Ortho-epia Gallica Eliots fruits for the French: enterlaced vvith a double nevv inuention, vvhich teacheth to speake truely, speedily and volubly the French-tongue. Pend for the practise, pleasure, and profit of all English gentlemen, who will endeuour by their owne paine, studie, and dilligence, to attaine the naturall accent, the true pronounciation, the swift and glib grace of this noble, famous, and courtly language.

About this Item

Title
Ortho-epia Gallica Eliots fruits for the French: enterlaced vvith a double nevv inuention, vvhich teacheth to speake truely, speedily and volubly the French-tongue. Pend for the practise, pleasure, and profit of all English gentlemen, who will endeuour by their owne paine, studie, and dilligence, to attaine the naturall accent, the true pronounciation, the swift and glib grace of this noble, famous, and courtly language.
Author
Eliot, John.
Publication
London :: Printed by [Richard Field for] Iohn VVolfe,
1593.
Rights/Permissions

To the extent possible under law, the Text Creation Partnership has waived all copyright and related or neighboring rights to this keyboarded and encoded edition of the work described above, according to the terms of the CC0 1.0 Public Domain Dedication (http://creativecommons.org/publicdomain/zero/1.0/). This waiver does not extend to any page images or other supplementary files associated with this work, which may be protected by copyright or other license restrictions. Please go to http://www.textcreationpartnership.org/ for more information.

Subject terms
French language -- Conversation and phrase books -- English -- Early works to 1800.
Link to this Item
http://name.umdl.umich.edu/A21218.0001.001
Cite this Item
"Ortho-epia Gallica Eliots fruits for the French: enterlaced vvith a double nevv inuention, vvhich teacheth to speake truely, speedily and volubly the French-tongue. Pend for the practise, pleasure, and profit of all English gentlemen, who will endeuour by their owne paine, studie, and dilligence, to attaine the naturall accent, the true pronounciation, the swift and glib grace of this noble, famous, and courtly language." In the digital collection Early English Books Online. https://name.umdl.umich.edu/A21218.0001.001. University of Michigan Library Digital Collections. Accessed June 15, 2024.

Pages

Page 16

Dialogue 2. De la dignité des Orateurs, & l'ex∣cellence des langues.

DIeu vous sauue & garde, monsieur

Bien venu, bien venu certes monsieur.

Ie vous vien visiter cest apres-disner selon ma promesse.

Asteure suis-ie bien de loisir de parler à vous.

Nous auons discouru ce matin du methode & moyen d'ap∣prendre les langues estranges.

Que voulons nous faire main∣tenant?

Ce qu'il vous plaist, monsieur.

I'ay grand desir d'apprendre les langues, mais ie ne sçay pas quelles sont les plus fameuses & renommées au monde pour le iour d'huy.

Ie les vay conter: l'Hebraicque, la Syriacque, l'Arabesque, la Grecque, la Latine, l'Italienne, l'Hespagnolle, & la Françoise. Voyla huict des plus belles & nobles que ie vous en sçache nommer, mais il y a tant d'autres.

O pleust à ce bon Dieu que ie sçeusse parler tant seulement ces huict: mais il n'est pas possible qu'vn homme les possedast toutes ensemble.

Page 17

Que dites vous? Il y a vn homme à la court de l'Empereur qui les parle toutes naiuement: & parle d'auantage plusieurs au∣tres fort eloquemment.

Ie ne le peux croire.

Il est vray: l'homme est en∣core viuant.

Comment a il nom?

Il s'appelle Scaliger: & pour vous confermer ce que ie vous dy Bartas tres-excellent Poete François a fait aussi mention de luy en sa Seconde Sepmaine, au iour qui s'appelle, Babylone.

Il a escrit en François, ie ne l'en∣tends pas.

Pource qu'il est homme digne de foy, ie veux hasarder de tra∣duire son tesmoignage: encore que ie sçache combien grande sera mon outrecuidance d'y pre∣sumer de ma part à contrefaire par l'Anglois son style inimi∣table.

