance; parce qu'aprés avoir perdu tous les autres biens, elle reste toûjours; quelle chose ètoit la Meil∣leure? la vertu; parce que sans elle, on ne peut rien dire, n'y rien faire de bon; quelle chose ètoit la plus promte? l'esprit de l'homme; parce qu'en un moment il parcourt tout l'Univers; quelle chose ètoit la plus forte? la Necessité; parce qu'elle surmonte tous les autres A•…•…∣cidens; quelle chose ètoit la plus facile? de donner conseil; quelle chose ètoit la plus difficile? de se connoître soy même; quelle chose ètoit la plus Sage? le temps, répondit-il, parce qu'il vient à bout de tout.

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Vn certain Soldat fort épouvanté, se presenta de∣vant Leonidas, & luy dit, mon Capitaine les Ennemis sont fort prez de nous; & bien, nous sommes donc aus∣si fort prés d'eux, •…•…épondit Leonidas. Il y en eut un au∣tre qui luy rapporta que le nombre des Ennemis ètoit si grand, qu'à grand peine pouvoit on voir le Soleil par la quantité de leurs dards; il luy •…•…épondit fort agré∣ablement, ne sera-ce pas un grand plaisir de combatre à l'ombre?

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Alexandre le grand demandoit â Dionides fameux Cor∣saire qui luy avoit été amené prisonnier, pour quelle raison il avoir été si hardy que de pirater & de faire des courses sur ses Mers; il répondit, que c'ètoit pour son profit, & comme Alexandre avoit coûtume de faire lui même, mais parce que je le fais, ajouta-til, avec une seule Galere, l'on m'appelle Corsaire; mais vous, Seigneur, qui le faites avec une grande Armée, l'on vous appelle Roy. Cette réponse hardie plût tant à Alexandre, qu'il lui donna au∣ssi tôt la liberté.

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Dari•…•…s Roy de Perse, envoya de grands Presents à Epaminondas, Chef des Thebains, pour tâcher de le cor∣rompre: Si Darius veut être Ami des Thebains, dit ce grand Capitaine à ceux qui les lui portoient, il n'est pas nécessaire qu'il achete mon amitié; & s'il a d'autres senti∣ments, il n'est pas assez riche your me •…•…orrompre. Et ainsi il les renvoya.

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Corax promit à Tisias de luy enseigner la Rhétorique▪ & Tisias de son côté s'engagea de lui en payer le Sa∣laire; mais l'ayant apprise, il ne vouloit point le satisfaire, c'est pourquoy Corax l'appella en justice. Tisias se fiant sur la subtilité de sa Rhétorique lui demanda, en quoy consistoit la Rhétorique: Corax re∣pondit, qu'elle consistoit dans l'art de persuader. donc dit Tisias, si je persuade les juges, que je ne te dois rien don∣ner, je ne te pay•…•…ray au•…•…une chose, parce que je gagneray le procez; & si je ne l•…•…s persuade pas, je •…•…e te payeray pas non plus, parce que je n'auray pas appris à p•…•…rsuader; ainsi tu feras mieux d'abandonner l'entreprise. Mais Corax qui ètoit plus fin que luy, reprit l'argument de cette maniere; si tu persuades les juges, tu me dois payer, parce que tu auras appris la Rhetorique, si tu ne les persuader pas, tu me dois payer de même; parce que tu perdras ton procez, ainsi de quelle façon que ce soit tu dois me satisfaire.

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Mécéne Favori d'Auguste, étant regalé par un Che∣valier Romain, sur la fin du repas il commença à pren∣dre quelque libe•…•…tez avec sa Femme. le Chevalier pou•…•… lui faire sa Cour, au lieu d'en paroitre jaloux, fit sem∣blant de dormir; mais voyant qu'un de ses Esclaves al∣loit emporter quelque chose du Buffe•…•…, Coquin, lui dit-il, ne vois tu pas que je ne dors que pour Mécéne?

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Il y avoit à Rome, du tems de l'Empereur Auguste, un pauvre Poëte Grec qui de temps en temps, lors que l'∣Empereur sortoit du Palais, lui presentoit une épigram∣me

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Grecque, mais quoy que l'Empereur la prit, il ne luy donnoit pourtant jamais rien; au contraire, voulant un jour se moquer de lui, & le congedier, lors qu'il le vit venir pour presenter ses Vers, l'Empereur lui envoya une épigramme en Grec de sa composition, & écrite de sa main; le Poëte la receut avec joye, la leut, & fit voir en la lisant par son Visage & par ses gestes qu'elle lui plaisoit beaucoup: l'ayant leüe, il tira sa bourse, & s'approchant d'Auguste, il lui donna quelques Sols, lui disant, prenez cét argent Cesar, je vous le donne, non selon vôtre haute fortune, mais selon mon petit pouvoir, si j'en a∣vois davantage ma liberalité seroit plus grande; tout le monde se mit à rire, l'Empereur lui même plus que les autres, & lui fit donner cent mille écus.

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Le jeune Scipion à l'âge de vingt quatre ans ètoit déja d'une Sagesse consommée: & quoy qu'il fit des Ex∣ploits d'Armes qui ètonnoient ses Ennemis, il fit encore de plus grandes Conquêtes par sa Vertu, que par sa Valeur. Car lors qu'on lui eût amené la Femme de Mandon, Prince Espagnol, & deux des ses Nieces d'une excellente Beauté, il les renvoya avec ces belles Pa∣roles: Qu'outre qu'il ètoit de son integrité, & de celle du Peuple Romain de ne rien violer de saint, leur propre consideration l'obligeoit encore à leur faire justice: puis que dans leur malheur, elles ne s'ètoient pas oubliées d'elles, ni de leur Vertu. Et ayant fait la même chose á un au∣tre Prince Espagnol, dont on lui avoit presentê la Femme, d'une Beauté encore plus accomplie que l'au∣tre, il la renvoya à son mary avec une grande somme d'Argent qu'on lui offroit pour sa rançon. Ce Prince

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charmé de cette Grace publia dans le Païs, qu'il ètoit venu en Espagne un jeune Romain semblable aux Di•…•…ux, qui se rendoit Maître de tout, moins par la force de ses A•…•…mes que par celle de sa Vertu & de son humeur bienfaisante.

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Le même Seipion ètant accusé devant le Peuple Ro∣main par Q. Petilius, d'avoir distrait une partie des de∣pouilles du Roy Antiochus à son profit, parut au jour marqué par son Accusateur. Mais ce grand Hom∣me, admirable par sa vertu & par sa valeur, au lieu de se justifier de ce qu'on l'accusoit, fier qu'il ètoit de son innocence, parlant au Peuple assemblé pour le condam∣ner, dit d'un air hardi & intrepide, & d'un ton de vainqueur. C'est à tel jour qu'aujourd buy, que j'ay pris Carthage, que j'ay défait Hannibal, & vaincu les Ca•…•…tha∣ginois, allons au Capitole en remercier les Dieux. Le Peuple surpris de cette Magnanimité, quitta l'accusa∣teur, suivit Scipion, & ce jour lui fut mille fois plus glorieux, que celui auquel il triompha du Roy Siphax, & des Carthaginois.

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Platon invita un jour à souper Diogene le Cynique avec quelques Siciliens de ses Amis, & fit orner •…•…a sale du Banquet pour faire honneur à ces Etrangers. Diogene qui ne pouvoit souffrir la propreté de Platon, commen∣ta à fouler aux Pieds les Tapis & les autres meubles, & dit fort brutalement: je foule aux Pieds l'orgueil de Platon: & Platon lui répondit sagement, il est vray, Diogene, mais vous le foulez par un plus grand orgueil.

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Cineas ètoit en grande estime auprès de Phyrrus Roy d'Epire qui se servoit de lui dans toutes ses Asfaires im∣portantes, & avoüoit qu'il avoit gagné plus de Villes par les charmes de son Eloquence, qu'il n'en avoit pris lui même par la force de ses Armes. Comme il vit que le Roy avoit tourne toutes ses Pensées vers l'expediti∣on d'Italie, il lui dit un jour en particulier: Sire, l•…•…s Romains passant pour un Peuple Guerrier, & comman∣dent à plusieurs Nations qui le sont aussi, mais suppose, que nous les vainquions, quel fruit retirerons nous de cette Victoire? La chose parle d'elle même, dit Phyrrus, car alors, ajoûta-t-il, aucune Ville n'osera nous refister & nous serons bien-tôt Maîtres de toute l'Italie. Et quand nous aurons l'Italie, repliqua Cineas, que ferons nous alors? La Sicile, dit-il, est p•…•…és & nous tend les Bras: Isle riche & peuplée qui sera facilement •…•…eduite il y a quelque apparence, dit Cineas; mais apré•…•… avoir subjugu•…•… la Sicile, cela mettra t-il fin à la Guerre? Si Dieu, dit Phyrrus, nous donne ce bon succez, ce ne seront que les Preludes de plus grandes choses; car com∣ment s'empêcher de passer en Afrique & d'aller à Car∣thage, qui sera bien tòt à nôtre commandement? Et é∣tant venus à bout de tout ceci vous m'avoüerez aise∣ment qu'aucun de ceux qui nous bravent maintenant, n'osera nous resister. Cela est vray, dit C•…•…neas; c•…•…r il est assez croyable qu'avec de telles Forces nous pourrons recouvrer la Macedoine, & faire la loy à toute la Grece. Mais aprés nous être ainsi rendus Maîtres de tout, que •…•…erons nous alors? Alors, cher Cineas, lui dit Phyrrus, d'un air gay, nous vivrons à nôtr•…•… aise, & nous nous don∣nerons du bon tems. Cineas l'ayant fait venir là, & à quoi tient-il, repliqua-t-il, que nous ne le fassions dés à pre∣sent puis que cela d•…•…pend de nous sans tant de sang & de peine?

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Chilon disoit il faut être jeune en sa vieillesse, & vieux en sa jeunesse; c'est-à dire, qu'un vieillard doit être sans chagrin, & qu'un jeune homme doit être sage.

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Artaxerces, dans un combat, ayant été obligé de pren∣dre la fuite aprés que son bagage & ses Provisions eurent été pillées, il se trouva si fort pressé de la faim qu'il fut reduit à manger un morceau de pain d'orge & quel∣ques figues seches. Elles lui parurent de si bon goût qu'il s'écria: O Dieux! de combien de plaisirs l'abondance m'a-t-elle privé jusqu' à ce moment.

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Ceux de Cyrene priérent Platon de leur dresser des Loix; je ne puis, leur dit-il, prescrire des Loix à ceux que l'abondance & la prosperité rendent incapables d'obeir.

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Archidamus, assiegeant Corinthe, vit sortir plusieurs Lié∣vres dè dessous ses murs: aussi-tôt se tournant vers ses Soldats: Voilaà, dit-il, Compagnons, les Ennemis que nous avons à combattre, nous devons plus craindre leurs pieds que leurs bras.

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Jules Cesar qui abordoit au rivage d'Affrique tomba en descendant du vaisseau: cette chûte qui sembloit de mauvais augure pour les desseins qu'il avoit sur ce Païs, fut par son adresse changéè en un présage heureux; il embrassa •…•…a Tèrre en tombant, & il s'écria; c'est à pre∣s•…•…nt, Affrique, que je te tiens.

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Timotheus, qui ètoit estimé heureux dans ses entre∣prises, fut par quelques envieux representé avec des fi∣lets en main, où les Villes venoient se jetter pendant qu'il dormoit; Timotheus, sans en temoigner le moindre chagrin, dit à ceux qui lui montroient cette Peinture: Si je prens de si belles Villes en dormant, que ferai je quand je serai èveillé?

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Sylla qui dépoüilloit les Temples pour payer ses Sol∣d•…•…ts, fut averti que comme on alloit piller celui d'A∣pollon à Delphes, on y avoit oüy le son de quelques Instru∣mens, Tant mieux, répondit-il, puisqu' Apollon jouë de sa Lyre, c'est une marque qu'il est de belle humeur, & qu'il n'est point irrité contre nous.

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Les Capitaines d'Alexandre se plaignirent à la journée d'Arbelles, que ses Soldats avoient l'insolence de vouloir qu'on leur promît tout le butin: Courage, leur dit-il, c'est un presage de la victoire: quand on parle avec cette asseurance là, on n'a pas envie de fuir.

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Diogene vint à Cheronée lorsque l'armée de Philippe y •…•…toit: il fut pris par •…•…es Soldats, & conduit au Roi qui ne le connoissant pas, lui dit que sans doute il é: oit un Espion, qui venoit pour l'observer: Tu as raison, repon∣dit Diogene, •…•…ar je suis venu en ce lieu pour observer ta folie, qui fait que non content du Royaume de Macedoine, tu 〈◊〉〈◊〉, au peril de ta vie, & de tes Etats, à usurper les

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Provinces de tes voisins. Le Roy admirant la hardiesse de cét homme commanda qu'on le mît en liberté.

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Jules Cesar passant dans un petit bourg, quelques uns de ses amis qui remarquoient la tranquilité des habitans, lui demanderent, s'il croyoit qu'il y eût là de grandes brigues pour le gouvernement: J'aim•…•…rois mieux, ré∣pondit Cesar, être le premier dans ce village, que d'étre le second à Rome.

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La Mere de Darius prisonniere d'Alexandre, lui faisant ses excuses de ce qu'en une visite dont il l'honora, elle avoit par meprise rendu à Ephestion, qui l'accompagnoi•…•…, les respects dûs à ce Roy: Alexandre, lui dit en la ras∣seurant, •…•…e vous troublez point, Madame, vous ne vous êtes pas trompée, celui que vous avez salué est un autre Alexandre.

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Chilon un des sept Sages de la Grece, pour nous faire entendre qu'il falloit être moderé & prudent dans ses affections, disoit: Il faut aimer un ami comme le pouvant haïr quelque jour, & il ne faut haïr personne, qu'•…•…n vüe qu'on peut ensuite noüer amitié avec lui.

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Quelqu' un consolant le Roi Philippe de la mort d'. Hypparchus, lui disoit que cét ami étant déja fort âgé, la mort ne l'avoit point attaqué avant le temps. Il est vray, répondit Philippe, que la mort est venuë à temps

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pour lui, mais puisque je ne l'avois pas encore honnoré des Biens faits dignes de nôtre amitié, sa mort, à mon ègard, est pre∣maturée.

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Un Criminel condamné à la Mort, sur le caution∣nement d'un de ses Amis qui demeura en sa place sor∣tit de Prison pour aller regler quelques Affaires, & re∣vint aussi-tôt qu'il les e•…•…t achevées: Denis l•…•… Tyran sur∣pris de l'asseurance de l'un, & de la fidelité de l'autre, pardonna au Criminel: En reconnoissance, dit-il, de ma grace, j•…•… vous conjure de me recevoir pour troisiéme en vôtre amitié.

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Memnon Capitaine de Darius, dans la Guerre qu'il avoit contre Alexandre, entendant un de ses Soldats vo∣mir insolemment beaucoup d'injures contre ce grand Ennemi, il lui donna un grand coup de Hallebarde; en lui disant, je te paye afin que tu combattes contre Alex∣andre, non pas afin que tu l'injuries.

44

Le Medecin de Phyrrus s'ètant offert à Fabricius gene∣ral des Romains, d'empoisonner son Maître, Fabricius ren∣voya la lettre de ce Traitre à Phyrrus avec ces Mots; Prince, songez à l'avenir à faire un meilleur choix de vos Amis, & de vos Ennemis. En reconnoislance de ce bien∣fait, Phyrrus lui renvoya tous les Prisonniers: Mais Fa∣bricius ne les reçût qu'à la charge de lui en rendre au∣ta•…•…t des siens, & lui manda: Ne crois pas, Phyrrus, que je t'aye decouvert cette Trahison, par une consideration parti∣culiere de ta Personne, mais parce que les Romains fuyent les lâches Artifices, & ne veulent tri•…•…mpher qu'à force ouverte.

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Diogene interrogé quelle Bête mordoit le plus dange∣re•…•…sement, repondit: Si vous parlez des Bêtes farouches, c'est le medisant; si des animaux domestiques, c'est le fla∣teur.

46

Antigonus en•…•…endant un Poëte flateur l'appeller Fils de Jupiter: Mon Valet de chambre, dit-il en soûriant, qui vuide ma chaise percée sçait trop bien que je ne suis qu'un Homme.

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Comme les Rois sont environnez de Flateurs, & que les seuls Chevaux ne gardent point avec eux de mesures, Carneades disoit: que les Princes n'apprennent rien comme il faut qu'à bien manier un Cheval.

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Sesostris Roy d'Egypte, ayant fait tirer son char d•…•… T•…•…iomphe par quatre Rois Captifs, au lieu de Che•…•…aux, un d'eux tenoit l•…•… veuë attachée surles Roües de devant qui è•…•…oient prés de lui, ce que Sesostris remarquant, il lui demanda ce qu'il trouvoit digne d'admiration dans ce mouvement. A quoi le Roy Captif ré•…•…ondit: je contemple dans ces Roües l'inconstance des choses humaines, d'autant que la partie la plus basse de la rouë est tout d'un coup portée en haut, & devi•…•…nt la plus élevée; & la plus haute est portée en bas avec autant de vitesse; Sesostris a∣yant meurement reflechi là des•…•…us, mit ces Rois en liberté.

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On reprocha au Tiran Hieron qu'il avoit l'haleine puante, il reprit sa Femme de ne l'en avoir jamais aver∣ti; Je croyois, répondit-elle, qu•…•… tous les Hommes eussent l'ha∣leine de même odeur que vous.

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On demandoit à Charillus pourquoi à Lacedemone les Filles marchoient le visage decouvert, veu que les Fem∣mes ètoient voilées, c'est répondit il: parce que les unes cherchent un mari, & que les autres ont peur de le perdre par la jalousie & par le divorce.

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Diogene voyant sur la porte d'un nouveau marié ees Mots écrits, loin d'ici le Mal, il dit, Aprés la Mort le Me∣decin. Le même Philosophe apperceût un jour des Femmes penduës à un Olivier: Plût à Dieu, s'écria-t-il, que tous les autres Arbres portassent un semblable fruit!

52

Paulus Aemilius repudia une Femme qui paroissoit a∣voir tous les avantages capables de se faire aimer. Ce divorce ètonnoit bien des Gens, mais il leur dit en mon∣trant son Soulier: Vous voyez que ce Soulier est propre, qu'il est bien sait: mais vous ne voyez pas où il blesse.

53

Diogene dit à un jeune é•…•…ourdi qui jettoit des Pierres vers un Gibet: Courage, je vois bien qu'enfin tu toucheras au but.

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54

C. Popilius qui tout ignorant qu'il ètoit s'érigeoit en Ju∣risconsulte, ètant un jour appellé en •…•…émoignage, •…•…ē∣pondit qu'il ne savoit rien: Vous pensez peut être, lui dit Ciceron, qu'on vous Interroge sur des questions de Droit?

55

Melanthus Parasite d'Alexa•…•…dre, Roy de Pher•…•…s, inter∣rogé comment son Maître ètoit Mort, répondit plai∣samment: Il est mort d'un coup d'Epée qui lui perça la cuisse & mon ventre en même tems.

56

Platon disoit, que les Esperances sont les songes des Per∣sonnes éveillées.

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De deux hommes qui recherchoient la Fille de Th•…•…∣mistocles, l'un sot, mais riche: l'autre pauvre, mais sage & honnête homme, il p•…•…it ce dernier pour son gendre, & répondit à ceux qui s'en ètonnoient: J'aime mieux un Homme sans richesses, que des richesses sans Homme.

58

Alexandre le grand prit en G•…•…erre un Indien, si adroi•…•… à tirer de l'Ar•…•…, qu'il faisoit passer ses Flêches par un anneau placé à une certaine distance, il lui commanda d'en faire l'essai devant lui, & sur le refus qu'•…•…n fit l'In∣dien, il ordonna qu'on le fit mourir. Ceux qui le con∣duisoient au supplice, s'informant du sujet de son refus, l'Indien repondit: Comme j'ai été long t•…•…ms sans exercer mon art, j'ai mieux aimé souffrir la Mort, que de m'ex∣poser

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à perdre ma Reputation, en manquant devant Alexan∣dre. Ce qui ètant rapporté à cet Empereur, non seu∣lement il▪ le fit mettre en liberté, mais même il lui fit de grands Presents, admirant son courage & sa fer∣meté.

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Les Favoris de l'Empereur Trajan le voyant recevoir tout le monde fort familierement, lui remontroient qu'il oublioit la grandeur de sa Majesté: je veux, répondit∣il, que mon Peuple trouve en moy un Empereur, tel que je souhaiterois en avoir un si j'étois Homme privé.

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Agathocles êtant parvenu de bas lieu à la dignité Roy∣alle, vouloit qu'on le servit à Table en Vaisselle de Terre, & quand on lui en demandoit la cause: je veu•…•…, répondit-il, que le souvenir de l'Origine que je tire d'un Po∣tier de Terre, rabatte l'orgueil, dont le vain appareil de la Royauté pourroit me surprendre.

61

Alexandre ètant assis sur le Tribunal pour juger les Causes criminelles, tenoit toûjours une O•…•…eille bouchée pendant que l'Accusateur plaidoit, & comme on lui en demandoit la raison▪ je reserve, dit-il, l'autre Or•…•…ille entiere pour entendre l'Accusé.

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Le Roy Philippe assoupi, ayant mal entendu la cause de Machetes, il le condamna contre les Loix; Machetes s'écria aussi-tôt qu'il en appelloit. Le Roy en colere

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lui demanda à quel Juge? j'en appelle, •…•…épondit-il, de Philippe endormi, à Philippe éveillé. Ce Mot fit ren∣trer Philippe en lui même; il fit derechef plaider la cause, & voyant en effet son erreur, il ne cassa pas à la verité son arrest, mais il paya lui même de ses deniers la som∣me à laquelle il avoit condamné Machetes.