Ceux-cy sont ses vers:

Mais le seul homme peut discourir d'attrempance, De force, d'equité, d'honneur, & de prudence, De Dieu, du ciel, de l'eau, de la terre & des airs, Auec termes choisis, signifians, diuers: Desueloppant son coeur, non par vn seul langage, Ains comme Scaliger, merueille de nostre âge,

Page 18

Le soleil des sçauants, qui parle eloquemment L'Hebrieu, Gregeois, Romain, Hespagnol, Alemant, François, Italien, Nubien, Arabique, Syriaque, Persan, Anglois & Caldaique, Et qui Chameleon, trans-figurer se peut, O riche, ô souple esprit! en tel autheur qu'il veut: Digne fils du grand Iule: & digne frere encore De Sylue son aisné, que la Gascogne honore.

Voyla vn bien grand louange pour luy certes.

Ie m'asseure qu'il l'a bien merité.

Le iugement soit à tous ceux qui le cognoissent bien: car il est recognu par toute l'Europe pour vn homme d'admirable esprit.

Quel estimez vous auoir esté le premier langage du monde? Sans doubte c'est l'Hebrieu, qui est le plus ancien, & le mesme que nostre pere Adam en parloit estant en Paradis auec Dieu.

L'Hebrieu est ce vn langage mysterieux, comme la langue E∣gyptiaque, laquelle est hierogli∣phique & Cabalistique?

Elle comprend en peu de mots beaucoup des choses, est merueil∣leusement signifiāte, pure, chaste,

Page 19

saincte & diuine, explique claire∣ment & briefuement tout ce que lon sçauroit penser, & quand il est question de discourir les plus secrettes & enueloppées cachettes du coeur, elle ne laisse rien en arriere, ayant vne grauité douceur, viuacité & efficace mer∣ueilleuse en ses mots, periodes & discours; plus admirables que toúte la douceur de la langue Grecque, qui auec ses mots de mesme signification, ses Epi∣thetes hardis ou curieusement recerchez, ses translations sub∣tiles, ses mots composez, ses Ao∣ristes & autres gentilésses, n'est non plus comparable à l'autre, que le sifflet d'vn Geay au chant du Rossignol.

Qui est le meilleur Autheur Hebrieu?

C'est Dieu-mesme: car l'E∣ternel proposant & escriuant luy mesmes par deux fois sa loy à son peuple, & parlant de sa bouche en la montagne à Moise, & à ses autres seruiteurs, s'est serui du langage Hebrieu. Les Anges, & les Prophetes ont fait du mesme.

Quelle est la cause que l'He∣brieu est au iour d'huy en si peu d'estime?

L'impieté & le mespris de la vraye Theologíe fait que l'Hebrieu n'est pas estimé, mais il est tant plus cheri de ceux qui sçauent que c'est.

Page 20

La langue Hebraicque donc est la premiere & la plus ancienne de toutes langues?

Ell'a le premier & le plus an∣cien lieu entre celles qui ont esté, qui sont & qui seront au monde.

Il y a pourtant des aucuns qui disent hardiment le contraire, & vn quidam Goropius medecin Brabançon en ses liures intituléz Origines Antuerpianae, a osé escrire pour prouuer son Flamand le plus ancien & aisné des langues.

Rien, rien, monsieur, le bon hommet s'abuse en ses gros volumes.

Il tasche à le prouuer tout à faict pourtant.

O ces sont contes des Fla∣mands! Le pauure homme a perdu sa peine en cela.

Il y a bien d'autres, qui en ont escrit autant que luy.

Ie croy autant à l'un que à l'autre.

Leur febures quartaines. On leur remonstrera bien, que leur langue n'est point de l'an∣tiquité qu'ils pretendent, mais estre née en Babel, & n'estre autre chose qu'vn iargon corrompu, effeminé & inconstant au re∣garde de l'Hebraicque, quoy qu'ils osent cracher au contraire.

C'est donc vne tresgrande

Page 21

outrecuidance en eux pour escrire telles bourdes.

Si Aristophane le Comic fust en víe, il auroit icy bon subiect d'vne nouuelle Commedie de leur impudence.

La langue Syriacque, quelle langue est ce?

C'est vne langue deriuée telle∣mēt de l'Hebraique, qu'elles ont tres-grande conuenance en∣semble.

Quel est le meilleur autheur?

Iesus Christ a parlé Syriacque, & la pluspart du nouueau Te∣stament est escrite en icelle: toutes fois elle est en peu d'estime auiourd'huy, seulement on la parle lez Hierusalem, à Tripolí en Soríe & és terroirs à l'entour, non ailleurs. C'est la langue qu'on parloit soubs la monarchie des Assyriēs. Et en i∣celle est escrit le Thalmud de Iuifs.

Auez vous iamais estudié la langue Arabesque?

Non, monsieur, mais à ce qu'on conte, c'est vn beau langage, riche, eloquent, & qui a plus grand' vogue qu'aucune autre qu'on parle au Monde.

On en trouue bien peu des liures escrits en l'Arabesque.

Il y a plusieurs qui sont escrits à la main, mais bien peu imprimez ncore: quand i'estoye à Rome, il y a asteure pour le moins sept

Page 22

ou huict ans passez, que le Pape Gregoire le treizieme commen∣çoit à dresser vne imprimeríelà au Champ des Fleurs, & taschoit recouurer plusieurs liures escrits à la main és langues Arabesque & Syriacque, faisoit tailler à ses grans despens des fort beaux caracteres pour les faire impri∣mer: & enuoyoit par le monde pour auoir des compagnons ouuriers en ce mestier, afin de les mettre en besongne là dessus. Ie ne sçay si ces Papes qui sont esté creés depuis son temps ont con∣tinué ce bon commencement.

Ie m'en doubte bien. Car autre∣ment les liures fussent desia par∣uenuz à noz mains: mais de grace en quel pais nous sert plus le langage Arabien?

Par tous les pais du Leuant. C'est le meilleur langage du Monde pour passer par tous les terroirs du gran-Seigneur, par grand' part de l'Asíe, par toutes les con∣treés des Iapanois, par China, par tout l'Empire de Prest-Ian, & par toute l'Africque, & passe bien vn homme par la troisieme partíe du monde par icelle. C'est vne belle langue certes.

Ie croy qu'elle est fille de l'He∣braique.

Ell'est née de l'Hebrieu sans doubte.

Tous les Turcs & Mahume∣tains parlent Arabic: à cause que

Page 23

Mahumet leur faux-Prophete a escrit sa loy ou Alcoran en icelle.

Quels gens sont ces Arabes?

Les Arabes pour le present sont quasi tous larrons & bri∣gans, & habitent peu en villes closes, mais vagabondent vollans & desrobbans les passa∣giers qui voyagent parmi les deserts & forests d'Arabie.

Les voyageurs le disent certes.

Toutes-fois il y a entre eux plusieurs qui sont medecins na∣turels & tresexperts.

De qui sont les plus facondes escrits qui nous auons des Arabiens?

Ce sont les oeuures d'Auerroës le Commentateur, tres-excellent Philosophe, & qui a fait des beaux Commentaires sur la plus part des oeuures d'Aristote.

Mais on ne les entend pas en l'Arabesque.

Ilz sont traduitz en Latin & imprimez à Venize.

Ce Philosophe Auerroës estoit homme d'vn subtil esprit, & d'vn tres-profond iugement.

Quel autre bon autheur avons nous d'entre les Arabiens?

Il y a encore Auicenne orateur tres-faconde en son Arabesque, & plusieurs autres des-quels nous auons les escrits par l'Eu∣rope en plusieurs endroits.

Page 24

Il estoit medecin.

Aussi bien fut l'autre.

Apres ces trois soeurs quelle estimez vous la meilleure langue?