63

Deux Criminels s'accusoient l'un l'autre devant ce même Roy: Ce Prince aprés les avoir écoutez patiem∣ment, dit: je condamne celui ci à sortir promptement de mon Royaume, & l'autre à courir aprés▪

64

Dans une cause où Aristide ètoit juge, une des Parties rapporta plusieurs injures que ce même Aristide avoit re∣ceu de sa partie adverse: Passez cela, dit Aristide, venez au fait: je ne suis pas ici mon juge, je ne suis que le vôtre.

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Marc Aurele dit à quelques Personnes qui vouloient empêcher son Fils de pleurer la Mort de son Precepteur: Souffrez que mon. Fils soit Homme, avant que d'être Empereur.

66

Denys voyant que son Fils avoit amassé une grande quantité de Vases d'Or & d'Argent des dons qu'il lui avoit fait, il lui dit, je ne connois point en toi une Ame Roy∣ale, puis que tu as negligé de te faire des amis par la distri∣bution de ces Richesses.

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67

Le même Denys demanda à Diogene quel Cuivre il prendroit pour se faire une Statuë: Prenez, lui répon∣dit-il, celui des Statuës d'Harmodius & d'Aristogiton. C'ètoient deux fameux tueurs de Tyrans à qui on avoit dressé des Statues.

68

Un ancien Soldat ayant un procez à soûtenir, pria l'Empereur Auguste de le venir secourir de son credit. Ce Prince lui donna un de ceux qui l'accompagnoient pour avoir soin de son afsaire; là dessus le Soldat fut assez osé pour lui dire: Seigneur, je n'en ai pas usé de la sorte à vôtre égard: quand vous ètiez en danger dans la Bataille d'Actium, moi-même, sans •…•…chercher de Substitut, j'ay combatu pour vous.

69

Le Poëte Simonide demandant à Themistocle quelque chose de contraire aux Loix, il le renvoya avec ce Mot: si dans tes Poemes tu faisois des Vers contre la mesure, passe∣rois tu pour un bon Poëte? Et si je faisois des choses contraires à la disposition des Loix, devroit on m'estimer un bon Prince?

70

Les Ambassadeurs que les Atheniens avoit envoyé vers Philippe, ètant retournez à Athenes, loüoient ce Prince de sa beauté, de son Eloquence, & de sa force à boire beaucoup: Ces loüanges, •…•…épondit Demo•…•…thene, sont fort peu dignes d'un Roy; le premier avantage est propre aux Femmes, le second aux Rhetoriciens, & le troisiéme aux •…•…ponges.

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Bion interrogé s'il falloit épouser une Femme, répon∣dit. si vous en prenez une laide, vous épouserez un supplice; si vous en prenez une belle vous aurez une Femme publique.

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Hipparchia èperduëment amoureuse du Philosophe Crates, le rechercha en mariage, sans qui ni les Parens, ni ce Philosophe même, pussent la detourner de sa pour∣suite. Mais, lui dit Crates, connoissez vous bien ce que vous aimez? je ne veux rien v•…•…us cacher, voilà l'Epoux, dit-il ôtant son manteau; puis jettant son sac & son baton; voilà, ajoûta-t-il en montrant sa bosse, le Doiiaire de ma Femme: Voyez fi vous en étes contente, & si vous pou∣vez vous accommoder de cette façon de Vie. Elle accepta toutes ces conditions là, & il l'épousa.

73

Les Hebreux disent que pour prendre une Femme, il faut descendre un degré; & que pour faire un ami il faut en monter un; parce qu'il faut que l'un nous pro∣tege, & que l'autre obeïsse à son mari.

74

Un Lâche & mal à droit Luitteur s'ètant fait Medecin, Diogene lui-dit: Hé quoi! vous avez donc envie de coucher par Terre ceux qui vous ont renversé?

75

'Alcibiade coupa la queuë à son Chien, qui ètoit d'une beauté & d'un prix extraordinaire, & comme le Peu∣ple qui voyoit ce Chien marcher en cét état dans les

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Ruës, s'ètonnoit d•…•… cette Bizarrerie, il dit, je l'ai fait afin que le Peuple s'entretenant de cette Bagatelle, ne s'arrête point à contr•…•…ller mes autres Actions plus importantes.

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Smicythus accusa Nicanor de parler mal de Philippe. Ce Prince, qui avoit quelque estime pour Nicanor le fit ve∣nir, & ayant appris qu'il ètoit indigné de ce que le Roy ne songeoit point à soulager son extreme indigence, il lui fit distribüer quelque somme. Peu de tems aprés Smicythus rapportant à Philippe que Nicanor publioit par tout ses bontez: Hé bien, lui dit-il, vous voyez que nous sommes Maîtres de nôtre Reputation, & que nous pouvons changer toutes les Calomnies en 〈◊〉〈◊〉.

77

Comme on demandoit à Zenon si les Sages ne de∣voient point aimer: si les Sages n'aimoient point, répon∣dit-il, il n'y auroit rien au monde de plus malheureux que les belles, elles ne seroient aimées que des sots.

78

Agesilaüs pour joüer avec ses enfans marchoit à cali∣fourchons sur un bâton; un de ses Amis le trouvant en cét état témoigna de la surprise; mais ce Roi, lui dit: je te prie de ne rien dire à personne de ce que tu vois, jusques à ce que tu ayes des Enfans.

79

Philippe Roi de Macedoine ayant resolu de prendre une Citadelle, les espions lui rapporterent que cela ne se pouvoit pas, parce qu'elle étoit inaccessible. Le chemin, demanda-t-il, est il si difficile qu'on n'y puisse faire entrer un mulet chargé d'Or & d'Argent? & comme ils lui •…•…épon∣dirent

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que non, elle n'est don•…•… pas imprenable, repliqua∣t-il.

80

La Veille que Darius disposa ses troupes au combat, Alexandre dormoit d'un si profond somm•…•…il, qu'il dura encore plusieurs heures 〈◊〉〈◊〉 le levé du Soliel; ses gens, effrayez de l'armée Ennemie qui s'approchoit l'éveille∣rent, & comme ils s'étonnoient de sa tranquillité: ne soyez pas surpris, leur dit-il, si je dors si paisiblement: Darius m' a delivré de beaucoup de soucis, puisqu'en ramassant aujourd∣hui toutes ses forces en un corps, il a donnê à la valeur le moyen de decider, en un combat, de toute nôtre fortune.

81

Denis Tyran de Syracuse, ayant appris qu'un de ses suj•…•…ts avoit caché dans Terre un tresor, il lui commanda de le lui apporter. Le Siracusain ne lui en donna qu'une partie & en ayant retenu l'autre secrettement, il s'en alla dans une autre ville où il vécut plus liberalement qu'il n'avoit fait. Denis l'ayant appris, lui rendit le reste de son tre∣so•…•…: A present, dit-t-il, qu'il sçait bien user des richesses, il merite de les posseder.

82

Philippe Roy de Macedoine •…•…ant en otage à T•…•…ebes, Philon le Thebain le rec•…•…ut en sa Maison, & l•…•…i fit de grandes Amitiez. Ce Prince voulut quelque tems ap é•…•… par ses Presens reconnoitre ses bontez, & voyant que le généreux Philon les refusoit obstinement: Ah! cher Philon, lui dit-il, ne me derobez, pas aujourd hui la gloire que j'ai toûjours jusques-ici conservée précieusement, de ne voir •…•…er∣sonne au monde qui me surmonte •…•…n matier•…•… de Bien faits.

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Taxille Roy des Indes vint au devant d'Alexandre, & lui parla en ces Termes: je t'appelle au Combat, non pa•…•… des Armes mais des Bienfaits; si tu m'es inferieur, tu en re∣cevras de moy, si au contraire tu es le plus puissant, tu m'ho∣noreras de tes faveurs: j'accepte ce noble defi; répondit, A∣lexandre en l'embrassant, nous verrons en Bienfaits qui de nous l'Emportera; ainsi bien loin de le depouiller de son Royaume, il en augmenta l'étenduë.

84

L'Empereur Titus se souvenant une fois en soupant, que pendant ce jour là il n'avoit fait du bien à Person∣ne: Mes Amis, dit-il, j'ay perdu cette journée.

85

Jules Cesar repudia Pompeia sa Femme, à cause que sa reputation n'ètoit pasfort honnête, & qu'on la soup•…•…on∣noit d'avoir commerce avéc Clodius; comme on accu∣soit celui-ci de Crime, Cesar appellé pour deposer con∣tre lui, dit, qu'il n'avoit pas reconnu qu'il eût fait au•…•…un mal avec sa Femme; pourquoy donc l'avez vous repudiée, lui dit on, parce que, •…•…épondit-il, il faut que l'Epouse de Cesar, vive avec tant de Modestie, qu'elle soit même hors des attein∣tes de la Calomnie.

86

Attalus sur un faux bruit que son Frere Eumenes étoit decedé, s'empara de l'Empire, & même épousa sa veuve: quelque tems aprés, comme il apprit qu'Eumenes reve∣noit en son Royaume, il quitta la couronne, & sans au∣tre équipage que c•…•…lui d'un homme privé, •…•…'en vint au

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devant de lui. Eumenes pour tout reproche, se conten∣ta de lui dire à voix basse: Une autre fois, mon Frere, vous ne vous hâterez pas d'épouser ma Femme, avant que vous ne m'ayez veu enterrer.

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Comme entre les Papiers de Sertorius, Pompée eût trouvé plusieurs Lettres considerables de Rome, il les brula toutes sans les vouloir lire; il faut, dit-il, donner moyen de se repentir, à ceux qui ont failli en me desobligeant.

88

Les Soldats d'Antigonus, fâchez de ce qu'il les avoit fait camper dans un lieu fort incommode, parloient de lui en des termes fort insolens prés d'une Tente où ils ne croyoient pas qu'il fût: Antigonus qui les entendit, se contenta de lever le rideau de sa Tente avec un Bâton, & de leur dire; si vous n'allez pas plus loin d'ici medire de moy, je vous en ferai repentir.

89

Le Philosophe Athenodorus ayant, sous prétexte de sa vieillesse, obtenu de Cesar Auguste la permission de se retirer chez soy, pour avis important, il lui dit en pre∣nant congé de lui. Quand la colere vous surprendra, Seig∣neur, souvenez vous de ne rien faire de ce qu'elle vous sugge∣rera, qu'aprés avoir prononcé les vingt quatre Lettres de l'Al∣phabet.

90

Auguste qui avoit établi une Loy, de la maniere de juger & de punir ceux qu'on accusoit d'Adultere, n'eut pas plutot ouï qu'un jeune homme avoit commis le même crime avec Julia fille de cét Empereur, qu'il se

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jetta sur lui, & le frappa tout furieux; alors le jeune Homme s'é•…•…ria: Cesar, vous avez fait une Loy Auguste à ce Mot, reconnoissant son emportement, se retint, & ressentit tant de deplaisir, qu'il ne voulut rien manger de tout ce jour là.