L'ancienne Grecque; mais quant au Grec vulgaire d'au∣iourd'huy il est fort grossier.

Où trouuerons nous le pur & vrayement bon?

Il le faudra puiser des fontaines de ces grans Orateurs, Poetes & Rhetoriciens Grecs: de Platon, Xenophon, Demosthene, Isocrate, Homere, Euripide, Sophocle, Pindare, Plutarque, Basile, Chrysostome, Nazianzene, & d'autres en tres-grand nombre.

Qui a esté le plus ancien autheur Grec que nous avons?

C'est Homere en son Iliade & Odyssée descrites en 48. liures.

Homere, estoit il le premier Poete Grec ou non?

I'estime qu'ouï, encore ne sçay ie pas bien si Amphíon, Orpheus, Lynus, & quelques autres ont esté au deuant: mais ie suis certain que ce grand Poëte Grec, combien qu'il fust dés son enfance aueugle, il a neant∣moins descrit des choses si profondes & admirables, qu'au∣cuns ont osè escrire de luy, que si toute la sagesse des Poétes estoit fonduë en vne grād' four∣naise, elle ne pourroit egaller, ie ne sçay quoy d'admirable qui

Page 25

reluist en ses oeuures, ne luy∣mesme s'il estoit resuscité des morts, ne pourroit refaire ce qu'il a faict.

Ie croy qu'il n'y a eu iamais Grec ou Latin qui le sçeusse imiter ou contrefaire.

Certes son esprit estoit admi∣rable, ses inuentions inimitables, ses discours naïfs, ses vers coulans, artistes, & qui ont infinies graces tant plus on les considere: au reste vn sens caché & la source de toutes sciences humaines, comme nous voyons mille & mille pieces de ses Poësies dans les liures des Philosophes, Geographes, Orateurs, & Historiens. Tesmoing en soit Plutarque entre tous les autres.

Platon, n'estoit-il pas vn Au∣theur autant renommé par la Grece que luy?

Platon Philosophe fort renommé (non moins honoré en Grece que iceluy Homere, pour les os duquel sept villes de la Grece contendirēt longuement) fut surnommé, le Diuin, esprit merueilleusement pur & haut, esleué en tous ses discours: vray disciple de celuy qui faisant profession de ne sçauoir rien qu'vne chose (qu'il ne sçauoit Rien) a monstré qu'il sçauoit tout ce qui se peut apprendre au monde touchant le monde.

Page 26

On dit bien qu'il auoit veu vne partíe du vieil-Testament.

Ie n'en sçay rien. Il peut auoir veu quelques-vns des Prophetes: brief quant au regard de la science de salut, luy & son maistre Socratez l'ont ignorée.

Qui a eu le troisieme lieu entre les Orateurs Grecs?

Herodote l'Ionien, qui estoit Historien graue, sage, & tres∣eloquent en son langage Ionien.

Que dites vous de Demosthene, où le mettez vous?

Il tiendra sa place icy, comme il l'a merité. Demosthene certes est le Prince des Orateurs Grecs, reigle de tous ceux, qui veulent disertement parler, homme qui manie les coeurs comme bon luy semble, excellent en tous ses discours, lesquels sont partíe en lumiere, & leus auec grand fruict, & de grand vsage pour ceux qui s'en sçauent seruir.

Qui sont les ornaments & piliers de la langue Latine?

Le principal est Ciceron, sur∣nommé Pere d'Eloquence.

Ie m'esbais bien pourquoy il estoit si extremement haï par Catiline, & Marc Antoyne.

C'estoit à cause qu'il n'a pas voulu endurer & fauoriser leur complots & conspirations contre la Republique Romaine:

Page 27

mais il les auoit viuement pour∣suiuis aussi, comme ses harangues appellées Catilinaires & Philip∣picques en font foy.

O le braue-hommeque voyla! c'est grand' pitíe certes qu'il n'a pas esté Chrestien.

Erasme n'en doubte point qu'il ne soit sauué: il a parlé si diuinement de Dieu: il me souuienne où il dist: Si vnus Deus est vt aiunt en son liure de la Vieillesse.

Qu'eust il dit s'il eust esté Chrestien: disant cela estant qu'vn pauure Payen? O mon Dieu! que ie suis raui considerant la viuacité de son Esprit!

Ses oeuures tant de fois impri∣mées, tant leues & releuës de tous, les escrits de tant d'hommes doctes, qui ont emprunté tous leur beaux traits de ce fleuue d'Elo∣quence, de ce riche esprit docte & disert à merueilles verifient ce que dit vn Poëte Chrestien de luy:

L'ennemi capital d'Antoyne & Catiline, Qui foudroye, qui tonne, & de qui la poictrine Source mille torrents, où de merueille espris S'enyurent chaque iour les plus rares esprits.

Page 28

Qui a gaigné le prix apres Ciceron pour le Latin?

ç'a esté Iules Caesar, lequel a esté vaillant entre les vaillants; & eloquent entre les eloquents; comme sa vie escrite par Plutarque, & ses Commentaires de Bello Gallico, où il a enleué la plume des mains de tous hom mes doctes, & leur a osté l'enuíe d'escrire histoires, voyans qu'ils ne peuuent approcher que de fort l oing d'vne telle perfection, le prouuent suffi∣samment.

Qui sera mis en troisieme rang?

Ce sera l'Historien Saluste, du quel nous auons deux histoires courtes, mais sententieuses, ner∣ueuses & tesmoignages de ceste ancienne vigueur Romaine.

Entre les Poetes Latins qui est le premier?

Virgile est le Pere des Poëtes Latins, duquel lon n'en sçauroit trop bien dire: ses Georgiques & sō Aeneide estans liures admirables par dessus tous liures d'humanité en font preuue suffisante.

On dit pourtant que ses vers sont trop raboteus & durs.

Ie ne parle point de l'excel∣lence de ses vers; mais son iuge∣ment, la profondeur le ses inuentions, sa bien-seance, sa modestíe, sa grauité, sa maiesté, & l'auantage qu'il

Page 29

a sur tous autres paroissent non seulement en chacun liure, mais en chacun de ses vers, où lon trouuera mille & mille secrets de toutes les sciences, desquelles nous auons comme vn Epitome; ayant au reste les termes propres, les epithetes tousiours conuenants, les metaphores & figures semées en leur endroits, & par tout vn langage pur & disert, sans affeteríe ni ordure quelconque.

Qui a esté le plus excellent O∣rateur en la langue Italienne?

Iean Boccace, qui a escrit il y a assez long temps: mais foit gentillement & purement, comme son Decameron, sa Flammette, le Philocope, le Laby∣rinthe, & autres siens liures aimez par les enfans du monde en font foy.

Qui sont les meilleurs Poëtes Toscains ou Florentins?

Ces trois desquels ie m'en vay faire mention:

En premier lieu sera le gentil Poëte François Petrarque, qui a escrit ses Poësies depuis le temps de Iean Boccace, & a in∣uenté de tres-beaux mots, a enrichi ses vers d'infiníes gentilesses tirées de tous bons Auteurs & de son vif esprit aussi, hardi au reste, & qui a des sonets, chapitres

Page 30

& chansons du tout admirables.

Quels autres Poëtes Italiens me nommerez vous?

Deux seulement, l'vn est Louis Arioste Ferrarois qui a publié vn Roman intitulé Orlando furioso, en vers si doux & agreables que toute l'Italíe les a en la bouche, plein d'affecti∣ons en ses discours, & plaisant au possible à cause de la diuersité des choses qu'il recite, estans ses fables si pro∣prement desguisées qu'on est esmeu quelques-fois en les lysant, comme si c'estoit choses vrayement avenuës, ou au moins vray-semblables.

Qui est l'autre?