91

Diogene disoit, qu'un homme pour devenir parfait •…•…voit besoin de fideles Amis, ou de ▪grands Ennemis; parce que les uns par leurs bons avis, & les autres par leurs reproches piquans, lui faisoient sentir ses defauts.

92

Alexandre le grand ètant entré dans la Boutique d'Apel∣les & parlant, en mauvais Termes de quelques Tableaux qui y ètoient exposez, Apelles lui dit franchement: Sire, •…•…ant que vous ne parliez point de nôtre Art, chacun n'avoit ici pour vôtre Majesté que de l'admiration & du Respect: Mais aussi-tôt que vous avez voulu juger de nos Ouvrages, mes Apprentifs mêmes, qui broyent mes Couleurs, n'ont pû s'empêcher de rire.

93

Le mème Prince, ayant receu un coup de Flêche dans un Combat, dit à ceux qui l'environnoient: Chacun m'appelle immortel, & Fils de Jupiter: qu'en dites vous? cette bl•…•…ssure ne donne t-elle pas le dementi à tous ces Flatteurs l•…•…? ce sang qui coule n'est point d'une autre couleur que celui de mes sujets, & il m'avertit que je ne suis qu'un Homme.

94

L'Empereur Auguste, sentant que sa Mort approchoit, dit s'addressant à •…•…es Amis qui ètoient autour de son Li•…•…: Hé bien, mes Amis, que vous en semble, n'ai-je pas pendant

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ma vi•…•…, assez bien joüé mon Personnage sur le Theatre du Monde? Et comme chacun avoüa que jamais vie ne pouvoit être plus illustre, & mieux conduite que la si∣enne, il ajouta ce Mot, qu'on avoit coû•…•…ume de dire au Peuple aprés la Comedie: Adieu don•…•…, mes Amis, frappez des Mains.

95

Quelqu'un vint dire au Philosophe Socrate, que les A∣theniens l'avoient condamnê à la Mort: Il y a long tems, dit-il, que la Nature les a condamnez à la même p•…•…ine aussi bien que moy.

96

Lorsque le Roy Philippe entra avec son Armée dans les Terres du Peloponese, quelqu'un dit à Damidas, que si les Lacedemoniens ne rentroient en grace avec lui, ils auroient beaucoup à souffrir: Hé Poltron, •…•…épondit-il, que peuvent souffrir ceux qui ne craignent point la Mort?

97

On dit à Anacharsis, que le Navire qui le portoit n'a∣voit que quatre doigts d'épaisseur: Nous ne sommes done, dit-il, éloignez de la Mort que de quatre doigts.

98

Stratonicus ètant interrogé quelle sorte de Vaisseaux ètoient les plus seurs, il •…•…épondit: les plus seurs sont ceux qu'on a tiré de la Mer en terre ferme.

99

L'Empereur Tibere changeoit rarement les Officiers, les Gouverneurs, & les Magistrats de son Empire, & quand

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on lui en demandoit la raison, il repondit: quand les Mouches sont saoules, elles ne piquent plus si fort qu'auparavant.

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Un Peintre montrant un mauvais Tableau, se vantoit de l'avoir achevé en fort peu de tems: tu n'as que faire, dit Apelles, de nous en avertir, ton Tableau le dit assez.

101

Melanthus entendant le Philosophe Gorgias exhorter publiquement les Grecs à la Concorde: Cét homme a bon∣ne Grace, dit-il, de vouloir persuader à to•…•…s ces Grecs la Paix & l'Union, qu'il ne sauroit établir chez soy entre lui∣même, sa Femme & sa Servante.

102

Demetrius Phalereus avoit coutume d'exhorter le Roy Ptolomée de ramasser des Livres qui traitassent de la Po∣litique Civile & Militaire, Parce que, disoit-il, les Rois trouvent dans ces Livres des choses dont leurs Amis n'oseroi∣ent leur parler. Alphonse Roy d'Aragon disoit à ce sujet: Les Livres sont les Conseillers qui me plaisent d'avantage: la crainte ni l'esperance ne les empêchent point de me dire ce que je dois faire.

103

Denys le Tyran avoit fait de grandes promesses à un excellent Musicien qui avoit chanté devantlui, & com∣me le Musicien vid qu'elles n'ètoient suivies d'aucun ef∣fet, il se plaignit au Tyran, qui lui rêpondit: Dequoi te plains tu, mon Ami? je t'ai payé de la même sorte que tu m'as servi: tu m'as chatouillé l'oreille par le plaisir de la Musique, & moi je t'ai fait goûter l•…•… plaisir des belles Espe∣rances; ainsi nous voilà quittes.

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104

Un Ancien disoit, que les grands faisoient tout leur pos∣sible, afin de perdre l'usage des •…•…ieds & des Mains, parc•…•… qu'ils se font chausser, habiller, & porter par les autres.

105

Diogene écrivit sur le pied d'une Statuë d'Or que la courtisane Phryné avoit presen•…•…ée à Venus dans le Temple de Delphes, ces Mots: l'Incontinence des Grecs a dressé cette Statuë.

106

L'Empereur Adrien demandoit à Epictete pourquoi on representoit Venus toute nuë: C'est, repondit-il, parce qu'elle depouille de tous les biens ceux qui recherchent trop ses Plaisirs.

107

Vespasien qui se sentoit mourir, disoit en se moquant de la sotte coutume des Payens de ce tems-là, qui met∣toient les Empereurs, après leur Mort, au nombre des Dieux: je sens bien que je deviens Dieu.

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Portia, Femme de Brutus, se fit une grande pla•…•…e avec un Couteau, la veille que Cesar devoit être assassi•…•…é par son mari, & dit à ceux qui lui demandoient comment ce malheur ètoit arrivé: je l'ai fait à dessein d'essayer avec quel•…•…e constance je pourrai souffrir la Mort que je me prepare, si le dessein des Conjurez vient à manquer.

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Epictete Esclave d'Epaphrodite, Of•…•…icier de Neron, a∣yant un jour receu de lui un grand coup sur la jambe,

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lui dit froidement: Prenez garde, je vous prie de ne me pas casser la jambe. Mais ce cruel redoubla son coup d'une telle force qu'il lui brisa l'Os: Hé bien, lui dit alors E∣pictete en souriant, ne vous l'avois je pas dit que vous 〈◊〉〈◊〉 à me casser la jambe?

110

Antipater, aprés avoir vaincu le Roy Agis, demanda pour seureté de sa conquête cinquante Enfans Lacedemo∣niens en ôtage. Etheocles, qui alors ètoit Ephore, rêpon∣dit, Qu'il ne lui donneroit point d'Enfans, de crainte que •…•…'e∣tant plus soûmis à la Discipline de Sparte, ils ne contractas∣sent de vicieuses Inclinations: Mais qu'ils ètoient prêt•…•… de leur donner le double de Vieillards, & de Femmes.

111

Une Femme Jonienne faisoit parade d'un ouvrage de Main fort riche & bien travaillé: Mais une Lacedem•…•…∣nienne faisant paroitre quatre Ensans qu'elle avoit fort sagement élevez: Voilà, dit elle, les Ouvrages dont une Dame Vertueuse doit tirer la veritable gloire.

112

L'Empereur Theodose donnant ses Enfans au savant Arsenius, pour les instruire, leur dit: Mes Enfans, si vous avez soin d'ennoblir vos ames de la vertu & de la Science, je vous laisserai avec plaisir ma Couronne: Mais si vous le negligez, j'aimerois mieux vous voir per•…•…re l'Empire, que de le hazarder à la conduite de gens incapables; il vaut mieux que vous en souffriez la perte, que de le ruiner.

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Philippe apprit que son Fils Alexandre se plaignoit de ce qu'il engendroit plusieurs Enfans de diverses Femmes:

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là dessus il lui parla ainsi; Puis que tu vois, Alexandre, que tu as plusieurs Concurrens à l'Empire, fais en sorte que tu deviennes si honnête & si brave, que tu puisses obtenir le Royaume par ton merite, plûtôt que par ma faveur.

114

Apré•…•… la defaite du Grand Pompée, les Troupes qui suivoient Scipion en Afrique ayant p•…•…is la fuite, Caton qui voyoit Cesar Victorieux se tua de depit: Cesar appre∣n•…•…nt sa Mort s'écria: Ah! Caton, je porte envie à ta Mort, puis que tu m'as envié la gloire de te donner la Vie.

115

Socrate, aprés avoir long tems souffert la Criaillerie de sa Femme, sortit de sa Maison, & s'assit devant sa porte pour se delivrer de son importunité; cette femme in∣dignée de voir que tous ses cris n'ètoient point capa∣bles d'ébranler sa tranquillité, lui versa sur la tête un Pot de Chambre. C•…•…ux qui apperceurent-cette Action se rioient du pauvre Socrate; mais ce Philosophe sou∣riant aussi, leur dit: je me doutois bien qu'aprés un si grand Tonnerre nous aurions de la Pluye.

116

Zeuxis dispu•…•…ant avec Parrhasius de l'excellence de leurs Tableaux, peignit des Raisins si fort au Naturel, que les Oiseaux venoient les bequeter. Parrhasius de son côté exposa en vuë un rideau si bien-fait, que Zeuxis enflé du succez de son ouvrage, lui dit impatiemment, que ce n'ètoit pas là le tems de cacher son Tableau, & voulut tirer le rideau lui même, mais appercevant son Erreur: Ah! lui dit il, je te quitte; je n'ai trompé que les Oiseaux, & tu as trompé le Peintre même.

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Comme on accusoit Periclés de dépenser les Denie•…•… publics en Batimens, en Decorations publiques, & 〈◊〉〈◊〉 offrandes qu'il faisoit aux Dieux: voulez vous permettre, dit-il au Peuple, que je fasse graver sur toutes ces choses-〈◊〉〈◊〉 mon nom en la place du vôtre, j'en payerai la depense d•…•… mes propres Deniers. A ce Mot, Ie Peuple piqué d'hon∣neur, refusa d'accepter sa Proposition, & lui permit de continüer ses magnificences au nom du Peuple.

118

Quelques Romains trouvant étrange que Cesar de∣meurât Dictateur perpetuel, en quoi il sembloit affec∣ter la Royauté, vû que Sylla avoit quitté cette qualité∣là, Cesar leur répondit: Ne vous ètonnez pas d•…•… c•…•…la, Sylla ne savoit'pas bien lire, il ne pouvoit pas dicter long tems.

119

Denys, Tyran de Sicile, fit òter de dessus la Statuë de Jupiter Olympien, un manteau d'Or massif, qui valoit plus de cinquante mille écus, & au lieu de ce∣lui-là, il lui en donna un de Laine, disant: Ce manteau est trop froid en Hyver, & trop lourd en Eté, il faut avoir soin de Jupiter, celui de Laine l•…•…i sera bien plus commode.

120

Ce même Roy fit dans Epidaure arracher une Barbe d'Or qui ètoit au menton d'Esculape: Il n'est pas, dit-il, de la bienseance ni du bon sens, de representer Esculape fils avec une longue barbe, pendant qu'on voit auprés de lu•…•… A∣pollo•…•… son Pere, sans un seul poil au m•…•…nton.

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121

Un Chevalier Romain, qui chargé de plus de deux cens mille écus de Dettes ne laissoit pas de mener une Vie delicieuse & tranquille, ètant decedé, l'Empereur Auguste commanda qu'on lui achetât son Lit, 〈◊〉〈◊〉 on vint à vendre ses Meubles, difant pour raison: Il faut que ce soit le meilleur Lit du Monde, puisque celui qui ètoit accablé de tant de dettes a pu si long tems y reposer à son aise.

122

Alexandre le grand envoya cent Talents en present à Phocion. Celui-ci demanda à ceux qui les apportoient pourquoi Alexandre adre•…•…soit ce present à lui seul, entre tant de Personnes qui ètoient a Athenes. C'est, lui •…•…é∣pondirent-ils, parce que les Atheniens t'estiment être le plus Sage d'entreux: Que ne me laisse-t-il don•…•…, repliqua-t-il, con∣server cette qualité, & pourquoi veut il qu'en acceptant ses presens je cesse d'être Sage?

123

Caton d Utique, voyant que Cesar avoit rempli le Tem∣ple de Castor, & la place publique, de gens armez con∣tre lui: O que Cesar, dit-il, est un grand Poltron, d'armer tant de Soldats contre un seul homme!

124

Un Officier d'Artaxerxes lui faisoit une injuste d•…•…∣mande. Le Roy ètant inform•…•… qu'il n'•…•…etoit porté à la faire que parce qu'on lui avoit promis une grande somme d'Argent, se fit apporter une pareille som∣me, & la lui presenta en lui disant: Prens cét Ar∣gent l•…•…, mon ami, ce don ne sauroit m'appauvrir; mais si je t'accordois ta demande, je deviendrois très injuste.

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125

Aristippe avoit fait acheter une Perd•…•…ix cinquante Dragmes, & quelqu'un condamnant une telle depense en un Philosophe, Aristippe lui dit, ne l'acheteriez vous pas si elle ne coûtoit qu'une Obole? il lui rêpondit, très volontiers: Et à moi, repartit Aristippe, cinquante Dragmes ne sont pas plus qu'une Obole.

126

Le même Aristippe demandoit au Roy De•…•…ys une grace pour un de ses Amis, & ne pouvant l'obtenir, il se jetta à ses pieds, & les embrassa pour le prier en la maniere qu'il aimoit à être prié. Quelqu'un lui repro∣chant cette action, comme indigne d'un Sage, il •…•…épon∣dit plaisamment: La faute ne m'en doit pas •…•…tre imputée, mais au Roy Denys, qui met ses Oreilles à ses Pieds.

127

Les Ambassadeurs de la Grece vo•…•…ant le Roy Philippe dormir pendant le jour, murmuroient de ce qu'il tar∣doit trop à leur donner Audience: Ne vous étonnez pas, Messieurs, leur dit Parmenion, s'il dort tandis que vous veil∣lez, car pendant que vous dormiez ils veilloit. Il vouloit leur faire entendre que son Maître avoit pris ses avan∣tages sur les Grecs, pendant que les Divisions les empê∣choient de songer à leurs Af•…•…aires.

128

Mecenas voyant Auguste dans le senat prêt de condam∣ner à la Mort un grand nombre de Perso•…•…nes, & ne pouvant s'approcher as•…•…ez prés, pour l'avertir de mode∣rer sa severité, lui jetta un billet, à l'ouverture duquel

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Auguste trouv•…•… ces Paroles hardies: L•…•…ve-toi Bourreau, & sors de là; Auguste qui connoissoit son affection ne s'en offensa pas, mais au contraire estima cette excessive Liberté.

129

Denys le Tyran demandoit à Aristippe, d'où vient que les Philosophes venoient faire la cour aux Riches, & que les Riches, n'alloient point visiter les Philosophes? C'est, •…•…épondit-il, que les Philosophes connoissent leurs Besoins, & que les Riches ne sentent point les leurs.

130

Une Personne, declamant contre les Philosophes, di∣soit que quelques mépris qu'ils montrassent pour les Ri∣chesses, on ne laissoit pas de les voir toûjours aux Portes des Riches. Je ne m'en étonne pas, •…•…épondit Aristippe, les Medecins sont assidus à visiter leurs Malades dans leurs Maisons; toutefois Personne n'aimeroit mieux être malade que Medecin.

131

Ce même Aristippe s'étant embarqué & ayant recon∣nu que le Vaisseau appartenoit à des Pirates, se mit à conter son Argent, & le laissa tomber à dessein dans la Mer, faisant croire par de feints gemissemens qu'il lui ètoit ech•…•…ppé des Mains sans y penser. Il évita par ce tour adroit le danger où sa Vie écoit exposée, cequi lui fit dire à voix basse en le jettant: Il vaut mieux que je te perde, que si tu étois cause de ma perte.

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132

Les Samnites chargez de richesses qu'ils venoient offrir à Marius Curius leur vainqueur, le trouverent occupé à faire cuire des Navets pour son diner. Il refusa leurs presens, & leur dit pour raison: Un homme qui se contente d'une si maigre chere, n'a pas grand besoin de vôtre Or, ni de vôtre Argent.

133

Simonide interrogé ce qui ètoit le plus à souhaiter, les richesses ou la sagesse? Je suis, répondit-il, fort en doute là dessus: je vois b•…•…aucoup de sages venir faire la cour aux Riches:

134

Le Roy Pyrrhus voyant son Fils qui traitoit ses sujets avec trop de fierté & de rigueur, le reprit en ces termes: Je voi bien, mon Fils, à vôtre maniere arrogante d'agîr, que vous ignorez, que la dignité de Roy est une servitude honno∣rable.

135

Philippe demandoit au Roy Antigonus son P•…•…re, en presence de plusieurs Personnes, quand il vouloit de∣camper: Ce Roy surpris de l'indiscretion de fon Fils, qui alloit decouvrir un dessein qu'il vouloit tenir secret: quoi donc, lui dit-il, craignez vous d'être le seul qui n'en∣tendiez pas le •…•…on de la Trompett•…•…, qui vous en doit aver∣tir?

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Comme on faisoit voir à Diogene les voeux attachez en un Temple des faux Dieux, par ceux qui ètoient é∣chappez

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aux perils de la Guerre, de la Mer, & de la Maladie, ce Philosophe raillant leur▪ Superstition, ré∣pondit: Il y en auroit un bien plus grand nombre, si ceux qui sont peris en ces dangers là avoient envoyé leurs presens, •…•…u lieu de ceux qui en ont été delivrez.

137

Un Homme qui avoit contribüé à rendre le Roy Philippe Maître de la Ville d'Olynthe, dont il ètoit Ci∣toyen, se plaignit à lui que ceux de Lacedemone l'appel∣loient Traître: Ne vous étonnez pas de cela, dit ce Roy: les Lacedemoniens de leur Naturel sont rustres & grossiers: ils appellent toutes choses par leur nom.

138

Quelqu'un demandoit à Diogene le Cynique, le moyen de se bien venger de son Ennemi: C'est, répondit-il, de te rendre illustre par ta vertu; tu te procureras ain•…•…i un grand avantage, & un grand deplaisir à ton Ennemi.

139

Caton l'ainé, considerant l'empresseme•…•…t de 〈◊〉〈◊〉 Romains, de peu de merite, à se faire ériger des Statuës▪ j'aime bien mieux, disoit-il, qu'on demande pourquoi on n'a pas élevé des Statuës à Cato•…•…, que si on demandoit pourquoi on lui en a dressé.

140

Le Roy Pyrrhus, apré•…•… a•…•…oir gagné contre les Romains deux Batailles où il avoit •…•…erdu beaucoup de Monde, dit à ses amis: Si je gagne encore de méme une 〈◊〉〈◊〉 Bataille nous sommes perdus sans ressource.

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Epaminondas voyant l'appareil somptueux d'un Festin qui se faisoit en un sacrifice où on l'avoit invité, il se re∣tira, disant: On m'appelle à un Sacrifice, & je me trouve à une Debauche.

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Le Capitaine Chabrias disoit, qu'une Armée de Cerfs conduite par un Lion est plus formidable qu'une Armée de Lions commandée par un Cerf.

143

Un Boiteux allant à la Guerre, quelques-uns qui l•…•… voyoient marcher, se rioient de •…•…on dessein: Ne vou•…•… ètonnez pas, leur dit-il, je ne vais pas à la Guerre à dessein de fuïr, mais pour faire tête aux Ennemis, & mourir dans le même rang où l'on m'aura placé.

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Le Roy Philippe voyant son Fils Alexandre extreme∣ment souple & agile, l'excitoit à combattre à la course dans les jeux Olympiques: Je le ferois volontiers, lui ré∣pondit-il, si ceux qui me disputeroient le prix étoient des Rois.

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Dans la Guerre que Marius fit aux Teutons, ses Sol∣dats se plaignant d'une extreme soif, il leur montra un Fleuve qui ètoit fort proche du Camp des Ennemis: C'est là, leur dit-il, qu'il vous faut aller éteindre vôtr•…•… soif.

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Marcus Brutus, qu'on vouloit détourner d'aller a•…•… Combat, dit: Quel mal peut-il m'en arriver? je ne puis que vaincre ou mourir. Et su•…•… ce que quelques uns lui conseilloient après sa defaite de se sauver par la fuite: Il se faut, dit-il, sauver avec les Mains, & non pas ave•…•… les Pieds.

147

Le Roy Agis disoit: Il ne faut jamais demander com∣bien, mais où sont les Ennemis.

148

Auguste entendant dire qu'Alexandre, après avoir con∣quis la plus grande partie de la Terre, ètoit en peine de s•…•…avoir à quoi il pourroit occuper la reste de ses jours fut surpris de ce sentiment là: Hè quoi, dit-il, Alex∣andre ignoroit don•…•… que bien gouverner un Empire conquis, est un Emploi plus considerable, que de faire de nouvelles Conquêtes?

149

Les commencemens du Regne d'Auguste furent per∣nicieux à l'Empire Romain, à cause de ses cruautez, & des désordres qu'il causa; mais comme la fin de son Regne toute differente, rendit l'Empire plus florissant que ja∣mais, on dit de lui: Qu'il eût été à souhaiter, ou qu'il ne fut jamais venu au monde, ou qu'il n'en fut jamais sorti.

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Scilerus, qui avoit plusieurs Enfans, étant sur le point de mourir, leur donna à chacun un faisseau de fleches

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& leur commanda de le rompre. Aprés que tous eu∣rent fait reponse que la chose étoit impossible, il ti•…•…a les Fleches, & les rompit l'une aprês l'autre, & prit de là occasion de leur dire: Ceci vous doit apprendre, mes Enfans, que si vous demeurez bien unis ensemble, vous serez toûjours invincibles, & redoutables à vos Ennemis: Que si au contraire vous admettez chez vous la divifion, vous de viendrez foibles & faciles à vaincre.