Torquato Tasso, vn braue homme certes, qui est encore viuant, le dernier Poëte Italien qui est de grand' renommée en nostre aage, mais digne de premier honneur; & outre qu'il est Poëte diuin, il est Orateur & Rhetoricien tres-excellent; comme ses belles lettres missiues le demonstrent. Ce gallant s'enragea pour l'amour d'vne damoiselle de grande maison quand ie fu en Italie.

Quels autres beaux liures a il composé.

Plusieurs: il y a trois Tomes de ses oeuures imprimez à Ferrare, où il y a diuerses sortes de vers de toutes sortes de

Page 31

belles inuentions: vne Comedie, vne Tragedie, diuers Dialogues & discours en Prose, le tout digne de lecture des plus sages & vifs esprits de l'Europe.

Est cela tout qu'il a escrit?

Non, cár il a la plume en main tous les iours.

Vous auez oblié sa Gierusa∣lemme liberata.

Vous dites vraye. Ce filz a escrit en vers heroïques vn Poëme excellent entre tous autres Poëmes Italiens, intitulé comme vous dites, où toutes les richesses des Grecs & Latins sont recueillies & enchassées si dextrement que rien plus, auec cest bien-seance, briefueté, grauité, erudition, viuacité & maiesté que lon remarque en Virgile le Prince des Poëtes Latins.

Qui ont esté les plus vifs esprits Espagnolz renommez par le Monde?

Pour vn historien Antoyne Gueuare qui estoit secretaire à l'Empereur Charles le quint.

I'ay leu & releu quasi tous ses oeuures; mais quels sont les plus grands Poëtes Espagnols?

Ce sont du Boscan, de Grenade, Garcilace▪ & Mont-maieur.

Ie m'esbaïs que lon ne les face traduire en Anglois.

Ils n'auroyent point de grace.

Page 32

Pourquoy non? On les trouue quasi trestous traduits en Latin, Italien & François.

Ie le croy, encore ont ils plus de grace en leur Castillan, qui est le plus pur dialecte Espagnol, auquel les hommes doctes escriuent & parlent ordi∣nairement.

Parmi les François qui sont les plus eloquens autheurs?

Il y a plusieurs qui ont escrit en rime & en prose, mais ie vous mettray en auant seule∣ment vn demi-dosaine des braues hommes, trois Poëtes & trois Orateurs, & Rhetoriciens nompareils:

Premierement vous auez Clement Marot, Poëte du Roy François, qui a esté admirable pour son temps.

Il fuit le fol du Roy; car depuis son temps on appelle les sots & fols en France Marots, Vous estes vn Marot, dit-on: Diable c'est le Marot.

Vous vous abusez grande∣ment, il estoit Poëte royal non pas fol royal: de qui les belles poësies seront leuës & releuès, tant que dureront l'Ouy & le Non, entre les hommes sçauans.

Vous me pardonnerez monsieur, car ie ne parle pas autrement qu'vn fol, par ouy∣dire & à la volée.

Page 33

Lon dit qu'il fit passer les monts aux Muses, & les a habillées à la Françoise. Il a fait merueilles certes en ses commencements.

Ie le vous recommends par vn Poëte naturel: quand vous entenderez parfaictement le François lisez moy ses liures, si auez le loysir.

Qui est le second Poe'te François, à vostre aduis?

C'est Pierre de Ronsard, riche és despouïlles des Grecs & Latins; comme ses Amours, poemes diuers, odes, elegies & hymnes le verifient, esquels on lit toutes sortes de vers, & d'arguments tantost en style bas, ores en moyen & sublime.

Qui sera le troisieme?

Nous mettrons pour le troisieme le Poëte Chrestien Guillaume de Salluste, le Sieur du Bartas, qui a plus escrit en Trois-Sepmaines que tous les autres Poëtes François, ou tous les autres Poëtes Payens ou Chrestiens n'en firent de toute leur vie. Au reste homme d'autant grand esprit qui onques en nasquist en France.

Qui sont les plus singuliers Rhetoriciens de la France?

Nous auons Iaques Amiot, qui a tourné de Grec en François l'Histoire Aethiopique

Page 34

d'Heliodore, les sept liures des Histoires de Diodore Sicilien, & toutes les oeuures de Plutarque, où il a heureusement trauaillé.

Quel est son style?

Haut & esleué: son langage est pur & simple, non affecté, non recerché: brief, il se monstre vray-François.

Quels autres Orateurs François me nommerez vous?

La France a nourri plusieurs habiles hommes de grand' renommée, qui ont puisé leur eloquence de Rome de Grece, d'Aegypte & de tous les parts & coins du monde: entre vne infinité ie feray mention que de deux Rhetoriciens, lesquels ont emporté le prix de tous autres: l'vn est ce tant renommé & fameux par la France, Blaise Vigenere, qui a aussi traduit beaucoup de liures, comme l'Histoire de Pologne, vne partíe de Tite Liue, Caesar, Philostrate, & Chalcondile.

Certes il a vertueusement operé.

Ce Blaise Vigenere a beaucoup d'addresse certes en ses escrits & des beaux traicts & bien choisis: Lon dit qu'entre tous les nourissons des Muses que la France a enfanté, ce Vigenere a si bien dit, qu'il

Page 35

a clos la porte à tous ceux qui viendront cy-apres tant en elegance de langage qu'en doctrine.

Il faut encore le troisieme pour mettre fin à ces discours des Langues & Orateurs.

L'honneur appartient à Philippes de Mornay, qui a combatu l'atheisme de nostre temps d'vne terrible façon, auec viues raisons, arguments, inductions & preuues inuin∣cibles, iointes auec vn langage graue-doux, bien lié, resonnant auec si beaux & bons termes François, qu'il meine le li∣seur où bon luy semble; & cestuy-ci mettra fin à nostre dispute de langues.

Nous auons auiourd'huy bien discouru des langues, des Orateurs & Rhetoriciens.

Il y a au Monde tant des autres langues & des Ora∣teurs renommez pour leur Eloquence, qu'vn gros volume ne suffiroit pas pour les y mettre tous par ordre.

Certes la gloire & maiesté de l'homme appert en rien plus qu'en son parler.

Il est vray, à cause que par là il demonstre sa raison, la lumiere du corps & de l'ame.

En combien de temps pensez vous qu'vn homme de bon esprit pourroit attaindre à

Page 36

parler ces huict langages dessus nommez?

En huict ans il est possible, si on veut mettre de la peine, & qu'on a bonne adresse de parler ces huict eloquemment, auec bonne grace, & les en escrire auec expedition & vistesse.

Entre ces langues n'y a il pas quelques-vnes qui sont beaucoup plus nobles & plus magnificques que les autres?

Il ne faut point doubter que l'Hebrieu des anciens Peres & Patriarches n'ait eu le meilleur accent & vne grace en la pro∣nonciation souueraine sur toutes autres langues; quoy que les Iuifs d'au-iourd'huy viuans par le monde le parlent lourdement, ie ne sçay comment; mais au reste le vray Toscain, Romain, ou Florentin, quand il est bien accentué & prononcé, a plus de grace & de gloire, est plus fluide, & coulant que tous les autres langages qu'on parle en Europe.

Ie suis d'oppinion certes qu'il n'y a langue au monde plus he∣roïque que celle-là.

Ie ne vous accorderay pas cela.

Pourquoy?

N'auezvous-iamais de vostre vie ouï parler vn Mexicáin; vn Moscouite, vn Tartarien; vn

Page 37

Iapanois ou vn Chinois?

Iamais de ma víe.

L'An huictant & quatre ou cinq Xistus quintus estant Pape Romain; il y auoit quatre ieunes princes, ou roys, ou filz de rois Iapanois qui venoient de ces païs d'Orient à Rome, auec le Padre Mesquita Italien qui les auoit conuertis à la Religion Romaine, & les conduisoit là pour faire l'homage & prester obeissance & serment au Pape. Ie les ay ouï parler en passant par les ruës: leurs mots sont tous quasi monosyllabes, leur langage royal, foudroyant, superbe, glorieux, & magnific à merueilles.