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Python Rhetoricien de Bysance, voulut en une Sedi∣tion exhorter le Peuple de cette Ville à la Paix, & comme il ètoit extraordinairement gros, le Peuple se mit à rire dés qu'il le vit paroitre. Mais cêt adroit O∣rateur prenant de leur risée le sujet de son Exorde: Vous riez, leur dit-il, de ma grosseur, j'ay une Femme en∣core bien plus grosse que moy; cependant quand nous sommes d'accord, un seul Lit nous suffit, mais quand la division se met entre nous, t•…•…ute la maison est trop petite pour nous con∣tenir.

152

Diogene le Cynique, qui voyoit des Magistrats con∣duire au supplice un homme qui avoit derobé quelque petit vase: Voici, s'écria-t-il aussi-tôt, de grands voleurs qui menent un petit Larron à la Potence.

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La Mere d'Alexandre le grand, Femme de Philippe, apprenant que son Fils se disoit Fils de Jupiter, & se faisoit adorer comme un Dieu, en railla finement la Vanité dans ces Mots: Je vous conjure, lui manda-t-elle de ne me plus brouiller avec Junon.

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Un méchant homme des Principaux d'Athenes, de∣mandant à un Lacedemonien, qui ètoit le plus homme de bien de Lacedemone, celui-ci lui répondit for•…•… adroite∣ment, mais d'une maniere bien aigre, C'est celui qui te ressemble le moins.

155

Timon le Misanthrope ayant été invité à diner par un homme qui affectoit de l'imiter dans la haine qu'il avoit pour tout le Genre humain: Voici, dit cêt homme, un Repas bien agréable. Ouï, lui •…•…épondit Timon, si tu n'y ètois pas.

156

Diogene ayant été chassé par ceux de Sinope, lieu de sa naissance, leur manda: Vous m'avez banni de vôtre Ville, & moi je vous relegue dans vos Maisons. Vous de∣meurez à Sinope, & je demeure à Athenes. Je m'entre∣tiens tous les jours avec les plus honnêtes gens de la Grece, pendant que vous étes en mauvaise compagnie.

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Le Philosophe Bias ètant dans un Vaisseau durant une Tempête avec des méchantes gens qui invoquoien•…•… les Dieux, Taisez vous, leur dit-il, afin qu'ils oublient, s'il se peut, que vous étes i•…•…i.

158

Des Amis de Socrate temoignant être irritez de ce que quelqu'un qu'il avoit salüé ne lui avoit pas rendu son salut: Pourquoi se fâcher, leur dit Socrate, de ce que cét homme n'est pas si civil que moy?

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Lors qu'on vint annoncer au même Socrate qu'il avoit été condamné à la Mort par les Atheniens: Ils le sont par la Nature, répondit-il. Mais ils t'ont condamné in∣justement, lui dit sa Femme: Voudroits tu que ce fut avec justice? lui dit Socrate.

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Le Poëte Philoxene ayant été condamné par Denys à travailler aux Carrieres, pour avoir blamé des Vers que ce Tyran avoit faits, Denys l'en rappella, pour lui mon∣trer de nouveaux Vers de sa façon, dans l'esperance de les lui faire approuver, souhaitant avec Passion d'ètre estimé bon Poëte. Mais Philoxene, ne voulant point loüer ses nouveaux Vers qui ètoient méchans, Qu'on me remene aux Carrieres, dit-il. Le Tyran neantmoins fut pour cette fois d'assez bonne humeur pour ne pas s'en fâcher.

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Diogene, voyant le jeune Denys reduit à faire la fon∣ction de maître d'Ecole, se mit à soupirer devant lui. Ne t'afflige point, dit Denys à Diogene, de ma mauvaise Fortune, c'est un effet de l'inconstance des choses humaines. Je ne suis pas affligé de ce que tu penses, lui répondit Dio∣gene, mais de te voir plus heureux que tu n'ètois & que tu ne merites.

162

Le Roy Philippe disputant de la beau•…•…é d'un Air avec un habile Musicien: Ce seroit grand Dommage, Seigneur, lui dit le Musicien, que vous eussiez été assez malheureux pour savoir cela mieux que moy. Ce bon mot apprend

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aux hommes élevez de ne pas affecter d'exceller dans les connoissances de cette nature, parce que cela ne convient qu'à ceux qui en font Profession.

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Une Dame d'Athenes demandant à une Dame Lace∣demonienne, par maniere de reproche, ce qu'elle avoit apporté en Dot à son mari: La Chasteté, lui répondit∣elle.

164

Un Athenien reprochant à un Lacedemonien, que ceux d'Athenes les avoient souvent repoussez de devant leurs murailles: Nous ne saurions vous faire un pareil reproche, lui dit le Lacedemonien. C'ètoit une maniere delicate de lui dire, que jamais les Atheniens n'avoient osé se pre∣senter devant Lacedemone.

164

Un autre Athenien disoit que les Lacedemoniens se cor∣rompoient dans les Païs étrangers: Il est vray, répondit un Lacedemonien, mais personne ne se corrompt à Lacede∣mone.

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Phocion reprenoit aigrement les Atheniens, au lieu que l'Orateur Demosthene les flatoit par ses Harangues. Ce Peuple te tuera, s'il entre en fureur, dit Demosthene à Pho∣cion; Et toi, s'il entre en son bon sens, lui repliqua Pho∣cion.

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Alexandre ètant à l'article de la Mort, ses Domesti∣ques, aprés avoir receu ses derniers Ordres, lui deman∣derent où ètoient ses Tresors? Vous les trouverez, leur dit-il, dans la Bourse de mes Amis.

168

Durant la Guerre de Cesar & de Pompée, un Cheva∣lier Romain se sauva du Camp de Cesar, & y laissa son Cheval, pour mieux couvrir sa fuite, & se jetter dans le Camp de Pompée; Ciceron voyant que le Parti de Cesar ètoit le p•…•…us fort, & que ce Chevalier avoit fait un méchant choix en se 〈◊〉〈◊〉 du côté du plus foible, dit fort plaisammant: Ce Chevalier a eu plus de soin de son Cheval, que de lui-même.

169

Metellus, Fils d'une Mere qui avoit été fort galante, voulant railler Ciceron sur la bassesse de sa naissance, lui demanda qui ètoit son Pere? Ciceron, au lieu de de répondre juste à la Question l'éluda adroitement, en lui disant: Ta Mere a fait en sorte qu'il te seroit bien plus difficile de dire qui ètoit le tien.

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Un chef d'Esclaves revoltez fut pris les Armes à la Main, avec plusieurs de son Parti, par le Général d'une Armée Romaine; Ce Général lui demanda quel traite∣ment il croyoit que lui & ses Compagnons avoient merité: Celui que meritent de braves Gens qui s'estiment dignes de la liberté, lui •…•…épondit-il. Cette reponse plut si fort à ce Général, qu'il leur pardonna & les em∣ploya dans ses Troupes.

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Des Juges Romains, devant juger Clodius, demande∣rent des Gardes pour opiner librement, disoient-ils, touchant son Crime: Cependant ils le renvoyerent ab∣sous, quoi qu'il eut merité d'être condamné. Ce qui fit dire à Catulus, parlant à ces mêmes Juges: Est-ce que vous aviez peur qu'on ne vous ôtat l'Argent que Clo∣dius vous avoit donné?

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Pyrrhus le Roy des Epirotes, ayant sçeu que quelques uns de ses Soldats avoient fort mal parlé de lui dans un festin, les fit venir, & lui demanda si ce qu'on lui avoit rapporté étoit veritable? Alors le plus hardy d'entr'eux, voyant la chose decouverte, répondit subtilement, Seig∣neur, si le vin ne nous eut pas manqué nous en aurions bien dit davantage. Cette plaisante excuse, & cét av•…•…u ve∣ritable, fit rire le Roy, & appaisa sa colere.

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Perillus ayant demandé à Alexandre le grand, son ami, quelque Argent pour marier une de ses filles, Alexandre lui fit donner cinquante talens; Perillus lui dit, que dix suffisoient, je croy, repliqua Alexandre, que ce seroit assez pour Perillus, mais ce seroit trop peu pour Alex∣andre.

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Marcus Terentius Varus vouloit que les conviez aux Banquets égalassent le nombre des Muses, ou des Graces; c'est à dire, qu'ils ne fussent point plus de neuf, ni moins de trois. faisant donc un jour un festin,

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un bouffon y survint sans être prié, le Maître d'Hôtel le voyant supernumeraire, le vouloit chasser; mais le bouffon luy dit, tu t'es trompé mon amy, compte une se∣cond fois, & commence par moy, tu verras que je ne suis point de trop.

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Zenon le fantasque faisant commerce de Marchan∣dises, apprit un jour que son Vaisseau sur lequel il avoit chargé tout son bien, aprés avoir été bat∣tu d'une grande tempête ètoit enfin peri à l'entrée du Port, mais bien loin de se chagriner à cette triste nouvelle, il-dit, avec un visage serain, je te remercie Destin de ce que tu me retires du Commerce, qui est un Art bas & penible & que tu me ramenes à la Philoso∣phie qui est un exercice noble & salutaire, ajoutant, qu'il avoit plûtot trouvé le Port dans le naufrage, que le naufrage dans le Port.

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Hermon fut si avare, selon le temoignage de Lucile, que revant la nuit qu'il avoit depensé quel∣que Argent, il en eut tant de douleur, qu'il s'•…•…∣trangla. Dinarques Philon fut aussi tellement avare, qu'il quitta le dessein de se pendre pour ne pas depenser deux liards à acheter une corde, cherchant la Mort à meilleur marché; & Hemocrate devint si fou par son extreme Avarice, qu'en mourant, il se constitua luy même heritier de tous ses biens. d'où le Philosophe Bias prit sujét de dire, Que l'Avarice est la Mere de la folie, & de la Malice des Hom∣mes.

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Ceux de Numànce, gens fort belliquex, ayant été de∣faits & mis en fuite par Scipion, les viellards, leur re∣prochoient avec aig•…•…eur leur lâcheté, en leur disant, Ne sont ce pas ces mêmes brebis Romaines que nous avons vaincues, & battues tant de fois? Ouï, •…•…épondit un jeuno homme, ce sont à la verité les mêmes brebis; mais •…•…lles ont changé de Pasteur.

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Ciceron disoit que de la même maniere que les hiron∣delles paroissent l'E•…•…é, & disparoissent en Hyver, de même les faux Amis se presentent dans la bonne for∣tune & s'éloignent dans la mauvaise.

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On demandoit à Aristote ce que gagnoient les Men∣teurs à debiter leurs mensonges? il répondit, qu'il ne leur en revenoit autre chose que de n'être point crus, quand même ils disoient la verité.