Combien des langues parle∣on en Mexicque la grand' Cité tant renommée és Indes Occidentales.

On parle (à ce qu'on dit) quattre langues diuerses: & ces quattre langues Mexicaines sont toutes si disertes, gratieuses, & eloquentes, que la Grecque, la Latine, l'Italienne l'Espagnolle & Françoise semblent quelques notes effeminées ou iargons barbares au regard de l'hau∣teur, profondité & douceur d'icelles.

Que voulez vous dire de ces langages septentrionaux de Moscouites & Tartres?

Page 38

Ie leur donne le prix & l'honnour certes; car la Russienne & Tartarienne sont langues imperialles, tonnantes, resonnantes esclattantes, nobles & genereuses sur toutes autres en la surface de l'Asie, l'Europe & l'Affrique.

Le haut Alemand tient quel∣que petit trait de leur excellente grace & accent en son parler: pour conclurre, toutes les langues Antartiques des Indois Orientaux ou Occidentaux & celles-là de l'autre partie du monde, ont beaucoup plus grand' lustre, magnificence & generosité que celles-cy que nous parlons en nostre moytie de la Terre.

Il est bien vray monsieur que ie ne voudrois pas apprendre aucune de ces langues: aussi sçay-iebien que vous ne les monstrez pas; mais ie porte grand' affection à la Françoise, laquelle ie desirerois d'apprendre de vous, s'il vous plairroit de m'en donner instruction en icelle.

Ie feray pour vous tout ce que me sera possible.

Mais, il faut sçauoir combien vous prenez par sepmaine, par mois, par quartier, par An.

Ie ne merchande pas auec ceux qui i'enseigne, car les dons de

Page 39

graces & les calibres nobles & vertueuses ne se doibvent pas vendre.

Donnez moy ce que vous voulez, demy-escu, si voulez, vn escu, vn Angelot, vingt solz, cinq liures, dix liures, vingt marcs, vingt liures sterling, la sepmaine, le mois, le quartier, par An.

Les autres enseignent à cinquante & deux solz par An, cest vn sol la sepmaine, ce que ie vous bailleray volontiers pour estre naifuement instruit en la langue Gallicane.

Ie ne m'en souci point de ce que les autres mercenaires font, mais quant à moy ie ne feray point de marché en cecy.

Mettez le cas que vous esties pedante mercenaire; combien voudrez vous demander pour le filz d'vn Mecanicque?

S'il fust filz d'vn Merchant il payeroit en merchant, ie demanderoye & n'en prendroye pas moins de cinq liures par an.

Et pour le filz d'vn Gentil∣homme?

S'il seroit filz de bonne maison, il me payeroit dix liures par an.

Et s'il fust filz d'vn gr an-Seigneur?

Ma foy il payeroit pour grand' Seigneur, & me donneroit tous

Page 40

les ans vingt, trente, ou quarante liures au moins.

Vous auriez bien peu d'escholiers à ce prix-là, car vous estes trop cher.

Aussi ie ne voudroys pas vendre des calibres nobles à gages des vilains & à prix vil & commun: ains chacun me payeroit selon son estat: le mer∣chant en merchant, le gentil∣homme en gentilhomme▪ & le grand seigneur selon son degré d'honneur.

Il ne vous desplairra monsieur si ie demande ou vous auez aprins la langue Françoise?

A Paris en France, où i'ay esté nourri trois ans entiers au College de Montaigu. I'ay aussi regenté vn an en Orleans, au college des Africains; & vescu dix mois a Lyon.

Monsieur, vous m'excuserez s'il vous plaist; il est temps que ie me retire à mes escholiers.

Ie me conseilleray donc entre cy & demain, & puis apres nous accorderons par ensemble, si plaist à Dieu.

A Dieu soiez recommandë. A Dieu mon bon Seigneur.

Do you have questions about this content? Need to report a problem? Please contact us.