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Le Tyran Hieron ayant demandé à Simonide ce que c'ètoit que Dieu, ce Philosophe prit un jour de delay pour y répondre; puis deux, ensuite il en demanda quatre, & ainsi differoit toûjours. Hieron à la fin luy demanda pourquoy il ne répondoit pas, & qu'il le re∣mettoit toûjours à un autre temps? parce que, répon∣dit Simonides, plus j'y pense, plus je m'y perds, & trouve la chose obscure.

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Socrate conseilloit aux jeunes gens de se regarder dans un miroir, afin que s'ils ètoient beaux & bien∣faîts, ils prissent garde de ne rien faire qui fut indigne de leur beauté; & qu'au contraire, s'ils é•…•…oient laids & difformes ils tâchassent d'effacer les defauts du Corps, par les vertus de l'Esprit.

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Un Homme qui ne s'ètoit jamais marié vouloit persuader au Philosophe Epictete de prendre une Fem∣me, lui faisant voir, par plusieurs raisons que le Mari∣age ètoit bien-seant & necessaire aux Philosophes: Si cela est, donne-moy done une de tes Filles, lui répondit Epictete.

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Servius Geminus allant un jour rendre visite à Lucius Mallius, Peintre très habile, & voyant ses Enfans qui ètoient fort Laids, il ne se peut empêcher de lui dire Qu'il s'ètonnoit de ce qu'il faisoit de si beaux Portraits, & des Enfans si laids. Mallius lui répondit agréablement, n'en soyez point surpris, je fais les Portraits pendant le jour & les Enfans pendant la Nuit.

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Le Roy Antigonus se retirant de la presence des En∣nemis, qui pour lors ètoient plus puissans que luy, quel∣ques uns prirent sa retraite pour une fuite; mais il leur dit qu'il ne fuyoit point & qu'il alloit seulement où étoit son profit & sou utilité.

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Ce même Prince interrogé de quelle maniere on pou∣voit vaincre ses Ennemis, repondit que c'•…•…toit, par la force & par la ruse; & que si la peau du Lion n'étoit pas suffisante, il faloit y coudre celle du Renard.

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Un jeune homme, fort grand parleur, voulant con∣venir du prix avec Isocrate pour être enseigné; Isocrate lui demanda le double de ce que lui donnoient ses au∣tres Ecoliers: Et la raison, dit-il, est qu'il faut que je t'enseigne deux Sciences, l'une de te taire, & l'autre de parler.

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Le Philosophe Anacreon ayant receu de Polycrate Roy de Samos un Present de dix mille écus, il en∣tra dans de si grandes apprehensions d'être volé, qu'il fut trois jours & trois nuits sans dormir; ce qui l'obligea à rapporter le Present à ce Prince, lui dis∣ant qu'il preferoit son repos aux inquietudes que les Richesses trainent après elles.

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On demandoit à Chrisippe pourquo•…•… il ne se don∣noit pas au gouvernemeur de la Republique? Par∣ceque, repondit-il, si je fais mal je deplairai à Dieu, & si je fais bien je deplairai aux hommes; mais Sidonius son Disciple retourna finement cêt Argument & lui dit, vous devez au contraire par toutes sortes de Raisons en∣trer dans le Ministere, car si vous faites bien vous

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plairez à Dieu, & s•…•… vous faites mal vous plairez au•…•… Hommes.

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Solon étant en Compagnie, & se taisant, selon sa Coûtume, il y eut un jeune Etourdi qui lui dit qu'il se taisoit par•…•…e qu'il ètoit sou; Solon, sans s'émouvoir, lui repondit sagement, qu'il ne s'ètoit ja∣mais trouvé de Fou qui pût se taire.

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Cambyse Roy fort severe & rigoureux, fit écorcher tout vif un Juge, quoy que son Ami, parce qu'il se lais•…•…oit corrompre par Presens, & qu'il n'administroit pas la Justice selon les Loix & l'Equité: Et ayant fait ensuite couvrir le Tribunal de sa Peau, il y fit asseoir son Fils, pour succeder à la charge de son Pere.

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Ir•…•…ne se transporte à grands frais en Epidaure, void Esculape dans son Temple, & le consulte sur tous ses maux. D'abord elle se plaint, Qu'elle est lasse, & recreuë de fatigue; & le Dieu prononce, que ce∣la lui arrive par la longueur du Chemin qu'elle vient de faire. Elle dit, qu'elle est le soir sans appetit. L'Oracle lui ordonne, de diner peu. Elle lui de∣mande, pourquoy elle devient pesante, & quel remede? L'Oracle repond, qu'elle doit se lever de bon matin & prendre de l'exercice. Elle lui declare, que le Vin lui est nuisible; & l'Oracle luî dit, de boire de l'eau. Qu'∣elle a des indigestions, & il ajoûte, qu'elle fasse Diete.

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Ma veuë s'affoiblit, dit Irene, Prenez don•…•… des Lunet∣tes, dit Esculape. Je deviens foible, continuë-t-elle, & je ne suis plus si saine que j'ai été. C'est, dit le Dieu, que vous vieillissez. Mais quel moyen de guerir de cette Langueur? Le plus court, Irene, C'est de mourir, comme ont fait vôtre mere, & vôtre ayeule. Est ce-là, repon∣dit Irene, toute cette Science que les hommes publient, & qui vous fait reverer de toute la Terre? que m'apprenez vous de rare & de mysterieux? & ne savois-je pas tous ces remedes que vous m'enseignez? Que n'en usiez vous don•…•…, repondit le Dieu, sans venir me chercher de si loin, & abbreger vos jours par un si long voyage?

La Matrone d'Ephese.

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ILy avoit une Dame à Ephese en si grande repu∣tation de Chasteté, que les Femmes mêmes des Païs Voisins venoient en foule la voir par curiosité. Cette prude ayant perdu son mary ne se contenta pas, selon la coûtume, d'assister au convoy toute é∣chevelée, & de se battre la Poitrine devant le Peu∣ple, elle voulut suivre le défunt jusqu'au Monument, & après l'avoir mis dans un Sepulcre, à la manière des Grecs, gardé le Corps, & pleuré Nuit & jour auprès de lui, se desolant de la sorte, & resoluë à se laisser mourir de Faim, les Parens ni les Amis

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ne l'en purent detourne•…•…: Les Magistrats rebutez les derniers l'abandonne•…•…ent: Et une Femme si illustre, pleurée de tous comme une Personne morte passoit déja le cinquieme jour sans manger. Une Servante fi∣delle & affectionnée ètoit toûiours auprés de la misera∣ble, meloit ses larmes aux siennes, & renouvelloit la lumiere d'une Lampe toutes les fois qu'elle venoit à s'éteindre. On ne pa•…•…loit donc d'autre chose dans la Ville, & tout le Monde demeuroit d'accord que c'ètoit le plus grand Exemple d'Amour & de Chasteté qu'on eût jamais veu.

Il arriva qu'en ce même tems le Gouverneur de la Province fit attacher en croix quelques voleurs tout proche de cette même Cave, où la vertueuse Dame se desoloit sur le Corps de son cher Epoux. La Nuit sui∣vante, comme un Soldat qui gardoit les Croix de peur que les Corps ne fussent enlevez, eût apperceu de la lu∣miere dans le Monument, & entendu les soupirs & les Plaintes d'une Personne affligée, pa•…•… un esprit de cu∣riosité commun à tous les hommes, il voulut savoir ce que ce pouvoit être, & ce qu'on y faisoit. Il descend donc au Sepulcre, & surp•…•…is de la veüe d'une fort belle Femme, il demeure d'abord épouvanté, comme si c'eût été un Fantôme: Puis ayant veu un Corps mort étendu devant ses yeux, consideré ses larmes, un visage dechiré avec les ongles, & toutes les autres marques de deso∣lation, il s'imagina à la fin ce que c'ètoit; qu'une pau∣re affligée s'abandonnoit aux regrets, & ne pouvoit souffrir sans desespoir la Mort de celui qu'elle avoit per∣du. Un Moment après il apporte son petit Souper au Monument, & commence à l'exhorter de ne perse∣verer

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pas davantage dans une douleur inutile & des gemissemens superflus; que la sortie de ce Monde è∣toit la même pour tous les Hommes; qu'il falloit tous aller en même lieu; & les autres raisons dont on a de coûtume de guerir les Esprits les plus Malades. Mais elle, irrit•…•…e encore par une consolation si peu attenduë, redouble son deuil: se dechire l'estomac avec plus de violence, & s'arrache les Cheveux qu'elle jette sur ce miserable Corps. Le Soldat ne se rebute point pour cela, & avec les mêmes exhortations il essaye de lui faire prendre quelque nourriture, jusqu'à ce que la Suivante gagnée sans doute par l'odeur du Vin, autant que par son discours, tendit la main à celui qui les invitoit si ob∣ligeamment, & comme elle eût repris quelque vigueur par le boire & le manger, elle vint à combattre elle même l'opiniatreté de sa Maitresse. Et que vous servi∣ra, dit-elle, de vous laisser mouri•…•… de faim, de vous ensevelir toute vive, & de rendre à la Destinée un A me qu'elle ne redemande pas encore.

Pensez vous que des Morts les insensibles Cendres, Vous demandent des Pleurs & des Regrets si tendres?

Quoi! vous voulez ressusciter un Mort contre l'ordre de la Nature? croyez moi, defaites vous d'une foiblesse dont les seules Femmes sont capables & jouïssez des a∣vantages de la lumiere tant qu'il vous sera permis. Ce Corps que vous voyez devant vous, montre assez le prix de la Vie, & vous avertit que vous devez mieux la menager. Personne n'écoute à regret quand on le presse de manger en de pareilles occasions. Ainsi cette Femme extenüée par une si longue astinence, laissa vaincre son

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obstination, & se remplit de viande avec la même avi∣dité que la suivante, qui s'ètoit renduë auparavant. Au reste vous savez que les Tentations viennent d'ord•…•…naire après le repas: Avec les mêmes Armes qu'employa le Soldat pour combattre son desespoir, avec les mêmes il attaqua sa Pudicité, & la jeune Veuve ne le trouvant ni desagréable, ni sans esprit, la suivante n'oubliant rien pour lui rendre de bons Offices, & disant ensuite à sa Maîtresse.

Songez, songez à vous: voyez vô•…•…re intérêt, Et ne combattez pas un Amour qui vous plait.

Qui m'arrête davantage? la bonne Dame eût la même Abstinence en ce qui regarde cette Partie de son Corps, & le Soldat pleinement satisfait vint à bout de l'un & de l'autre. Ils demeurerent ensemble▪ non seulement la premiere nuit de leur jouïssance, mais encore le lende∣main, & le jour d'après, les portes si bien ferm•…•…es, que quiconque fut venu au monument, soit connu ou in∣connu, auroit cru, sans doute, que la plus honnète Femme du Monde avoit expi•…•…é sur le Corps de son Mari.

Le Soldat charmé de la beauté de sa Dame, & du secret de sa bonne Fortune, achetoit tout ce que son peu de bien lui pouvoit permettre, & à peine la nui•…•… ètoit elle venuë, qu'il l'apportoit dans le monument. Cependant les Parens d'un de ces Pendus, comme ils s'apperceurent qu'il n`y avoit plus de Garde, enl•…•…verent le Corps une nuit, & lui rendirent les derniers devoirs. Mais le pauvre Soldat qui s'ètoit laissé abuser pour de∣meurer trop long tems attaché à son plaisir, voyant le lendemain une de ces Croix sans cadavre, alla trouv•…•…r sa Maîtresse dans la crainte du supplice, & lui conta

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tout ce qui ètoit arrivé: quant au reste, il ètoit resolu de ne point attendre sa condamnation, & que se fai∣sant justice lui même, il alloit punir sa negligence de sa propre main; Pour toute grace, qu'il la supplioit d'avoir soin de sa Sepulture & de la lui preparer en ce même tombeau fatal à son Epoux & à son Amant. Cette Femme aussi charitable que Prude, & aux Dieux ne plaise, dit-elle, que je voye en même tems les fu∣nerailles de deux personnes qui me sont si cheres; j'ai∣me mieux pendre le Mort, que de faire perir le vivant. Selon ce beau discours elle tire le Corps de la Biere, lui defigure le visage, & le donne au Soldat pour l'attacher à cette croix où il n'y avoit plus rien. Le Soldat seut profiter du conseil ingenieux d'une Femme si avisée: & le lendemain tout le Peuple s'étonna de quelle ma∣niere le Voleur mort avoit pu retourner au Gibet.

Conte tiré de l'Ane d'Or d'Apulée.

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UN Ouvrier qui gagnoit sa vie à travailler au•…•… Forges, avoit une Femme fort belle, mais qui n'ètoit pas des plus vertueuses. Ce pauvre malheureux ètant un jour sorti de bon matin, selon sa coûtume, donna occasion à un jeune Gaillard de se glisser dans sa Maison, où êtant aux prises avec sa femme, le Mari survint contre leur attente, mais trouvant la porte fermée, il ne se douta guere de ce qui s'ètoit passé en son absence▪ La dessus il loüa en soi même la chasteté dé sa Fémme, & avec un siflet l'avertit de son arrivéc

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Elle, qui en pareilles occasions ne manquoit pas de Po∣litique, se degagea bient•…•…t des bras de son Amant, & sans s'émouvoir le cacha dans un vieux cuvier vuide, qui ètoit dans un coin de la chambre: cela fait, ouvrant la porte avec furie, elle parla à son mari de cette mani∣ere.

Est-ce ainsi, sot lendore, que tu pourvois aux besoins de ta famille? Et que pendant que tu vas de la sorte les bras croisez il faut que je travaille jour & nuit pour supléer aux besoins où nous sommes reduits par ta pa∣resse? Oh! combien plus heureuse que moy, est ma Voisine Daphné, qui n'a autre chose à faire qu'à se di∣vertir avec ses Amans.

A quoi le mari tout craintif repliqua: & quel grand mal y a-t-il, m'Amie? quoi que mon Maître n'ait point d'ouvrage pour moy d'aujourd'huy, je ne laisse pas d'avoir pourveu à ton Diner. Vois-tu ce vieux cuvier, qui ne sert à rien qu'à embarrasser la chambre? je viens, ma poupone, de le vendre pour quinze Sols & l'homme qui l'a ache•…•…é, va venir ici tout presentement pour l'empor∣ter. Allons, laisse là un peu ton ouvrage, & aide moi à le nettoyer, car je ne voudrois pas pour quoi que ce soit, le lui livrer avant qn'il soit net & en bon état.

Là dessus la Femme se mit à rire de bon appetit, &c l'occasion lui fournissant un Stratageme, elle s'écria Misericorde! voilà un rare Marchand que mon mari▪ qui a seu vendre pour quinze Sols, une chose dont j'ai eu un demi-écu, quoy que je ne sois qu'une femme qui ne sors jamais du logis.

Le mari ravi du marché de sa Femme, lui demanda d'abord qui ètoit le sot qui en avoit tant offert; quel∣que Benet comme vous pouvez croire, reprit la Femme, & pour preuve de cela, c'est qu'il vient de s'y fourrer pour voir le profit qu'il lui en reviendra. A ces Mo•…•…s,

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le Galand, voyant qu'il ètoit tems qu'il joüât son Rolle mit la tête dehors, & dit: Bonne Femme, voulez vous que je vous parle franchement, ce cuvier est fort vieux & pl•…•…in de fentes, & vous ne deve•…•… pas en Conscience en avoir ce que je vous en ai offert: Ensuite se tour∣nant du côté du mari, il lui dit finement, & vous, mon ami, qui que vous soyez, je vous prie, donnez moy un peu une Chandelle, afin que je racle les ordures, & que je voye s'il fait pour moy, avant que j'en paye l'Argent, à moins que vous ne croyez que je l'aye derobé. Là des∣sus nôtre adroit Vulcain, ne songeant guere à ce qu'on meditoit contre lui, alla vîte chercher une Chandelle, & s'ètant approché de lui, il lui dit: Mon ami, ôte toi un peu de la, je te prie, & laisse moy voir ce que j'y puis faire, car il n'est que trop juste que tu l'ayes aussi net qu'il se pourra: ensuite ôtant son habit, & donnant la Chandelle à tenir à sa Femme, il entra dans le Cu∣vier, & se mit à travailler de toute sa force sur la lie seche, pendant que le rusé Galand en faisoit autant sur sa Femme, qu'il avoit couchée sur le cuvier.

Cependant la bonne Femme, baissant la tête pour éclairer son mari, amusoit le pauvre homme en lui mon∣trant plusieurs endroits qui avoit besoin d'être nettoyez. Mais enfin le travail de l'un & de l'autre étant fini, le cocu content, après avoir receu le demi écu, se crut encore obligé de charger le cuvier sur son dos, & de le porter chez son Ami.

Conte tiré de Théophile.

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LArisse aimoit à conter, & se trouvant un jour en compagnie, elle voulut bien leur parler des folies de sa jeunesse, & le fit ainsi.

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Je servois chez un Citoyen Romain avec un jeune Grec son Esclave, que la tempête ayoit obligé de servir aussi, quoi que né libre. La nature avoit mis sur le visage de ce jeune homme toutes les marques de la no∣blesse & de la bonne éducation qu'il devoit à sa naissance & aux soins de ses Parens; et on voyoit bien qu'il n'étoit pas né pour l'état où son malheur l'avoit reduit; s'il fal∣loit porter quelque fardeau, il succomboit aux plus le∣gers: Cependant il vouloit tout faire, & il oublioit sa nais•…•…ance, pour tâcher de s'accommoder à l'état present de la Fortune. Mais ne pouvant resister à la fatigue, ni à la nourriture de valet, il tomba peu à peu dans un grand abbatement, & il se negligeoit à un point qu'il ne peignoit pas même les plus beaux cheveux du monde qu'il avoit. En peu de temps il devint maigre & ridé, il eut les yeux cavez & languissans; les mains noires & pleines de calus: enfin il n'étoit plus reconnoissable. La tristesse lui avoit abbatu l'esprit, autant que la fa∣tigue lui avoit alteré la santé. Il soûpiroit souvent; & son affliction me faisoit pitié; Je trouvois la fortune bien injuste à son egard; je l'exhortois à se consoler; je pleu∣rois ses malheurs, je lui apprenois ses fonctions, & je le soulageois même de quelques-unes. Sa misere ne lui ôtoit pas un air noble, & je ne s•…•…ai quelle superiorité sur ma naissance, qui me faisoit sentir la difference de la sienne, à laquelle je me soûmetois volontiers. Il sentoit bien les obligations qu'il m'avoit & il m'en remercioit avec la politesse d'un homme de la Cour. Enfin toutes ces bonnes qualitez me toucherent si fort, que ne croyant avoir que de la pitié pour ses malheurs, je me trouvai de l'amour dans le coeur pour sa personne, & je l'aimai éperdument.

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Larisse par ee conte, avoit attiré l'attention de toute la compagnie, mais sur tout de deux jeunes Filles qui faisoient semblant de dormir de peur que la Bienseance ne les obligeat de se retirer si elles paroissoient entendre ce qu'elle disoit; l'une d'elles ayant ouvert les yeux pour regarder Larisse, comme si c'eut été sans dessein, les re∣ferma aussi-tôt. Pour l'autre, faisant semblant de se re∣veiller: Est-il déja jour? dit elle, & rougit en le disant. La compagnie connût leurs finess•…•…s, & s'en réjouit fort. Cependant L•…•…risse avoit cessé de parler, disant qu'elle ne vouloit pas achever le recit de cette avanture, de peur de faire de la peine à ces jeunes Filles & elle menaçoit la compagnie de quelques 〈◊〉〈◊〉 Histoires serieuses; Mais Eugene impatient de seavoir le reste du conte: Hé Larisse lui dit il, ces jeunes Filles n'ont fait semblant de dormir, que pour vous écouter avec plus de liberté: je vous assure qu'elles ont plus d'envie que pas un de nous de scavoir la fin de vôtre histoire. Continuez, je vous en conjure, lui dit-il en l'embrassant. Elle y consentit, promit d'achever le conte le plus modestement qu'elle pourroit; & faisant approcher d'elle les jeunes filles leur dit,

Il est permis aux jeunes gens De n'ètre pas toûjours si Sages.

Et recommenca ainsi à parler:

Tantôt je me plaignois de l'Amour, & tantôt je le priois. Grand Dieu, lui disois-je souvent, ou gueris moi, ou me fais aimer de ce que j'aime. Cependant je ne mangeois, ni ne dormois plus. La beauté de Glison, c'ètoit le nom de celui que j'aimois, revenoit tous les jours; car le temps, qui vient à bout de tout, avoit addouci ses chagrins. Pour moi je n'ètoit plus recon∣noissable

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& plus les agrémens de Glison augmentoient, plus ma passion secrette changeoit mon esprit, mon Visage, & mon humeur. Je n'osois decouvrir mon A∣mour, & j'ètois au desespoir de le taire: mais Glison ne connoissoit pas mon mal. Il me plaignoit, & payoit de reconnoiss•…•…nce seulement les obligations qu'il m'a∣voit, & se contentoit de me soulager de mes devoirs d'es∣clave, comme je l'avois soulagé dans les siens. Mais en∣fin ne me trouvant plus Maîtresse de mon Amour, je vis bien qu'il faloit me declarer. Un Vendredy donc, ô jour heureux! que je n'oublierai jamais, ayant trouv•…•… Glison •…•…ur mon lit, où il se reposoit quelquefois après diné, je le priai en fondant en larmes d'avoir pitié de moi, il ne s'en defendit pas, & me parût fort aise de m'avoir sauvé la Vie.

Vous autres, mes Enfans, rejouissez vous pendant que l'àge vous le permet. Le souvenir des plaifirs passez seront les seuls de vôtre Vieillesse.

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